Jazz live
Publié le 10 Oct 2014

Mu-temps par Jean-Rémi Guédon et Archimusic au Triton

Deux sorties cette semaine, l’une pour le lancement du Gil Evans Paris Workshop de Laurent Cugny au Studio de l’Ermitage, l’autre pour la création au Triton du nouveau programme d’Archimusic, Mu-temps. Par manque de temps, et Mu-temps étant encore à l’affiche du Triton jusqu’au samedi 11 octobre, je commencerai par là et rendrai compte du concert du Gil Evans Paris Workshop d’ici le week end. NB: depuis Jean-Rémy Guédon a réagi en notes qui ont été intégrées au texte.

 

Le Triton, les Lilas (93), le 9 octobre 2014.


Ensemble Archimusic : Jean-Rémy Guédon (compositions et saxophone), Laurence Malherbe et Jean-Marie Marrier (voix),  Vincent Arnoult (hautbois), Nicolas Fargeix (clarinette), Vincent Reynaud (basson), EmmanuelleBrunat (clarinette basse), Fabrice Martinez (trompette),  Yves Rousseau (contrebasse), David PouradierDuteil (batterie), Jacques Rebotier (textes), Julie Desprairies (mise en scène), Johan Lescure et ses collaborateurs (Alexandre Moisescot, Emmanuel Braudeau, Jacques Guillaumin, David Furlong et Faustine Tournan) (vidéo).

 

Reprenons les termes du programme : «concert augmenté», « manipulations visuelles », « tableaux évoquant l’opéra », « à partir de l’ouvrage Description de l’Omme et textes récents de Jacques Rebotier », Johan Lescure construit une véritable partition visuelle dans laquelle il improvise en temps réel ». À quoi s’ajoute le dispositif habituel d’Archimusic où Jean-Rémy Guédon associe depuis sa création en 1993 un quartette de jazz à une section de quatre bois. On pense beaucoup à Igor Stravinsky et accessoirement à Charles-Ferdinand Ramuz*. Ramuz pour L’Histoire du soldat et cet espèce d’opéra de poche d’inspiration populaire que l’auteur suisse avait créé en 1917, en pleine guerre mondiale, avec le compositeur russe. Je pense à Igor pour la même raison donc, mais aussi parce que la fréquentation de son œuvre a marqué durablement Jean-Rémy Guédon qui par le passé m’avait fait découvrir Poétique musicale, recueil de réflexions sur la musique. On peut y puiser des leçons sur la légèreté (chère à Kundera, la Poètique et l’œuvre de Milan Kundera – particulièrement Les Testaments trahis – étant des vases communiquants) fondamentale du geste musical qui est une clé essentielle du travail de Guédon et qui ouvre les portes communicantes entre son univers et celui de l’auteur-compositeur Jacques Rebotier.

*Note de Jean-Rémy Guédon: « C’est drôle que vous ayez pensé à L’Histoire du soldat car effectivement, je me suis inspiré de l’aspect logistique a minima. J’ai pensé ce MuTemps comme quelque chose de pas cher, facilement montable (mais je ne suis pas du tout sûr qu’il se vende pour autant, nous verrons)« .

 

 

La légèreté est en tout cas la rhétorique que Guédon et Rebotier mettent en œuvre dans cette critique du temps qui reprend, entre autres textes, la Description de l’Omme ainsi résumée par son auteur : « Une encyclopédie médiévale écrite au vingt-deuxième siècle, par un papillon, une grenouille. Anatomie, sang, passion, parole, organisation sociale, religion, moyens de production et de reproductions, sexe(s), monnaie, arts, hunivers, tout y passe, et en revue. Tout est tenu dans le désordre lacunaire du monde. Et tout s’explique : il y a des boules, et il y a des trous. » Et à l’arrière plan, Alexandre Moiscescot (puisque si je comprends le programme qui m’a été distribué à l’entrée, c’est lui qui pilotait la vidéo hier)* de faire chanter à l’écran le Pascal d’un billet de banque, à l’unisson de Laurence Malherbe et Jean-Marie Marrier, un “rif” (appelons ça comme ça) du livret, rif qui n’est pas sans évoquer les rimes créoles du programme que Guédon présentait l’an passé avec Dédé Saint-Prix à Malguénac.

 

*Note de Jean-Rémy Guédon: « C’est Johan Lescure qui manipulait les images en temps réel. »


 

Car si l’on s’attarde sur Stravinsky qui constitue une bonne poignée pour appréhender l’univers de Guédon, il en est d’autres, moins évidentes dans Mu-temps, qui trame cette œuvre en perpétuelle fusion où il s’est découvert des racines antillaises et africaines et où aux accents “ayleriens” et “sheppiens” de son saxophone se mêlent des traces de Fela, voir de Gétatchèw Mèkurya. À ses côtés Fabrice Martinez est renversant dans sa manière d’adhérer corps et âme au projet qu’Yves Rousseau et David Pouradier-Duteil portent à bout de bras depuis le début (si je suis bien informé*, en tout cas depuis des lustres), le premier impressionnant par sa façon de faire chanter la note, le rythme et le son sur son instrument dont il est l’un des grands praticiens, le second jouant d’un éclectisme rythmique et sonore qui fait parti des fils conducteurs auxquels s’accrochent l’indéniable identité de Guédon.

*Note de Jean-Rémy Guédon: « Vous êtes bien informé, ils sont là depuis le début« .

 

Avec toujours une imperfection fondamentale (insondable en ce que la non moins fondamentale légèreté de Guédon vient interposer son irrésistible séduction) qui relève moins de la réalisation que de la conception et tient à la gourmandise de pluridisciplinarité du personnage. Alors que nous devisions avec Guédon et le pianiste et pédagogue Luc Saint-James à la sortie du Triton sur la difficulté de combiner texte et musique, notamment sur le plan acoustique (des voix trop fortes hier, au point de passer sur un plan différent du son de l’orchestre, et, paraît-il, trop faibles lors des premiers concerts de la semaine), Guédon (qui a toujours des citations plein les poches) me citait je sais plus qui* en une phrase lapidaire sur l’incompatibilité entre texte et musique. Et ajoutait dans un cri du cœur surjoué conclu d’une mimique entre le rire et les larmes : « Mais j’ai besoin de l’un et de l’autre. » De cette gourmandise résulte un programme très long, presque deux heures sans entracte*, trop long dans la mesure où cette juxtaposition de tableaux ne s’impose pas comme un enchaînement nécessaire. Reste qu’il y a toujours du bon à prendre dans ce festin d’idées et d’écriture musicale et qu’il vous reste encore deux jours (ces 10 et 11 octobre) pour aller vous en barbouiller les badigoinces au Triton. Franck Bergerot

*Note de Jean-Rémy Guédon: « Je te citais Stéphan Zweig. Pour ce qui est de la durée du spectacle, Mu-Temps dure 1h25, mais ça doit être trop riche d’où votre sentiment de longueur. »

 

|

Deux sorties cette semaine, l’une pour le lancement du Gil Evans Paris Workshop de Laurent Cugny au Studio de l’Ermitage, l’autre pour la création au Triton du nouveau programme d’Archimusic, Mu-temps. Par manque de temps, et Mu-temps étant encore à l’affiche du Triton jusqu’au samedi 11 octobre, je commencerai par là et rendrai compte du concert du Gil Evans Paris Workshop d’ici le week end. NB: depuis Jean-Rémy Guédon a réagi en notes qui ont été intégrées au texte.

 

Le Triton, les Lilas (93), le 9 octobre 2014.


Ensemble Archimusic : Jean-Rémy Guédon (compositions et saxophone), Laurence Malherbe et Jean-Marie Marrier (voix),  Vincent Arnoult (hautbois), Nicolas Fargeix (clarinette), Vincent Reynaud (basson), EmmanuelleBrunat (clarinette basse), Fabrice Martinez (trompette),  Yves Rousseau (contrebasse), David PouradierDuteil (batterie), Jacques Rebotier (textes), Julie Desprairies (mise en scène), Johan Lescure et ses collaborateurs (Alexandre Moisescot, Emmanuel Braudeau, Jacques Guillaumin, David Furlong et Faustine Tournan) (vidéo).

 

Reprenons les termes du programme : «concert augmenté», « manipulations visuelles », « tableaux évoquant l’opéra », « à partir de l’ouvrage Description de l’Omme et textes récents de Jacques Rebotier », Johan Lescure construit une véritable partition visuelle dans laquelle il improvise en temps réel ». À quoi s’ajoute le dispositif habituel d’Archimusic où Jean-Rémy Guédon associe depuis sa création en 1993 un quartette de jazz à une section de quatre bois. On pense beaucoup à Igor Stravinsky et accessoirement à Charles-Ferdinand Ramuz*. Ramuz pour L’Histoire du soldat et cet espèce d’opéra de poche d’inspiration populaire que l’auteur suisse avait créé en 1917, en pleine guerre mondiale, avec le compositeur russe. Je pense à Igor pour la même raison donc, mais aussi parce que la fréquentation de son œuvre a marqué durablement Jean-Rémy Guédon qui par le passé m’avait fait découvrir Poétique musicale, recueil de réflexions sur la musique. On peut y puiser des leçons sur la légèreté (chère à Kundera, la Poètique et l’œuvre de Milan Kundera – particulièrement Les Testaments trahis – étant des vases communiquants) fondamentale du geste musical qui est une clé essentielle du travail de Guédon et qui ouvre les portes communicantes entre son univers et celui de l’auteur-compositeur Jacques Rebotier.

*Note de Jean-Rémy Guédon: « C’est drôle que vous ayez pensé à L’Histoire du soldat car effectivement, je me suis inspiré de l’aspect logistique a minima. J’ai pensé ce MuTemps comme quelque chose de pas cher, facilement montable (mais je ne suis pas du tout sûr qu’il se vende pour autant, nous verrons)« .

 

 

La légèreté est en tout cas la rhétorique que Guédon et Rebotier mettent en œuvre dans cette critique du temps qui reprend, entre autres textes, la Description de l’Omme ainsi résumée par son auteur : « Une encyclopédie médiévale écrite au vingt-deuxième siècle, par un papillon, une grenouille. Anatomie, sang, passion, parole, organisation sociale, religion, moyens de production et de reproductions, sexe(s), monnaie, arts, hunivers, tout y passe, et en revue. Tout est tenu dans le désordre lacunaire du monde. Et tout s’explique : il y a des boules, et il y a des trous. » Et à l’arrière plan, Alexandre Moiscescot (puisque si je comprends le programme qui m’a été distribué à l’entrée, c’est lui qui pilotait la vidéo hier)* de faire chanter à l’écran le Pascal d’un billet de banque, à l’unisson de Laurence Malherbe et Jean-Marie Marrier, un “rif” (appelons ça comme ça) du livret, rif qui n’est pas sans évoquer les rimes créoles du programme que Guédon présentait l’an passé avec Dédé Saint-Prix à Malguénac.

 

*Note de Jean-Rémy Guédon: « C’est Johan Lescure qui manipulait les images en temps réel. »


 

Car si l’on s’attarde sur Stravinsky qui constitue une bonne poignée pour appréhender l’univers de Guédon, il en est d’autres, moins évidentes dans Mu-temps, qui trame cette œuvre en perpétuelle fusion où il s’est découvert des racines antillaises et africaines et où aux accents “ayleriens” et “sheppiens” de son saxophone se mêlent des traces de Fela, voir de Gétatchèw Mèkurya. À ses côtés Fabrice Martinez est renversant dans sa manière d’adhérer corps et âme au projet qu’Yves Rousseau et David Pouradier-Duteil portent à bout de bras depuis le début (si je suis bien informé*, en tout cas depuis des lustres), le premier impressionnant par sa façon de faire chanter la note, le rythme et le son sur son instrument dont il est l’un des grands praticiens, le second jouant d’un éclectisme rythmique et sonore qui fait parti des fils conducteurs auxquels s’accrochent l’indéniable identité de Guédon.

*Note de Jean-Rémy Guédon: « Vous êtes bien informé, ils sont là depuis le début« .

 

Avec toujours une imperfection fondamentale (insondable en ce que la non moins fondamentale légèreté de Guédon vient interposer son irrésistible séduction) qui relève moins de la réalisation que de la conception et tient à la gourmandise de pluridisciplinarité du personnage. Alors que nous devisions avec Guédon et le pianiste et pédagogue Luc Saint-James à la sortie du Triton sur la difficulté de combiner texte et musique, notamment sur le plan acoustique (des voix trop fortes hier, au point de passer sur un plan différent du son de l’orchestre, et, paraît-il, trop faibles lors des premiers concerts de la semaine), Guédon (qui a toujours des citations plein les poches) me citait je sais plus qui* en une phrase lapidaire sur l’incompatibilité entre texte et musique. Et ajoutait dans un cri du cœur surjoué conclu d’une mimique entre le rire et les larmes : « Mais j’ai besoin de l’un et de l’autre. » De cette gourmandise résulte un programme très long, presque deux heures sans entracte*, trop long dans la mesure où cette juxtaposition de tableaux ne s’impose pas comme un enchaînement nécessaire. Reste qu’il y a toujours du bon à prendre dans ce festin d’idées et d’écriture musicale et qu’il vous reste encore deux jours (ces 10 et 11 octobre) pour aller vous en barbouiller les badigoinces au Triton. Franck Bergerot

*Note de Jean-Rémy Guédon: « Je te citais Stéphan Zweig. Pour ce qui est de la durée du spectacle, Mu-Temps dure 1h25, mais ça doit être trop riche d’où votre sentiment de longueur. »

 

|

Deux sorties cette semaine, l’une pour le lancement du Gil Evans Paris Workshop de Laurent Cugny au Studio de l’Ermitage, l’autre pour la création au Triton du nouveau programme d’Archimusic, Mu-temps. Par manque de temps, et Mu-temps étant encore à l’affiche du Triton jusqu’au samedi 11 octobre, je commencerai par là et rendrai compte du concert du Gil Evans Paris Workshop d’ici le week end. NB: depuis Jean-Rémy Guédon a réagi en notes qui ont été intégrées au texte.

 

Le Triton, les Lilas (93), le 9 octobre 2014.


Ensemble Archimusic : Jean-Rémy Guédon (compositions et saxophone), Laurence Malherbe et Jean-Marie Marrier (voix),  Vincent Arnoult (hautbois), Nicolas Fargeix (clarinette), Vincent Reynaud (basson), EmmanuelleBrunat (clarinette basse), Fabrice Martinez (trompette),  Yves Rousseau (contrebasse), David PouradierDuteil (batterie), Jacques Rebotier (textes), Julie Desprairies (mise en scène), Johan Lescure et ses collaborateurs (Alexandre Moisescot, Emmanuel Braudeau, Jacques Guillaumin, David Furlong et Faustine Tournan) (vidéo).

 

Reprenons les termes du programme : «concert augmenté», « manipulations visuelles », « tableaux évoquant l’opéra », « à partir de l’ouvrage Description de l’Omme et textes récents de Jacques Rebotier », Johan Lescure construit une véritable partition visuelle dans laquelle il improvise en temps réel ». À quoi s’ajoute le dispositif habituel d’Archimusic où Jean-Rémy Guédon associe depuis sa création en 1993 un quartette de jazz à une section de quatre bois. On pense beaucoup à Igor Stravinsky et accessoirement à Charles-Ferdinand Ramuz*. Ramuz pour L’Histoire du soldat et cet espèce d’opéra de poche d’inspiration populaire que l’auteur suisse avait créé en 1917, en pleine guerre mondiale, avec le compositeur russe. Je pense à Igor pour la même raison donc, mais aussi parce que la fréquentation de son œuvre a marqué durablement Jean-Rémy Guédon qui par le passé m’avait fait découvrir Poétique musicale, recueil de réflexions sur la musique. On peut y puiser des leçons sur la légèreté (chère à Kundera, la Poètique et l’œuvre de Milan Kundera – particulièrement Les Testaments trahis – étant des vases communiquants) fondamentale du geste musical qui est une clé essentielle du travail de Guédon et qui ouvre les portes communicantes entre son univers et celui de l’auteur-compositeur Jacques Rebotier.

*Note de Jean-Rémy Guédon: « C’est drôle que vous ayez pensé à L’Histoire du soldat car effectivement, je me suis inspiré de l’aspect logistique a minima. J’ai pensé ce MuTemps comme quelque chose de pas cher, facilement montable (mais je ne suis pas du tout sûr qu’il se vende pour autant, nous verrons)« .

 

 

La légèreté est en tout cas la rhétorique que Guédon et Rebotier mettent en œuvre dans cette critique du temps qui reprend, entre autres textes, la Description de l’Omme ainsi résumée par son auteur : « Une encyclopédie médiévale écrite au vingt-deuxième siècle, par un papillon, une grenouille. Anatomie, sang, passion, parole, organisation sociale, religion, moyens de production et de reproductions, sexe(s), monnaie, arts, hunivers, tout y passe, et en revue. Tout est tenu dans le désordre lacunaire du monde. Et tout s’explique : il y a des boules, et il y a des trous. » Et à l’arrière plan, Alexandre Moiscescot (puisque si je comprends le programme qui m’a été distribué à l’entrée, c’est lui qui pilotait la vidéo hier)* de faire chanter à l’écran le Pascal d’un billet de banque, à l’unisson de Laurence Malherbe et Jean-Marie Marrier, un “rif” (appelons ça comme ça) du livret, rif qui n’est pas sans évoquer les rimes créoles du programme que Guédon présentait l’an passé avec Dédé Saint-Prix à Malguénac.

 

*Note de Jean-Rémy Guédon: « C’est Johan Lescure qui manipulait les images en temps réel. »


 

Car si l’on s’attarde sur Stravinsky qui constitue une bonne poignée pour appréhender l’univers de Guédon, il en est d’autres, moins évidentes dans Mu-temps, qui trame cette œuvre en perpétuelle fusion où il s’est découvert des racines antillaises et africaines et où aux accents “ayleriens” et “sheppiens” de son saxophone se mêlent des traces de Fela, voir de Gétatchèw Mèkurya. À ses côtés Fabrice Martinez est renversant dans sa manière d’adhérer corps et âme au projet qu’Yves Rousseau et David Pouradier-Duteil portent à bout de bras depuis le début (si je suis bien informé*, en tout cas depuis des lustres), le premier impressionnant par sa façon de faire chanter la note, le rythme et le son sur son instrument dont il est l’un des grands praticiens, le second jouant d’un éclectisme rythmique et sonore qui fait parti des fils conducteurs auxquels s’accrochent l’indéniable identité de Guédon.

*Note de Jean-Rémy Guédon: « Vous êtes bien informé, ils sont là depuis le début« .

 

Avec toujours une imperfection fondamentale (insondable en ce que la non moins fondamentale légèreté de Guédon vient interposer son irrésistible séduction) qui relève moins de la réalisation que de la conception et tient à la gourmandise de pluridisciplinarité du personnage. Alors que nous devisions avec Guédon et le pianiste et pédagogue Luc Saint-James à la sortie du Triton sur la difficulté de combiner texte et musique, notamment sur le plan acoustique (des voix trop fortes hier, au point de passer sur un plan différent du son de l’orchestre, et, paraît-il, trop faibles lors des premiers concerts de la semaine), Guédon (qui a toujours des citations plein les poches) me citait je sais plus qui* en une phrase lapidaire sur l’incompatibilité entre texte et musique. Et ajoutait dans un cri du cœur surjoué conclu d’une mimique entre le rire et les larmes : « Mais j’ai besoin de l’un et de l’autre. » De cette gourmandise résulte un programme très long, presque deux heures sans entracte*, trop long dans la mesure où cette juxtaposition de tableaux ne s’impose pas comme un enchaînement nécessaire. Reste qu’il y a toujours du bon à prendre dans ce festin d’idées et d’écriture musicale et qu’il vous reste encore deux jours (ces 10 et 11 octobre) pour aller vous en barbouiller les badigoinces au Triton. Franck Bergerot

*Note de Jean-Rémy Guédon: « Je te citais Stéphan Zweig. Pour ce qui est de la durée du spectacle, Mu-Temps dure 1h25, mais ça doit être trop riche d’où votre sentiment de longueur. »

 

|

Deux sorties cette semaine, l’une pour le lancement du Gil Evans Paris Workshop de Laurent Cugny au Studio de l’Ermitage, l’autre pour la création au Triton du nouveau programme d’Archimusic, Mu-temps. Par manque de temps, et Mu-temps étant encore à l’affiche du Triton jusqu’au samedi 11 octobre, je commencerai par là et rendrai compte du concert du Gil Evans Paris Workshop d’ici le week end. NB: depuis Jean-Rémy Guédon a réagi en notes qui ont été intégrées au texte.

 

Le Triton, les Lilas (93), le 9 octobre 2014.


Ensemble Archimusic : Jean-Rémy Guédon (compositions et saxophone), Laurence Malherbe et Jean-Marie Marrier (voix),  Vincent Arnoult (hautbois), Nicolas Fargeix (clarinette), Vincent Reynaud (basson), EmmanuelleBrunat (clarinette basse), Fabrice Martinez (trompette),  Yves Rousseau (contrebasse), David PouradierDuteil (batterie), Jacques Rebotier (textes), Julie Desprairies (mise en scène), Johan Lescure et ses collaborateurs (Alexandre Moisescot, Emmanuel Braudeau, Jacques Guillaumin, David Furlong et Faustine Tournan) (vidéo).

 

Reprenons les termes du programme : «concert augmenté», « manipulations visuelles », « tableaux évoquant l’opéra », « à partir de l’ouvrage Description de l’Omme et textes récents de Jacques Rebotier », Johan Lescure construit une véritable partition visuelle dans laquelle il improvise en temps réel ». À quoi s’ajoute le dispositif habituel d’Archimusic où Jean-Rémy Guédon associe depuis sa création en 1993 un quartette de jazz à une section de quatre bois. On pense beaucoup à Igor Stravinsky et accessoirement à Charles-Ferdinand Ramuz*. Ramuz pour L’Histoire du soldat et cet espèce d’opéra de poche d’inspiration populaire que l’auteur suisse avait créé en 1917, en pleine guerre mondiale, avec le compositeur russe. Je pense à Igor pour la même raison donc, mais aussi parce que la fréquentation de son œuvre a marqué durablement Jean-Rémy Guédon qui par le passé m’avait fait découvrir Poétique musicale, recueil de réflexions sur la musique. On peut y puiser des leçons sur la légèreté (chère à Kundera, la Poètique et l’œuvre de Milan Kundera – particulièrement Les Testaments trahis – étant des vases communiquants) fondamentale du geste musical qui est une clé essentielle du travail de Guédon et qui ouvre les portes communicantes entre son univers et celui de l’auteur-compositeur Jacques Rebotier.

*Note de Jean-Rémy Guédon: « C’est drôle que vous ayez pensé à L’Histoire du soldat car effectivement, je me suis inspiré de l’aspect logistique a minima. J’ai pensé ce MuTemps comme quelque chose de pas cher, facilement montable (mais je ne suis pas du tout sûr qu’il se vende pour autant, nous verrons)« .

 

 

La légèreté est en tout cas la rhétorique que Guédon et Rebotier mettent en œuvre dans cette critique du temps qui reprend, entre autres textes, la Description de l’Omme ainsi résumée par son auteur : « Une encyclopédie médiévale écrite au vingt-deuxième siècle, par un papillon, une grenouille. Anatomie, sang, passion, parole, organisation sociale, religion, moyens de production et de reproductions, sexe(s), monnaie, arts, hunivers, tout y passe, et en revue. Tout est tenu dans le désordre lacunaire du monde. Et tout s’explique : il y a des boules, et il y a des trous. » Et à l’arrière plan, Alexandre Moiscescot (puisque si je comprends le programme qui m’a été distribué à l’entrée, c’est lui qui pilotait la vidéo hier)* de faire chanter à l’écran le Pascal d’un billet de banque, à l’unisson de Laurence Malherbe et Jean-Marie Marrier, un “rif” (appelons ça comme ça) du livret, rif qui n’est pas sans évoquer les rimes créoles du programme que Guédon présentait l’an passé avec Dédé Saint-Prix à Malguénac.

 

*Note de Jean-Rémy Guédon: « C’est Johan Lescure qui manipulait les images en temps réel. »


 

Car si l’on s’attarde sur Stravinsky qui constitue une bonne poignée pour appréhender l’univers de Guédon, il en est d’autres, moins évidentes dans Mu-temps, qui trame cette œuvre en perpétuelle fusion où il s’est découvert des racines antillaises et africaines et où aux accents “ayleriens” et “sheppiens” de son saxophone se mêlent des traces de Fela, voir de Gétatchèw Mèkurya. À ses côtés Fabrice Martinez est renversant dans sa manière d’adhérer corps et âme au projet qu’Yves Rousseau et David Pouradier-Duteil portent à bout de bras depuis le début (si je suis bien informé*, en tout cas depuis des lustres), le premier impressionnant par sa façon de faire chanter la note, le rythme et le son sur son instrument dont il est l’un des grands praticiens, le second jouant d’un éclectisme rythmique et sonore qui fait parti des fils conducteurs auxquels s’accrochent l’indéniable identité de Guédon.

*Note de Jean-Rémy Guédon: « Vous êtes bien informé, ils sont là depuis le début« .

 

Avec toujours une imperfection fondamentale (insondable en ce que la non moins fondamentale légèreté de Guédon vient interposer son irrésistible séduction) qui relève moins de la réalisation que de la conception et tient à la gourmandise de pluridisciplinarité du personnage. Alors que nous devisions avec Guédon et le pianiste et pédagogue Luc Saint-James à la sortie du Triton sur la difficulté de combiner texte et musique, notamment sur le plan acoustique (des voix trop fortes hier, au point de passer sur un plan différent du son de l’orchestre, et, paraît-il, trop faibles lors des premiers concerts de la semaine), Guédon (qui a toujours des citations plein les poches) me citait je sais plus qui* en une phrase lapidaire sur l’incompatibilité entre texte et musique. Et ajoutait dans un cri du cœur surjoué conclu d’une mimique entre le rire et les larmes : « Mais j’ai besoin de l’un et de l’autre. » De cette gourmandise résulte un programme très long, presque deux heures sans entracte*, trop long dans la mesure où cette juxtaposition de tableaux ne s’impose pas comme un enchaînement nécessaire. Reste qu’il y a toujours du bon à prendre dans ce festin d’idées et d’écriture musicale et qu’il vous reste encore deux jours (ces 10 et 11 octobre) pour aller vous en barbouiller les badigoinces au Triton. Franck Bergerot

*Note de Jean-Rémy Guédon: « Je te citais Stéphan Zweig. Pour ce qui est de la durée du spectacle, Mu-Temps dure 1h25, mais ça doit être trop riche d’où votre sentiment de longueur. »