Jazz live
Publié le 21 Mai 2018

RICCARDO DEL FRA : UN SET AU SUNSIDE

Les aléas des transports (grève + travaux sur les voies...) ont contraint le chroniqueur banlieusard à quitter le club après le premier set : mais quel set !

RICCARDO DEL FRA QUINTET

Riccardo Del Fra (contrebasse), Matthieu Michel (bugle), Pierrick Pédron (saxophone alto), Carl-Henri Morisset (piano), Ariel Tessier (batterie)

Paris, Sunside, 20 mai 2018, 21h30

Chet Baker est mort à Amsterdam en mai 1988. Dans la copieuse série de commémorations, avec différents groupes (au Sunside et ailleurs), l’hommage de Ricard Del Fra occupe évidemment une place toute particulière. Compagnon de route du trompettiste durant huit années, le contrebassiste avait donné, sous le titre «My Chet, My Song», un disque publié en 2014 (après une création au festival de Marciac en 2011 avec Roy Hargrove en soliste) et qui témoignait de manière très personnelle de cette aventure musicale. Dans sa forme d’aujourd’hui le groupe accueille Matthieu Michel, au bugle, ce qui nous rappelle qu’à la fin des années 50, et au milieu des années 60, Chet en a beaucoup joué. Et aussi que souvent, à la trompette, il allait chercher un timbre proche de cet instrument. Au sax alto Pierrick Pédron, fidèle des groupes de Riccardo ces dernières années. Au piano, succédant à Bruno Ruder, Carl-Henri Morisset, un autre élève issu du Conservatoire National Supérieur (dont le contrebassiste dirige le ‘Département Jazz et Musiques Improvisées’), et à la batterie, issu lui aussi de cette noble institution, et compagnon des groupes de Riccardo depuis quelques années, Ariel Tessier. Autant dire une belle brochette de talents, qui vont faire merveille au fil du concert.

Cette évocation du parcours que fit le contrebassiste avec Chet Baker commence par un composition de Richie Beirach, Leaving : Riccardo l’avait gravée avec le trompettiste en 1980. Cette version commençait par un solo de basse, ici évoqué en duo par le sax alto et le bugle, avant d’entrer dans le vif du sujet. Lyrisme intense de Matthieu Michel, à quoi la volubilité sur le fil de tous les risques, chez Pierrick Pédron, fera écho. Chet aimait les compositions de Beirach, et il avait aussi joué, et enregistré, Broken Wing. Mais le thème suivant choisi par Riccardo Del Fra sera But Not For Me : en fait, une longue pièce à entrées multiples, avec interludes, reprises, variations et autres développements : le contrebassiste mêle à ce standard sa propre composition. Les solistes rivalisent d’inspiration : à la poésie du bugle répondent les flots turbulents du sax alto, et le pianiste, après avoir diverti le leader dans l’exposé du standard avec quelques clichés validés par l’histoire, va se lancer à corps perdu dans ses improvisations. La basse et la batterie fonctionnent en tandem, sur des figures aussi fluides que sophistiquées, la relance est permanente et la batterie gronde de pulsations infiniment croisées : c’est un pur bonheur. Le set se poursuit à l’avenant, avec L’Âme des poètes de Charles Trenet, en solo et variations du contrebassite, et en copieuse (et belle !) introduction pour I’m Old Fashioned : le standard est lui aussi augmenté de détours et d’appendices qui font mouche, dans le déroulement de la forme comme comme dans la stimulation des solistes. Et pour conclure le set, afin de nous mettre en condition pour le standard qui vient, Riccardo Del Fra nous en lit le texte : c’est For All We Know, miracle de mélancolie sur tempo plus que lent, introduite en duo piano-sax, et que Pierrick Pédron va progressivement porter jusqu’à l’expressivité la plus incandescente ; et ses partenaires ne seront pas en reste pour magnifier ce déjà magnifique thème, hélas assez peu joué. Le public est comblé, et dans la salle quelques professionnels de cette musique, qui sont d’abord des amateurs éclairés, ne cachent pas leur émoi : merci à toi Riccardo, et à tes amis, pour ce beau moment.

Xavier Prévost