Jazz live
Publié le 18 Nov 2017

Jazz Fest Berlin 2017 (4)

Une série d’intervenants défile pour livrer dans la langue de Goethe un discours lors de cette remise de prix, nommé d’après celui qui fut un tromboniste important de la scène européenne, mais aussi le directeur artistique du Jazzfest pendant plusieurs années.

Vendredi 3 novembre

Remise du Prix Albert Mangelsdorff : Angelika Niescier

jazz17_p_albert_mangelsdorf_preisverleihung_angelika_niescier_c_camille_blake_05

Haus der Berliner Festpiele

Angelika Niescier (s), Tyshawn Sorey (dm), Chris Tordini (b).


jazz17_p_albert_mangelsdorf_preisverleihung_angelika_niescier_c_camille_blake_07
Pour contrebalancer la logorrhée des présentateurs, Angelika Niescier choisit de ne pas prendre la parole et passe directement à la musique. Les membres de son trio forment les 3/5e du NYC Five, qui comprend aussi le pianiste Florian Weber et le trompettiste Ralph Alessi. L’an dernier, le groupe a tourné (Gerald Cleaver remplaçant parfois Sorey) et rencontré un beau succès, notamment à Berlin et Zürich. Ce soir, le batteur est un feu d’artifice permanent, avec un Tordini complice (puisqu’également membre du trio de Sorey), tous deux assurant un riche canevas sur lequel la saxophoniste peut s’exprimer sans discontinuer. Un jazz in & out, qui avance sans se poser de questions, ne cherche pas mais trouve, frais comme un gardon et toujours sur le fil, et tel que je pourrais en écouter toute la journée.

Michael Wollny solo

Haus der Berliner Festpiele

Michael Wollny (p).

jazz17_michael_wollny_c_camille_blake_03

Jusqu’à ce jour, aucun disque, vidéo ou prestation de Michael Wollny ne s’étaient matérialisés sur ma route. Sur la foi de ce concert en solo, le terme de phénomène souvent utilisé à son sujet n’est pas usurpé. Il débute par une étonnante introduction à la seule main gauche, pour une pièce d’une quarantaine de minutes lors de laquelle assistance et artiste perdent le fil du temps – à la fin, le pianiste demande l’heure au public, et évalue le temps qu’il lui reste à jouer. Ce sera une adaptation de Schubert, suivie d’un court rappel. Les spectateurs se tiennent à carreau, des sonneries malheureuses lors du concert précédent ayant conduit le directeur artistique à intervenir pour demander le respect de l’écoute et des artistes. Merci à lui. Tout le monde retient son souffle face à Wollny, même les téléphones n’osent pas moufter. Étonnante gestuelle, les fesses du pianiste ne faisant qu’effleurer le tabouret de temps à autre, et le genou gauche s’élevant souvent au-dessus du clavier dans un mouvement peu orthodoxe. La musique, spectaculaire, ressort avant tout du vocabulaire et matériau classiques, duquel Wollny tire de formidables variations et improvisations. Au point de trouver étonnant de le voir programmé dans un festival de jazz, ou de voir ses nombreux albums chroniqués par la presse spécialisée, le lien avec le genre – d’après ce que j’entends ici, et sans connaître ses autres travaux – semblant assez ténu, seulement justifié par quelques citations fugaces et sa présence sur le label Act. On n’est pas exposé tous les jours à un tel degré de virtuosité, de rapidité, les mains courant sur le piano jusqu’à produire une impression de flou visuel, capables l’instant d’après de frappes écrasantes, les poignets retombant verticalement sur les touches avec la vigueur de coups de tonnerre. A d’autres moments il décide, de manière non préméditée semble-t-il, de jouer sur les cordes. Wollny a le sens de l’espace, maîtrise sans avoir l’air d’y prêter attention la projection dans la salle. Il y a là une créativité que rien ne semble entraver. Son apparence est en phase avec sa musique : voûté vers le clavier, mèches de cheveux retombant sur ses phalanges, et une attitude décalée façonnent l’image d’un « romantique allemand du XXIe siècle ». Pour une découverte, c’est un choc, et l’un des meilleurs concerts de cette édition.

Ambrose Akinmusire Sextet

Haus der Berliner Festpiele

Ambrose Akinmusire (tp), Dean Bowman (voc), Gerald Clayton (p), Marvin Sewell (g), Joe Sanders (b), Kendrick Scott (dm).

jazz17_p_ambrose_akinmusire__c_camille_blake_06Première fois également que j’entends Ambrose Akinmusire dans ses œuvres, après l’avoir découvert en sideman d’Alan Pasqua et avoir lu maints articles, souvent élogieux mais pas toujours, à son sujet. Cette commande du festival est basée sur des enregistrements effectués en 1939 par un musicologue dans une prison du Sud des Etats-Unis, et crédités à une Mattie Mae Thomas dont le reste de l’existence demeure un mystère : quel était son crime ? En quoi consistait sa vie avant la condamnation ? Quel âge avait-elle ? Qu’est-elle devenue ? D’où tenait-elle ces complaintes déchirantes ? Questions destinées à demeurer sans réponses, mais matière idéale à conjectures pour un artiste concerné par l’expérience afro-américaine. Le concept de départ n’est pas sans évoquer, dans les thématiques comme dans la forme (jazz, blues & soul vocal), les albums « Attica Blues » et « The Cry of my People » d’Archie Shepp. Les enregistrements d’origine de Miss Thomas sont diffusés via les haut-parleurs, le concert se construisant autour d’eux. Procédé pas toujours heureux, le chant chargé de blues et d’émotion se suffisant à lui-même. Le reste du temps, c’est le chanteur Dean Bowman qui s’y colle. Cela tient parfois de l’imitation lorsqu’il reprend à son compte la voix éraillée de celle à laquelle il est rendu hommage. Les morceaux se suivent et se ressemblent, non sans une certaine langueur : l’étincelle manque, il ne se passe pas grand-chose. Certes, l’ambiance est à l’élégie, à la célébration de l’héritage, pas à la pyrotechnie ni à la rigolade. Gerald Clayton me fait la même impression qu’en d’autres occasions : au piano comme au Rhodes, il fait le job sans apporter la moindre touche expressive à l’ensemble. Les musiciens font grise mine, le nez collé aux partitions, sauf Kendrick Scott (dm) qui apparaît comme le plus vivant de l’ensemble, peut-être parce que moins contraint que ses partenaires. Il ne faudrait pas oublier le leader, sonorité douce et puissante à la fois, jeu précis, dans le cadre fixé. Si le projet ne manquait pas d’intérêt sur le papier, j’ai trouvé le résultat rigide et ennuyeux.

David Cristol

Photos : Camille Blake|Une série d’intervenants défile pour livrer dans la langue de Goethe un discours lors de cette remise de prix, nommé d’après celui qui fut un tromboniste important de la scène européenne, mais aussi le directeur artistique du Jazzfest pendant plusieurs années.

Vendredi 3 novembre

Remise du Prix Albert Mangelsdorff : Angelika Niescier

jazz17_p_albert_mangelsdorf_preisverleihung_angelika_niescier_c_camille_blake_05

Haus der Berliner Festpiele

Angelika Niescier (s), Tyshawn Sorey (dm), Chris Tordini (b).


jazz17_p_albert_mangelsdorf_preisverleihung_angelika_niescier_c_camille_blake_07
Pour contrebalancer la logorrhée des présentateurs, Angelika Niescier choisit de ne pas prendre la parole et passe directement à la musique. Les membres de son trio forment les 3/5e du NYC Five, qui comprend aussi le pianiste Florian Weber et le trompettiste Ralph Alessi. L’an dernier, le groupe a tourné (Gerald Cleaver remplaçant parfois Sorey) et rencontré un beau succès, notamment à Berlin et Zürich. Ce soir, le batteur est un feu d’artifice permanent, avec un Tordini complice (puisqu’également membre du trio de Sorey), tous deux assurant un riche canevas sur lequel la saxophoniste peut s’exprimer sans discontinuer. Un jazz in & out, qui avance sans se poser de questions, ne cherche pas mais trouve, frais comme un gardon et toujours sur le fil, et tel que je pourrais en écouter toute la journée.

Michael Wollny solo

Haus der Berliner Festpiele

Michael Wollny (p).

jazz17_michael_wollny_c_camille_blake_03

Jusqu’à ce jour, aucun disque, vidéo ou prestation de Michael Wollny ne s’étaient matérialisés sur ma route. Sur la foi de ce concert en solo, le terme de phénomène souvent utilisé à son sujet n’est pas usurpé. Il débute par une étonnante introduction à la seule main gauche, pour une pièce d’une quarantaine de minutes lors de laquelle assistance et artiste perdent le fil du temps – à la fin, le pianiste demande l’heure au public, et évalue le temps qu’il lui reste à jouer. Ce sera une adaptation de Schubert, suivie d’un court rappel. Les spectateurs se tiennent à carreau, des sonneries malheureuses lors du concert précédent ayant conduit le directeur artistique à intervenir pour demander le respect de l’écoute et des artistes. Merci à lui. Tout le monde retient son souffle face à Wollny, même les téléphones n’osent pas moufter. Étonnante gestuelle, les fesses du pianiste ne faisant qu’effleurer le tabouret de temps à autre, et le genou gauche s’élevant souvent au-dessus du clavier dans un mouvement peu orthodoxe. La musique, spectaculaire, ressort avant tout du vocabulaire et matériau classiques, duquel Wollny tire de formidables variations et improvisations. Au point de trouver étonnant de le voir programmé dans un festival de jazz, ou de voir ses nombreux albums chroniqués par la presse spécialisée, le lien avec le genre – d’après ce que j’entends ici, et sans connaître ses autres travaux – semblant assez ténu, seulement justifié par quelques citations fugaces et sa présence sur le label Act. On n’est pas exposé tous les jours à un tel degré de virtuosité, de rapidité, les mains courant sur le piano jusqu’à produire une impression de flou visuel, capables l’instant d’après de frappes écrasantes, les poignets retombant verticalement sur les touches avec la vigueur de coups de tonnerre. A d’autres moments il décide, de manière non préméditée semble-t-il, de jouer sur les cordes. Wollny a le sens de l’espace, maîtrise sans avoir l’air d’y prêter attention la projection dans la salle. Il y a là une créativité que rien ne semble entraver. Son apparence est en phase avec sa musique : voûté vers le clavier, mèches de cheveux retombant sur ses phalanges, et une attitude décalée façonnent l’image d’un « romantique allemand du XXIe siècle ». Pour une découverte, c’est un choc, et l’un des meilleurs concerts de cette édition.

Ambrose Akinmusire Sextet

Haus der Berliner Festpiele

Ambrose Akinmusire (tp), Dean Bowman (voc), Gerald Clayton (p), Marvin Sewell (g), Joe Sanders (b), Kendrick Scott (dm).

jazz17_p_ambrose_akinmusire__c_camille_blake_06Première fois également que j’entends Ambrose Akinmusire dans ses œuvres, après l’avoir découvert en sideman d’Alan Pasqua et avoir lu maints articles, souvent élogieux mais pas toujours, à son sujet. Cette commande du festival est basée sur des enregistrements effectués en 1939 par un musicologue dans une prison du Sud des Etats-Unis, et crédités à une Mattie Mae Thomas dont le reste de l’existence demeure un mystère : quel était son crime ? En quoi consistait sa vie avant la condamnation ? Quel âge avait-elle ? Qu’est-elle devenue ? D’où tenait-elle ces complaintes déchirantes ? Questions destinées à demeurer sans réponses, mais matière idéale à conjectures pour un artiste concerné par l’expérience afro-américaine. Le concept de départ n’est pas sans évoquer, dans les thématiques comme dans la forme (jazz, blues & soul vocal), les albums « Attica Blues » et « The Cry of my People » d’Archie Shepp. Les enregistrements d’origine de Miss Thomas sont diffusés via les haut-parleurs, le concert se construisant autour d’eux. Procédé pas toujours heureux, le chant chargé de blues et d’émotion se suffisant à lui-même. Le reste du temps, c’est le chanteur Dean Bowman qui s’y colle. Cela tient parfois de l’imitation lorsqu’il reprend à son compte la voix éraillée de celle à laquelle il est rendu hommage. Les morceaux se suivent et se ressemblent, non sans une certaine langueur : l’étincelle manque, il ne se passe pas grand-chose. Certes, l’ambiance est à l’élégie, à la célébration de l’héritage, pas à la pyrotechnie ni à la rigolade. Gerald Clayton me fait la même impression qu’en d’autres occasions : au piano comme au Rhodes, il fait le job sans apporter la moindre touche expressive à l’ensemble. Les musiciens font grise mine, le nez collé aux partitions, sauf Kendrick Scott (dm) qui apparaît comme le plus vivant de l’ensemble, peut-être parce que moins contraint que ses partenaires. Il ne faudrait pas oublier le leader, sonorité douce et puissante à la fois, jeu précis, dans le cadre fixé. Si le projet ne manquait pas d’intérêt sur le papier, j’ai trouvé le résultat rigide et ennuyeux.

David Cristol

Photos : Camille Blake|Une série d’intervenants défile pour livrer dans la langue de Goethe un discours lors de cette remise de prix, nommé d’après celui qui fut un tromboniste important de la scène européenne, mais aussi le directeur artistique du Jazzfest pendant plusieurs années.

Vendredi 3 novembre

Remise du Prix Albert Mangelsdorff : Angelika Niescier

jazz17_p_albert_mangelsdorf_preisverleihung_angelika_niescier_c_camille_blake_05

Haus der Berliner Festpiele

Angelika Niescier (s), Tyshawn Sorey (dm), Chris Tordini (b).


jazz17_p_albert_mangelsdorf_preisverleihung_angelika_niescier_c_camille_blake_07
Pour contrebalancer la logorrhée des présentateurs, Angelika Niescier choisit de ne pas prendre la parole et passe directement à la musique. Les membres de son trio forment les 3/5e du NYC Five, qui comprend aussi le pianiste Florian Weber et le trompettiste Ralph Alessi. L’an dernier, le groupe a tourné (Gerald Cleaver remplaçant parfois Sorey) et rencontré un beau succès, notamment à Berlin et Zürich. Ce soir, le batteur est un feu d’artifice permanent, avec un Tordini complice (puisqu’également membre du trio de Sorey), tous deux assurant un riche canevas sur lequel la saxophoniste peut s’exprimer sans discontinuer. Un jazz in & out, qui avance sans se poser de questions, ne cherche pas mais trouve, frais comme un gardon et toujours sur le fil, et tel que je pourrais en écouter toute la journée.

Michael Wollny solo

Haus der Berliner Festpiele

Michael Wollny (p).

jazz17_michael_wollny_c_camille_blake_03

Jusqu’à ce jour, aucun disque, vidéo ou prestation de Michael Wollny ne s’étaient matérialisés sur ma route. Sur la foi de ce concert en solo, le terme de phénomène souvent utilisé à son sujet n’est pas usurpé. Il débute par une étonnante introduction à la seule main gauche, pour une pièce d’une quarantaine de minutes lors de laquelle assistance et artiste perdent le fil du temps – à la fin, le pianiste demande l’heure au public, et évalue le temps qu’il lui reste à jouer. Ce sera une adaptation de Schubert, suivie d’un court rappel. Les spectateurs se tiennent à carreau, des sonneries malheureuses lors du concert précédent ayant conduit le directeur artistique à intervenir pour demander le respect de l’écoute et des artistes. Merci à lui. Tout le monde retient son souffle face à Wollny, même les téléphones n’osent pas moufter. Étonnante gestuelle, les fesses du pianiste ne faisant qu’effleurer le tabouret de temps à autre, et le genou gauche s’élevant souvent au-dessus du clavier dans un mouvement peu orthodoxe. La musique, spectaculaire, ressort avant tout du vocabulaire et matériau classiques, duquel Wollny tire de formidables variations et improvisations. Au point de trouver étonnant de le voir programmé dans un festival de jazz, ou de voir ses nombreux albums chroniqués par la presse spécialisée, le lien avec le genre – d’après ce que j’entends ici, et sans connaître ses autres travaux – semblant assez ténu, seulement justifié par quelques citations fugaces et sa présence sur le label Act. On n’est pas exposé tous les jours à un tel degré de virtuosité, de rapidité, les mains courant sur le piano jusqu’à produire une impression de flou visuel, capables l’instant d’après de frappes écrasantes, les poignets retombant verticalement sur les touches avec la vigueur de coups de tonnerre. A d’autres moments il décide, de manière non préméditée semble-t-il, de jouer sur les cordes. Wollny a le sens de l’espace, maîtrise sans avoir l’air d’y prêter attention la projection dans la salle. Il y a là une créativité que rien ne semble entraver. Son apparence est en phase avec sa musique : voûté vers le clavier, mèches de cheveux retombant sur ses phalanges, et une attitude décalée façonnent l’image d’un « romantique allemand du XXIe siècle ». Pour une découverte, c’est un choc, et l’un des meilleurs concerts de cette édition.

Ambrose Akinmusire Sextet

Haus der Berliner Festpiele

Ambrose Akinmusire (tp), Dean Bowman (voc), Gerald Clayton (p), Marvin Sewell (g), Joe Sanders (b), Kendrick Scott (dm).

jazz17_p_ambrose_akinmusire__c_camille_blake_06Première fois également que j’entends Ambrose Akinmusire dans ses œuvres, après l’avoir découvert en sideman d’Alan Pasqua et avoir lu maints articles, souvent élogieux mais pas toujours, à son sujet. Cette commande du festival est basée sur des enregistrements effectués en 1939 par un musicologue dans une prison du Sud des Etats-Unis, et crédités à une Mattie Mae Thomas dont le reste de l’existence demeure un mystère : quel était son crime ? En quoi consistait sa vie avant la condamnation ? Quel âge avait-elle ? Qu’est-elle devenue ? D’où tenait-elle ces complaintes déchirantes ? Questions destinées à demeurer sans réponses, mais matière idéale à conjectures pour un artiste concerné par l’expérience afro-américaine. Le concept de départ n’est pas sans évoquer, dans les thématiques comme dans la forme (jazz, blues & soul vocal), les albums « Attica Blues » et « The Cry of my People » d’Archie Shepp. Les enregistrements d’origine de Miss Thomas sont diffusés via les haut-parleurs, le concert se construisant autour d’eux. Procédé pas toujours heureux, le chant chargé de blues et d’émotion se suffisant à lui-même. Le reste du temps, c’est le chanteur Dean Bowman qui s’y colle. Cela tient parfois de l’imitation lorsqu’il reprend à son compte la voix éraillée de celle à laquelle il est rendu hommage. Les morceaux se suivent et se ressemblent, non sans une certaine langueur : l’étincelle manque, il ne se passe pas grand-chose. Certes, l’ambiance est à l’élégie, à la célébration de l’héritage, pas à la pyrotechnie ni à la rigolade. Gerald Clayton me fait la même impression qu’en d’autres occasions : au piano comme au Rhodes, il fait le job sans apporter la moindre touche expressive à l’ensemble. Les musiciens font grise mine, le nez collé aux partitions, sauf Kendrick Scott (dm) qui apparaît comme le plus vivant de l’ensemble, peut-être parce que moins contraint que ses partenaires. Il ne faudrait pas oublier le leader, sonorité douce et puissante à la fois, jeu précis, dans le cadre fixé. Si le projet ne manquait pas d’intérêt sur le papier, j’ai trouvé le résultat rigide et ennuyeux.

David Cristol

Photos : Camille Blake|Une série d’intervenants défile pour livrer dans la langue de Goethe un discours lors de cette remise de prix, nommé d’après celui qui fut un tromboniste important de la scène européenne, mais aussi le directeur artistique du Jazzfest pendant plusieurs années.

Vendredi 3 novembre

Remise du Prix Albert Mangelsdorff : Angelika Niescier

jazz17_p_albert_mangelsdorf_preisverleihung_angelika_niescier_c_camille_blake_05

Haus der Berliner Festpiele

Angelika Niescier (s), Tyshawn Sorey (dm), Chris Tordini (b).


jazz17_p_albert_mangelsdorf_preisverleihung_angelika_niescier_c_camille_blake_07
Pour contrebalancer la logorrhée des présentateurs, Angelika Niescier choisit de ne pas prendre la parole et passe directement à la musique. Les membres de son trio forment les 3/5e du NYC Five, qui comprend aussi le pianiste Florian Weber et le trompettiste Ralph Alessi. L’an dernier, le groupe a tourné (Gerald Cleaver remplaçant parfois Sorey) et rencontré un beau succès, notamment à Berlin et Zürich. Ce soir, le batteur est un feu d’artifice permanent, avec un Tordini complice (puisqu’également membre du trio de Sorey), tous deux assurant un riche canevas sur lequel la saxophoniste peut s’exprimer sans discontinuer. Un jazz in & out, qui avance sans se poser de questions, ne cherche pas mais trouve, frais comme un gardon et toujours sur le fil, et tel que je pourrais en écouter toute la journée.

Michael Wollny solo

Haus der Berliner Festpiele

Michael Wollny (p).

jazz17_michael_wollny_c_camille_blake_03

Jusqu’à ce jour, aucun disque, vidéo ou prestation de Michael Wollny ne s’étaient matérialisés sur ma route. Sur la foi de ce concert en solo, le terme de phénomène souvent utilisé à son sujet n’est pas usurpé. Il débute par une étonnante introduction à la seule main gauche, pour une pièce d’une quarantaine de minutes lors de laquelle assistance et artiste perdent le fil du temps – à la fin, le pianiste demande l’heure au public, et évalue le temps qu’il lui reste à jouer. Ce sera une adaptation de Schubert, suivie d’un court rappel. Les spectateurs se tiennent à carreau, des sonneries malheureuses lors du concert précédent ayant conduit le directeur artistique à intervenir pour demander le respect de l’écoute et des artistes. Merci à lui. Tout le monde retient son souffle face à Wollny, même les téléphones n’osent pas moufter. Étonnante gestuelle, les fesses du pianiste ne faisant qu’effleurer le tabouret de temps à autre, et le genou gauche s’élevant souvent au-dessus du clavier dans un mouvement peu orthodoxe. La musique, spectaculaire, ressort avant tout du vocabulaire et matériau classiques, duquel Wollny tire de formidables variations et improvisations. Au point de trouver étonnant de le voir programmé dans un festival de jazz, ou de voir ses nombreux albums chroniqués par la presse spécialisée, le lien avec le genre – d’après ce que j’entends ici, et sans connaître ses autres travaux – semblant assez ténu, seulement justifié par quelques citations fugaces et sa présence sur le label Act. On n’est pas exposé tous les jours à un tel degré de virtuosité, de rapidité, les mains courant sur le piano jusqu’à produire une impression de flou visuel, capables l’instant d’après de frappes écrasantes, les poignets retombant verticalement sur les touches avec la vigueur de coups de tonnerre. A d’autres moments il décide, de manière non préméditée semble-t-il, de jouer sur les cordes. Wollny a le sens de l’espace, maîtrise sans avoir l’air d’y prêter attention la projection dans la salle. Il y a là une créativité que rien ne semble entraver. Son apparence est en phase avec sa musique : voûté vers le clavier, mèches de cheveux retombant sur ses phalanges, et une attitude décalée façonnent l’image d’un « romantique allemand du XXIe siècle ». Pour une découverte, c’est un choc, et l’un des meilleurs concerts de cette édition.

Ambrose Akinmusire Sextet

Haus der Berliner Festpiele

Ambrose Akinmusire (tp), Dean Bowman (voc), Gerald Clayton (p), Marvin Sewell (g), Joe Sanders (b), Kendrick Scott (dm).

jazz17_p_ambrose_akinmusire__c_camille_blake_06Première fois également que j’entends Ambrose Akinmusire dans ses œuvres, après l’avoir découvert en sideman d’Alan Pasqua et avoir lu maints articles, souvent élogieux mais pas toujours, à son sujet. Cette commande du festival est basée sur des enregistrements effectués en 1939 par un musicologue dans une prison du Sud des Etats-Unis, et crédités à une Mattie Mae Thomas dont le reste de l’existence demeure un mystère : quel était son crime ? En quoi consistait sa vie avant la condamnation ? Quel âge avait-elle ? Qu’est-elle devenue ? D’où tenait-elle ces complaintes déchirantes ? Questions destinées à demeurer sans réponses, mais matière idéale à conjectures pour un artiste concerné par l’expérience afro-américaine. Le concept de départ n’est pas sans évoquer, dans les thématiques comme dans la forme (jazz, blues & soul vocal), les albums « Attica Blues » et « The Cry of my People » d’Archie Shepp. Les enregistrements d’origine de Miss Thomas sont diffusés via les haut-parleurs, le concert se construisant autour d’eux. Procédé pas toujours heureux, le chant chargé de blues et d’émotion se suffisant à lui-même. Le reste du temps, c’est le chanteur Dean Bowman qui s’y colle. Cela tient parfois de l’imitation lorsqu’il reprend à son compte la voix éraillée de celle à laquelle il est rendu hommage. Les morceaux se suivent et se ressemblent, non sans une certaine langueur : l’étincelle manque, il ne se passe pas grand-chose. Certes, l’ambiance est à l’élégie, à la célébration de l’héritage, pas à la pyrotechnie ni à la rigolade. Gerald Clayton me fait la même impression qu’en d’autres occasions : au piano comme au Rhodes, il fait le job sans apporter la moindre touche expressive à l’ensemble. Les musiciens font grise mine, le nez collé aux partitions, sauf Kendrick Scott (dm) qui apparaît comme le plus vivant de l’ensemble, peut-être parce que moins contraint que ses partenaires. Il ne faudrait pas oublier le leader, sonorité douce et puissante à la fois, jeu précis, dans le cadre fixé. Si le projet ne manquait pas d’intérêt sur le papier, j’ai trouvé le résultat rigide et ennuyeux.

David Cristol

Photos : Camille Blake