Jazz live
Publié le 8 Nov 2021

Jazz sur le Vif : duo DAVE HOLLAND-JOHN SCOFIELD, trio MATTHIEU BORDENAVE

Magnifique soirée à Radio France avec un duo de légende(s), précédé d’un trio qui mérite de trouver sa place dans l’histoire

En arrivant pour assister aux balances, un peu avant 17h, je découvre sur la scène Dave Holland et John Scofield sacrifiant de bonne grâce aux rites des réglages de sonorisation et d’enregistrement : déambulation ludique sur les harmonies du blues, et déjà la joie de jouer est palpable. Puis ce sera le tour du trio de Matthieu Bordenave : trouver la juste sonorité de la contrebasse (les attaques, la couleur, l’équilibre des registres….), sur scène comme dans la salle ; changer d’anche pour le saxophoniste ; et trouver la réverbération (sa texture, sa longueur) qui convient au pianiste. 

Quand c’est terminé, Florian Weber reste sur scène et, sans doute pour profiter de la qualité du piano autant que pour effectuer ‘un tour de chauffe’, il joue intégralement la douzième des Études opus 10 de Chopin….

MATTHIEU BORDENAVE TRIO

Matthieu Bordenave (saxophone ténor), Patrice Moret (contrebasse), Florian Weber (piano)

Paris, Maison de la Radio (et de la Musique), 6 novembre 2021, 19h30

Un trio international (bassiste suisse, pianiste allemand) rassemblé par un saxophoniste français installé en Allemagne depuis 15 ans. Et un trio dont le disque «La traversée», publié par ECM en 2020, fut remarqué, car remarquable. Alors qu’il participait, au studio de La Buissonne dans le Vaucluse, à un enregistrement du batteur Shinya Fukumori (publié par ECM en 2018), la saxophoniste découvrit qu’il était tout près de L’Isle-sur-la-Sorgue, terre natale de René Char. Et il alla contempler le Partage des Eaux (célébré par le poète), où la Sorgue se sépare en deux bras. Cela ma parle car, lorsque j’avais à peine 20 ans, je suis allé moi aussi contempler la beauté de ce lieu, avant de monter sur le plateau voir la maison de René Char. Comme le disque, le concert est inspiré par l’univers du poète. On évoque comme référence de ce trio celui qui rassembla, trois décennies durant -mais avec des éclipses-, Jimmy Giuffre, Paul Bley et Steve Swallow. Un trio qui joua ici même, dans cette salle. C’est plus que légitime, et pas seulement parce que le pianiste a croisé, dans sa formation états-unienne, la route de Paul Bley. Tout ici se fonde sur une écoute infinie, une interaction fine et une intensité qui rend palpable chaque note émise, chaque accent proféré. Le thème composé se fond dans l’infinie dérive des improvisations, c’est d’une intensité extrême ; extrême mais douce.

Du recueil La Parole en archipel jusqu’au poème Le Thor («Le mont Ventoux, miroir des aigles, était en vue»), tout l’univers de Char irrigue ce concert qui n’a rien d’une musique à programme mais qui s’offre à nous comme une célébration ; laquelle qui nous transporte vers une sorte de félicité.

Et, pour conclure, le trio joue une mélodie d’Olivier Messiaen. Comme pour nous rappeler que, après s’être appelée Studio 104, et avant de retrouver cette désignation un peu sèche, la belle salle où se joue ce concert s’appelait… Salle Olivier Messiaen….

JOHN SCOFIELD / DAVE HOLLAND DUO

John Scofield (guitare), Dave Holland (contrebasse)

Paris, Maison de la Radio (et de la Musique), 6 novembre 2021, 21h

Pendant la balance, le duo est partiellement masqué….

 

Nous avons maintenant rendez-vous avec deux musiciens qui sont déjà, pour les vieux amateurs comme pour les jeunes aficionados, des légendes vivantes. Ce n’est pas tant qu’ils aient été, à des époques différentes, partenaires du grand Miles Davis, mais le fait que chacun d’eux a tracé sa route avec une insolente liberté. Dave Holland, c’est pour moi le souvenir ému de «Conference of the Birds», d’un duo avec Barre Phillips, ou de concerts avec Sam Rivers, sans oublier son quintette du début des années 80, ou le duo avec Steve Coleman. Et John Scofield, ce sont des souvenirs de concerts dont il était le leader, d’un disque en quartette avec Solal, Konitz et NHOP), et d’un autre en duo avec John Abercrombie : bref une foule de grands jalons dans la mémoire, déjà défaillante, d’un amateur sénescent.

Le concert commence par trois compositions du guitariste. Sur la première, Memorette, qui date de 4 décennies, c’est un peu la mise en jambe, mais dès le deuxième titre l’osmose est parfaite.

Manifestement, les deux musiciens ont beaucoup de plaisir à jouer, et je dirai même que parfois ils s’amusent, chausse-trappes, esquives et clin d’œil musical. Le contraste est saisissant entre Scofield qui souligne d’un mouvement de bouche, comme s’il chantait, chaque moment de grande expressivité, tandis que Dave Holland ne se départ guère de son flegme tout britannique, même quand son solo frise l’équilibrisme. Les thèmes suivants seront d’ailleurs du contrebassiste, entre un blues très pulsatoire, une mélodie mélancolique teintée de Sud états-unien, et un thème qu’il avait enregistré naguère avec John Abercrombie et Jack DeJohnette. Retour ensuite à une ballade de John Scofield, guitare seule en intro, et aussi pour une coda en plusieurs épisodes avec déconstrution-démontage-remontage juste avant un retour de la basse pour deux accords conclusifs. Ils s’amusent tout en faisant de la très belle musique. Vient un blues du plus pur style, avec des échanges par 12 mesures, puis 4, puis 2 : la jubilation du jeu, toujours. Au premier rappel, c’est un thème de Dave Holland, en hommage à Ray Brown, Mister B, qui laisse évidemment la part belle à la basse. Et pour l’ultime rappel, retour à une composition de Scofield, musique qui balance fort, avec des intermèdes très libres. Belle conclusion pour un grand moment de musique. Les deux parties de ce concert resteront assurément gravées dans ma mémoire (enfin, dans ce qu’il en reste….)

Xavier Prévost

Chacune des parties de ce concert sera diffusée sur France Musique, vers la fin de janvier 2022 , ou au-delà….