Jazz live
Publié le 5 Mai 2017

Daniel Humair et le tandem Rousseau-Marguet à l’affiche du Triton

Hier au Triton, Daniel Humair était entouré de Vincent Lê Quang et Stéphane Kerecki sur la scène 2 du Triton (où il expose ses toiles jusqu’au 13 mai), Yves Rousseau et Christophe Marguet lui succédant dans l’autre salle des Lilas pour célébrer la sortie du premier disque de leur Spirit Dance Quintet.

« Ah, te voilà toi ? Alors, tu es venu pour Daniel Humair ou pour Christophe Marguet ? – Euh… Et bien disons que comme Daniel Humair, je suis venu pour Vincent Lê Quang et Stéphane Kerecki. Et que comme Christophe Marguet, je suis venu pour son vieux complice Yves Rousseau, et pour leurs nouveaux compagnons d’aventure Fabrice Martinez, Bruno Ruder et David Chevallier. »

Le Triton, Les Lilas (93), le 4 mai 2017.

Carte blanche à Daniel Humair (batterie) avec Stéphane Kerecki (contrebasse) et Vincent Lê Quang (saxes ténor et soprano).

Le cliché est difficile à éviter lorsque Daniel Humair se produit sur le lieu d’une exposition de ses toiles. Particulièrement en trio. Affranchi de tous les académismes, on le voit sur les deux supports, toile et trio, tendre une “écriture” solide et précise sur laquelle il improvise couleurs et matières avec des gestes bruts, iconoclastes, fervents, urgents et relevant d’un métier ancien dont il reste l’essentiel. Et même dans cette “écriture” qui structure les improvisations collectives partagées avec ses comparses, on entend les traces de ce qui le fit parfois râler dans ses interviews contre l’écriture de Martial Solal qu’il pratiqua longtemps et à laquelle il reprochait de se mettre en travers de la spontanéité du jeu. On en retrouve constamment ces tutti orchestraux rythmico-mélodiques dont il s’amuse soudain à râter une mise en place (plus par défaut de mémoire que par défaut du geste) pour demander à ses “jeunes” comparses (qui furent ses étudiants au CNSM) d’en reprendre le trait à plusieurs reprises. Rature qu’il commente avec ce mélange de franchise et de concision qui pourrait aujourd’hui résumer son art. Répertoire déjà ancien où l’on retrouve Huchedu, IRA, Genevamalgame de sa plume, un emprunt à Michel Portal (dont j’ai manqué le titre) et deux évocations de peintres, Jackson Pollock de Jane Ira Bloom et Jim Dine créé en 2008 avec Tony Malaby et Joachim Kühn, deux “toiles” qui figureront sur un disque consacré au maîtres de la peinture contemporaine récemment enregistré avec Stéphane Kerecki et Vincent Lê Quang.

Ceux-ci se prêtent admirablement à cet art où plus que dans la peinture de Daniel Humair (parce que la chronologie du geste musical n’est pas celle du geste pictural) l’improvisation estompe l’écriture jusqu’à l’oubli du trait mélodico-rythmique initial, conclusif ou central, mais sans rupture entre les deux fonctions, avec une parfaite continuité dans l’échange des parties entre les trois protagonistes.

Ce soir 5 mai, on retrouvera Daniel Humair au Triton avec un autre trio, inédit à ma connaissance, mais que mon planning m’interdira d’aller écouter à mon grand regret, avec Pierre Durand, guitariste que j’apprécie trop pour manquer le cœur léger pareille occasion, et Jean-Paul Céléa dont j’aime la communauté de franchise, d’urgence et de tempo qu’il partage avec Daniel Humair. Et samedi 6 mai, Humair cèdera la place à un saxophoniste qu’il connaît bien et à un duo que je manquerai également à regret : Les Métanuits d’Emile Parisien et Roberto Negro dans leur adaptation du quatuor à cordes de György Ligeti Les Métamorphoses déjà saluée dans ces pages.

Yve Rousseau-Christophe Marguet Spirit Dance Quintet : Fabrice Martinez (trompette, bugle), David Chevallier (guitare électrique), Bruno Ruder (piano, Fender Rhodes), Yves Rousseau (contrebasse), Christophe Marguet (batterie).

L’art d’associer les mets et les vins a son équivalent en musique dont, par nécessité professionnelle, je fais fréquemment fi, mais dont la perception de ce second concert pourrait avoir souffert, car l’on ne passe pas aisément du dénuement pratiqué par Humair et ses comparses à la profusion de ce quintette (un ordre inverse eût été préférable) qui, sans j’en trouve des raisons objectives, m’évoquera à plusieurs reprises la scène anglaise des années 1970, de Soft Machine au Ian Carr de “Belladonna” en passant par Hatfield and the North. « Ah bon !? » s’esclaffera Yves Rousseau. En effet, probablement tout cela n’a-t-il rien à voir ? Mais bon… ça m’offre une porte d’entrée au sortir de la musique du trio d’Humair. Profusion, énergie free-rock, envolée de guitar heroe, mais aussi suspensions et moments de grâce, tone poems comme diraient mes confrères anglophones. Dans un registre comme dans l’autre, une évidence : la rencontre miraculeuse des trois nouveaux venus. D’une part l’entente entre la guitare et le piano sur ce répertoire, que la guitare électrique rivalise d’énergie avec la saturation du piano fender, qu’ils ponctuent réciproquement leurs solos, qu’ils s’attendent dans une écoute mutuelle, où qu’ils conjuguent leurs traits en une délicate broderie harmonique. Sur le répertoire proposé par les deux leaders et sur ce qu’y tissent Bruno Ruder et David Chevallier, Fabrice Martinez trouve matière à donner le meilleur de ce lyrisme dramatique qui constitue l’une des plus belles révélations de la scène française des dernières années.

Le paradoxe est que les deux leaders m’ont semblé ne s’être pas encore totalement trouvés sur ce répertoire dont la cohérence et l’onirisme tient en premier lieu à leurs trois co-équipiers. Constatation d’autant plus paradoxale que tous deux sont des personnalités puissamment assises, des complices de longue date et que je me souviens avoir loué les capacités de Marguet à organiser l’espace de jeu d’un orchestre à l’occasion d’un concert du trio shakespearien qu’il partage avec Guillaume de Chassy et Andy Sheppard. Sur la partie “swing” de la seconde partie, j’ai trouvé qu’ils avaient un peu perdu contact avec cette profondeur de l’expression du tempo qui fait la grandeur cette esthétique. Sur les parties “rock”, c’est l’art du groove qui m’a manqué. Non que j’attende ici le b.a.-ba du funk, mais il me semble que tout ça manque un peu trop de limpidité pour garantir les qualités polyrythmiques et polychromiques que mérite cette musique et ce groupe prometteur auquel on souhaite dorénavant longue vie. Une telle musique grandira sur scène et le fera dès ce soir au Théâtre des Forges royales de Guerigny dans la Nièvre et demain au Chorus de Lausanne. • Franck Bergerot|Hier au Triton, Daniel Humair était entouré de Vincent Lê Quang et Stéphane Kerecki sur la scène 2 du Triton (où il expose ses toiles jusqu’au 13 mai), Yves Rousseau et Christophe Marguet lui succédant dans l’autre salle des Lilas pour célébrer la sortie du premier disque de leur Spirit Dance Quintet.

« Ah, te voilà toi ? Alors, tu es venu pour Daniel Humair ou pour Christophe Marguet ? – Euh… Et bien disons que comme Daniel Humair, je suis venu pour Vincent Lê Quang et Stéphane Kerecki. Et que comme Christophe Marguet, je suis venu pour son vieux complice Yves Rousseau, et pour leurs nouveaux compagnons d’aventure Fabrice Martinez, Bruno Ruder et David Chevallier. »

Le Triton, Les Lilas (93), le 4 mai 2017.

Carte blanche à Daniel Humair (batterie) avec Stéphane Kerecki (contrebasse) et Vincent Lê Quang (saxes ténor et soprano).

Le cliché est difficile à éviter lorsque Daniel Humair se produit sur le lieu d’une exposition de ses toiles. Particulièrement en trio. Affranchi de tous les académismes, on le voit sur les deux supports, toile et trio, tendre une “écriture” solide et précise sur laquelle il improvise couleurs et matières avec des gestes bruts, iconoclastes, fervents, urgents et relevant d’un métier ancien dont il reste l’essentiel. Et même dans cette “écriture” qui structure les improvisations collectives partagées avec ses comparses, on entend les traces de ce qui le fit parfois râler dans ses interviews contre l’écriture de Martial Solal qu’il pratiqua longtemps et à laquelle il reprochait de se mettre en travers de la spontanéité du jeu. On en retrouve constamment ces tutti orchestraux rythmico-mélodiques dont il s’amuse soudain à râter une mise en place (plus par défaut de mémoire que par défaut du geste) pour demander à ses “jeunes” comparses (qui furent ses étudiants au CNSM) d’en reprendre le trait à plusieurs reprises. Rature qu’il commente avec ce mélange de franchise et de concision qui pourrait aujourd’hui résumer son art. Répertoire déjà ancien où l’on retrouve Huchedu, IRA, Genevamalgame de sa plume, un emprunt à Michel Portal (dont j’ai manqué le titre) et deux évocations de peintres, Jackson Pollock de Jane Ira Bloom et Jim Dine créé en 2008 avec Tony Malaby et Joachim Kühn, deux “toiles” qui figureront sur un disque consacré au maîtres de la peinture contemporaine récemment enregistré avec Stéphane Kerecki et Vincent Lê Quang.

Ceux-ci se prêtent admirablement à cet art où plus que dans la peinture de Daniel Humair (parce que la chronologie du geste musical n’est pas celle du geste pictural) l’improvisation estompe l’écriture jusqu’à l’oubli du trait mélodico-rythmique initial, conclusif ou central, mais sans rupture entre les deux fonctions, avec une parfaite continuité dans l’échange des parties entre les trois protagonistes.

Ce soir 5 mai, on retrouvera Daniel Humair au Triton avec un autre trio, inédit à ma connaissance, mais que mon planning m’interdira d’aller écouter à mon grand regret, avec Pierre Durand, guitariste que j’apprécie trop pour manquer le cœur léger pareille occasion, et Jean-Paul Céléa dont j’aime la communauté de franchise, d’urgence et de tempo qu’il partage avec Daniel Humair. Et samedi 6 mai, Humair cèdera la place à un saxophoniste qu’il connaît bien et à un duo que je manquerai également à regret : Les Métanuits d’Emile Parisien et Roberto Negro dans leur adaptation du quatuor à cordes de György Ligeti Les Métamorphoses déjà saluée dans ces pages.

Yve Rousseau-Christophe Marguet Spirit Dance Quintet : Fabrice Martinez (trompette, bugle), David Chevallier (guitare électrique), Bruno Ruder (piano, Fender Rhodes), Yves Rousseau (contrebasse), Christophe Marguet (batterie).

L’art d’associer les mets et les vins a son équivalent en musique dont, par nécessité professionnelle, je fais fréquemment fi, mais dont la perception de ce second concert pourrait avoir souffert, car l’on ne passe pas aisément du dénuement pratiqué par Humair et ses comparses à la profusion de ce quintette (un ordre inverse eût été préférable) qui, sans j’en trouve des raisons objectives, m’évoquera à plusieurs reprises la scène anglaise des années 1970, de Soft Machine au Ian Carr de “Belladonna” en passant par Hatfield and the North. « Ah bon !? » s’esclaffera Yves Rousseau. En effet, probablement tout cela n’a-t-il rien à voir ? Mais bon… ça m’offre une porte d’entrée au sortir de la musique du trio d’Humair. Profusion, énergie free-rock, envolée de guitar heroe, mais aussi suspensions et moments de grâce, tone poems comme diraient mes confrères anglophones. Dans un registre comme dans l’autre, une évidence : la rencontre miraculeuse des trois nouveaux venus. D’une part l’entente entre la guitare et le piano sur ce répertoire, que la guitare électrique rivalise d’énergie avec la saturation du piano fender, qu’ils ponctuent réciproquement leurs solos, qu’ils s’attendent dans une écoute mutuelle, où qu’ils conjuguent leurs traits en une délicate broderie harmonique. Sur le répertoire proposé par les deux leaders et sur ce qu’y tissent Bruno Ruder et David Chevallier, Fabrice Martinez trouve matière à donner le meilleur de ce lyrisme dramatique qui constitue l’une des plus belles révélations de la scène française des dernières années.

Le paradoxe est que les deux leaders m’ont semblé ne s’être pas encore totalement trouvés sur ce répertoire dont la cohérence et l’onirisme tient en premier lieu à leurs trois co-équipiers. Constatation d’autant plus paradoxale que tous deux sont des personnalités puissamment assises, des complices de longue date et que je me souviens avoir loué les capacités de Marguet à organiser l’espace de jeu d’un orchestre à l’occasion d’un concert du trio shakespearien qu’il partage avec Guillaume de Chassy et Andy Sheppard. Sur la partie “swing” de la seconde partie, j’ai trouvé qu’ils avaient un peu perdu contact avec cette profondeur de l’expression du tempo qui fait la grandeur cette esthétique. Sur les parties “rock”, c’est l’art du groove qui m’a manqué. Non que j’attende ici le b.a.-ba du funk, mais il me semble que tout ça manque un peu trop de limpidité pour garantir les qualités polyrythmiques et polychromiques que mérite cette musique et ce groupe prometteur auquel on souhaite dorénavant longue vie. Une telle musique grandira sur scène et le fera dès ce soir au Théâtre des Forges royales de Guerigny dans la Nièvre et demain au Chorus de Lausanne. • Franck Bergerot|Hier au Triton, Daniel Humair était entouré de Vincent Lê Quang et Stéphane Kerecki sur la scène 2 du Triton (où il expose ses toiles jusqu’au 13 mai), Yves Rousseau et Christophe Marguet lui succédant dans l’autre salle des Lilas pour célébrer la sortie du premier disque de leur Spirit Dance Quintet.

« Ah, te voilà toi ? Alors, tu es venu pour Daniel Humair ou pour Christophe Marguet ? – Euh… Et bien disons que comme Daniel Humair, je suis venu pour Vincent Lê Quang et Stéphane Kerecki. Et que comme Christophe Marguet, je suis venu pour son vieux complice Yves Rousseau, et pour leurs nouveaux compagnons d’aventure Fabrice Martinez, Bruno Ruder et David Chevallier. »

Le Triton, Les Lilas (93), le 4 mai 2017.

Carte blanche à Daniel Humair (batterie) avec Stéphane Kerecki (contrebasse) et Vincent Lê Quang (saxes ténor et soprano).

Le cliché est difficile à éviter lorsque Daniel Humair se produit sur le lieu d’une exposition de ses toiles. Particulièrement en trio. Affranchi de tous les académismes, on le voit sur les deux supports, toile et trio, tendre une “écriture” solide et précise sur laquelle il improvise couleurs et matières avec des gestes bruts, iconoclastes, fervents, urgents et relevant d’un métier ancien dont il reste l’essentiel. Et même dans cette “écriture” qui structure les improvisations collectives partagées avec ses comparses, on entend les traces de ce qui le fit parfois râler dans ses interviews contre l’écriture de Martial Solal qu’il pratiqua longtemps et à laquelle il reprochait de se mettre en travers de la spontanéité du jeu. On en retrouve constamment ces tutti orchestraux rythmico-mélodiques dont il s’amuse soudain à râter une mise en place (plus par défaut de mémoire que par défaut du geste) pour demander à ses “jeunes” comparses (qui furent ses étudiants au CNSM) d’en reprendre le trait à plusieurs reprises. Rature qu’il commente avec ce mélange de franchise et de concision qui pourrait aujourd’hui résumer son art. Répertoire déjà ancien où l’on retrouve Huchedu, IRA, Genevamalgame de sa plume, un emprunt à Michel Portal (dont j’ai manqué le titre) et deux évocations de peintres, Jackson Pollock de Jane Ira Bloom et Jim Dine créé en 2008 avec Tony Malaby et Joachim Kühn, deux “toiles” qui figureront sur un disque consacré au maîtres de la peinture contemporaine récemment enregistré avec Stéphane Kerecki et Vincent Lê Quang.

Ceux-ci se prêtent admirablement à cet art où plus que dans la peinture de Daniel Humair (parce que la chronologie du geste musical n’est pas celle du geste pictural) l’improvisation estompe l’écriture jusqu’à l’oubli du trait mélodico-rythmique initial, conclusif ou central, mais sans rupture entre les deux fonctions, avec une parfaite continuité dans l’échange des parties entre les trois protagonistes.

Ce soir 5 mai, on retrouvera Daniel Humair au Triton avec un autre trio, inédit à ma connaissance, mais que mon planning m’interdira d’aller écouter à mon grand regret, avec Pierre Durand, guitariste que j’apprécie trop pour manquer le cœur léger pareille occasion, et Jean-Paul Céléa dont j’aime la communauté de franchise, d’urgence et de tempo qu’il partage avec Daniel Humair. Et samedi 6 mai, Humair cèdera la place à un saxophoniste qu’il connaît bien et à un duo que je manquerai également à regret : Les Métanuits d’Emile Parisien et Roberto Negro dans leur adaptation du quatuor à cordes de György Ligeti Les Métamorphoses déjà saluée dans ces pages.

Yve Rousseau-Christophe Marguet Spirit Dance Quintet : Fabrice Martinez (trompette, bugle), David Chevallier (guitare électrique), Bruno Ruder (piano, Fender Rhodes), Yves Rousseau (contrebasse), Christophe Marguet (batterie).

L’art d’associer les mets et les vins a son équivalent en musique dont, par nécessité professionnelle, je fais fréquemment fi, mais dont la perception de ce second concert pourrait avoir souffert, car l’on ne passe pas aisément du dénuement pratiqué par Humair et ses comparses à la profusion de ce quintette (un ordre inverse eût été préférable) qui, sans j’en trouve des raisons objectives, m’évoquera à plusieurs reprises la scène anglaise des années 1970, de Soft Machine au Ian Carr de “Belladonna” en passant par Hatfield and the North. « Ah bon !? » s’esclaffera Yves Rousseau. En effet, probablement tout cela n’a-t-il rien à voir ? Mais bon… ça m’offre une porte d’entrée au sortir de la musique du trio d’Humair. Profusion, énergie free-rock, envolée de guitar heroe, mais aussi suspensions et moments de grâce, tone poems comme diraient mes confrères anglophones. Dans un registre comme dans l’autre, une évidence : la rencontre miraculeuse des trois nouveaux venus. D’une part l’entente entre la guitare et le piano sur ce répertoire, que la guitare électrique rivalise d’énergie avec la saturation du piano fender, qu’ils ponctuent réciproquement leurs solos, qu’ils s’attendent dans une écoute mutuelle, où qu’ils conjuguent leurs traits en une délicate broderie harmonique. Sur le répertoire proposé par les deux leaders et sur ce qu’y tissent Bruno Ruder et David Chevallier, Fabrice Martinez trouve matière à donner le meilleur de ce lyrisme dramatique qui constitue l’une des plus belles révélations de la scène française des dernières années.

Le paradoxe est que les deux leaders m’ont semblé ne s’être pas encore totalement trouvés sur ce répertoire dont la cohérence et l’onirisme tient en premier lieu à leurs trois co-équipiers. Constatation d’autant plus paradoxale que tous deux sont des personnalités puissamment assises, des complices de longue date et que je me souviens avoir loué les capacités de Marguet à organiser l’espace de jeu d’un orchestre à l’occasion d’un concert du trio shakespearien qu’il partage avec Guillaume de Chassy et Andy Sheppard. Sur la partie “swing” de la seconde partie, j’ai trouvé qu’ils avaient un peu perdu contact avec cette profondeur de l’expression du tempo qui fait la grandeur cette esthétique. Sur les parties “rock”, c’est l’art du groove qui m’a manqué. Non que j’attende ici le b.a.-ba du funk, mais il me semble que tout ça manque un peu trop de limpidité pour garantir les qualités polyrythmiques et polychromiques que mérite cette musique et ce groupe prometteur auquel on souhaite dorénavant longue vie. Une telle musique grandira sur scène et le fera dès ce soir au Théâtre des Forges royales de Guerigny dans la Nièvre et demain au Chorus de Lausanne. • Franck Bergerot|Hier au Triton, Daniel Humair était entouré de Vincent Lê Quang et Stéphane Kerecki sur la scène 2 du Triton (où il expose ses toiles jusqu’au 13 mai), Yves Rousseau et Christophe Marguet lui succédant dans l’autre salle des Lilas pour célébrer la sortie du premier disque de leur Spirit Dance Quintet.

« Ah, te voilà toi ? Alors, tu es venu pour Daniel Humair ou pour Christophe Marguet ? – Euh… Et bien disons que comme Daniel Humair, je suis venu pour Vincent Lê Quang et Stéphane Kerecki. Et que comme Christophe Marguet, je suis venu pour son vieux complice Yves Rousseau, et pour leurs nouveaux compagnons d’aventure Fabrice Martinez, Bruno Ruder et David Chevallier. »

Le Triton, Les Lilas (93), le 4 mai 2017.

Carte blanche à Daniel Humair (batterie) avec Stéphane Kerecki (contrebasse) et Vincent Lê Quang (saxes ténor et soprano).

Le cliché est difficile à éviter lorsque Daniel Humair se produit sur le lieu d’une exposition de ses toiles. Particulièrement en trio. Affranchi de tous les académismes, on le voit sur les deux supports, toile et trio, tendre une “écriture” solide et précise sur laquelle il improvise couleurs et matières avec des gestes bruts, iconoclastes, fervents, urgents et relevant d’un métier ancien dont il reste l’essentiel. Et même dans cette “écriture” qui structure les improvisations collectives partagées avec ses comparses, on entend les traces de ce qui le fit parfois râler dans ses interviews contre l’écriture de Martial Solal qu’il pratiqua longtemps et à laquelle il reprochait de se mettre en travers de la spontanéité du jeu. On en retrouve constamment ces tutti orchestraux rythmico-mélodiques dont il s’amuse soudain à râter une mise en place (plus par défaut de mémoire que par défaut du geste) pour demander à ses “jeunes” comparses (qui furent ses étudiants au CNSM) d’en reprendre le trait à plusieurs reprises. Rature qu’il commente avec ce mélange de franchise et de concision qui pourrait aujourd’hui résumer son art. Répertoire déjà ancien où l’on retrouve Huchedu, IRA, Genevamalgame de sa plume, un emprunt à Michel Portal (dont j’ai manqué le titre) et deux évocations de peintres, Jackson Pollock de Jane Ira Bloom et Jim Dine créé en 2008 avec Tony Malaby et Joachim Kühn, deux “toiles” qui figureront sur un disque consacré au maîtres de la peinture contemporaine récemment enregistré avec Stéphane Kerecki et Vincent Lê Quang.

Ceux-ci se prêtent admirablement à cet art où plus que dans la peinture de Daniel Humair (parce que la chronologie du geste musical n’est pas celle du geste pictural) l’improvisation estompe l’écriture jusqu’à l’oubli du trait mélodico-rythmique initial, conclusif ou central, mais sans rupture entre les deux fonctions, avec une parfaite continuité dans l’échange des parties entre les trois protagonistes.

Ce soir 5 mai, on retrouvera Daniel Humair au Triton avec un autre trio, inédit à ma connaissance, mais que mon planning m’interdira d’aller écouter à mon grand regret, avec Pierre Durand, guitariste que j’apprécie trop pour manquer le cœur léger pareille occasion, et Jean-Paul Céléa dont j’aime la communauté de franchise, d’urgence et de tempo qu’il partage avec Daniel Humair. Et samedi 6 mai, Humair cèdera la place à un saxophoniste qu’il connaît bien et à un duo que je manquerai également à regret : Les Métanuits d’Emile Parisien et Roberto Negro dans leur adaptation du quatuor à cordes de György Ligeti Les Métamorphoses déjà saluée dans ces pages.

Yve Rousseau-Christophe Marguet Spirit Dance Quintet : Fabrice Martinez (trompette, bugle), David Chevallier (guitare électrique), Bruno Ruder (piano, Fender Rhodes), Yves Rousseau (contrebasse), Christophe Marguet (batterie).

L’art d’associer les mets et les vins a son équivalent en musique dont, par nécessité professionnelle, je fais fréquemment fi, mais dont la perception de ce second concert pourrait avoir souffert, car l’on ne passe pas aisément du dénuement pratiqué par Humair et ses comparses à la profusion de ce quintette (un ordre inverse eût été préférable) qui, sans j’en trouve des raisons objectives, m’évoquera à plusieurs reprises la scène anglaise des années 1970, de Soft Machine au Ian Carr de “Belladonna” en passant par Hatfield and the North. « Ah bon !? » s’esclaffera Yves Rousseau. En effet, probablement tout cela n’a-t-il rien à voir ? Mais bon… ça m’offre une porte d’entrée au sortir de la musique du trio d’Humair. Profusion, énergie free-rock, envolée de guitar heroe, mais aussi suspensions et moments de grâce, tone poems comme diraient mes confrères anglophones. Dans un registre comme dans l’autre, une évidence : la rencontre miraculeuse des trois nouveaux venus. D’une part l’entente entre la guitare et le piano sur ce répertoire, que la guitare électrique rivalise d’énergie avec la saturation du piano fender, qu’ils ponctuent réciproquement leurs solos, qu’ils s’attendent dans une écoute mutuelle, où qu’ils conjuguent leurs traits en une délicate broderie harmonique. Sur le répertoire proposé par les deux leaders et sur ce qu’y tissent Bruno Ruder et David Chevallier, Fabrice Martinez trouve matière à donner le meilleur de ce lyrisme dramatique qui constitue l’une des plus belles révélations de la scène française des dernières années.

Le paradoxe est que les deux leaders m’ont semblé ne s’être pas encore totalement trouvés sur ce répertoire dont la cohérence et l’onirisme tient en premier lieu à leurs trois co-équipiers. Constatation d’autant plus paradoxale que tous deux sont des personnalités puissamment assises, des complices de longue date et que je me souviens avoir loué les capacités de Marguet à organiser l’espace de jeu d’un orchestre à l’occasion d’un concert du trio shakespearien qu’il partage avec Guillaume de Chassy et Andy Sheppard. Sur la partie “swing” de la seconde partie, j’ai trouvé qu’ils avaient un peu perdu contact avec cette profondeur de l’expression du tempo qui fait la grandeur cette esthétique. Sur les parties “rock”, c’est l’art du groove qui m’a manqué. Non que j’attende ici le b.a.-ba du funk, mais il me semble que tout ça manque un peu trop de limpidité pour garantir les qualités polyrythmiques et polychromiques que mérite cette musique et ce groupe prometteur auquel on souhaite dorénavant longue vie. Une telle musique grandira sur scène et le fera dès ce soir au Théâtre des Forges royales de Guerigny dans la Nièvre et demain au Chorus de Lausanne. • Franck Bergerot