Jazz live
Publié le 23 Mar 2015

Un soir dans une galerie de glaces

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Avec le quintette des fondateurs du label Strata-East, augmenté de l’égérie de Black Jazz Records, et le Sun Ra Centennial Arkestra dirigé par le juvénile nonagénaire Marshall Allen, l’audonienne inauguration de Banlieues Bleues aura brillamment, bruyamment, spéculairement, voire nostalgiquement fait vibrer l’Espace 1789.


Strata-East All Stars + The Sun Ra Centennial Arkestra. Vendredi 20 mars 2015, Espace 1789, Saint-Ouen.

Charles Tolliver (tp, voc), Stanley Cowell (p, kalimba, voc), Cecil McBee (b), Alvin Queen (dm), Jean Carn (voc).

The Sun Ra Centennial Arkestra : Marshall Allen (as, EWI, voc, direction), Knoel Scott (sax, voc), James Stewart (ts), Danny Ray Thompson (ts), Cecil Brooks (tp), Dave Davis (tb), Bobby Few (p), Tara Middleton (voc), Dave Hotep (elg), Elson Nascimiento (perc, surdo), Tyler Mitchell (b), Wayne A. Smith Jr (dm).


Pour les spectateurs les plus contemporains du premier groupe, la soirée allait être vécue comme un jeu de miroirs, avec ses petits bonheurs, ses surprises et ses aléas. D’emblée, la trompette de Charles Tolliver éclate avec une puissance et un staccato aussi maîtrisés qu’au temps de son Grand Max des années 70, plus proches des traits et zébrures d’un Hartung ou des rigueurs mondrianesques que de quelque action painting. Certes, sur scène les cinq musiciens affichent une élégance dignes d’Alain Afflelou ou des frères Lissac, rançon de leur place historique dans le continuum de la musique dont ils ont illustré plus d’une phase depuis leur apparition au sein du “hard bop”. Stanley Cowell, cofondateur avec Tolliver de Strata-East il y a plus de quatre décennies (et mon exact contemporain), déploie depuis longtemps un impressionnant éventail où la nuance “hard” est loin de dominer, explorant des régions au lyrisme chaleureux et à l’irrésistible diversité mélodique, jusqu’à une plongée dans les tréfonds du blues avec un hypnotique I’m a travelling man… qu’il ponctuera-contrechantera avec les lamelles métalliques d’une kalimba (ou, selon la contrée d’origine, sanza, mbira, etc.). Confronté à ces deux voix fortes, le souriant Alvin Queen (qui n’avait pas attendu la création de The Bridge pour participer d’un réjouissant transatlantisme) s’en donne à cœur joie et cymbales que veux-tu avec une énergie qui pourrait être un écho de son efficace enthousiasme au sein des big bands. Last but not least de ce quintette, et autre compagnon de Tolliver dès 1970, l’aîné Cecil McBee assure, sans abuser de son élégance con arco ni de cette “discrétion” tristement associée à nombre de ses confrères, une trame indéfectible et une intelligence chantante du son d’ensemble.


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Mais j’allais oublier, comme par hasard, la problématique apparition de la chanteuse Jean Carn (photo ci-dessus, aux côtés de Stanley Cowell), qui, à l’instar d’autres divorcées du showbiz (Carla B, Dee Dee B, Lil A, Sheila J…), n’a jamais renoncé au patronyme de l’époux, Doug, avec et grâce à qui elle obtint sa première notoriété. Jadis appréciée et admirée pour sa tessiture (cinq octaves) qui lui permit de naviguer dans les eaux les plus variées, de la pop au jazz et entre les deux, d’enregistrer avec, entre de nombreux autres, Earth, Wind and Fire, Billy Paul, Grover Washington, Stanley Turrentine, Roy Ayers, Charles Greenlee (et Archie Shepp), il semble qu’un tel “éclectisme” eut pour effet de détourner l’attention des puristes jazzophiles, notamment en France où longtemps les amateurs écoutèrent d’abord avec les yeux, réagissant au “look” (vêture, couleur…) avant d’ouvrir leurs esgourdes (cf. Jimmy Giuffre à l’Olympia, Anita O’Day à Chaillot). Sans parler, aujourd’hui encore, d’un regard quelque peu sexiste et machiste : si lunettes et barbe blanche rassurent quant à l’importance historique, voire légendaire, des instrumentistes mâles, les réactions sont mitigées face à une évidente sexagénaire en tenue de sexy soul star dont les mains ondoyantes semble caresser des volutes vers l’aigu dignes d’un inattendu bel canto. Mais ce n’était qu’un début, insensiblement le mélange voix-instruments finit par prendre et s’homogénéiser, mais, comme souvent quand deux parties d’un concert ne recèlent pas le même potentiel de popularité ou même d’espoir de surprise absolue, la première ne peut que pâtir de l’attente du public. Donc (à la différence de l’impitoyable grossièreté de jadis) il n’y eut cette fois qu’un rappel timide. 


Et la seconde partie, les tenues chatoyantes, les couleurs éclatantes des chasubles ou ponchos, des coiffes tout en strass entre mitres et bonnets inspirés de quelque star war, la diversité des percussions et/ou le multi-instrumentisme de plusieurs souffleurs, la plantureuse chanteuse-danseuse aussi callipyge que callimazone (copyright Jacques Réda) en tenue moirée-dorée, le rouge magistral et magique de Marshall Allen dont les 91 ans sont clamés en même temps que le centenaire à quoi le regretté Sun Ra aura échappé, bref tout y est, jusqu’à trois ou quatre tubes et hymnes arkestraux, dont les tambours et tutti dominants, hérissés de délires, suraigus et larsen remarquablement maîtrisés et sculptés, tandis que l’âme, le survivant du mythe héliocentrique Marshall Allen se dépense et démène avec une vivacité et une autorité nullement cacochymes, son grand âge n’étant perceptible qu’au nombre de mouchoirs qui défilent dans sa lutte contre une rhinorrhée rebelle. S’il a recours avec assez d’astuce à la ductilité d’un EWI qui alterne avec son alto et rappelle l’étudiant parisien qu’il fut au conservatoire avant d’entrer à Chicago dans les ordres de la confrérie du Soleil (où il étudia notamment le hautbois), c’est au sax qu’il ponctuera, stimulera, relancera, agitera le troupeau des nouvelles ouailles qui, renouant avec un rite indéfectible, conclura le concert en descendant parmi les spectateurs tout en jouant, chantant, soufflant, dansant, comme on avait pu l’observer il y a plusieurs décennies au Châtelet, aux Halles de Paris, à Bourg-la-Reine, mais aussi, en plein jour, à l’heure où les New-yorkais sortaient de leur boulot, dans les rues de Manhattan autour de Carnegie Hall. Sun Ra s’est éclipsé, mais la fête peut continuer. Et tant pis si Tara Middleton (homonyme de sa truculente et défunte consœur Velma Middleton) n’a pas joué de violon (mais nous avait pro
mis de l’utiliser lors du concert lyonnais de l’Arkestra – alors, les Lyonnais ?) et nous a offert une prestation plus proche du blues, du jazz classique et de la pop, que des incantations militantes de la regrettée filiforme June Tyson. 
Philippe Carles


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Avec le quintette des fondateurs du label Strata-East, augmenté de l’égérie de Black Jazz Records, et le Sun Ra Centennial Arkestra dirigé par le juvénile nonagénaire Marshall Allen, l’audonienne inauguration de Banlieues Bleues aura brillamment, bruyamment, spéculairement, voire nostalgiquement fait vibrer l’Espace 1789.


Strata-East All Stars + The Sun Ra Centennial Arkestra. Vendredi 20 mars 2015, Espace 1789, Saint-Ouen.

Charles Tolliver (tp, voc), Stanley Cowell (p, kalimba, voc), Cecil McBee (b), Alvin Queen (dm), Jean Carn (voc).

The Sun Ra Centennial Arkestra : Marshall Allen (as, EWI, voc, direction), Knoel Scott (sax, voc), James Stewart (ts), Danny Ray Thompson (ts), Cecil Brooks (tp), Dave Davis (tb), Bobby Few (p), Tara Middleton (voc), Dave Hotep (elg), Elson Nascimiento (perc, surdo), Tyler Mitchell (b), Wayne A. Smith Jr (dm).


Pour les spectateurs les plus contemporains du premier groupe, la soirée allait être vécue comme un jeu de miroirs, avec ses petits bonheurs, ses surprises et ses aléas. D’emblée, la trompette de Charles Tolliver éclate avec une puissance et un staccato aussi maîtrisés qu’au temps de son Grand Max des années 70, plus proches des traits et zébrures d’un Hartung ou des rigueurs mondrianesques que de quelque action painting. Certes, sur scène les cinq musiciens affichent une élégance dignes d’Alain Afflelou ou des frères Lissac, rançon de leur place historique dans le continuum de la musique dont ils ont illustré plus d’une phase depuis leur apparition au sein du “hard bop”. Stanley Cowell, cofondateur avec Tolliver de Strata-East il y a plus de quatre décennies (et mon exact contemporain), déploie depuis longtemps un impressionnant éventail où la nuance “hard” est loin de dominer, explorant des régions au lyrisme chaleureux et à l’irrésistible diversité mélodique, jusqu’à une plongée dans les tréfonds du blues avec un hypnotique I’m a travelling man… qu’il ponctuera-contrechantera avec les lamelles métalliques d’une kalimba (ou, selon la contrée d’origine, sanza, mbira, etc.). Confronté à ces deux voix fortes, le souriant Alvin Queen (qui n’avait pas attendu la création de The Bridge pour participer d’un réjouissant transatlantisme) s’en donne à cœur joie et cymbales que veux-tu avec une énergie qui pourrait être un écho de son efficace enthousiasme au sein des big bands. Last but not least de ce quintette, et autre compagnon de Tolliver dès 1970, l’aîné Cecil McBee assure, sans abuser de son élégance con arco ni de cette “discrétion” tristement associée à nombre de ses confrères, une trame indéfectible et une intelligence chantante du son d’ensemble.


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Mais j’allais oublier, comme par hasard, la problématique apparition de la chanteuse Jean Carn (photo ci-dessus, aux côtés de Stanley Cowell), qui, à l’instar d’autres divorcées du showbiz (Carla B, Dee Dee B, Lil A, Sheila J…), n’a jamais renoncé au patronyme de l’époux, Doug, avec et grâce à qui elle obtint sa première notoriété. Jadis appréciée et admirée pour sa tessiture (cinq octaves) qui lui permit de naviguer dans les eaux les plus variées, de la pop au jazz et entre les deux, d’enregistrer avec, entre de nombreux autres, Earth, Wind and Fire, Billy Paul, Grover Washington, Stanley Turrentine, Roy Ayers, Charles Greenlee (et Archie Shepp), il semble qu’un tel “éclectisme” eut pour effet de détourner l’attention des puristes jazzophiles, notamment en France où longtemps les amateurs écoutèrent d’abord avec les yeux, réagissant au “look” (vêture, couleur…) avant d’ouvrir leurs esgourdes (cf. Jimmy Giuffre à l’Olympia, Anita O’Day à Chaillot). Sans parler, aujourd’hui encore, d’un regard quelque peu sexiste et machiste : si lunettes et barbe blanche rassurent quant à l’importance historique, voire légendaire, des instrumentistes mâles, les réactions sont mitigées face à une évidente sexagénaire en tenue de sexy soul star dont les mains ondoyantes semble caresser des volutes vers l’aigu dignes d’un inattendu bel canto. Mais ce n’était qu’un début, insensiblement le mélange voix-instruments finit par prendre et s’homogénéiser, mais, comme souvent quand deux parties d’un concert ne recèlent pas le même potentiel de popularité ou même d’espoir de surprise absolue, la première ne peut que pâtir de l’attente du public. Donc (à la différence de l’impitoyable grossièreté de jadis) il n’y eut cette fois qu’un rappel timide. 


Et la seconde partie, les tenues chatoyantes, les couleurs éclatantes des chasubles ou ponchos, des coiffes tout en strass entre mitres et bonnets inspirés de quelque star war, la diversité des percussions et/ou le multi-instrumentisme de plusieurs souffleurs, la plantureuse chanteuse-danseuse aussi callipyge que callimazone (copyright Jacques Réda) en tenue moirée-dorée, le rouge magistral et magique de Marshall Allen dont les 91 ans sont clamés en même temps que le centenaire à quoi le regretté Sun Ra aura échappé, bref tout y est, jusqu’à trois ou quatre tubes et hymnes arkestraux, dont les tambours et tutti dominants, hérissés de délires, suraigus et larsen remarquablement maîtrisés et sculptés, tandis que l’âme, le survivant du mythe héliocentrique Marshall Allen se dépense et démène avec une vivacité et une autorité nullement cacochymes, son grand âge n’étant perceptible qu’au nombre de mouchoirs qui défilent dans sa lutte contre une rhinorrhée rebelle. S’il a recours avec assez d’astuce à la ductilité d’un EWI qui alterne avec son alto et rappelle l’étudiant parisien qu’il fut au conservatoire avant d’entrer à Chicago dans les ordres de la confrérie du Soleil (où il étudia notamment le hautbois), c’est au sax qu’il ponctuera, stimulera, relancera, agitera le troupeau des nouvelles ouailles qui, renouant avec un rite indéfectible, conclura le concert en descendant parmi les spectateurs tout en jouant, chantant, soufflant, dansant, comme on avait pu l’observer il y a plusieurs décennies au Châtelet, aux Halles de Paris, à Bourg-la-Reine, mais aussi, en plein jour, à l’heure où les New-yorkais sortaient de leur boulot, dans les rues de Manhattan autour de Carnegie Hall. Sun Ra s’est éclipsé, mais la fête peut continuer. Et tant pis si Tara Middleton (homonyme de sa truculente et défunte consœur Velma Middleton) n’a pas joué de violon (mais nous avait pro
mis de l’utiliser lors du concert lyonnais de l’Arkestra – alors, les Lyonnais ?) et nous a offert une prestation plus proche du blues, du jazz classique et de la pop, que des incantations militantes de la regrettée filiforme June Tyson. 
Philippe Carles


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Avec le quintette des fondateurs du label Strata-East, augmenté de l’égérie de Black Jazz Records, et le Sun Ra Centennial Arkestra dirigé par le juvénile nonagénaire Marshall Allen, l’audonienne inauguration de Banlieues Bleues aura brillamment, bruyamment, spéculairement, voire nostalgiquement fait vibrer l’Espace 1789.


Strata-East All Stars + The Sun Ra Centennial Arkestra. Vendredi 20 mars 2015, Espace 1789, Saint-Ouen.

Charles Tolliver (tp, voc), Stanley Cowell (p, kalimba, voc), Cecil McBee (b), Alvin Queen (dm), Jean Carn (voc).

The Sun Ra Centennial Arkestra : Marshall Allen (as, EWI, voc, direction), Knoel Scott (sax, voc), James Stewart (ts), Danny Ray Thompson (ts), Cecil Brooks (tp), Dave Davis (tb), Bobby Few (p), Tara Middleton (voc), Dave Hotep (elg), Elson Nascimiento (perc, surdo), Tyler Mitchell (b), Wayne A. Smith Jr (dm).


Pour les spectateurs les plus contemporains du premier groupe, la soirée allait être vécue comme un jeu de miroirs, avec ses petits bonheurs, ses surprises et ses aléas. D’emblée, la trompette de Charles Tolliver éclate avec une puissance et un staccato aussi maîtrisés qu’au temps de son Grand Max des années 70, plus proches des traits et zébrures d’un Hartung ou des rigueurs mondrianesques que de quelque action painting. Certes, sur scène les cinq musiciens affichent une élégance dignes d’Alain Afflelou ou des frères Lissac, rançon de leur place historique dans le continuum de la musique dont ils ont illustré plus d’une phase depuis leur apparition au sein du “hard bop”. Stanley Cowell, cofondateur avec Tolliver de Strata-East il y a plus de quatre décennies (et mon exact contemporain), déploie depuis longtemps un impressionnant éventail où la nuance “hard” est loin de dominer, explorant des régions au lyrisme chaleureux et à l’irrésistible diversité mélodique, jusqu’à une plongée dans les tréfonds du blues avec un hypnotique I’m a travelling man… qu’il ponctuera-contrechantera avec les lamelles métalliques d’une kalimba (ou, selon la contrée d’origine, sanza, mbira, etc.). Confronté à ces deux voix fortes, le souriant Alvin Queen (qui n’avait pas attendu la création de The Bridge pour participer d’un réjouissant transatlantisme) s’en donne à cœur joie et cymbales que veux-tu avec une énergie qui pourrait être un écho de son efficace enthousiasme au sein des big bands. Last but not least de ce quintette, et autre compagnon de Tolliver dès 1970, l’aîné Cecil McBee assure, sans abuser de son élégance con arco ni de cette “discrétion” tristement associée à nombre de ses confrères, une trame indéfectible et une intelligence chantante du son d’ensemble.


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Mais j’allais oublier, comme par hasard, la problématique apparition de la chanteuse Jean Carn (photo ci-dessus, aux côtés de Stanley Cowell), qui, à l’instar d’autres divorcées du showbiz (Carla B, Dee Dee B, Lil A, Sheila J…), n’a jamais renoncé au patronyme de l’époux, Doug, avec et grâce à qui elle obtint sa première notoriété. Jadis appréciée et admirée pour sa tessiture (cinq octaves) qui lui permit de naviguer dans les eaux les plus variées, de la pop au jazz et entre les deux, d’enregistrer avec, entre de nombreux autres, Earth, Wind and Fire, Billy Paul, Grover Washington, Stanley Turrentine, Roy Ayers, Charles Greenlee (et Archie Shepp), il semble qu’un tel “éclectisme” eut pour effet de détourner l’attention des puristes jazzophiles, notamment en France où longtemps les amateurs écoutèrent d’abord avec les yeux, réagissant au “look” (vêture, couleur…) avant d’ouvrir leurs esgourdes (cf. Jimmy Giuffre à l’Olympia, Anita O’Day à Chaillot). Sans parler, aujourd’hui encore, d’un regard quelque peu sexiste et machiste : si lunettes et barbe blanche rassurent quant à l’importance historique, voire légendaire, des instrumentistes mâles, les réactions sont mitigées face à une évidente sexagénaire en tenue de sexy soul star dont les mains ondoyantes semble caresser des volutes vers l’aigu dignes d’un inattendu bel canto. Mais ce n’était qu’un début, insensiblement le mélange voix-instruments finit par prendre et s’homogénéiser, mais, comme souvent quand deux parties d’un concert ne recèlent pas le même potentiel de popularité ou même d’espoir de surprise absolue, la première ne peut que pâtir de l’attente du public. Donc (à la différence de l’impitoyable grossièreté de jadis) il n’y eut cette fois qu’un rappel timide. 


Et la seconde partie, les tenues chatoyantes, les couleurs éclatantes des chasubles ou ponchos, des coiffes tout en strass entre mitres et bonnets inspirés de quelque star war, la diversité des percussions et/ou le multi-instrumentisme de plusieurs souffleurs, la plantureuse chanteuse-danseuse aussi callipyge que callimazone (copyright Jacques Réda) en tenue moirée-dorée, le rouge magistral et magique de Marshall Allen dont les 91 ans sont clamés en même temps que le centenaire à quoi le regretté Sun Ra aura échappé, bref tout y est, jusqu’à trois ou quatre tubes et hymnes arkestraux, dont les tambours et tutti dominants, hérissés de délires, suraigus et larsen remarquablement maîtrisés et sculptés, tandis que l’âme, le survivant du mythe héliocentrique Marshall Allen se dépense et démène avec une vivacité et une autorité nullement cacochymes, son grand âge n’étant perceptible qu’au nombre de mouchoirs qui défilent dans sa lutte contre une rhinorrhée rebelle. S’il a recours avec assez d’astuce à la ductilité d’un EWI qui alterne avec son alto et rappelle l’étudiant parisien qu’il fut au conservatoire avant d’entrer à Chicago dans les ordres de la confrérie du Soleil (où il étudia notamment le hautbois), c’est au sax qu’il ponctuera, stimulera, relancera, agitera le troupeau des nouvelles ouailles qui, renouant avec un rite indéfectible, conclura le concert en descendant parmi les spectateurs tout en jouant, chantant, soufflant, dansant, comme on avait pu l’observer il y a plusieurs décennies au Châtelet, aux Halles de Paris, à Bourg-la-Reine, mais aussi, en plein jour, à l’heure où les New-yorkais sortaient de leur boulot, dans les rues de Manhattan autour de Carnegie Hall. Sun Ra s’est éclipsé, mais la fête peut continuer. Et tant pis si Tara Middleton (homonyme de sa truculente et défunte consœur Velma Middleton) n’a pas joué de violon (mais nous avait pro
mis de l’utiliser lors du concert lyonnais de l’Arkestra – alors, les Lyonnais ?) et nous a offert une prestation plus proche du blues, du jazz classique et de la pop, que des incantations militantes de la regrettée filiforme June Tyson. 
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Avec le quintette des fondateurs du label Strata-East, augmenté de l’égérie de Black Jazz Records, et le Sun Ra Centennial Arkestra dirigé par le juvénile nonagénaire Marshall Allen, l’audonienne inauguration de Banlieues Bleues aura brillamment, bruyamment, spéculairement, voire nostalgiquement fait vibrer l’Espace 1789.


Strata-East All Stars + The Sun Ra Centennial Arkestra. Vendredi 20 mars 2015, Espace 1789, Saint-Ouen.

Charles Tolliver (tp, voc), Stanley Cowell (p, kalimba, voc), Cecil McBee (b), Alvin Queen (dm), Jean Carn (voc).

The Sun Ra Centennial Arkestra : Marshall Allen (as, EWI, voc, direction), Knoel Scott (sax, voc), James Stewart (ts), Danny Ray Thompson (ts), Cecil Brooks (tp), Dave Davis (tb), Bobby Few (p), Tara Middleton (voc), Dave Hotep (elg), Elson Nascimiento (perc, surdo), Tyler Mitchell (b), Wayne A. Smith Jr (dm).


Pour les spectateurs les plus contemporains du premier groupe, la soirée allait être vécue comme un jeu de miroirs, avec ses petits bonheurs, ses surprises et ses aléas. D’emblée, la trompette de Charles Tolliver éclate avec une puissance et un staccato aussi maîtrisés qu’au temps de son Grand Max des années 70, plus proches des traits et zébrures d’un Hartung ou des rigueurs mondrianesques que de quelque action painting. Certes, sur scène les cinq musiciens affichent une élégance dignes d’Alain Afflelou ou des frères Lissac, rançon de leur place historique dans le continuum de la musique dont ils ont illustré plus d’une phase depuis leur apparition au sein du “hard bop”. Stanley Cowell, cofondateur avec Tolliver de Strata-East il y a plus de quatre décennies (et mon exact contemporain), déploie depuis longtemps un impressionnant éventail où la nuance “hard” est loin de dominer, explorant des régions au lyrisme chaleureux et à l’irrésistible diversité mélodique, jusqu’à une plongée dans les tréfonds du blues avec un hypnotique I’m a travelling man… qu’il ponctuera-contrechantera avec les lamelles métalliques d’une kalimba (ou, selon la contrée d’origine, sanza, mbira, etc.). Confronté à ces deux voix fortes, le souriant Alvin Queen (qui n’avait pas attendu la création de The Bridge pour participer d’un réjouissant transatlantisme) s’en donne à cœur joie et cymbales que veux-tu avec une énergie qui pourrait être un écho de son efficace enthousiasme au sein des big bands. Last but not least de ce quintette, et autre compagnon de Tolliver dès 1970, l’aîné Cecil McBee assure, sans abuser de son élégance con arco ni de cette “discrétion” tristement associée à nombre de ses confrères, une trame indéfectible et une intelligence chantante du son d’ensemble.


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Mais j’allais oublier, comme par hasard, la problématique apparition de la chanteuse Jean Carn (photo ci-dessus, aux côtés de Stanley Cowell), qui, à l’instar d’autres divorcées du showbiz (Carla B, Dee Dee B, Lil A, Sheila J…), n’a jamais renoncé au patronyme de l’époux, Doug, avec et grâce à qui elle obtint sa première notoriété. Jadis appréciée et admirée pour sa tessiture (cinq octaves) qui lui permit de naviguer dans les eaux les plus variées, de la pop au jazz et entre les deux, d’enregistrer avec, entre de nombreux autres, Earth, Wind and Fire, Billy Paul, Grover Washington, Stanley Turrentine, Roy Ayers, Charles Greenlee (et Archie Shepp), il semble qu’un tel “éclectisme” eut pour effet de détourner l’attention des puristes jazzophiles, notamment en France où longtemps les amateurs écoutèrent d’abord avec les yeux, réagissant au “look” (vêture, couleur…) avant d’ouvrir leurs esgourdes (cf. Jimmy Giuffre à l’Olympia, Anita O’Day à Chaillot). Sans parler, aujourd’hui encore, d’un regard quelque peu sexiste et machiste : si lunettes et barbe blanche rassurent quant à l’importance historique, voire légendaire, des instrumentistes mâles, les réactions sont mitigées face à une évidente sexagénaire en tenue de sexy soul star dont les mains ondoyantes semble caresser des volutes vers l’aigu dignes d’un inattendu bel canto. Mais ce n’était qu’un début, insensiblement le mélange voix-instruments finit par prendre et s’homogénéiser, mais, comme souvent quand deux parties d’un concert ne recèlent pas le même potentiel de popularité ou même d’espoir de surprise absolue, la première ne peut que pâtir de l’attente du public. Donc (à la différence de l’impitoyable grossièreté de jadis) il n’y eut cette fois qu’un rappel timide. 


Et la seconde partie, les tenues chatoyantes, les couleurs éclatantes des chasubles ou ponchos, des coiffes tout en strass entre mitres et bonnets inspirés de quelque star war, la diversité des percussions et/ou le multi-instrumentisme de plusieurs souffleurs, la plantureuse chanteuse-danseuse aussi callipyge que callimazone (copyright Jacques Réda) en tenue moirée-dorée, le rouge magistral et magique de Marshall Allen dont les 91 ans sont clamés en même temps que le centenaire à quoi le regretté Sun Ra aura échappé, bref tout y est, jusqu’à trois ou quatre tubes et hymnes arkestraux, dont les tambours et tutti dominants, hérissés de délires, suraigus et larsen remarquablement maîtrisés et sculptés, tandis que l’âme, le survivant du mythe héliocentrique Marshall Allen se dépense et démène avec une vivacité et une autorité nullement cacochymes, son grand âge n’étant perceptible qu’au nombre de mouchoirs qui défilent dans sa lutte contre une rhinorrhée rebelle. S’il a recours avec assez d’astuce à la ductilité d’un EWI qui alterne avec son alto et rappelle l’étudiant parisien qu’il fut au conservatoire avant d’entrer à Chicago dans les ordres de la confrérie du Soleil (où il étudia notamment le hautbois), c’est au sax qu’il ponctuera, stimulera, relancera, agitera le troupeau des nouvelles ouailles qui, renouant avec un rite indéfectible, conclura le concert en descendant parmi les spectateurs tout en jouant, chantant, soufflant, dansant, comme on avait pu l’observer il y a plusieurs décennies au Châtelet, aux Halles de Paris, à Bourg-la-Reine, mais aussi, en plein jour, à l’heure où les New-yorkais sortaient de leur boulot, dans les rues de Manhattan autour de Carnegie Hall. Sun Ra s’est éclipsé, mais la fête peut continuer. Et tant pis si Tara Middleton (homonyme de sa truculente et défunte consœur Velma Middleton) n’a pas joué de violon (mais nous avait pro
mis de l’utiliser lors du concert lyonnais de l’Arkestra – alors, les Lyonnais ?) et nous a offert une prestation plus proche du blues, du jazz classique et de la pop, que des incantations militantes de la regrettée filiforme June Tyson. 
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