Jazz live
Publié le 25 Oct 2012

Piano salades par Hervé Sellin, Yves Henry et Claude Debussy.

Dans le cadre des fêtes romantiques de Croissy, la chapelle Saint-Léonard de Croissy-sur-Seine accueillait, ce 25 octobre 2012, Hervé Sellin et Yves Henry pour un authentique concert-salade pour piano autour du répertoire de Claude Debussy.

 

 

Chapelle Saint-Léonard, Croissy-sur-Seine (78), le 25 octobre 2012.

Happy Birthday Mister Debussy : Hervé Sellin, Yves Henry (piano).

 

Debussy donc. Ni dans mes compétences, ni dans mes affinités (si n’était la merveilleuse boîte à outil dont use le jazz depuis Bix Beiderbecke et Coleman Hawkins), autant de lacunes qui valent à tout jazz critic un double zéro pointé. C’est dire que ce “Happy Birthday Mister Debussy” m’intimide devant la page blanche du compte rendu. Gagnons du temps en adoptant la méthode Colette qui, ayant Debussy comme concurrent dans les colonnes musicales de la presse d’époque avait pris le parti de ne pas parler de musique, ou du moins très peu, et qui commençait toujours par observer la salle et son public, avec une férocité réjouie. Parlons plutôt de cette merveilleuse chapelle Saint-Léonard où vint prier Blanche de Castille pour la libération de son fils, le futur Saint-Louis, alors prisonnier des Musulmans. A remonter si loin, on voit le temps que je gagne… mais n’abusons pas. Et disons d’emblée que l’acoustique s’avèrera plutôt bonne (tant de concerts gâchés pour avoir absolument voulu faire jouer un orchestre dans un espace exclusivement réservé à la monodie).


De la fête de la carotte au concert-salade


Ce concert ce déroule à guichet fermé sous la bannière des Fêtes romantiques de Croissy qui, j’espère, n’ont pas remplacé la Fête de la carotte que concurrençait autrefois de l’autre côté de la Seine la Fête du Champignon de Carrières-sur-Seine. Elles sont organisés chaque année par l’association pour la mise en valeur du piano Pleyel de Croissy présidée par Yves Henry. Ce piano, Yves Henry l’a découvert à la bibliothèque de Croissy en 1995, en très mauvais état, et a fait constater par des spécialistes, non seulement son âge (il est de 1838) et le caractère exceptionnel de sa facture, mais aussi son histoire. Car la légende voudrait que Chopin l’ait joué dans un château d’Indre-et-Loire où résida le compositeur et d’où l’instrument parvint à Croissy dans les années 60.


Cette année, 150ème anniversaire de la naissance de Claude Debussy oblige, les Fêtes romantiques le sont fort peu et le programme que nous propose Yves Henry et son invité Hervé Sellin – un programme qu’ils ont déjà donné quatre fois en d’autres lieux – nous entraîne plutôt dans les premières années du siècle ou, plus précisément, dans les années d’après-guerre et de l’après-Debussy, lorsque l’intelligentsia parisienne s’émut de la découverte du jazz band et mêla musique classique et protojazz lors des concerts-salade du Théâtre des Champs Élysées et de la Salle Gaveau. C’est Yves Henry qui ouvre les festivités avec le Colliwogg’s Cake-walk. J’y retrouve, comme dans Le Banjo de Louis Moreau-Gottschalk, ce trot syncopé qui caractérise le frailing du banjo 5 cordes seul legs instrumental de l’Afrique au jazz. Lorsque les critiques musicaux blancs entendirent les premiers ragtimes, ils dirent : « Vous entendez ces Nègres qui jouent du piano ? Mais ce n’est pas du piano. C’est du banjo ! » On parla aussi de “jig piano”. Hervé Sellin enchaîne avec les premières notes du Petit Berger des Children’s Corner, mais aussitôt s’en écarte, déploie les cartes harmoniques du morceau, progresse par associations d’idées, cite Willie Smith (“The Lion”), Ellington et bien d’autres choses qui m’échappent, barbouille le clavier de couleurs bluesy, installe un groove qui se dérobe… Je songe soudain à Martial Solal qui vit à quelques centaines de mètres de là, par-delà la voie ferrée de la ligne A, dans une maison dont je fus le facteur l’été, pour acheter mon premier solex, ma première guitare guitare, mon premier saxophone… Comme j’aurais aimé délivrer un pli recommandé à Monsieur Solal. Mais hélas, il n’y vivait pas encore en cette époque où je connaissais par cœur son “Sans Tambour ni trompette” et où je ne manquais jamais ses concerts parisiens.


Une contrefaçon exemplaire


Mais revenons à la chapelle Saint Léonard où Yves Henry est revenu à la partition, celle des Reflets d’eau dont je ne me reconnais aucune compétence pour commenter l’interprétation, puis Le Petit Nègre que Hervé Sellin rejoint à quatre mains. La soirée se poursuit ainsi, d’un pianiste à l’autre (tout deux très amicalement complice, collègues au CNSM, anciens élèves d’Aldo Ciccolini), du texte à la variation, ou plus exactement à la divagation, Hervé Sellin refusant la facilité de la répartition jazz “main gauche-main droite, esquivant les tempos, clignant de l’œil ici à Bill Evans, là à Herbie, là encore à Chick, abusant soudain un peu trop de la pédale pour ma pudibonderie harmonique, mais progressant d’une main sûre par les chemins buissonniers où l’invitent les partitions de Clair de lune, Prélude à l’après-midi d’un faune, Sarabande, annonçant “hors programme” In a Mist qu’inspira à Bix Beiderbecke son amour de Debussy et délivrant un ravissant medley des compositions de Willie “The Lion” Smith sans lequel il aurait manqué quelque chose à ce programme où l’émotion voisine avec le trait d’humour et la légèreté chère à Kundera. L’un des sommets ? La suite de standards joués “à la Debussy” par Yves Henry. On n’y croit pas trop, on s’impatiente déjà mais l’on se laisse envoûter par une véritable partition composée par l’interprète (mais qu’il a égarée et dont il ne lui reste plus que l’esquisse) à partir de The Man I Love, Take the A Train, Nuages et Round Midnight. Un medley qui n’en est plus vraiment un, tant les coutures entre les morceaux sont in
visibles, tant la texture même est organique. Chapeau Monsieur Henry pour ce faux Debussy plus vrai que nature et pour cette belle salade « fraîcheur d’automne ».


Franck Bergerot

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Dans le cadre des fêtes romantiques de Croissy, la chapelle Saint-Léonard de Croissy-sur-Seine accueillait, ce 25 octobre 2012, Hervé Sellin et Yves Henry pour un authentique concert-salade pour piano autour du répertoire de Claude Debussy.

 

 

Chapelle Saint-Léonard, Croissy-sur-Seine (78), le 25 octobre 2012.

Happy Birthday Mister Debussy : Hervé Sellin, Yves Henry (piano).

 

Debussy donc. Ni dans mes compétences, ni dans mes affinités (si n’était la merveilleuse boîte à outil dont use le jazz depuis Bix Beiderbecke et Coleman Hawkins), autant de lacunes qui valent à tout jazz critic un double zéro pointé. C’est dire que ce “Happy Birthday Mister Debussy” m’intimide devant la page blanche du compte rendu. Gagnons du temps en adoptant la méthode Colette qui, ayant Debussy comme concurrent dans les colonnes musicales de la presse d’époque avait pris le parti de ne pas parler de musique, ou du moins très peu, et qui commençait toujours par observer la salle et son public, avec une férocité réjouie. Parlons plutôt de cette merveilleuse chapelle Saint-Léonard où vint prier Blanche de Castille pour la libération de son fils, le futur Saint-Louis, alors prisonnier des Musulmans. A remonter si loin, on voit le temps que je gagne… mais n’abusons pas. Et disons d’emblée que l’acoustique s’avèrera plutôt bonne (tant de concerts gâchés pour avoir absolument voulu faire jouer un orchestre dans un espace exclusivement réservé à la monodie).


De la fête de la carotte au concert-salade


Ce concert ce déroule à guichet fermé sous la bannière des Fêtes romantiques de Croissy qui, j’espère, n’ont pas remplacé la Fête de la carotte que concurrençait autrefois de l’autre côté de la Seine la Fête du Champignon de Carrières-sur-Seine. Elles sont organisés chaque année par l’association pour la mise en valeur du piano Pleyel de Croissy présidée par Yves Henry. Ce piano, Yves Henry l’a découvert à la bibliothèque de Croissy en 1995, en très mauvais état, et a fait constater par des spécialistes, non seulement son âge (il est de 1838) et le caractère exceptionnel de sa facture, mais aussi son histoire. Car la légende voudrait que Chopin l’ait joué dans un château d’Indre-et-Loire où résida le compositeur et d’où l’instrument parvint à Croissy dans les années 60.


Cette année, 150ème anniversaire de la naissance de Claude Debussy oblige, les Fêtes romantiques le sont fort peu et le programme que nous propose Yves Henry et son invité Hervé Sellin – un programme qu’ils ont déjà donné quatre fois en d’autres lieux – nous entraîne plutôt dans les premières années du siècle ou, plus précisément, dans les années d’après-guerre et de l’après-Debussy, lorsque l’intelligentsia parisienne s’émut de la découverte du jazz band et mêla musique classique et protojazz lors des concerts-salade du Théâtre des Champs Élysées et de la Salle Gaveau. C’est Yves Henry qui ouvre les festivités avec le Colliwogg’s Cake-walk. J’y retrouve, comme dans Le Banjo de Louis Moreau-Gottschalk, ce trot syncopé qui caractérise le frailing du banjo 5 cordes seul legs instrumental de l’Afrique au jazz. Lorsque les critiques musicaux blancs entendirent les premiers ragtimes, ils dirent : « Vous entendez ces Nègres qui jouent du piano ? Mais ce n’est pas du piano. C’est du banjo ! » On parla aussi de “jig piano”. Hervé Sellin enchaîne avec les premières notes du Petit Berger des Children’s Corner, mais aussitôt s’en écarte, déploie les cartes harmoniques du morceau, progresse par associations d’idées, cite Willie Smith (“The Lion”), Ellington et bien d’autres choses qui m’échappent, barbouille le clavier de couleurs bluesy, installe un groove qui se dérobe… Je songe soudain à Martial Solal qui vit à quelques centaines de mètres de là, par-delà la voie ferrée de la ligne A, dans une maison dont je fus le facteur l’été, pour acheter mon premier solex, ma première guitare guitare, mon premier saxophone… Comme j’aurais aimé délivrer un pli recommandé à Monsieur Solal. Mais hélas, il n’y vivait pas encore en cette époque où je connaissais par cœur son “Sans Tambour ni trompette” et où je ne manquais jamais ses concerts parisiens.


Une contrefaçon exemplaire


Mais revenons à la chapelle Saint Léonard où Yves Henry est revenu à la partition, celle des Reflets d’eau dont je ne me reconnais aucune compétence pour commenter l’interprétation, puis Le Petit Nègre que Hervé Sellin rejoint à quatre mains. La soirée se poursuit ainsi, d’un pianiste à l’autre (tout deux très amicalement complice, collègues au CNSM, anciens élèves d’Aldo Ciccolini), du texte à la variation, ou plus exactement à la divagation, Hervé Sellin refusant la facilité de la répartition jazz “main gauche-main droite, esquivant les tempos, clignant de l’œil ici à Bill Evans, là à Herbie, là encore à Chick, abusant soudain un peu trop de la pédale pour ma pudibonderie harmonique, mais progressant d’une main sûre par les chemins buissonniers où l’invitent les partitions de Clair de lune, Prélude à l’après-midi d’un faune, Sarabande, annonçant “hors programme” In a Mist qu’inspira à Bix Beiderbecke son amour de Debussy et délivrant un ravissant medley des compositions de Willie “The Lion” Smith sans lequel il aurait manqué quelque chose à ce programme où l’émotion voisine avec le trait d’humour et la légèreté chère à Kundera. L’un des sommets ? La suite de standards joués “à la Debussy” par Yves Henry. On n’y croit pas trop, on s’impatiente déjà mais l’on se laisse envoûter par une véritable partition composée par l’interprète (mais qu’il a égarée et dont il ne lui reste plus que l’esquisse) à partir de The Man I Love, Take the A Train, Nuages et Round Midnight. Un medley qui n’en est plus vraiment un, tant les coutures entre les morceaux sont in
visibles, tant la texture même est organique. Chapeau Monsieur Henry pour ce faux Debussy plus vrai que nature et pour cette belle salade « fraîcheur d’automne ».


Franck Bergerot

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Dans le cadre des fêtes romantiques de Croissy, la chapelle Saint-Léonard de Croissy-sur-Seine accueillait, ce 25 octobre 2012, Hervé Sellin et Yves Henry pour un authentique concert-salade pour piano autour du répertoire de Claude Debussy.

 

 

Chapelle Saint-Léonard, Croissy-sur-Seine (78), le 25 octobre 2012.

Happy Birthday Mister Debussy : Hervé Sellin, Yves Henry (piano).

 

Debussy donc. Ni dans mes compétences, ni dans mes affinités (si n’était la merveilleuse boîte à outil dont use le jazz depuis Bix Beiderbecke et Coleman Hawkins), autant de lacunes qui valent à tout jazz critic un double zéro pointé. C’est dire que ce “Happy Birthday Mister Debussy” m’intimide devant la page blanche du compte rendu. Gagnons du temps en adoptant la méthode Colette qui, ayant Debussy comme concurrent dans les colonnes musicales de la presse d’époque avait pris le parti de ne pas parler de musique, ou du moins très peu, et qui commençait toujours par observer la salle et son public, avec une férocité réjouie. Parlons plutôt de cette merveilleuse chapelle Saint-Léonard où vint prier Blanche de Castille pour la libération de son fils, le futur Saint-Louis, alors prisonnier des Musulmans. A remonter si loin, on voit le temps que je gagne… mais n’abusons pas. Et disons d’emblée que l’acoustique s’avèrera plutôt bonne (tant de concerts gâchés pour avoir absolument voulu faire jouer un orchestre dans un espace exclusivement réservé à la monodie).


De la fête de la carotte au concert-salade


Ce concert ce déroule à guichet fermé sous la bannière des Fêtes romantiques de Croissy qui, j’espère, n’ont pas remplacé la Fête de la carotte que concurrençait autrefois de l’autre côté de la Seine la Fête du Champignon de Carrières-sur-Seine. Elles sont organisés chaque année par l’association pour la mise en valeur du piano Pleyel de Croissy présidée par Yves Henry. Ce piano, Yves Henry l’a découvert à la bibliothèque de Croissy en 1995, en très mauvais état, et a fait constater par des spécialistes, non seulement son âge (il est de 1838) et le caractère exceptionnel de sa facture, mais aussi son histoire. Car la légende voudrait que Chopin l’ait joué dans un château d’Indre-et-Loire où résida le compositeur et d’où l’instrument parvint à Croissy dans les années 60.


Cette année, 150ème anniversaire de la naissance de Claude Debussy oblige, les Fêtes romantiques le sont fort peu et le programme que nous propose Yves Henry et son invité Hervé Sellin – un programme qu’ils ont déjà donné quatre fois en d’autres lieux – nous entraîne plutôt dans les premières années du siècle ou, plus précisément, dans les années d’après-guerre et de l’après-Debussy, lorsque l’intelligentsia parisienne s’émut de la découverte du jazz band et mêla musique classique et protojazz lors des concerts-salade du Théâtre des Champs Élysées et de la Salle Gaveau. C’est Yves Henry qui ouvre les festivités avec le Colliwogg’s Cake-walk. J’y retrouve, comme dans Le Banjo de Louis Moreau-Gottschalk, ce trot syncopé qui caractérise le frailing du banjo 5 cordes seul legs instrumental de l’Afrique au jazz. Lorsque les critiques musicaux blancs entendirent les premiers ragtimes, ils dirent : « Vous entendez ces Nègres qui jouent du piano ? Mais ce n’est pas du piano. C’est du banjo ! » On parla aussi de “jig piano”. Hervé Sellin enchaîne avec les premières notes du Petit Berger des Children’s Corner, mais aussitôt s’en écarte, déploie les cartes harmoniques du morceau, progresse par associations d’idées, cite Willie Smith (“The Lion”), Ellington et bien d’autres choses qui m’échappent, barbouille le clavier de couleurs bluesy, installe un groove qui se dérobe… Je songe soudain à Martial Solal qui vit à quelques centaines de mètres de là, par-delà la voie ferrée de la ligne A, dans une maison dont je fus le facteur l’été, pour acheter mon premier solex, ma première guitare guitare, mon premier saxophone… Comme j’aurais aimé délivrer un pli recommandé à Monsieur Solal. Mais hélas, il n’y vivait pas encore en cette époque où je connaissais par cœur son “Sans Tambour ni trompette” et où je ne manquais jamais ses concerts parisiens.


Une contrefaçon exemplaire


Mais revenons à la chapelle Saint Léonard où Yves Henry est revenu à la partition, celle des Reflets d’eau dont je ne me reconnais aucune compétence pour commenter l’interprétation, puis Le Petit Nègre que Hervé Sellin rejoint à quatre mains. La soirée se poursuit ainsi, d’un pianiste à l’autre (tout deux très amicalement complice, collègues au CNSM, anciens élèves d’Aldo Ciccolini), du texte à la variation, ou plus exactement à la divagation, Hervé Sellin refusant la facilité de la répartition jazz “main gauche-main droite, esquivant les tempos, clignant de l’œil ici à Bill Evans, là à Herbie, là encore à Chick, abusant soudain un peu trop de la pédale pour ma pudibonderie harmonique, mais progressant d’une main sûre par les chemins buissonniers où l’invitent les partitions de Clair de lune, Prélude à l’après-midi d’un faune, Sarabande, annonçant “hors programme” In a Mist qu’inspira à Bix Beiderbecke son amour de Debussy et délivrant un ravissant medley des compositions de Willie “The Lion” Smith sans lequel il aurait manqué quelque chose à ce programme où l’émotion voisine avec le trait d’humour et la légèreté chère à Kundera. L’un des sommets ? La suite de standards joués “à la Debussy” par Yves Henry. On n’y croit pas trop, on s’impatiente déjà mais l’on se laisse envoûter par une véritable partition composée par l’interprète (mais qu’il a égarée et dont il ne lui reste plus que l’esquisse) à partir de The Man I Love, Take the A Train, Nuages et Round Midnight. Un medley qui n’en est plus vraiment un, tant les coutures entre les morceaux sont in
visibles, tant la texture même est organique. Chapeau Monsieur Henry pour ce faux Debussy plus vrai que nature et pour cette belle salade « fraîcheur d’automne ».


Franck Bergerot

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Dans le cadre des fêtes romantiques de Croissy, la chapelle Saint-Léonard de Croissy-sur-Seine accueillait, ce 25 octobre 2012, Hervé Sellin et Yves Henry pour un authentique concert-salade pour piano autour du répertoire de Claude Debussy.

 

 

Chapelle Saint-Léonard, Croissy-sur-Seine (78), le 25 octobre 2012.

Happy Birthday Mister Debussy : Hervé Sellin, Yves Henry (piano).

 

Debussy donc. Ni dans mes compétences, ni dans mes affinités (si n’était la merveilleuse boîte à outil dont use le jazz depuis Bix Beiderbecke et Coleman Hawkins), autant de lacunes qui valent à tout jazz critic un double zéro pointé. C’est dire que ce “Happy Birthday Mister Debussy” m’intimide devant la page blanche du compte rendu. Gagnons du temps en adoptant la méthode Colette qui, ayant Debussy comme concurrent dans les colonnes musicales de la presse d’époque avait pris le parti de ne pas parler de musique, ou du moins très peu, et qui commençait toujours par observer la salle et son public, avec une férocité réjouie. Parlons plutôt de cette merveilleuse chapelle Saint-Léonard où vint prier Blanche de Castille pour la libération de son fils, le futur Saint-Louis, alors prisonnier des Musulmans. A remonter si loin, on voit le temps que je gagne… mais n’abusons pas. Et disons d’emblée que l’acoustique s’avèrera plutôt bonne (tant de concerts gâchés pour avoir absolument voulu faire jouer un orchestre dans un espace exclusivement réservé à la monodie).


De la fête de la carotte au concert-salade


Ce concert ce déroule à guichet fermé sous la bannière des Fêtes romantiques de Croissy qui, j’espère, n’ont pas remplacé la Fête de la carotte que concurrençait autrefois de l’autre côté de la Seine la Fête du Champignon de Carrières-sur-Seine. Elles sont organisés chaque année par l’association pour la mise en valeur du piano Pleyel de Croissy présidée par Yves Henry. Ce piano, Yves Henry l’a découvert à la bibliothèque de Croissy en 1995, en très mauvais état, et a fait constater par des spécialistes, non seulement son âge (il est de 1838) et le caractère exceptionnel de sa facture, mais aussi son histoire. Car la légende voudrait que Chopin l’ait joué dans un château d’Indre-et-Loire où résida le compositeur et d’où l’instrument parvint à Croissy dans les années 60.


Cette année, 150ème anniversaire de la naissance de Claude Debussy oblige, les Fêtes romantiques le sont fort peu et le programme que nous propose Yves Henry et son invité Hervé Sellin – un programme qu’ils ont déjà donné quatre fois en d’autres lieux – nous entraîne plutôt dans les premières années du siècle ou, plus précisément, dans les années d’après-guerre et de l’après-Debussy, lorsque l’intelligentsia parisienne s’émut de la découverte du jazz band et mêla musique classique et protojazz lors des concerts-salade du Théâtre des Champs Élysées et de la Salle Gaveau. C’est Yves Henry qui ouvre les festivités avec le Colliwogg’s Cake-walk. J’y retrouve, comme dans Le Banjo de Louis Moreau-Gottschalk, ce trot syncopé qui caractérise le frailing du banjo 5 cordes seul legs instrumental de l’Afrique au jazz. Lorsque les critiques musicaux blancs entendirent les premiers ragtimes, ils dirent : « Vous entendez ces Nègres qui jouent du piano ? Mais ce n’est pas du piano. C’est du banjo ! » On parla aussi de “jig piano”. Hervé Sellin enchaîne avec les premières notes du Petit Berger des Children’s Corner, mais aussitôt s’en écarte, déploie les cartes harmoniques du morceau, progresse par associations d’idées, cite Willie Smith (“The Lion”), Ellington et bien d’autres choses qui m’échappent, barbouille le clavier de couleurs bluesy, installe un groove qui se dérobe… Je songe soudain à Martial Solal qui vit à quelques centaines de mètres de là, par-delà la voie ferrée de la ligne A, dans une maison dont je fus le facteur l’été, pour acheter mon premier solex, ma première guitare guitare, mon premier saxophone… Comme j’aurais aimé délivrer un pli recommandé à Monsieur Solal. Mais hélas, il n’y vivait pas encore en cette époque où je connaissais par cœur son “Sans Tambour ni trompette” et où je ne manquais jamais ses concerts parisiens.


Une contrefaçon exemplaire


Mais revenons à la chapelle Saint Léonard où Yves Henry est revenu à la partition, celle des Reflets d’eau dont je ne me reconnais aucune compétence pour commenter l’interprétation, puis Le Petit Nègre que Hervé Sellin rejoint à quatre mains. La soirée se poursuit ainsi, d’un pianiste à l’autre (tout deux très amicalement complice, collègues au CNSM, anciens élèves d’Aldo Ciccolini), du texte à la variation, ou plus exactement à la divagation, Hervé Sellin refusant la facilité de la répartition jazz “main gauche-main droite, esquivant les tempos, clignant de l’œil ici à Bill Evans, là à Herbie, là encore à Chick, abusant soudain un peu trop de la pédale pour ma pudibonderie harmonique, mais progressant d’une main sûre par les chemins buissonniers où l’invitent les partitions de Clair de lune, Prélude à l’après-midi d’un faune, Sarabande, annonçant “hors programme” In a Mist qu’inspira à Bix Beiderbecke son amour de Debussy et délivrant un ravissant medley des compositions de Willie “The Lion” Smith sans lequel il aurait manqué quelque chose à ce programme où l’émotion voisine avec le trait d’humour et la légèreté chère à Kundera. L’un des sommets ? La suite de standards joués “à la Debussy” par Yves Henry. On n’y croit pas trop, on s’impatiente déjà mais l’on se laisse envoûter par une véritable partition composée par l’interprète (mais qu’il a égarée et dont il ne lui reste plus que l’esquisse) à partir de The Man I Love, Take the A Train, Nuages et Round Midnight. Un medley qui n’en est plus vraiment un, tant les coutures entre les morceaux sont in
visibles, tant la texture même est organique. Chapeau Monsieur Henry pour ce faux Debussy plus vrai que nature et pour cette belle salade « fraîcheur d’automne ».


Franck Bergerot