Jazz live
Publié le 14 Juil 2016

Jazz à Vienne en images : noise, soul et spiritual mood

De Nox.3 à Kamasi Washington, coup de projecteur sur le All Night Stars de Jazz à Vienne agrémenté de précieuses découvertes.

“J’aimerais pouvoir chanter comme si j’avais 100 ans”, confiait la chanteuse Cécile McLorin Salvant au micro du journaliste Robert Lapassade. C’était peu avant son passage sur la scène du Théâtre Antique avec le Aaron Diehl Trio. Elle en a profité pour évoquer son disque, “For One To Love”, qui lui a valu le Grammy du meilleur album de jazz vocal cette année. “Je ne suis pas sûre que les Grammys prennent en compte le développement musical”, racontait-elle avant d’insister sur la multiplication des concerts comme véritable gage d’évolution de son répertoire. La veille de la grande soirée du festival, revoir Miss McLorin Salvant sur scène était plus que bienvenu compte tenu de ce qui allait suivre… L’occasion aussi d’échanger avec une jeune femme, férue de jazz, qui entend la musique avec le bout de son fuseau. Toujours bien installée devant la scène avec son attirail, elle dessine les instants mais aussi les silences, elle met l’improvisation en couleurs et en images, illustre la danse des instruments mais aussi celles des corps. Une façon de ressentir la musique que l’on aimerait bien connaître…

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Toujours aussi humble et passionnée, Cécile McLorin Salvant a assuré un concert avec la majesté qui la caractérise. C’est une diva insoupçonnable, presqu’invisible tant que sa voix reste tapie en elle et que le mouvement de ses membres, continuum de vibrations vocales, ne laisse percevoir une gracieuse chorégraphie. Après la dernière note, on s’est immédiatement tourné vers une certaine Blossom Dearie, bien présente parmi les influences de Cécile McLorin Salvant (elle tenait à le rappeler !). Rendez-vous dans le casque !

  • Scènes de Cybèle : couleurs, douceurs

Chemises à carreaux multicolores et nœuds pap’ bleu canard pour le pianiste Ewerton Oliveira et le batteur Zaza Desiderio. Cela fait déjà une bonne dose de couleurs vives. C’est sans compter sur la musique elle-même. Allègre et chaleureuse. Souriante et doucereuse parfois. Minimaliste. Comme des notes dorées virevoltant dans une petite boîte à musique. Parfois, la boîte s’agrandit. Alors, les deux musiciens nous laissent voir un peu de chez eux à travers leurs compositions. C’est donc un Brésil que l’on s’imagine au gré de scintillements percussifs. Nous sommes du côté des Scènes de Cybèle. L’après-midi est déjà bien entamé. Les nuages chargés en pluie glacée menacent. Un vent plutôt affable finit par les chasser. La symbiose des deux musiciens offre un charmant tableau. D’ailleurs, à proximité de la scène, deux peintres sont à l’œuvre pendant le set. L’une d’elles a imaginé une sorte de volcan en éruption dont la lave bleue ciel déborde jusqu’au delà de la toile. L’autre a misé sur le rougeâtre, l’orangé, le jaunâtre. Quelque chose de chaud, qui n’est pas trop brûlant. Deux visions parfaites de ce qui vient de se jouer.

Suit une atmosphère crépusculaire peinte en ocre et brun. Il s’agit du quartette de Fayçal Salhi, un oudiste inspiré par la nuit. Et même que le batteur Arnaud Dolmen, dont on affectionne tout particulièrement le jeu, est de la partie. Des compositions empreintes d’une langueur ombrageuse. Une musique enfouie dans un sable à la fois lourd et vaporeux. Les morceaux se jouent sur un segment à la fois grave et céleste. C’est aussi dramatique qu’enchanteur. Perditions, Danse Des Ténèbres, etc. Cela n’a pourtant rien de lugubre. Les nuages gonflés de pluie glacée ne sont d’ailleurs pas revenus. Mais la brise n’est plus aussi affable. Elle est un peu plus fraîche. Annonciatrice de fraîcheur nocturne donc. Comme cette musique là.

Un All Night Stars explosif !

Benjamin Tanguy, coordinateur artistique de Jazz à Vienne, déroule le programme. L’idée de la soirée, affirme-t-il, est de donner place à différentes sortes de grooves. “Depuis dix ans, le festival a pour habitude de convier le lauréat du tremplin Rézzo Focal de l’année précédente pour lancer le All Night Stars”, indique-t-il. En l’occurrence, il s’agit du trio Nox.3. Leur présence ce soir marque “la fin d’une aventure d’un an”. Benjamin Tanguy continue. Avec Robin McKelle, pop et soul de concert. Avec Faada Freddy, body percussion et gospel empreint de pop. Kamasi Washington, caution presque politique d’un spiritual jazz poétique et des plus novateurs. Les JB’s et Martha High ? Le funk et l’esprit de James Brown bien sûr. Quant à l’organiste de Snarky Puppy, Cory Henry, sa création avec la formation The Funk Apostles sera l’apothéose de ce show musical prévu jusqu’au petit matin. On l’avoue sans détour. Le froid était de la partie. Aussi, après Kamasi Washington, nous n’avons pas tenu. À 2h du matin et des poussières, nous étions déjà sur le départ, un dernier regard vers le public en ébullition du Théâtre Antique. Le lendemain, on apprendra que la fête aura duré jusqu’à 6h du matin !

  • Le noise jazz de Nox.3
Nox.3 sur scène!

Nox.3 sur scène!

Énergique et énergisant. Expérimental et free. Branchements, débranchements, court circuits et quelques grosses décharges électr(on)iques. Notons une véritable recherche derrière la liberté jazzistique absolue de ce groupe. Membres du Collectif Loo, les trois musiciens de Nox.3 ont une idée bien précise de ce qui caractérise leur identité musicale. Au sax, Rémi Fox, joue sur de fulgurantes envolées, parfois étouffées, parfois expansives, en alternant alto, soprano et baryton. À la batterie, son frère Nicolas Fox, manie l’art de l’échantillonnage en alliant un pad électronique à sa batterie. Électro, pop, trap, rap, etc. Le batteur cite aisément Flying Lotus ou Amon Tobin parmi ses influences. Quant au pianiste, Matthieu Naulleau, inutile de l’imaginer derrière des claviers et autres synthétiseurs. C’est avec un piano augmenté qu’il se produit aux côtés de ses complices. Augmenté comment ? Avec des capteurs (du même type que les triggers des batteurs) qu’il pilote grâce au mac qui l’accompagne, nous indique-t-il. Une technique qu’il se doit d’adapter aux différents pianos avec lesquels il joue et qui demande une minutieuse préparation, de son propre aveu. Plutôt inventif !

  • Apartés en soul majeur

Après le Nox.3, le public s’est retrouvé galvanisé par la pop mâtinée de soul de Robin McKelle et le spectaculaire showman qu’est Faada Freddy très porté sur le beatbox. Ce n’était pas notre tasse de thé, mais il serait difficile de nier que l’emballement des spectateurs (oui, un théâtre plein à craquer !) ne nous a pas ébranlé.

Robin McKelle et son équipe de musiciens. (c) Katia Touré

Robin McKelle et son équipe de musiciens. (c) Katia Touré

  • Le chanteur Faada Freddy (c) Katia Touré

    Le chanteur Faada Freddy (c) Katia Touré

Un dessinateur au travail avec sa lampe torche! (c) Katia Touré

Un dessinateur au travail avec sa lampe torche! (c) Katia Touré

  • Kamasi Washington, rêveur au sax

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Il nous tardait d’entendre Kamasi Washington sur scène. Ce fut magistral et plutôt phénoménal. Quelques dissonances. Et c’est justement toute la beauté de la musique du saxophoniste. Il n’y a rien de parfait et de lisse. Il n’y a rien d’attendu. Comme l’existence donc. Comme le caractère organique de ses compositions. Il débuta sur “Re Run Home” avec au trombone, Ryan Porter. Et puis, il y eu cet instant de grâce avec l’interprétation du “Clair de Lune” de Debussy. Si “The West Coast Get Down” était loin d’être au grand complet, la présente formation faisait largement l’affaire. Un contrebassiste furieux à l’allure de véritable Black Panther en la personne de Miles Mosley, deux batteurs galvanisés et le claviériste Brandon Coleman dit “Professor Boogie”, prêt à tenter les expérimentations les plus extravagantes tant sur son clavier qu’avec sa voix. Et la chanteuse, Patrice Quinn, qui, derrière son micro, ne semble plus vraiment être parmi nous. Barrée. Quand autour de lui les éléments se déchaînaient, Kamasi Washington restait d’un calme placide, ne s’attachant qu’à ouvrir l’espace pour ses partenaires mais aussi pour son père, Rickey Washington, au sax soprano. Et puis il embouchait son instrument. Et tout naturellement, le souffle qui devait finir par nous parvenir semblait parcourir tout son corps. Massif. Massif de par son physique et sa présence scénique. Celle d’un meneur qui n’a pas besoin de trop en dire. Juste à se fondre dans une sorte de transe collective sans laisser entrevoir le moindre vacillement. Comme s’il est encore en plein rêve. Comme s’il est en pleine projection astrale. Au final, il donne tout simplement et nous recevons avidement.

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Katia Touré|De Nox.3 à Kamasi Washington, coup de projecteur sur le All Night Stars de Jazz à Vienne agrémenté de précieuses découvertes.

“J’aimerais pouvoir chanter comme si j’avais 100 ans”, confiait la chanteuse Cécile McLorin Salvant au micro du journaliste Robert Lapassade. C’était peu avant son passage sur la scène du Théâtre Antique avec le Aaron Diehl Trio. Elle en a profité pour évoquer son disque, “For One To Love”, qui lui a valu le Grammy du meilleur album de jazz vocal cette année. “Je ne suis pas sûre que les Grammys prennent en compte le développement musical”, racontait-elle avant d’insister sur la multiplication des concerts comme véritable gage d’évolution de son répertoire. La veille de la grande soirée du festival, revoir Miss McLorin Salvant sur scène était plus que bienvenu compte tenu de ce qui allait suivre… L’occasion aussi d’échanger avec une jeune femme, férue de jazz, qui entend la musique avec le bout de son fuseau. Toujours bien installée devant la scène avec son attirail, elle dessine les instants mais aussi les silences, elle met l’improvisation en couleurs et en images, illustre la danse des instruments mais aussi celles des corps. Une façon de ressentir la musique que l’on aimerait bien connaître…

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Toujours aussi humble et passionnée, Cécile McLorin Salvant a assuré un concert avec la majesté qui la caractérise. C’est une diva insoupçonnable, presqu’invisible tant que sa voix reste tapie en elle et que le mouvement de ses membres, continuum de vibrations vocales, ne laisse percevoir une gracieuse chorégraphie. Après la dernière note, on s’est immédiatement tourné vers une certaine Blossom Dearie, bien présente parmi les influences de Cécile McLorin Salvant (elle tenait à le rappeler !). Rendez-vous dans le casque !

  • Scènes de Cybèle : couleurs, douceurs

Chemises à carreaux multicolores et nœuds pap’ bleu canard pour le pianiste Ewerton Oliveira et le batteur Zaza Desiderio. Cela fait déjà une bonne dose de couleurs vives. C’est sans compter sur la musique elle-même. Allègre et chaleureuse. Souriante et doucereuse parfois. Minimaliste. Comme des notes dorées virevoltant dans une petite boîte à musique. Parfois, la boîte s’agrandit. Alors, les deux musiciens nous laissent voir un peu de chez eux à travers leurs compositions. C’est donc un Brésil que l’on s’imagine au gré de scintillements percussifs. Nous sommes du côté des Scènes de Cybèle. L’après-midi est déjà bien entamé. Les nuages chargés en pluie glacée menacent. Un vent plutôt affable finit par les chasser. La symbiose des deux musiciens offre un charmant tableau. D’ailleurs, à proximité de la scène, deux peintres sont à l’œuvre pendant le set. L’une d’elles a imaginé une sorte de volcan en éruption dont la lave bleue ciel déborde jusqu’au delà de la toile. L’autre a misé sur le rougeâtre, l’orangé, le jaunâtre. Quelque chose de chaud, qui n’est pas trop brûlant. Deux visions parfaites de ce qui vient de se jouer.

Suit une atmosphère crépusculaire peinte en ocre et brun. Il s’agit du quartette de Fayçal Salhi, un oudiste inspiré par la nuit. Et même que le batteur Arnaud Dolmen, dont on affectionne tout particulièrement le jeu, est de la partie. Des compositions empreintes d’une langueur ombrageuse. Une musique enfouie dans un sable à la fois lourd et vaporeux. Les morceaux se jouent sur un segment à la fois grave et céleste. C’est aussi dramatique qu’enchanteur. Perditions, Danse Des Ténèbres, etc. Cela n’a pourtant rien de lugubre. Les nuages gonflés de pluie glacée ne sont d’ailleurs pas revenus. Mais la brise n’est plus aussi affable. Elle est un peu plus fraîche. Annonciatrice de fraîcheur nocturne donc. Comme cette musique là.

Un All Night Stars explosif !

Benjamin Tanguy, coordinateur artistique de Jazz à Vienne, déroule le programme. L’idée de la soirée, affirme-t-il, est de donner place à différentes sortes de grooves. “Depuis dix ans, le festival a pour habitude de convier le lauréat du tremplin Rézzo Focal de l’année précédente pour lancer le All Night Stars”, indique-t-il. En l’occurrence, il s’agit du trio Nox.3. Leur présence ce soir marque “la fin d’une aventure d’un an”. Benjamin Tanguy continue. Avec Robin McKelle, pop et soul de concert. Avec Faada Freddy, body percussion et gospel empreint de pop. Kamasi Washington, caution presque politique d’un spiritual jazz poétique et des plus novateurs. Les JB’s et Martha High ? Le funk et l’esprit de James Brown bien sûr. Quant à l’organiste de Snarky Puppy, Cory Henry, sa création avec la formation The Funk Apostles sera l’apothéose de ce show musical prévu jusqu’au petit matin. On l’avoue sans détour. Le froid était de la partie. Aussi, après Kamasi Washington, nous n’avons pas tenu. À 2h du matin et des poussières, nous étions déjà sur le départ, un dernier regard vers le public en ébullition du Théâtre Antique. Le lendemain, on apprendra que la fête aura duré jusqu’à 6h du matin !

  • Le noise jazz de Nox.3
Nox.3 sur scène!

Nox.3 sur scène!

Énergique et énergisant. Expérimental et free. Branchements, débranchements, court circuits et quelques grosses décharges électr(on)iques. Notons une véritable recherche derrière la liberté jazzistique absolue de ce groupe. Membres du Collectif Loo, les trois musiciens de Nox.3 ont une idée bien précise de ce qui caractérise leur identité musicale. Au sax, Rémi Fox, joue sur de fulgurantes envolées, parfois étouffées, parfois expansives, en alternant alto, soprano et baryton. À la batterie, son frère Nicolas Fox, manie l’art de l’échantillonnage en alliant un pad électronique à sa batterie. Électro, pop, trap, rap, etc. Le batteur cite aisément Flying Lotus ou Amon Tobin parmi ses influences. Quant au pianiste, Matthieu Naulleau, inutile de l’imaginer derrière des claviers et autres synthétiseurs. C’est avec un piano augmenté qu’il se produit aux côtés de ses complices. Augmenté comment ? Avec des capteurs (du même type que les triggers des batteurs) qu’il pilote grâce au mac qui l’accompagne, nous indique-t-il. Une technique qu’il se doit d’adapter aux différents pianos avec lesquels il joue et qui demande une minutieuse préparation, de son propre aveu. Plutôt inventif !

  • Apartés en soul majeur

Après le Nox.3, le public s’est retrouvé galvanisé par la pop mâtinée de soul de Robin McKelle et le spectaculaire showman qu’est Faada Freddy très porté sur le beatbox. Ce n’était pas notre tasse de thé, mais il serait difficile de nier que l’emballement des spectateurs (oui, un théâtre plein à craquer !) ne nous a pas ébranlé.

Robin McKelle et son équipe de musiciens. (c) Katia Touré

Robin McKelle et son équipe de musiciens. (c) Katia Touré

  • Le chanteur Faada Freddy (c) Katia Touré

    Le chanteur Faada Freddy (c) Katia Touré

Un dessinateur au travail avec sa lampe torche! (c) Katia Touré

Un dessinateur au travail avec sa lampe torche! (c) Katia Touré

  • Kamasi Washington, rêveur au sax

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Il nous tardait d’entendre Kamasi Washington sur scène. Ce fut magistral et plutôt phénoménal. Quelques dissonances. Et c’est justement toute la beauté de la musique du saxophoniste. Il n’y a rien de parfait et de lisse. Il n’y a rien d’attendu. Comme l’existence donc. Comme le caractère organique de ses compositions. Il débuta sur “Re Run Home” avec au trombone, Ryan Porter. Et puis, il y eu cet instant de grâce avec l’interprétation du “Clair de Lune” de Debussy. Si “The West Coast Get Down” était loin d’être au grand complet, la présente formation faisait largement l’affaire. Un contrebassiste furieux à l’allure de véritable Black Panther en la personne de Miles Mosley, deux batteurs galvanisés et le claviériste Brandon Coleman dit “Professor Boogie”, prêt à tenter les expérimentations les plus extravagantes tant sur son clavier qu’avec sa voix. Et la chanteuse, Patrice Quinn, qui, derrière son micro, ne semble plus vraiment être parmi nous. Barrée. Quand autour de lui les éléments se déchaînaient, Kamasi Washington restait d’un calme placide, ne s’attachant qu’à ouvrir l’espace pour ses partenaires mais aussi pour son père, Rickey Washington, au sax soprano. Et puis il embouchait son instrument. Et tout naturellement, le souffle qui devait finir par nous parvenir semblait parcourir tout son corps. Massif. Massif de par son physique et sa présence scénique. Celle d’un meneur qui n’a pas besoin de trop en dire. Juste à se fondre dans une sorte de transe collective sans laisser entrevoir le moindre vacillement. Comme s’il est encore en plein rêve. Comme s’il est en pleine projection astrale. Au final, il donne tout simplement et nous recevons avidement.

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Katia Touré|De Nox.3 à Kamasi Washington, coup de projecteur sur le All Night Stars de Jazz à Vienne agrémenté de précieuses découvertes.

“J’aimerais pouvoir chanter comme si j’avais 100 ans”, confiait la chanteuse Cécile McLorin Salvant au micro du journaliste Robert Lapassade. C’était peu avant son passage sur la scène du Théâtre Antique avec le Aaron Diehl Trio. Elle en a profité pour évoquer son disque, “For One To Love”, qui lui a valu le Grammy du meilleur album de jazz vocal cette année. “Je ne suis pas sûre que les Grammys prennent en compte le développement musical”, racontait-elle avant d’insister sur la multiplication des concerts comme véritable gage d’évolution de son répertoire. La veille de la grande soirée du festival, revoir Miss McLorin Salvant sur scène était plus que bienvenu compte tenu de ce qui allait suivre… L’occasion aussi d’échanger avec une jeune femme, férue de jazz, qui entend la musique avec le bout de son fuseau. Toujours bien installée devant la scène avec son attirail, elle dessine les instants mais aussi les silences, elle met l’improvisation en couleurs et en images, illustre la danse des instruments mais aussi celles des corps. Une façon de ressentir la musique que l’on aimerait bien connaître…

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Toujours aussi humble et passionnée, Cécile McLorin Salvant a assuré un concert avec la majesté qui la caractérise. C’est une diva insoupçonnable, presqu’invisible tant que sa voix reste tapie en elle et que le mouvement de ses membres, continuum de vibrations vocales, ne laisse percevoir une gracieuse chorégraphie. Après la dernière note, on s’est immédiatement tourné vers une certaine Blossom Dearie, bien présente parmi les influences de Cécile McLorin Salvant (elle tenait à le rappeler !). Rendez-vous dans le casque !

  • Scènes de Cybèle : couleurs, douceurs

Chemises à carreaux multicolores et nœuds pap’ bleu canard pour le pianiste Ewerton Oliveira et le batteur Zaza Desiderio. Cela fait déjà une bonne dose de couleurs vives. C’est sans compter sur la musique elle-même. Allègre et chaleureuse. Souriante et doucereuse parfois. Minimaliste. Comme des notes dorées virevoltant dans une petite boîte à musique. Parfois, la boîte s’agrandit. Alors, les deux musiciens nous laissent voir un peu de chez eux à travers leurs compositions. C’est donc un Brésil que l’on s’imagine au gré de scintillements percussifs. Nous sommes du côté des Scènes de Cybèle. L’après-midi est déjà bien entamé. Les nuages chargés en pluie glacée menacent. Un vent plutôt affable finit par les chasser. La symbiose des deux musiciens offre un charmant tableau. D’ailleurs, à proximité de la scène, deux peintres sont à l’œuvre pendant le set. L’une d’elles a imaginé une sorte de volcan en éruption dont la lave bleue ciel déborde jusqu’au delà de la toile. L’autre a misé sur le rougeâtre, l’orangé, le jaunâtre. Quelque chose de chaud, qui n’est pas trop brûlant. Deux visions parfaites de ce qui vient de se jouer.

Suit une atmosphère crépusculaire peinte en ocre et brun. Il s’agit du quartette de Fayçal Salhi, un oudiste inspiré par la nuit. Et même que le batteur Arnaud Dolmen, dont on affectionne tout particulièrement le jeu, est de la partie. Des compositions empreintes d’une langueur ombrageuse. Une musique enfouie dans un sable à la fois lourd et vaporeux. Les morceaux se jouent sur un segment à la fois grave et céleste. C’est aussi dramatique qu’enchanteur. Perditions, Danse Des Ténèbres, etc. Cela n’a pourtant rien de lugubre. Les nuages gonflés de pluie glacée ne sont d’ailleurs pas revenus. Mais la brise n’est plus aussi affable. Elle est un peu plus fraîche. Annonciatrice de fraîcheur nocturne donc. Comme cette musique là.

Un All Night Stars explosif !

Benjamin Tanguy, coordinateur artistique de Jazz à Vienne, déroule le programme. L’idée de la soirée, affirme-t-il, est de donner place à différentes sortes de grooves. “Depuis dix ans, le festival a pour habitude de convier le lauréat du tremplin Rézzo Focal de l’année précédente pour lancer le All Night Stars”, indique-t-il. En l’occurrence, il s’agit du trio Nox.3. Leur présence ce soir marque “la fin d’une aventure d’un an”. Benjamin Tanguy continue. Avec Robin McKelle, pop et soul de concert. Avec Faada Freddy, body percussion et gospel empreint de pop. Kamasi Washington, caution presque politique d’un spiritual jazz poétique et des plus novateurs. Les JB’s et Martha High ? Le funk et l’esprit de James Brown bien sûr. Quant à l’organiste de Snarky Puppy, Cory Henry, sa création avec la formation The Funk Apostles sera l’apothéose de ce show musical prévu jusqu’au petit matin. On l’avoue sans détour. Le froid était de la partie. Aussi, après Kamasi Washington, nous n’avons pas tenu. À 2h du matin et des poussières, nous étions déjà sur le départ, un dernier regard vers le public en ébullition du Théâtre Antique. Le lendemain, on apprendra que la fête aura duré jusqu’à 6h du matin !

  • Le noise jazz de Nox.3
Nox.3 sur scène!

Nox.3 sur scène!

Énergique et énergisant. Expérimental et free. Branchements, débranchements, court circuits et quelques grosses décharges électr(on)iques. Notons une véritable recherche derrière la liberté jazzistique absolue de ce groupe. Membres du Collectif Loo, les trois musiciens de Nox.3 ont une idée bien précise de ce qui caractérise leur identité musicale. Au sax, Rémi Fox, joue sur de fulgurantes envolées, parfois étouffées, parfois expansives, en alternant alto, soprano et baryton. À la batterie, son frère Nicolas Fox, manie l’art de l’échantillonnage en alliant un pad électronique à sa batterie. Électro, pop, trap, rap, etc. Le batteur cite aisément Flying Lotus ou Amon Tobin parmi ses influences. Quant au pianiste, Matthieu Naulleau, inutile de l’imaginer derrière des claviers et autres synthétiseurs. C’est avec un piano augmenté qu’il se produit aux côtés de ses complices. Augmenté comment ? Avec des capteurs (du même type que les triggers des batteurs) qu’il pilote grâce au mac qui l’accompagne, nous indique-t-il. Une technique qu’il se doit d’adapter aux différents pianos avec lesquels il joue et qui demande une minutieuse préparation, de son propre aveu. Plutôt inventif !

  • Apartés en soul majeur

Après le Nox.3, le public s’est retrouvé galvanisé par la pop mâtinée de soul de Robin McKelle et le spectaculaire showman qu’est Faada Freddy très porté sur le beatbox. Ce n’était pas notre tasse de thé, mais il serait difficile de nier que l’emballement des spectateurs (oui, un théâtre plein à craquer !) ne nous a pas ébranlé.

Robin McKelle et son équipe de musiciens. (c) Katia Touré

Robin McKelle et son équipe de musiciens. (c) Katia Touré

  • Le chanteur Faada Freddy (c) Katia Touré

    Le chanteur Faada Freddy (c) Katia Touré

Un dessinateur au travail avec sa lampe torche! (c) Katia Touré

Un dessinateur au travail avec sa lampe torche! (c) Katia Touré

  • Kamasi Washington, rêveur au sax

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Il nous tardait d’entendre Kamasi Washington sur scène. Ce fut magistral et plutôt phénoménal. Quelques dissonances. Et c’est justement toute la beauté de la musique du saxophoniste. Il n’y a rien de parfait et de lisse. Il n’y a rien d’attendu. Comme l’existence donc. Comme le caractère organique de ses compositions. Il débuta sur “Re Run Home” avec au trombone, Ryan Porter. Et puis, il y eu cet instant de grâce avec l’interprétation du “Clair de Lune” de Debussy. Si “The West Coast Get Down” était loin d’être au grand complet, la présente formation faisait largement l’affaire. Un contrebassiste furieux à l’allure de véritable Black Panther en la personne de Miles Mosley, deux batteurs galvanisés et le claviériste Brandon Coleman dit “Professor Boogie”, prêt à tenter les expérimentations les plus extravagantes tant sur son clavier qu’avec sa voix. Et la chanteuse, Patrice Quinn, qui, derrière son micro, ne semble plus vraiment être parmi nous. Barrée. Quand autour de lui les éléments se déchaînaient, Kamasi Washington restait d’un calme placide, ne s’attachant qu’à ouvrir l’espace pour ses partenaires mais aussi pour son père, Rickey Washington, au sax soprano. Et puis il embouchait son instrument. Et tout naturellement, le souffle qui devait finir par nous parvenir semblait parcourir tout son corps. Massif. Massif de par son physique et sa présence scénique. Celle d’un meneur qui n’a pas besoin de trop en dire. Juste à se fondre dans une sorte de transe collective sans laisser entrevoir le moindre vacillement. Comme s’il est encore en plein rêve. Comme s’il est en pleine projection astrale. Au final, il donne tout simplement et nous recevons avidement.

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Katia Touré|De Nox.3 à Kamasi Washington, coup de projecteur sur le All Night Stars de Jazz à Vienne agrémenté de précieuses découvertes.

“J’aimerais pouvoir chanter comme si j’avais 100 ans”, confiait la chanteuse Cécile McLorin Salvant au micro du journaliste Robert Lapassade. C’était peu avant son passage sur la scène du Théâtre Antique avec le Aaron Diehl Trio. Elle en a profité pour évoquer son disque, “For One To Love”, qui lui a valu le Grammy du meilleur album de jazz vocal cette année. “Je ne suis pas sûre que les Grammys prennent en compte le développement musical”, racontait-elle avant d’insister sur la multiplication des concerts comme véritable gage d’évolution de son répertoire. La veille de la grande soirée du festival, revoir Miss McLorin Salvant sur scène était plus que bienvenu compte tenu de ce qui allait suivre… L’occasion aussi d’échanger avec une jeune femme, férue de jazz, qui entend la musique avec le bout de son fuseau. Toujours bien installée devant la scène avec son attirail, elle dessine les instants mais aussi les silences, elle met l’improvisation en couleurs et en images, illustre la danse des instruments mais aussi celles des corps. Une façon de ressentir la musique que l’on aimerait bien connaître…

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Toujours aussi humble et passionnée, Cécile McLorin Salvant a assuré un concert avec la majesté qui la caractérise. C’est une diva insoupçonnable, presqu’invisible tant que sa voix reste tapie en elle et que le mouvement de ses membres, continuum de vibrations vocales, ne laisse percevoir une gracieuse chorégraphie. Après la dernière note, on s’est immédiatement tourné vers une certaine Blossom Dearie, bien présente parmi les influences de Cécile McLorin Salvant (elle tenait à le rappeler !). Rendez-vous dans le casque !

  • Scènes de Cybèle : couleurs, douceurs

Chemises à carreaux multicolores et nœuds pap’ bleu canard pour le pianiste Ewerton Oliveira et le batteur Zaza Desiderio. Cela fait déjà une bonne dose de couleurs vives. C’est sans compter sur la musique elle-même. Allègre et chaleureuse. Souriante et doucereuse parfois. Minimaliste. Comme des notes dorées virevoltant dans une petite boîte à musique. Parfois, la boîte s’agrandit. Alors, les deux musiciens nous laissent voir un peu de chez eux à travers leurs compositions. C’est donc un Brésil que l’on s’imagine au gré de scintillements percussifs. Nous sommes du côté des Scènes de Cybèle. L’après-midi est déjà bien entamé. Les nuages chargés en pluie glacée menacent. Un vent plutôt affable finit par les chasser. La symbiose des deux musiciens offre un charmant tableau. D’ailleurs, à proximité de la scène, deux peintres sont à l’œuvre pendant le set. L’une d’elles a imaginé une sorte de volcan en éruption dont la lave bleue ciel déborde jusqu’au delà de la toile. L’autre a misé sur le rougeâtre, l’orangé, le jaunâtre. Quelque chose de chaud, qui n’est pas trop brûlant. Deux visions parfaites de ce qui vient de se jouer.

Suit une atmosphère crépusculaire peinte en ocre et brun. Il s’agit du quartette de Fayçal Salhi, un oudiste inspiré par la nuit. Et même que le batteur Arnaud Dolmen, dont on affectionne tout particulièrement le jeu, est de la partie. Des compositions empreintes d’une langueur ombrageuse. Une musique enfouie dans un sable à la fois lourd et vaporeux. Les morceaux se jouent sur un segment à la fois grave et céleste. C’est aussi dramatique qu’enchanteur. Perditions, Danse Des Ténèbres, etc. Cela n’a pourtant rien de lugubre. Les nuages gonflés de pluie glacée ne sont d’ailleurs pas revenus. Mais la brise n’est plus aussi affable. Elle est un peu plus fraîche. Annonciatrice de fraîcheur nocturne donc. Comme cette musique là.

Un All Night Stars explosif !

Benjamin Tanguy, coordinateur artistique de Jazz à Vienne, déroule le programme. L’idée de la soirée, affirme-t-il, est de donner place à différentes sortes de grooves. “Depuis dix ans, le festival a pour habitude de convier le lauréat du tremplin Rézzo Focal de l’année précédente pour lancer le All Night Stars”, indique-t-il. En l’occurrence, il s’agit du trio Nox.3. Leur présence ce soir marque “la fin d’une aventure d’un an”. Benjamin Tanguy continue. Avec Robin McKelle, pop et soul de concert. Avec Faada Freddy, body percussion et gospel empreint de pop. Kamasi Washington, caution presque politique d’un spiritual jazz poétique et des plus novateurs. Les JB’s et Martha High ? Le funk et l’esprit de James Brown bien sûr. Quant à l’organiste de Snarky Puppy, Cory Henry, sa création avec la formation The Funk Apostles sera l’apothéose de ce show musical prévu jusqu’au petit matin. On l’avoue sans détour. Le froid était de la partie. Aussi, après Kamasi Washington, nous n’avons pas tenu. À 2h du matin et des poussières, nous étions déjà sur le départ, un dernier regard vers le public en ébullition du Théâtre Antique. Le lendemain, on apprendra que la fête aura duré jusqu’à 6h du matin !

  • Le noise jazz de Nox.3
Nox.3 sur scène!

Nox.3 sur scène!

Énergique et énergisant. Expérimental et free. Branchements, débranchements, court circuits et quelques grosses décharges électr(on)iques. Notons une véritable recherche derrière la liberté jazzistique absolue de ce groupe. Membres du Collectif Loo, les trois musiciens de Nox.3 ont une idée bien précise de ce qui caractérise leur identité musicale. Au sax, Rémi Fox, joue sur de fulgurantes envolées, parfois étouffées, parfois expansives, en alternant alto, soprano et baryton. À la batterie, son frère Nicolas Fox, manie l’art de l’échantillonnage en alliant un pad électronique à sa batterie. Électro, pop, trap, rap, etc. Le batteur cite aisément Flying Lotus ou Amon Tobin parmi ses influences. Quant au pianiste, Matthieu Naulleau, inutile de l’imaginer derrière des claviers et autres synthétiseurs. C’est avec un piano augmenté qu’il se produit aux côtés de ses complices. Augmenté comment ? Avec des capteurs (du même type que les triggers des batteurs) qu’il pilote grâce au mac qui l’accompagne, nous indique-t-il. Une technique qu’il se doit d’adapter aux différents pianos avec lesquels il joue et qui demande une minutieuse préparation, de son propre aveu. Plutôt inventif !

  • Apartés en soul majeur

Après le Nox.3, le public s’est retrouvé galvanisé par la pop mâtinée de soul de Robin McKelle et le spectaculaire showman qu’est Faada Freddy très porté sur le beatbox. Ce n’était pas notre tasse de thé, mais il serait difficile de nier que l’emballement des spectateurs (oui, un théâtre plein à craquer !) ne nous a pas ébranlé.

Robin McKelle et son équipe de musiciens. (c) Katia Touré

Robin McKelle et son équipe de musiciens. (c) Katia Touré

  • Le chanteur Faada Freddy (c) Katia Touré

    Le chanteur Faada Freddy (c) Katia Touré

Un dessinateur au travail avec sa lampe torche! (c) Katia Touré

Un dessinateur au travail avec sa lampe torche! (c) Katia Touré

  • Kamasi Washington, rêveur au sax

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Il nous tardait d’entendre Kamasi Washington sur scène. Ce fut magistral et plutôt phénoménal. Quelques dissonances. Et c’est justement toute la beauté de la musique du saxophoniste. Il n’y a rien de parfait et de lisse. Il n’y a rien d’attendu. Comme l’existence donc. Comme le caractère organique de ses compositions. Il débuta sur “Re Run Home” avec au trombone, Ryan Porter. Et puis, il y eu cet instant de grâce avec l’interprétation du “Clair de Lune” de Debussy. Si “The West Coast Get Down” était loin d’être au grand complet, la présente formation faisait largement l’affaire. Un contrebassiste furieux à l’allure de véritable Black Panther en la personne de Miles Mosley, deux batteurs galvanisés et le claviériste Brandon Coleman dit “Professor Boogie”, prêt à tenter les expérimentations les plus extravagantes tant sur son clavier qu’avec sa voix. Et la chanteuse, Patrice Quinn, qui, derrière son micro, ne semble plus vraiment être parmi nous. Barrée. Quand autour de lui les éléments se déchaînaient, Kamasi Washington restait d’un calme placide, ne s’attachant qu’à ouvrir l’espace pour ses partenaires mais aussi pour son père, Rickey Washington, au sax soprano. Et puis il embouchait son instrument. Et tout naturellement, le souffle qui devait finir par nous parvenir semblait parcourir tout son corps. Massif. Massif de par son physique et sa présence scénique. Celle d’un meneur qui n’a pas besoin de trop en dire. Juste à se fondre dans une sorte de transe collective sans laisser entrevoir le moindre vacillement. Comme s’il est encore en plein rêve. Comme s’il est en pleine projection astrale. Au final, il donne tout simplement et nous recevons avidement.

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Katia Touré