Jazz live
Publié le 1 Nov 2016

JAZZ SUR LE VIF avec MARTIAL SOLAL et DAVE LIEBMAN

Un duo d’exception, pour une rencontre au sommet. Moins d’un an après une première à Paris au Sunside (2 soirées et 4 concerts), et quelques semaines après une escale à Sauternes pour le festival Jazz and Wine, le duo s’est reformé à la Maison de la Radio, invité par Arnaud Merlin pour un concert « Jazz sur le Vif » mémorable.

Martial Solal (piano) Dave Liebman (saxophones ténor & soprano, flûte traditionnelle)

Paris, Maison de la Radio, 29 octobre 2016, 20h

L’horaire et le lieu sont dérogatoires : habituellement « Jazz sur le Vif » se tient à 17h30 au Studio 105 (250 places), mais cette fois nous sommes au grand studio 104 (près de 900 places), et il est 20h. La salle est comble et l’attention du public, palpable dans l’attente de l’entrée des artistes, laisse deviner une ferveur impatiente. Les voici, à pas comptés mais détendus, et Martial commence, en effleurant la grille, et quelques bribes du thème, Invitation, un standard de Bronislav Kaper qu’il affectionne. Dave semble partager ce goût, car ils ont longuement palabré dans la loge 03, entre la balance et le concert, afin de choisir parmi ceux qu’ils aiment des standards qu’ils n’avaient pas joués lors des précédentes rencontres. Martial continue de batifoler autour de la phrase et de la grille, jusqu’à l’entrée du saxophoniste, qui expose plus littéralement. Mais très vite la liberté d’improviser reprend ses droits, et Liebman nous rappelle qu’il est un ténor qui compte, même si le soprano l’a fait entrer dans l’histoire. C’est d’ailleurs sur ce dernier instrument qu’il poursuit, avec Stella By Starlight. Martial commence, en partant comme souvent de très loin, évoquant au passage le souvenir du thème précédent. Liebman le rejoint, fait entendre la mélodie avec une forte expressivité, puis ils se livrent à des échanges d’une belle intensité : la tension monte, et le paysage est escarpé. Pour revenir vers plus de calme (apparent) et de sérénité (feinte ?), Dave reprend le ténor, pour une composition que Martial avait étrennée voici plus de 15 ans avec Johnny Griffin : In and Out, sinueux et lyrique, où les escarpements se fondent dans le désir d’expression. C’est tendre, un peu lunaire, et l’on jurerait que Martial a esquissé, le temps d’une mesure, un retour au thème qui avait ouvert le concert. Ténor à nouveau pour Just Friends. Martial l’affectionnait dans ses très nombreux duos avec Lee Konitz, et Dave n’est pas en reste. Après un solo bourré de surprises, Solal s’interrompt net : Liebman, passée la demi-seconde d’étonnement qui s’impose, enchaîne par un stop chorus vertigineux. La partie se joue décidément sur la hauteurs, dont ils redescendent de conserve, ralentissant l’exposé pour la conclusion. C’est maintenant, au soprano, une petite valse composée par Liebman : Small One, gravée naguère (1972) avec Elvin Jones. Sentiment, douce intensité, avant un saut dans l’extrême au moyen de quelques fusées lyriques lancées dans l’air, et recueillies par le pianiste avec un à propos confondant. Et pour conclure la première partie, Martial amorce A Night in Tunisia ; il entre par la porte dérobée, en déstructurant le thème comme il l’avait fait voici fort longtemps en duo avec Daniel Humair. Dave expose très librement, au ténor, et n’oublie pas de marquer le break dont une version historique, par un certain alto, fait encore frissonner les amateurs. Il s’attendrit sur le pont, comme s’il jouait Laura, puis tous deux s’empoignent, et l’échange sera des plus chauds, jusqu’à l’entracte.

Loge Solal   La seconde partie s’ouvre au ténor par Night and Day, passé à la moulinette par les deux compères. Quelques échanges de quatre mesures en quatre mesures, en piégeant les transitions, dans une ambiance joyeusement pyrotechnique. Puis, comme pour se faire pardonner l’excès, une fin langoureuse dans un exposé presque respectueux du texte. Dave Liebman reprend le soprano pour Satin Doll (un favori de Martial), qui sera l’occasion d’une belle partie de cache cache entre les deux musiciens. Maintenant le saxophoniste change de camp, prenant cette petite flûte traditionnelle qu’il affectionne. Sur Cosmos, il entraîne Martial hors de ses bases, mais le pianiste a du répondant, truffant les nappes harmoniques attendues de petits écarts jouissifs. Liebman termine ce thème au ténor, mystérieux et sobre comme dans un haïku. Pour Summertime qui va suivre, Martial taquine l’intro en glissant de mineur en majeur. Et Dave, au soprano, joue la mélodie à la lettre, avant que les deux ne s’aventurent dans un échange rudement syncopé, et très libre. Après un stop chorus de Liebman, très inspiré, Matial se lance à son tour dans un solo qui s’évade jusqu’au point où, voulant sans doute signifier que l’on s’est assez amusé avec ce Summertime trop ressassé, le pianiste ne pose une note abrupte, et que l’on perçoit comme définitivement conclusive. Et c’est pour mieux s’aventurer, toujours avec le soprano, du côté de Coming Yesterday, thème à l’étrangeté toute solalienne issu de la fin des années 70. Liebman ose le suraigu, les harmoniques déchirantes, avant un retour conjoint en sérénité. Et pour conclure, quoi de mieux que l’inoxydable Body and Soul, rajeuni par l’imagination des deux partenaires, qui le démontent pour mieux le remonter, en kit, dans une configuration légèrement cubiste. Le public jubile, le chroniqueur itou, et un premier rappel nous ramène au temps du swing et de l’anatole, avec Lester Leaps In, joué dans l’esprit (torride) mais en transgressant la lettre ; Lester Young aurait adoré, Dexter aussi. Pour le second rappel, ce sera encore un standard, What Is This Thing Called Love, avec détour obligé par son plus célèbre démarquage, Hot House. Le bonheur est total, et les artistes, fatigués mais heureux, quittent la scène sous les vivats.

Xavier Prévost

Impossible d’obtenir de France Musique une information précise sur la date de diffusion de ce concert, qui fut un véritable événement. Reste à espérer, à guetter les programmes, et à attendre un disque de ce formidable duo

Après bien des atermoiements, ce concert a finalement été diffusé sur France Musique en septembre 2017

https://www.francemusique.fr/emissions/les-legendes-du-jazz/martial-solal-et-dave-liebman-concert-jazz-sur-le-vif-la-maison-de-la-radio-1-2-36867

https://www.francemusique.fr/emissions/les-legendes-du-jazz/martial-solal-et-dave-liebman-concert-jazz-sur-le-vif-la-maison-de-la-radio-2-2-36885 |Un duo d’exception, pour une rencontre au sommet. Moins d’un an après une première à Paris au Sunside (2 soirées et 4 concerts), et quelques semaines après une escale à Sauternes pour le festival Jazz and Wine, le duo s’est reformé à la Maison de la Radio, invité par Arnaud Merlin pour un concert « Jazz sur le Vif » mémorable.

Martial Solal (piano) Dave Liebman (saxophones ténor & soprano, flûte traditionnelle)

Paris, Maison de la Radio, 29 octobre 2016, 20h

L’horaire et le lieu sont dérogatoires : habituellement « Jazz sur le Vif » se tient à 17h30 au Studio 105 (250 places), mais cette fois nous sommes au grand studio 104 (près de 900 places), et il est 20h. La salle est comble et l’attention du public, palpable dans l’attente de l’entrée des artistes, laisse deviner une ferveur impatiente. Les voici, à pas comptés mais détendus, et Martial commence, en effleurant la grille, et quelques bribes du thème, Invitation, un standard de Bronislav Kaper qu’il affectionne. Dave semble partager ce goût, car ils ont longuement palabré dans la loge 03, entre la balance et le concert, afin de choisir parmi ceux qu’ils aiment des standards qu’ils n’avaient pas joués lors des précédentes rencontres. Martial continue de batifoler autour de la phrase et de la grille, jusqu’à l’entrée du saxophoniste, qui expose plus littéralement. Mais très vite la liberté d’improviser reprend ses droits, et Liebman nous rappelle qu’il est un ténor qui compte, même si le soprano l’a fait entrer dans l’histoire. C’est d’ailleurs sur ce dernier instrument qu’il poursuit, avec Stella By Starlight. Martial commence, en partant comme souvent de très loin, évoquant au passage le souvenir du thème précédent. Liebman le rejoint, fait entendre la mélodie avec une forte expressivité, puis ils se livrent à des échanges d’une belle intensité : la tension monte, et le paysage est escarpé. Pour revenir vers plus de calme (apparent) et de sérénité (feinte ?), Dave reprend le ténor, pour une composition que Martial avait étrennée voici plus de 15 ans avec Johnny Griffin : In and Out, sinueux et lyrique, où les escarpements se fondent dans le désir d’expression. C’est tendre, un peu lunaire, et l’on jurerait que Martial a esquissé, le temps d’une mesure, un retour au thème qui avait ouvert le concert. Ténor à nouveau pour Just Friends. Martial l’affectionnait dans ses très nombreux duos avec Lee Konitz, et Dave n’est pas en reste. Après un solo bourré de surprises, Solal s’interrompt net : Liebman, passée la demi-seconde d’étonnement qui s’impose, enchaîne par un stop chorus vertigineux. La partie se joue décidément sur la hauteurs, dont ils redescendent de conserve, ralentissant l’exposé pour la conclusion. C’est maintenant, au soprano, une petite valse composée par Liebman : Small One, gravée naguère (1972) avec Elvin Jones. Sentiment, douce intensité, avant un saut dans l’extrême au moyen de quelques fusées lyriques lancées dans l’air, et recueillies par le pianiste avec un à propos confondant. Et pour conclure la première partie, Martial amorce A Night in Tunisia ; il entre par la porte dérobée, en déstructurant le thème comme il l’avait fait voici fort longtemps en duo avec Daniel Humair. Dave expose très librement, au ténor, et n’oublie pas de marquer le break dont une version historique, par un certain alto, fait encore frissonner les amateurs. Il s’attendrit sur le pont, comme s’il jouait Laura, puis tous deux s’empoignent, et l’échange sera des plus chauds, jusqu’à l’entracte.

Loge Solal   La seconde partie s’ouvre au ténor par Night and Day, passé à la moulinette par les deux compères. Quelques échanges de quatre mesures en quatre mesures, en piégeant les transitions, dans une ambiance joyeusement pyrotechnique. Puis, comme pour se faire pardonner l’excès, une fin langoureuse dans un exposé presque respectueux du texte. Dave Liebman reprend le soprano pour Satin Doll (un favori de Martial), qui sera l’occasion d’une belle partie de cache cache entre les deux musiciens. Maintenant le saxophoniste change de camp, prenant cette petite flûte traditionnelle qu’il affectionne. Sur Cosmos, il entraîne Martial hors de ses bases, mais le pianiste a du répondant, truffant les nappes harmoniques attendues de petits écarts jouissifs. Liebman termine ce thème au ténor, mystérieux et sobre comme dans un haïku. Pour Summertime qui va suivre, Martial taquine l’intro en glissant de mineur en majeur. Et Dave, au soprano, joue la mélodie à la lettre, avant que les deux ne s’aventurent dans un échange rudement syncopé, et très libre. Après un stop chorus de Liebman, très inspiré, Matial se lance à son tour dans un solo qui s’évade jusqu’au point où, voulant sans doute signifier que l’on s’est assez amusé avec ce Summertime trop ressassé, le pianiste ne pose une note abrupte, et que l’on perçoit comme définitivement conclusive. Et c’est pour mieux s’aventurer, toujours avec le soprano, du côté de Coming Yesterday, thème à l’étrangeté toute solalienne issu de la fin des années 70. Liebman ose le suraigu, les harmoniques déchirantes, avant un retour conjoint en sérénité. Et pour conclure, quoi de mieux que l’inoxydable Body and Soul, rajeuni par l’imagination des deux partenaires, qui le démontent pour mieux le remonter, en kit, dans une configuration légèrement cubiste. Le public jubile, le chroniqueur itou, et un premier rappel nous ramène au temps du swing et de l’anatole, avec Lester Leaps In, joué dans l’esprit (torride) mais en transgressant la lettre ; Lester Young aurait adoré, Dexter aussi. Pour le second rappel, ce sera encore un standard, What Is This Thing Called Love, avec détour obligé par son plus célèbre démarquage, Hot House. Le bonheur est total, et les artistes, fatigués mais heureux, quittent la scène sous les vivats.

Xavier Prévost

Impossible d’obtenir de France Musique une information précise sur la date de diffusion de ce concert, qui fut un véritable événement. Reste à espérer, à guetter les programmes, et à attendre un disque de ce formidable duo

Après bien des atermoiements, ce concert a finalement été diffusé sur France Musique en septembre 2017

https://www.francemusique.fr/emissions/les-legendes-du-jazz/martial-solal-et-dave-liebman-concert-jazz-sur-le-vif-la-maison-de-la-radio-1-2-36867

https://www.francemusique.fr/emissions/les-legendes-du-jazz/martial-solal-et-dave-liebman-concert-jazz-sur-le-vif-la-maison-de-la-radio-2-2-36885 |Un duo d’exception, pour une rencontre au sommet. Moins d’un an après une première à Paris au Sunside (2 soirées et 4 concerts), et quelques semaines après une escale à Sauternes pour le festival Jazz and Wine, le duo s’est reformé à la Maison de la Radio, invité par Arnaud Merlin pour un concert « Jazz sur le Vif » mémorable.

Martial Solal (piano) Dave Liebman (saxophones ténor & soprano, flûte traditionnelle)

Paris, Maison de la Radio, 29 octobre 2016, 20h

L’horaire et le lieu sont dérogatoires : habituellement « Jazz sur le Vif » se tient à 17h30 au Studio 105 (250 places), mais cette fois nous sommes au grand studio 104 (près de 900 places), et il est 20h. La salle est comble et l’attention du public, palpable dans l’attente de l’entrée des artistes, laisse deviner une ferveur impatiente. Les voici, à pas comptés mais détendus, et Martial commence, en effleurant la grille, et quelques bribes du thème, Invitation, un standard de Bronislav Kaper qu’il affectionne. Dave semble partager ce goût, car ils ont longuement palabré dans la loge 03, entre la balance et le concert, afin de choisir parmi ceux qu’ils aiment des standards qu’ils n’avaient pas joués lors des précédentes rencontres. Martial continue de batifoler autour de la phrase et de la grille, jusqu’à l’entrée du saxophoniste, qui expose plus littéralement. Mais très vite la liberté d’improviser reprend ses droits, et Liebman nous rappelle qu’il est un ténor qui compte, même si le soprano l’a fait entrer dans l’histoire. C’est d’ailleurs sur ce dernier instrument qu’il poursuit, avec Stella By Starlight. Martial commence, en partant comme souvent de très loin, évoquant au passage le souvenir du thème précédent. Liebman le rejoint, fait entendre la mélodie avec une forte expressivité, puis ils se livrent à des échanges d’une belle intensité : la tension monte, et le paysage est escarpé. Pour revenir vers plus de calme (apparent) et de sérénité (feinte ?), Dave reprend le ténor, pour une composition que Martial avait étrennée voici plus de 15 ans avec Johnny Griffin : In and Out, sinueux et lyrique, où les escarpements se fondent dans le désir d’expression. C’est tendre, un peu lunaire, et l’on jurerait que Martial a esquissé, le temps d’une mesure, un retour au thème qui avait ouvert le concert. Ténor à nouveau pour Just Friends. Martial l’affectionnait dans ses très nombreux duos avec Lee Konitz, et Dave n’est pas en reste. Après un solo bourré de surprises, Solal s’interrompt net : Liebman, passée la demi-seconde d’étonnement qui s’impose, enchaîne par un stop chorus vertigineux. La partie se joue décidément sur la hauteurs, dont ils redescendent de conserve, ralentissant l’exposé pour la conclusion. C’est maintenant, au soprano, une petite valse composée par Liebman : Small One, gravée naguère (1972) avec Elvin Jones. Sentiment, douce intensité, avant un saut dans l’extrême au moyen de quelques fusées lyriques lancées dans l’air, et recueillies par le pianiste avec un à propos confondant. Et pour conclure la première partie, Martial amorce A Night in Tunisia ; il entre par la porte dérobée, en déstructurant le thème comme il l’avait fait voici fort longtemps en duo avec Daniel Humair. Dave expose très librement, au ténor, et n’oublie pas de marquer le break dont une version historique, par un certain alto, fait encore frissonner les amateurs. Il s’attendrit sur le pont, comme s’il jouait Laura, puis tous deux s’empoignent, et l’échange sera des plus chauds, jusqu’à l’entracte.

Loge Solal   La seconde partie s’ouvre au ténor par Night and Day, passé à la moulinette par les deux compères. Quelques échanges de quatre mesures en quatre mesures, en piégeant les transitions, dans une ambiance joyeusement pyrotechnique. Puis, comme pour se faire pardonner l’excès, une fin langoureuse dans un exposé presque respectueux du texte. Dave Liebman reprend le soprano pour Satin Doll (un favori de Martial), qui sera l’occasion d’une belle partie de cache cache entre les deux musiciens. Maintenant le saxophoniste change de camp, prenant cette petite flûte traditionnelle qu’il affectionne. Sur Cosmos, il entraîne Martial hors de ses bases, mais le pianiste a du répondant, truffant les nappes harmoniques attendues de petits écarts jouissifs. Liebman termine ce thème au ténor, mystérieux et sobre comme dans un haïku. Pour Summertime qui va suivre, Martial taquine l’intro en glissant de mineur en majeur. Et Dave, au soprano, joue la mélodie à la lettre, avant que les deux ne s’aventurent dans un échange rudement syncopé, et très libre. Après un stop chorus de Liebman, très inspiré, Matial se lance à son tour dans un solo qui s’évade jusqu’au point où, voulant sans doute signifier que l’on s’est assez amusé avec ce Summertime trop ressassé, le pianiste ne pose une note abrupte, et que l’on perçoit comme définitivement conclusive. Et c’est pour mieux s’aventurer, toujours avec le soprano, du côté de Coming Yesterday, thème à l’étrangeté toute solalienne issu de la fin des années 70. Liebman ose le suraigu, les harmoniques déchirantes, avant un retour conjoint en sérénité. Et pour conclure, quoi de mieux que l’inoxydable Body and Soul, rajeuni par l’imagination des deux partenaires, qui le démontent pour mieux le remonter, en kit, dans une configuration légèrement cubiste. Le public jubile, le chroniqueur itou, et un premier rappel nous ramène au temps du swing et de l’anatole, avec Lester Leaps In, joué dans l’esprit (torride) mais en transgressant la lettre ; Lester Young aurait adoré, Dexter aussi. Pour le second rappel, ce sera encore un standard, What Is This Thing Called Love, avec détour obligé par son plus célèbre démarquage, Hot House. Le bonheur est total, et les artistes, fatigués mais heureux, quittent la scène sous les vivats.

Xavier Prévost

Impossible d’obtenir de France Musique une information précise sur la date de diffusion de ce concert, qui fut un véritable événement. Reste à espérer, à guetter les programmes, et à attendre un disque de ce formidable duo

Après bien des atermoiements, ce concert a finalement été diffusé sur France Musique en septembre 2017

https://www.francemusique.fr/emissions/les-legendes-du-jazz/martial-solal-et-dave-liebman-concert-jazz-sur-le-vif-la-maison-de-la-radio-1-2-36867

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Martial Solal (piano) Dave Liebman (saxophones ténor & soprano, flûte traditionnelle)

Paris, Maison de la Radio, 29 octobre 2016, 20h

L’horaire et le lieu sont dérogatoires : habituellement « Jazz sur le Vif » se tient à 17h30 au Studio 105 (250 places), mais cette fois nous sommes au grand studio 104 (près de 900 places), et il est 20h. La salle est comble et l’attention du public, palpable dans l’attente de l’entrée des artistes, laisse deviner une ferveur impatiente. Les voici, à pas comptés mais détendus, et Martial commence, en effleurant la grille, et quelques bribes du thème, Invitation, un standard de Bronislav Kaper qu’il affectionne. Dave semble partager ce goût, car ils ont longuement palabré dans la loge 03, entre la balance et le concert, afin de choisir parmi ceux qu’ils aiment des standards qu’ils n’avaient pas joués lors des précédentes rencontres. Martial continue de batifoler autour de la phrase et de la grille, jusqu’à l’entrée du saxophoniste, qui expose plus littéralement. Mais très vite la liberté d’improviser reprend ses droits, et Liebman nous rappelle qu’il est un ténor qui compte, même si le soprano l’a fait entrer dans l’histoire. C’est d’ailleurs sur ce dernier instrument qu’il poursuit, avec Stella By Starlight. Martial commence, en partant comme souvent de très loin, évoquant au passage le souvenir du thème précédent. Liebman le rejoint, fait entendre la mélodie avec une forte expressivité, puis ils se livrent à des échanges d’une belle intensité : la tension monte, et le paysage est escarpé. Pour revenir vers plus de calme (apparent) et de sérénité (feinte ?), Dave reprend le ténor, pour une composition que Martial avait étrennée voici plus de 15 ans avec Johnny Griffin : In and Out, sinueux et lyrique, où les escarpements se fondent dans le désir d’expression. C’est tendre, un peu lunaire, et l’on jurerait que Martial a esquissé, le temps d’une mesure, un retour au thème qui avait ouvert le concert. Ténor à nouveau pour Just Friends. Martial l’affectionnait dans ses très nombreux duos avec Lee Konitz, et Dave n’est pas en reste. Après un solo bourré de surprises, Solal s’interrompt net : Liebman, passée la demi-seconde d’étonnement qui s’impose, enchaîne par un stop chorus vertigineux. La partie se joue décidément sur la hauteurs, dont ils redescendent de conserve, ralentissant l’exposé pour la conclusion. C’est maintenant, au soprano, une petite valse composée par Liebman : Small One, gravée naguère (1972) avec Elvin Jones. Sentiment, douce intensité, avant un saut dans l’extrême au moyen de quelques fusées lyriques lancées dans l’air, et recueillies par le pianiste avec un à propos confondant. Et pour conclure la première partie, Martial amorce A Night in Tunisia ; il entre par la porte dérobée, en déstructurant le thème comme il l’avait fait voici fort longtemps en duo avec Daniel Humair. Dave expose très librement, au ténor, et n’oublie pas de marquer le break dont une version historique, par un certain alto, fait encore frissonner les amateurs. Il s’attendrit sur le pont, comme s’il jouait Laura, puis tous deux s’empoignent, et l’échange sera des plus chauds, jusqu’à l’entracte.

Loge Solal   La seconde partie s’ouvre au ténor par Night and Day, passé à la moulinette par les deux compères. Quelques échanges de quatre mesures en quatre mesures, en piégeant les transitions, dans une ambiance joyeusement pyrotechnique. Puis, comme pour se faire pardonner l’excès, une fin langoureuse dans un exposé presque respectueux du texte. Dave Liebman reprend le soprano pour Satin Doll (un favori de Martial), qui sera l’occasion d’une belle partie de cache cache entre les deux musiciens. Maintenant le saxophoniste change de camp, prenant cette petite flûte traditionnelle qu’il affectionne. Sur Cosmos, il entraîne Martial hors de ses bases, mais le pianiste a du répondant, truffant les nappes harmoniques attendues de petits écarts jouissifs. Liebman termine ce thème au ténor, mystérieux et sobre comme dans un haïku. Pour Summertime qui va suivre, Martial taquine l’intro en glissant de mineur en majeur. Et Dave, au soprano, joue la mélodie à la lettre, avant que les deux ne s’aventurent dans un échange rudement syncopé, et très libre. Après un stop chorus de Liebman, très inspiré, Matial se lance à son tour dans un solo qui s’évade jusqu’au point où, voulant sans doute signifier que l’on s’est assez amusé avec ce Summertime trop ressassé, le pianiste ne pose une note abrupte, et que l’on perçoit comme définitivement conclusive. Et c’est pour mieux s’aventurer, toujours avec le soprano, du côté de Coming Yesterday, thème à l’étrangeté toute solalienne issu de la fin des années 70. Liebman ose le suraigu, les harmoniques déchirantes, avant un retour conjoint en sérénité. Et pour conclure, quoi de mieux que l’inoxydable Body and Soul, rajeuni par l’imagination des deux partenaires, qui le démontent pour mieux le remonter, en kit, dans une configuration légèrement cubiste. Le public jubile, le chroniqueur itou, et un premier rappel nous ramène au temps du swing et de l’anatole, avec Lester Leaps In, joué dans l’esprit (torride) mais en transgressant la lettre ; Lester Young aurait adoré, Dexter aussi. Pour le second rappel, ce sera encore un standard, What Is This Thing Called Love, avec détour obligé par son plus célèbre démarquage, Hot House. Le bonheur est total, et les artistes, fatigués mais heureux, quittent la scène sous les vivats.

Xavier Prévost

Impossible d’obtenir de France Musique une information précise sur la date de diffusion de ce concert, qui fut un véritable événement. Reste à espérer, à guetter les programmes, et à attendre un disque de ce formidable duo

Après bien des atermoiements, ce concert a finalement été diffusé sur France Musique en septembre 2017

https://www.francemusique.fr/emissions/les-legendes-du-jazz/martial-solal-et-dave-liebman-concert-jazz-sur-le-vif-la-maison-de-la-radio-1-2-36867

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