Jazz live
Publié le 30 Avr 2016

Michael Wollny Trio au Goethe-Institut

Élu Meilleur Musicien Européen par l’Académie du Jazz (qui co-organisait le concert) en 2015, Michael Wollny est l’une des étoiles montantes du piano jazz européen. État des lieux un an plus tard avec le concert qu’il donna « chez lui », dans la salle de concert du Goethe-Institut de Paris pleine à craquer au grand étonnement satisfait de la personne responsable du lieu qui présenta le concert.

Jeudi 8 avril 2016, Paris (75), Goethe-Institut Paris (16e arrondissement)

Michael Wollny Trio

Michael Wollny (p), Christian Weber (cb), Eric Schaefer (dm).

À l’audition de ce concert, une question me taraude. D’évidence, le leader et ses musiciens ont du talent. Ils savent tout faire et ont su créer un son qui leur est propre aux heureux contrastes dynamiques. Mais pourquoi ce trio-ci en particulier frappe-t-il autant les esprits ? Outre ces qualités techniques, il est manifeste que les musiciens ont des choses à exprimer, et qu’ils savent bien le dire. En jazz, on appelle cela « raconter une histoire », expression ambiguë car comment établir ce type de communication sans que rien n’ait besoin d’être verbalisé ? C’est que la musique n’est pas le seul vecteur de communication. L’entrée en scène, par exemple, dit déjà quelque chose. Michael Wollny a une gueule de gamin dont la coupe de cheveux laisse supposer qu’il vient de découvrir les Beatles de “Help!” ; Christian Weber a un look qui a quelque chose du motobiker d’Easy Rider ; quant à Eric Schaefer, rien ne dépasse, y compris et surtout au niveau de son crâne parfaitement rasé. Souriants, tous les musiciens sont de noir vêtus. Le « message » me paraît clair : nous allons passer une bonne soirée même si l’atmosphère de notre vieille Europe n’est pas au mieux. On retrouvera ce message comme renversé dans la musique du trio. Hors les ballades qui composeront quasiment la moitié du répertoire, le reste du temps l’ambiance musicale est à la fête (de par les dynamiques, le choix des tempos, les couleurs instrumentales…), mais la folie ou plutôt le dérèglement apparemment incontrôlable, du moins inéluctable, n’est jamais loin. La musique de Wollny comporte toujours en elle une forme de fêlure. Sur un plan harmonique, par exemple, cela se traduit souvent par l’emploi d’accords parfaits patinés d’un mélodisme bitonal.

Leurs corps engagés dans le jeu surimposent une autre communication à la précédente. Le dos un peu voûté, la tête souvent dans ses cheveux et le piano, les pieds parfois croisés, mais les mains en adéquation parfaite avec son instrument, le corps de Michael Wollny nous indique qu’après s’être plié à la discipline classique il a su prendre distante avec celle-ci, sans la renier. Si l’on peut percevoir une posture similaire chez son bassiste, le corps de son batteur nous raconte tout autre chose. Eric Schaefer semble en effet avoir plier son corps à la rectitude, la rationalisation, la précision.

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Sur un plan « stylistique » (même si l’emploi du mot est problématique), la narration de Wollny et de ses partenaires s’inscrit sans ambiguïté dans la voie mixte ouverte par les trios les plus connus du début du XXIe siècle : celui de Brad Mehldau d’abord, par une expression à l’évidence marquée par le romantisme allemand du XIXe siècle (le récent album du trio de Wollny se nomme d’ailleurs Nachtfahrten, la nuit étant par excellence un sujet romantique) ; la gestion de l’espace et celui d’un temps semblant parfois en apesanteur inscrit dans l’A.D.N. de ce trio originaire du Nord de l’Europe doit sans doute à E.S.T., l’électronique et l’électricité en moins ; enfin, les trois musiciens ont retenu de Bad Plus cette capacité à allier des qualités de grooves divers à une véritable et authentique compréhension des ouvertures issues des musiques libertaires et contemporaines (superbe et unique solo de contrebasse à l’archet entre violoncelle, guitare électrique et exploration spectrale par exemple). Dans tout ceci, la résonance culturelle auprès du public d’éléments musicaux directement issus du langage musical du XIXe siècle voire XVIIIe siècle, bien que réinterprétés, est forte (accords parfaits, retard de la sensible au moment des cadences, modulations à distance de tierce, accents schumaniens voire brahmsiens…). À tout ceci s’ajoute (et de façon significative à mon sens, fort heureusement) la qualité de l’expression couvrant un large spectre, du raffinement le plus subtil (certains passages en solo du pianiste m’ont étonnement évoqué Charles Koechlin, en moins diaphane) jusqu’à une violence très poussée inspirée de l’expressionnisme free.

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Ainsi, la narration des musiciens l’autre soir a-t-elle débordé largement le simple état des notes jouées. Leurs histoires possédaient une forme fracturée, éclatée transmise sous la forme non seulement de codes musicaux, mais aussi visuels, culturels, corporels, ce qui explique – peut-être…– en partie l’écho que trouve le trio de Michael Wollny à l’heure actuelle.

Seul regret pour ce qui concerne votre rapporteur : la trop grande évidence rythmique – qui souligne au passage leur intérêt pour les musiques dites populaires urbaines (la pop et l’électro). Précisons : non pas l’absence de recherches et de subtilités, mais la transparence dans les mesures utilisées (bien que je puisse concevoir l’emploi fréquent du bon vieux quatre temps comme une recherche du type « tout n’a pas encore été dit avec le 4/4 »), cela sans doute pour une communicabilité plus immédiate du discours. Il n’empêche : j’ai remué volontiers la tête durant la soirée car cela groovait vraiment !|Élu Meilleur Musicien Européen par l’Académie du Jazz (qui co-organisait le concert) en 2015, Michael Wollny est l’une des étoiles montantes du piano jazz européen. État des lieux un an plus tard avec le concert qu’il donna « chez lui », dans la salle de concert du Goethe-Institut de Paris pleine à craquer au grand étonnement satisfait de la personne responsable du lieu qui présenta le concert.

Jeudi 8 avril 2016, Paris (75), Goethe-Institut Paris (16e arrondissement)

Michael Wollny Trio

Michael Wollny (p), Christian Weber (cb), Eric Schaefer (dm).

À l’audition de ce concert, une question me taraude. D’évidence, le leader et ses musiciens ont du talent. Ils savent tout faire et ont su créer un son qui leur est propre aux heureux contrastes dynamiques. Mais pourquoi ce trio-ci en particulier frappe-t-il autant les esprits ? Outre ces qualités techniques, il est manifeste que les musiciens ont des choses à exprimer, et qu’ils savent bien le dire. En jazz, on appelle cela « raconter une histoire », expression ambiguë car comment établir ce type de communication sans que rien n’ait besoin d’être verbalisé ? C’est que la musique n’est pas le seul vecteur de communication. L’entrée en scène, par exemple, dit déjà quelque chose. Michael Wollny a une gueule de gamin dont la coupe de cheveux laisse supposer qu’il vient de découvrir les Beatles de “Help!” ; Christian Weber a un look qui a quelque chose du motobiker d’Easy Rider ; quant à Eric Schaefer, rien ne dépasse, y compris et surtout au niveau de son crâne parfaitement rasé. Souriants, tous les musiciens sont de noir vêtus. Le « message » me paraît clair : nous allons passer une bonne soirée même si l’atmosphère de notre vieille Europe n’est pas au mieux. On retrouvera ce message comme renversé dans la musique du trio. Hors les ballades qui composeront quasiment la moitié du répertoire, le reste du temps l’ambiance musicale est à la fête (de par les dynamiques, le choix des tempos, les couleurs instrumentales…), mais la folie ou plutôt le dérèglement apparemment incontrôlable, du moins inéluctable, n’est jamais loin. La musique de Wollny comporte toujours en elle une forme de fêlure. Sur un plan harmonique, par exemple, cela se traduit souvent par l’emploi d’accords parfaits patinés d’un mélodisme bitonal.

Leurs corps engagés dans le jeu surimposent une autre communication à la précédente. Le dos un peu voûté, la tête souvent dans ses cheveux et le piano, les pieds parfois croisés, mais les mains en adéquation parfaite avec son instrument, le corps de Michael Wollny nous indique qu’après s’être plié à la discipline classique il a su prendre distante avec celle-ci, sans la renier. Si l’on peut percevoir une posture similaire chez son bassiste, le corps de son batteur nous raconte tout autre chose. Eric Schaefer semble en effet avoir plier son corps à la rectitude, la rationalisation, la précision.

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Sur un plan « stylistique » (même si l’emploi du mot est problématique), la narration de Wollny et de ses partenaires s’inscrit sans ambiguïté dans la voie mixte ouverte par les trios les plus connus du début du XXIe siècle : celui de Brad Mehldau d’abord, par une expression à l’évidence marquée par le romantisme allemand du XIXe siècle (le récent album du trio de Wollny se nomme d’ailleurs Nachtfahrten, la nuit étant par excellence un sujet romantique) ; la gestion de l’espace et celui d’un temps semblant parfois en apesanteur inscrit dans l’A.D.N. de ce trio originaire du Nord de l’Europe doit sans doute à E.S.T., l’électronique et l’électricité en moins ; enfin, les trois musiciens ont retenu de Bad Plus cette capacité à allier des qualités de grooves divers à une véritable et authentique compréhension des ouvertures issues des musiques libertaires et contemporaines (superbe et unique solo de contrebasse à l’archet entre violoncelle, guitare électrique et exploration spectrale par exemple). Dans tout ceci, la résonance culturelle auprès du public d’éléments musicaux directement issus du langage musical du XIXe siècle voire XVIIIe siècle, bien que réinterprétés, est forte (accords parfaits, retard de la sensible au moment des cadences, modulations à distance de tierce, accents schumaniens voire brahmsiens…). À tout ceci s’ajoute (et de façon significative à mon sens, fort heureusement) la qualité de l’expression couvrant un large spectre, du raffinement le plus subtil (certains passages en solo du pianiste m’ont étonnement évoqué Charles Koechlin, en moins diaphane) jusqu’à une violence très poussée inspirée de l’expressionnisme free.

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Ainsi, la narration des musiciens l’autre soir a-t-elle débordé largement le simple état des notes jouées. Leurs histoires possédaient une forme fracturée, éclatée transmise sous la forme non seulement de codes musicaux, mais aussi visuels, culturels, corporels, ce qui explique – peut-être…– en partie l’écho que trouve le trio de Michael Wollny à l’heure actuelle.

Seul regret pour ce qui concerne votre rapporteur : la trop grande évidence rythmique – qui souligne au passage leur intérêt pour les musiques dites populaires urbaines (la pop et l’électro). Précisons : non pas l’absence de recherches et de subtilités, mais la transparence dans les mesures utilisées (bien que je puisse concevoir l’emploi fréquent du bon vieux quatre temps comme une recherche du type « tout n’a pas encore été dit avec le 4/4 »), cela sans doute pour une communicabilité plus immédiate du discours. Il n’empêche : j’ai remué volontiers la tête durant la soirée car cela groovait vraiment !|Élu Meilleur Musicien Européen par l’Académie du Jazz (qui co-organisait le concert) en 2015, Michael Wollny est l’une des étoiles montantes du piano jazz européen. État des lieux un an plus tard avec le concert qu’il donna « chez lui », dans la salle de concert du Goethe-Institut de Paris pleine à craquer au grand étonnement satisfait de la personne responsable du lieu qui présenta le concert.

Jeudi 8 avril 2016, Paris (75), Goethe-Institut Paris (16e arrondissement)

Michael Wollny Trio

Michael Wollny (p), Christian Weber (cb), Eric Schaefer (dm).

À l’audition de ce concert, une question me taraude. D’évidence, le leader et ses musiciens ont du talent. Ils savent tout faire et ont su créer un son qui leur est propre aux heureux contrastes dynamiques. Mais pourquoi ce trio-ci en particulier frappe-t-il autant les esprits ? Outre ces qualités techniques, il est manifeste que les musiciens ont des choses à exprimer, et qu’ils savent bien le dire. En jazz, on appelle cela « raconter une histoire », expression ambiguë car comment établir ce type de communication sans que rien n’ait besoin d’être verbalisé ? C’est que la musique n’est pas le seul vecteur de communication. L’entrée en scène, par exemple, dit déjà quelque chose. Michael Wollny a une gueule de gamin dont la coupe de cheveux laisse supposer qu’il vient de découvrir les Beatles de “Help!” ; Christian Weber a un look qui a quelque chose du motobiker d’Easy Rider ; quant à Eric Schaefer, rien ne dépasse, y compris et surtout au niveau de son crâne parfaitement rasé. Souriants, tous les musiciens sont de noir vêtus. Le « message » me paraît clair : nous allons passer une bonne soirée même si l’atmosphère de notre vieille Europe n’est pas au mieux. On retrouvera ce message comme renversé dans la musique du trio. Hors les ballades qui composeront quasiment la moitié du répertoire, le reste du temps l’ambiance musicale est à la fête (de par les dynamiques, le choix des tempos, les couleurs instrumentales…), mais la folie ou plutôt le dérèglement apparemment incontrôlable, du moins inéluctable, n’est jamais loin. La musique de Wollny comporte toujours en elle une forme de fêlure. Sur un plan harmonique, par exemple, cela se traduit souvent par l’emploi d’accords parfaits patinés d’un mélodisme bitonal.

Leurs corps engagés dans le jeu surimposent une autre communication à la précédente. Le dos un peu voûté, la tête souvent dans ses cheveux et le piano, les pieds parfois croisés, mais les mains en adéquation parfaite avec son instrument, le corps de Michael Wollny nous indique qu’après s’être plié à la discipline classique il a su prendre distante avec celle-ci, sans la renier. Si l’on peut percevoir une posture similaire chez son bassiste, le corps de son batteur nous raconte tout autre chose. Eric Schaefer semble en effet avoir plier son corps à la rectitude, la rationalisation, la précision.

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Sur un plan « stylistique » (même si l’emploi du mot est problématique), la narration de Wollny et de ses partenaires s’inscrit sans ambiguïté dans la voie mixte ouverte par les trios les plus connus du début du XXIe siècle : celui de Brad Mehldau d’abord, par une expression à l’évidence marquée par le romantisme allemand du XIXe siècle (le récent album du trio de Wollny se nomme d’ailleurs Nachtfahrten, la nuit étant par excellence un sujet romantique) ; la gestion de l’espace et celui d’un temps semblant parfois en apesanteur inscrit dans l’A.D.N. de ce trio originaire du Nord de l’Europe doit sans doute à E.S.T., l’électronique et l’électricité en moins ; enfin, les trois musiciens ont retenu de Bad Plus cette capacité à allier des qualités de grooves divers à une véritable et authentique compréhension des ouvertures issues des musiques libertaires et contemporaines (superbe et unique solo de contrebasse à l’archet entre violoncelle, guitare électrique et exploration spectrale par exemple). Dans tout ceci, la résonance culturelle auprès du public d’éléments musicaux directement issus du langage musical du XIXe siècle voire XVIIIe siècle, bien que réinterprétés, est forte (accords parfaits, retard de la sensible au moment des cadences, modulations à distance de tierce, accents schumaniens voire brahmsiens…). À tout ceci s’ajoute (et de façon significative à mon sens, fort heureusement) la qualité de l’expression couvrant un large spectre, du raffinement le plus subtil (certains passages en solo du pianiste m’ont étonnement évoqué Charles Koechlin, en moins diaphane) jusqu’à une violence très poussée inspirée de l’expressionnisme free.

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Ainsi, la narration des musiciens l’autre soir a-t-elle débordé largement le simple état des notes jouées. Leurs histoires possédaient une forme fracturée, éclatée transmise sous la forme non seulement de codes musicaux, mais aussi visuels, culturels, corporels, ce qui explique – peut-être…– en partie l’écho que trouve le trio de Michael Wollny à l’heure actuelle.

Seul regret pour ce qui concerne votre rapporteur : la trop grande évidence rythmique – qui souligne au passage leur intérêt pour les musiques dites populaires urbaines (la pop et l’électro). Précisons : non pas l’absence de recherches et de subtilités, mais la transparence dans les mesures utilisées (bien que je puisse concevoir l’emploi fréquent du bon vieux quatre temps comme une recherche du type « tout n’a pas encore été dit avec le 4/4 »), cela sans doute pour une communicabilité plus immédiate du discours. Il n’empêche : j’ai remué volontiers la tête durant la soirée car cela groovait vraiment !|Élu Meilleur Musicien Européen par l’Académie du Jazz (qui co-organisait le concert) en 2015, Michael Wollny est l’une des étoiles montantes du piano jazz européen. État des lieux un an plus tard avec le concert qu’il donna « chez lui », dans la salle de concert du Goethe-Institut de Paris pleine à craquer au grand étonnement satisfait de la personne responsable du lieu qui présenta le concert.

Jeudi 8 avril 2016, Paris (75), Goethe-Institut Paris (16e arrondissement)

Michael Wollny Trio

Michael Wollny (p), Christian Weber (cb), Eric Schaefer (dm).

À l’audition de ce concert, une question me taraude. D’évidence, le leader et ses musiciens ont du talent. Ils savent tout faire et ont su créer un son qui leur est propre aux heureux contrastes dynamiques. Mais pourquoi ce trio-ci en particulier frappe-t-il autant les esprits ? Outre ces qualités techniques, il est manifeste que les musiciens ont des choses à exprimer, et qu’ils savent bien le dire. En jazz, on appelle cela « raconter une histoire », expression ambiguë car comment établir ce type de communication sans que rien n’ait besoin d’être verbalisé ? C’est que la musique n’est pas le seul vecteur de communication. L’entrée en scène, par exemple, dit déjà quelque chose. Michael Wollny a une gueule de gamin dont la coupe de cheveux laisse supposer qu’il vient de découvrir les Beatles de “Help!” ; Christian Weber a un look qui a quelque chose du motobiker d’Easy Rider ; quant à Eric Schaefer, rien ne dépasse, y compris et surtout au niveau de son crâne parfaitement rasé. Souriants, tous les musiciens sont de noir vêtus. Le « message » me paraît clair : nous allons passer une bonne soirée même si l’atmosphère de notre vieille Europe n’est pas au mieux. On retrouvera ce message comme renversé dans la musique du trio. Hors les ballades qui composeront quasiment la moitié du répertoire, le reste du temps l’ambiance musicale est à la fête (de par les dynamiques, le choix des tempos, les couleurs instrumentales…), mais la folie ou plutôt le dérèglement apparemment incontrôlable, du moins inéluctable, n’est jamais loin. La musique de Wollny comporte toujours en elle une forme de fêlure. Sur un plan harmonique, par exemple, cela se traduit souvent par l’emploi d’accords parfaits patinés d’un mélodisme bitonal.

Leurs corps engagés dans le jeu surimposent une autre communication à la précédente. Le dos un peu voûté, la tête souvent dans ses cheveux et le piano, les pieds parfois croisés, mais les mains en adéquation parfaite avec son instrument, le corps de Michael Wollny nous indique qu’après s’être plié à la discipline classique il a su prendre distante avec celle-ci, sans la renier. Si l’on peut percevoir une posture similaire chez son bassiste, le corps de son batteur nous raconte tout autre chose. Eric Schaefer semble en effet avoir plier son corps à la rectitude, la rationalisation, la précision.

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Sur un plan « stylistique » (même si l’emploi du mot est problématique), la narration de Wollny et de ses partenaires s’inscrit sans ambiguïté dans la voie mixte ouverte par les trios les plus connus du début du XXIe siècle : celui de Brad Mehldau d’abord, par une expression à l’évidence marquée par le romantisme allemand du XIXe siècle (le récent album du trio de Wollny se nomme d’ailleurs Nachtfahrten, la nuit étant par excellence un sujet romantique) ; la gestion de l’espace et celui d’un temps semblant parfois en apesanteur inscrit dans l’A.D.N. de ce trio originaire du Nord de l’Europe doit sans doute à E.S.T., l’électronique et l’électricité en moins ; enfin, les trois musiciens ont retenu de Bad Plus cette capacité à allier des qualités de grooves divers à une véritable et authentique compréhension des ouvertures issues des musiques libertaires et contemporaines (superbe et unique solo de contrebasse à l’archet entre violoncelle, guitare électrique et exploration spectrale par exemple). Dans tout ceci, la résonance culturelle auprès du public d’éléments musicaux directement issus du langage musical du XIXe siècle voire XVIIIe siècle, bien que réinterprétés, est forte (accords parfaits, retard de la sensible au moment des cadences, modulations à distance de tierce, accents schumaniens voire brahmsiens…). À tout ceci s’ajoute (et de façon significative à mon sens, fort heureusement) la qualité de l’expression couvrant un large spectre, du raffinement le plus subtil (certains passages en solo du pianiste m’ont étonnement évoqué Charles Koechlin, en moins diaphane) jusqu’à une violence très poussée inspirée de l’expressionnisme free.

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Ainsi, la narration des musiciens l’autre soir a-t-elle débordé largement le simple état des notes jouées. Leurs histoires possédaient une forme fracturée, éclatée transmise sous la forme non seulement de codes musicaux, mais aussi visuels, culturels, corporels, ce qui explique – peut-être…– en partie l’écho que trouve le trio de Michael Wollny à l’heure actuelle.

Seul regret pour ce qui concerne votre rapporteur : la trop grande évidence rythmique – qui souligne au passage leur intérêt pour les musiques dites populaires urbaines (la pop et l’électro). Précisons : non pas l’absence de recherches et de subtilités, mais la transparence dans les mesures utilisées (bien que je puisse concevoir l’emploi fréquent du bon vieux quatre temps comme une recherche du type « tout n’a pas encore été dit avec le 4/4 »), cela sans doute pour une communicabilité plus immédiate du discours. Il n’empêche : j’ai remué volontiers la tête durant la soirée car cela groovait vraiment !