Jazz live
Publié le 11 Oct 2017

Lever de rideau : Nancy Pulse à fond avec Aruán Orti et Emile Parisien

Hier soir, l’édition 2017 de Nancy Jazz Pulsations ouvrait ses portes simultanément à L’Autre Canal avec les trois groupes d’une soirée pop-folk-électro-rock et à la salle Poirel avec le trio d’Aruán Ortiz et Michel Portal invité du quintette d’Emile Parisien que Jazz Magazine est venu entendre.

Posée devant la gare, la tour de l’hôtel Mercure permet d’embrasser du regard Nancy et “l’empire” Jazz Pulsations qui, dix jours durant, saisira la ville en divers endroits – j’en compte huit dans le programme laissé à mon attention dans ma chambre, pour ne parler que des principaux concerts impliquant pas loin d’une centaine de groupes. Egalement déposé à mon attention, un épais carnet de photos publié par Le Mot et le reste, Nancy Jazz Pulsations, 1973-2013, rafraîchit ma mémoire qui fut marquée chaque année, depuis cette année 1973 où je commençais à lire régulièrement Jazz Hot et Jazz Magazine, par le programme de Nancy qu’ils annonçaient à l’automne et dont ils rendaient compte deux numéros plus tard d’inoubliables prestations du Chris McGregor Brotherhood of Breath ou d’Archie Shepp. Depuis, la programmation s’est ouverte et le jazz s’y est quelque peu dilué, mais sa présence cette année est de bon aloi, voire très pertinente, avec des artistes comme Sylvain Rifflet (le 12), Tigran Hamasyan (le 13), Watchdog, Youn Sun Nah et Guillaume Perret (le 14), Donny McCaslin (le 16), Biréli Lagrène et Stochello Rosenberg (le 17), Paul Lay et Craig Taborn (le 17), Wallace Roney (le 18), les Voyageurs de l’espace et Hanna Paulsberg (le 19), Thomas de Pourquery (le 20)… et je n’ai pas épluché la multitude d’actions et animations que comporte le programme de 64 pages.

Sans oublier Aruán Ortiz pour lequel j’ai fait le voyage de Paris. Il joue salle Poirel, c’est à deux pas du Mercure, allons-y ! Ça vaut le coup d’œil. Un centre de création contemporain achevé en 1889 par un architecte municipal, centre culturel avant la lettre comprenant conservatoire, galerie et salle de concert, celle-ci véritable bonbonnière dont le périmètre tout arrondi et la décoration évoquerait plutôt quelque cirque d’hiver tournant de siècle, seules les cartouches alignés autour de ce qui fut l’orchestre (aujourd’hui mis en gradin ce que, j’imagine, il ne fut pas toujours) laissant deviner des desseins différents, puisque s’y trouvent célébrées des personnalités aussi diverses que Thiers, Danton, Guizot et Lamartine, tandis que celles dominant le balcon rendent hommage aux compositeurs Rameau, Boieldieu, Mehul, Hérold, Auber, Berlioz, Gounod…

En dépit des apparences, la musique tumultueuse d’Aruán Ortiz n’est pas totalement déplacée dans les ors de cette fin de XIXème, tant elle imprégnée de traditions classiques et populaires remontant aux fastes de la culture cubaine. Je ne peux pas me targuer d’un passion très ancienne pour Ortiz, puis que je ne l’ai découvert qu’au dernier festival Sons d’hiver au sein du quartette de Nasheet Waits, puis sur son dernier disque solo paru récemment chez Intakt et dont le titre “Cuban Cubism” est tout à fait parlant. Ce soir commençant par évoquer de calmes reflets aquatiques ici et là troublés par quelque jets de gravillons ou poisson crevant la surface de l’eau, il fait lever progressivement cette eau en de formidables averses et de prodigieux torrents qu’alimentent Gerald Cleaver (autre grand batteur de ces temps, avec Nasheet Waits) et John Hébert (que l’on imagine pas, après l’avoir entendu dans ce contexte, rejoindre le trio de Fred Hersch, comme il le fera le mois prochain en France). Une sidérante organisation structure néanmoins cette musique, des espèces de grooves énormes et bruts qui marchent comme de grands arbres, des couches rythmiques dont on comprend qu’elles ont leur origine dans les vocabulaires rythmiques afro-cubains, mais ici présentés sous ce regard “cubiste” (sur ce point je chercherais d’ailleurs d’autres analogies en proposant « cuban dripping » ou d’autres, Ortiz étant au son cubain ce que le Turner le plus radical serait à la peinture marine, avec aussi quelque chose de “sériel” au sens pictural pour certains systématismes), où l’on devine encore une écriture qui se dérobe, où surgit soudain un monumental tutti, où s’étire une longue partition aux métriques incertaines à la Tim Berne, où un ritournelle de piano paraît saisie dans un tourbillon, déformée, retournée, disparue, reparue, où parvient comme du fond des bois les franges sonores d’une concert de chambre venue du salon d’une lointaine hacienda, où l’enchaînement rapide de partitions ou de brèves séquence tourne au pot-pourri, l’un d’entre eux compilant des bribes de la musique d’Ornette Coleman… Un concert à bride abattue où l’on manque parfois un peu d’air, cet air qui souffla en introduction des deux suites présentées selon un même modèle, et enfin sur le paisible rappel en forme d’un vieux boléro mis à nu de tout exotisme.

Tellement impatient d’entendre Ortiz, j’en ai avais lu le reste de l’affiche de la soirée en diagonale et m’attendait à voir le groupe Parisien-Peirani. C’est en fait le Sfumato Quinte d’Emile Parisien qui entre sur scène avec Michel Portal en invité. J’ai commenté en juillet dernier le concert donné par cette formation à Respire Jazz. Florent Nisse y remplaçait au pied levé Simon Tailleu, merveilleusement, mais plus aérien là où Tailleu est plus sobre, plus ancré, évoquant tous deux Charlie Haden chacun à sa manière. Julien Touéry remplaçant le plus souvent Joachim Kühn, ça me va bien, au nom d’une certaine nostalgie du premier Emile Parisien Quartet et parce qu’il y a des complicités que l’on aurait tort de vouloir défaire. Et puis Portal. Et lui, que j’ai souvent vu ces dernières années, anxieux, déprimé, accablé, indécis, largué ou perché au milieu de musiciens américains avec qui il n’avait rien à faire ou dans des formules décoratives qu’il ne méritait pas, je l’ai trouvé ce soir heureux, chez lui, jouant du grand Portal comme je n’en avait pas entendu depuis longtemps (mais je dois avouer ici mon manque d’assiduité à son endroit). De quoi regagner mon hôtel-perchoir la tête pleine de musique. • Franck Bergerot|Hier soir, l’édition 2017 de Nancy Jazz Pulsations ouvrait ses portes simultanément à L’Autre Canal avec les trois groupes d’une soirée pop-folk-électro-rock et à la salle Poirel avec le trio d’Aruán Ortiz et Michel Portal invité du quintette d’Emile Parisien que Jazz Magazine est venu entendre.

Posée devant la gare, la tour de l’hôtel Mercure permet d’embrasser du regard Nancy et “l’empire” Jazz Pulsations qui, dix jours durant, saisira la ville en divers endroits – j’en compte huit dans le programme laissé à mon attention dans ma chambre, pour ne parler que des principaux concerts impliquant pas loin d’une centaine de groupes. Egalement déposé à mon attention, un épais carnet de photos publié par Le Mot et le reste, Nancy Jazz Pulsations, 1973-2013, rafraîchit ma mémoire qui fut marquée chaque année, depuis cette année 1973 où je commençais à lire régulièrement Jazz Hot et Jazz Magazine, par le programme de Nancy qu’ils annonçaient à l’automne et dont ils rendaient compte deux numéros plus tard d’inoubliables prestations du Chris McGregor Brotherhood of Breath ou d’Archie Shepp. Depuis, la programmation s’est ouverte et le jazz s’y est quelque peu dilué, mais sa présence cette année est de bon aloi, voire très pertinente, avec des artistes comme Sylvain Rifflet (le 12), Tigran Hamasyan (le 13), Watchdog, Youn Sun Nah et Guillaume Perret (le 14), Donny McCaslin (le 16), Biréli Lagrène et Stochello Rosenberg (le 17), Paul Lay et Craig Taborn (le 17), Wallace Roney (le 18), les Voyageurs de l’espace et Hanna Paulsberg (le 19), Thomas de Pourquery (le 20)… et je n’ai pas épluché la multitude d’actions et animations que comporte le programme de 64 pages.

Sans oublier Aruán Ortiz pour lequel j’ai fait le voyage de Paris. Il joue salle Poirel, c’est à deux pas du Mercure, allons-y ! Ça vaut le coup d’œil. Un centre de création contemporain achevé en 1889 par un architecte municipal, centre culturel avant la lettre comprenant conservatoire, galerie et salle de concert, celle-ci véritable bonbonnière dont le périmètre tout arrondi et la décoration évoquerait plutôt quelque cirque d’hiver tournant de siècle, seules les cartouches alignés autour de ce qui fut l’orchestre (aujourd’hui mis en gradin ce que, j’imagine, il ne fut pas toujours) laissant deviner des desseins différents, puisque s’y trouvent célébrées des personnalités aussi diverses que Thiers, Danton, Guizot et Lamartine, tandis que celles dominant le balcon rendent hommage aux compositeurs Rameau, Boieldieu, Mehul, Hérold, Auber, Berlioz, Gounod…

En dépit des apparences, la musique tumultueuse d’Aruán Ortiz n’est pas totalement déplacée dans les ors de cette fin de XIXème, tant elle imprégnée de traditions classiques et populaires remontant aux fastes de la culture cubaine. Je ne peux pas me targuer d’un passion très ancienne pour Ortiz, puis que je ne l’ai découvert qu’au dernier festival Sons d’hiver au sein du quartette de Nasheet Waits, puis sur son dernier disque solo paru récemment chez Intakt et dont le titre “Cuban Cubism” est tout à fait parlant. Ce soir commençant par évoquer de calmes reflets aquatiques ici et là troublés par quelque jets de gravillons ou poisson crevant la surface de l’eau, il fait lever progressivement cette eau en de formidables averses et de prodigieux torrents qu’alimentent John Cleaver (autre grand batteur de ces temps, avec Nasheet Waits) et John Hébert (que l’on imagine pas, après l’avoir entendu dans ce contexte, rejoindre le trio de Fred Hersch, comme il le fera le mois prochain en France). Une sidérante organisation structure néanmoins cette musique, des espèces de grooves énormes et bruts qui marchent comme de grands arbres, des couches rythmiques dont on comprend qu’elles ont leur origine dans les vocabulaires rythmiques afro-cubains, mais ici présentés sous ce regard “cubiste” (sur ce point je chercherais d’ailleurs d’autres analogies en proposant « cuban dripping » ou d’autres, Ortiz étant au son cubain ce que le Turner le plus radical serait à la peinture marine, avec aussi quelque chose de “sériel” au sens pictural pour certains systématismes), où l’on devine encore une écriture qui se dérobe, où surgit soudain un monumental tutti, où s’étire une longue partition aux métriques incertaines à la Tim Berne, où un ritournelle de piano paraît saisie dans un tourbillon, déformée, retournée, disparue, reparue, où parvient comme du fond des bois les franges sonores d’une concert de chambre venue du salon d’une lointaine hacienda, où l’enchaînement rapide de partitions ou de brèves séquence tourne au pot-pourri, l’un d’entre eux compilant des bribes de la musique d’Ornette Coleman… Un concert à bride abattue où l’on manque parfois un peu d’air, cet air qui souffla en introduction des deux suites présentées selon un même modèle, et enfin sur le paisible rappel en forme d’un vieux boléro mis à nu de tout exotisme.

Tellement impatient d’entendre Ortiz, j’en ai avais lu le reste de l’affiche de la soirée en diagonale et m’attendait à voir le groupe Parisien-Peirani. C’est en fait le Sfumato Quinte d’Emile Parisien qui entre sur scène avec Michel Portal en invité. J’ai commenté en juillet dernier le concert donné par cette formation à Respire Jazz. Florent Nisse y remplaçait au pied levé Simon Tailleu, merveilleusement, mais plus aérien là où Tailleu est plus sobre, plus ancré, évoquant tous deux Charlie Haden chacun à sa manière. Julien Touéry remplaçant le plus souvent Joachim Kühn, ça me va bien, au nom d’une certaine nostalgie du premier Emile Parisien Quartet et parce qu’il y a des complicités que l’on aurait tort de vouloir défaire. Et puis Portal. Et lui, que j’ai souvent vu ces dernières années, anxieux, déprimé, accablé, indécis, largué ou perché au milieu de musiciens américains avec qui il n’avait rien à faire ou dans des formules décoratives qu’il ne méritait pas, je l’ai trouvé ce soir heureux, chez lui, jouant du grand Portal comme je n’en avait pas entendu depuis longtemps (mais je dois avouer ici mon manque d’assiduité à son endroit). De quoi regagner mon hôtel-perchoir la tête pleine de musique. • Franck Bergerot|Hier soir, l’édition 2017 de Nancy Jazz Pulsations ouvrait ses portes simultanément à L’Autre Canal avec les trois groupes d’une soirée pop-folk-électro-rock et à la salle Poirel avec le trio d’Aruán Ortiz et Michel Portal invité du quintette d’Emile Parisien que Jazz Magazine est venu entendre.

Posée devant la gare, la tour de l’hôtel Mercure permet d’embrasser du regard Nancy et “l’empire” Jazz Pulsations qui, dix jours durant, saisira la ville en divers endroits – j’en compte huit dans le programme laissé à mon attention dans ma chambre, pour ne parler que des principaux concerts impliquant pas loin d’une centaine de groupes. Egalement déposé à mon attention, un épais carnet de photos publié par Le Mot et le reste, Nancy Jazz Pulsations, 1973-2013, rafraîchit ma mémoire qui fut marquée chaque année, depuis cette année 1973 où je commençais à lire régulièrement Jazz Hot et Jazz Magazine, par le programme de Nancy qu’ils annonçaient à l’automne et dont ils rendaient compte deux numéros plus tard d’inoubliables prestations du Chris McGregor Brotherhood of Breath ou d’Archie Shepp. Depuis, la programmation s’est ouverte et le jazz s’y est quelque peu dilué, mais sa présence cette année est de bon aloi, voire très pertinente, avec des artistes comme Sylvain Rifflet (le 12), Tigran Hamasyan (le 13), Watchdog, Youn Sun Nah et Guillaume Perret (le 14), Donny McCaslin (le 16), Biréli Lagrène et Stochello Rosenberg (le 17), Paul Lay et Craig Taborn (le 17), Wallace Roney (le 18), les Voyageurs de l’espace et Hanna Paulsberg (le 19), Thomas de Pourquery (le 20)… et je n’ai pas épluché la multitude d’actions et animations que comporte le programme de 64 pages.

Sans oublier Aruán Ortiz pour lequel j’ai fait le voyage de Paris. Il joue salle Poirel, c’est à deux pas du Mercure, allons-y ! Ça vaut le coup d’œil. Un centre de création contemporain achevé en 1889 par un architecte municipal, centre culturel avant la lettre comprenant conservatoire, galerie et salle de concert, celle-ci véritable bonbonnière dont le périmètre tout arrondi et la décoration évoquerait plutôt quelque cirque d’hiver tournant de siècle, seules les cartouches alignés autour de ce qui fut l’orchestre (aujourd’hui mis en gradin ce que, j’imagine, il ne fut pas toujours) laissant deviner des desseins différents, puisque s’y trouvent célébrées des personnalités aussi diverses que Thiers, Danton, Guizot et Lamartine, tandis que celles dominant le balcon rendent hommage aux compositeurs Rameau, Boieldieu, Mehul, Hérold, Auber, Berlioz, Gounod…

En dépit des apparences, la musique tumultueuse d’Aruán Ortiz n’est pas totalement déplacée dans les ors de cette fin de XIXème, tant elle imprégnée de traditions classiques et populaires remontant aux fastes de la culture cubaine. Je ne peux pas me targuer d’un passion très ancienne pour Ortiz, puis que je ne l’ai découvert qu’au dernier festival Sons d’hiver au sein du quartette de Nasheet Waits, puis sur son dernier disque solo paru récemment chez Intakt et dont le titre “Cuban Cubism” est tout à fait parlant. Ce soir commençant par évoquer de calmes reflets aquatiques ici et là troublés par quelque jets de gravillons ou poisson crevant la surface de l’eau, il fait lever progressivement cette eau en de formidables averses et de prodigieux torrents qu’alimentent John Cleaver (autre grand batteur de ces temps, avec Nasheet Waits) et John Hébert (que l’on imagine pas, après l’avoir entendu dans ce contexte, rejoindre le trio de Fred Hersch, comme il le fera le mois prochain en France). Une sidérante organisation structure néanmoins cette musique, des espèces de grooves énormes et bruts qui marchent comme de grands arbres, des couches rythmiques dont on comprend qu’elles ont leur origine dans les vocabulaires rythmiques afro-cubains, mais ici présentés sous ce regard “cubiste” (sur ce point je chercherais d’ailleurs d’autres analogies en proposant « cuban dripping » ou d’autres, Ortiz étant au son cubain ce que le Turner le plus radical serait à la peinture marine, avec aussi quelque chose de “sériel” au sens pictural pour certains systématismes), où l’on devine encore une écriture qui se dérobe, où surgit soudain un monumental tutti, où s’étire une longue partition aux métriques incertaines à la Tim Berne, où un ritournelle de piano paraît saisie dans un tourbillon, déformée, retournée, disparue, reparue, où parvient comme du fond des bois les franges sonores d’une concert de chambre venue du salon d’une lointaine hacienda, où l’enchaînement rapide de partitions ou de brèves séquence tourne au pot-pourri, l’un d’entre eux compilant des bribes de la musique d’Ornette Coleman… Un concert à bride abattue où l’on manque parfois un peu d’air, cet air qui souffla en introduction des deux suites présentées selon un même modèle, et enfin sur le paisible rappel en forme d’un vieux boléro mis à nu de tout exotisme.

Tellement impatient d’entendre Ortiz, j’en ai avais lu le reste de l’affiche de la soirée en diagonale et m’attendait à voir le groupe Parisien-Peirani. C’est en fait le Sfumato Quinte d’Emile Parisien qui entre sur scène avec Michel Portal en invité. J’ai commenté en juillet dernier le concert donné par cette formation à Respire Jazz. Florent Nisse y remplaçait au pied levé Simon Tailleu, merveilleusement, mais plus aérien là où Tailleu est plus sobre, plus ancré, évoquant tous deux Charlie Haden chacun à sa manière. Julien Touéry remplaçant le plus souvent Joachim Kühn, ça me va bien, au nom d’une certaine nostalgie du premier Emile Parisien Quartet et parce qu’il y a des complicités que l’on aurait tort de vouloir défaire. Et puis Portal. Et lui, que j’ai souvent vu ces dernières années, anxieux, déprimé, accablé, indécis, largué ou perché au milieu de musiciens américains avec qui il n’avait rien à faire ou dans des formules décoratives qu’il ne méritait pas, je l’ai trouvé ce soir heureux, chez lui, jouant du grand Portal comme je n’en avait pas entendu depuis longtemps (mais je dois avouer ici mon manque d’assiduité à son endroit). De quoi regagner mon hôtel-perchoir la tête pleine de musique. • Franck Bergerot|Hier soir, l’édition 2017 de Nancy Jazz Pulsations ouvrait ses portes simultanément à L’Autre Canal avec les trois groupes d’une soirée pop-folk-électro-rock et à la salle Poirel avec le trio d’Aruán Ortiz et Michel Portal invité du quintette d’Emile Parisien que Jazz Magazine est venu entendre.

Posée devant la gare, la tour de l’hôtel Mercure permet d’embrasser du regard Nancy et “l’empire” Jazz Pulsations qui, dix jours durant, saisira la ville en divers endroits – j’en compte huit dans le programme laissé à mon attention dans ma chambre, pour ne parler que des principaux concerts impliquant pas loin d’une centaine de groupes. Egalement déposé à mon attention, un épais carnet de photos publié par Le Mot et le reste, Nancy Jazz Pulsations, 1973-2013, rafraîchit ma mémoire qui fut marquée chaque année, depuis cette année 1973 où je commençais à lire régulièrement Jazz Hot et Jazz Magazine, par le programme de Nancy qu’ils annonçaient à l’automne et dont ils rendaient compte deux numéros plus tard d’inoubliables prestations du Chris McGregor Brotherhood of Breath ou d’Archie Shepp. Depuis, la programmation s’est ouverte et le jazz s’y est quelque peu dilué, mais sa présence cette année est de bon aloi, voire très pertinente, avec des artistes comme Sylvain Rifflet (le 12), Tigran Hamasyan (le 13), Watchdog, Youn Sun Nah et Guillaume Perret (le 14), Donny McCaslin (le 16), Biréli Lagrène et Stochello Rosenberg (le 17), Paul Lay et Craig Taborn (le 17), Wallace Roney (le 18), les Voyageurs de l’espace et Hanna Paulsberg (le 19), Thomas de Pourquery (le 20)… et je n’ai pas épluché la multitude d’actions et animations que comporte le programme de 64 pages.

Sans oublier Aruán Ortiz pour lequel j’ai fait le voyage de Paris. Il joue salle Poirel, c’est à deux pas du Mercure, allons-y ! Ça vaut le coup d’œil. Un centre de création contemporain achevé en 1889 par un architecte municipal, centre culturel avant la lettre comprenant conservatoire, galerie et salle de concert, celle-ci véritable bonbonnière dont le périmètre tout arrondi et la décoration évoquerait plutôt quelque cirque d’hiver tournant de siècle, seules les cartouches alignés autour de ce qui fut l’orchestre (aujourd’hui mis en gradin ce que, j’imagine, il ne fut pas toujours) laissant deviner des desseins différents, puisque s’y trouvent célébrées des personnalités aussi diverses que Thiers, Danton, Guizot et Lamartine, tandis que celles dominant le balcon rendent hommage aux compositeurs Rameau, Boieldieu, Mehul, Hérold, Auber, Berlioz, Gounod…

En dépit des apparences, la musique tumultueuse d’Aruán Ortiz n’est pas totalement déplacée dans les ors de cette fin de XIXème, tant elle imprégnée de traditions classiques et populaires remontant aux fastes de la culture cubaine. Je ne peux pas me targuer d’un passion très ancienne pour Ortiz, puis que je ne l’ai découvert qu’au dernier festival Sons d’hiver au sein du quartette de Nasheet Waits, puis sur son dernier disque solo paru récemment chez Intakt et dont le titre “Cuban Cubism” est tout à fait parlant. Ce soir commençant par évoquer de calmes reflets aquatiques ici et là troublés par quelque jets de gravillons ou poisson crevant la surface de l’eau, il fait lever progressivement cette eau en de formidables averses et de prodigieux torrents qu’alimentent John Cleaver (autre grand batteur de ces temps, avec Nasheet Waits) et John Hébert (que l’on imagine pas, après l’avoir entendu dans ce contexte, rejoindre le trio de Fred Hersch, comme il le fera le mois prochain en France). Une sidérante organisation structure néanmoins cette musique, des espèces de grooves énormes et bruts qui marchent comme de grands arbres, des couches rythmiques dont on comprend qu’elles ont leur origine dans les vocabulaires rythmiques afro-cubains, mais ici présentés sous ce regard “cubiste” (sur ce point je chercherais d’ailleurs d’autres analogies en proposant « cuban dripping » ou d’autres, Ortiz étant au son cubain ce que le Turner le plus radical serait à la peinture marine, avec aussi quelque chose de “sériel” au sens pictural pour certains systématismes), où l’on devine encore une écriture qui se dérobe, où surgit soudain un monumental tutti, où s’étire une longue partition aux métriques incertaines à la Tim Berne, où un ritournelle de piano paraît saisie dans un tourbillon, déformée, retournée, disparue, reparue, où parvient comme du fond des bois les franges sonores d’une concert de chambre venue du salon d’une lointaine hacienda, où l’enchaînement rapide de partitions ou de brèves séquence tourne au pot-pourri, l’un d’entre eux compilant des bribes de la musique d’Ornette Coleman… Un concert à bride abattue où l’on manque parfois un peu d’air, cet air qui souffla en introduction des deux suites présentées selon un même modèle, et enfin sur le paisible rappel en forme d’un vieux boléro mis à nu de tout exotisme.

Tellement impatient d’entendre Ortiz, j’en ai avais lu le reste de l’affiche de la soirée en diagonale et m’attendait à voir le groupe Parisien-Peirani. C’est en fait le Sfumato Quinte d’Emile Parisien qui entre sur scène avec Michel Portal en invité. J’ai commenté en juillet dernier le concert donné par cette formation à Respire Jazz. Florent Nisse y remplaçait au pied levé Simon Tailleu, merveilleusement, mais plus aérien là où Tailleu est plus sobre, plus ancré, évoquant tous deux Charlie Haden chacun à sa manière. Julien Touéry remplaçant le plus souvent Joachim Kühn, ça me va bien, au nom d’une certaine nostalgie du premier Emile Parisien Quartet et parce qu’il y a des complicités que l’on aurait tort de vouloir défaire. Et puis Portal. Et lui, que j’ai souvent vu ces dernières années, anxieux, déprimé, accablé, indécis, largué ou perché au milieu de musiciens américains avec qui il n’avait rien à faire ou dans des formules décoratives qu’il ne méritait pas, je l’ai trouvé ce soir heureux, chez lui, jouant du grand Portal comme je n’en avait pas entendu depuis longtemps (mais je dois avouer ici mon manque d’assiduité à son endroit). De quoi regagner mon hôtel-perchoir la tête pleine de musique. • Franck Bergerot