Jazz live
Publié le 9 Jan 2017

Tonnerre (de jazz!) dans le ciel palois….

Longtemps. Très (trop!) longtemps, Pau fut une terre de mission pour les intégristes du « vrai » jazz. Une jeune association (Tonnerre De Jazz), née en 2015, s’est donné comme objectif de programmer une dizaine de fois par an du jazz actuel. Enfin !

Un peu d’histoire… (et quelques souvenirs étonnants)

Après la seconde guerre mondiale, le petit monde du jazz a connu sa bataille d’Hernani. La naissance du be-bop avec Charlie Parker, Miles Davis, Dizzy Gillespie et Thelonious Monk (entre autres) généra un schisme violent. La bataille fut rude : d’un côté ceux qui décidèrent que le jazz moderne n’était pas du « vrai » jazz, de l’autre ceux qui s’enthousiasmèrent pour ce nouveau jazz. Les « figues moisies » contre les « raisins verts » selon la belle formule de Boris Vian.

Sous la houlette d’Hugues Panassié (surnommé le « Pape de Montauban ») de nombreux Hot Club se créèrent un peu partout en France pour défendre le « vrai » jazz. Dans les années 50 et 60 sur l’ensemble du territoire ces Hot Clubs eurent des dizaines de milliers d’adhérents. Dynamiques et portés par leur « foi » ils organisaient moult concerts et causeries pour diffuser leurs dogmes : « Le jazz moderne ce n’est pas du jazz car il ne respecte pas les canons du jazz swing », « Le be-bop est une musique de laboratoire… il ne doit donc pas sortir de ses laboratoires ! », etc.

Dans de nombreuses villes leurs concerts (généralement remarquables d’ailleurs) programmant les grands noms du jazz classique, drainaient des auditoires imposants. Limoges et Pau (entre autres) furent jusque dans les années 80 des bastions puissants de diffusion de ce jazz « hot » (aussi dénommé dans les encyclopédies jazz classique ou mainstream). Dans chacune de ces villes des lieutenants zélés et entreprenants de Panassié organisaient de grandes messes de « pur » jazz qui enthousiasmaient de très nombreux fidèles. A Pau quelques téméraires (et inconscients) amateurs tentèrent très ponctuellement, pendant cet âge d’or du Hot Club local, d’organiser quelques concerts de jazz moderne… Une puissante machine de guerre « hot clubienne » se mettait alors en marche pour organiser la contre-offensive. Médias et notables locaux étaient entièrement acquis à la cause du Hot Club de Pau (fort de ses très nombreux adhérents) et participaient à la fustigation des infidèles et mécréants : boycott des concerts de « faux » jazz, manifestations « anti jazz-moderne » étaient organisées par le Hot Club Palois!

Arrivé à Pau en 1973 je fus éberlué par cette situation. Lucien Malson, que j’avais informé de ce qui se passait dans la capitale du Bearn, m’invita dans une de ses émissions hebdomadaires sur France Culture pour évoquer ces derniers territoires d’intégrisme jazziste provincial… Dans un quotidien palois, suite à la diffusion de cette émission, je fus traité par le Président du Hot Club de Pau de « Jeune blanc bec, totalement inculte… ».

Depuis les années 90 ces concerts de « pur » jazz classique ont disparu de la scène musicale paloise (et d’ailleurs aussi) : la plupart des grands maîtres du jazz classique étant décédés, il était devenu impossible pour les Hot Clubs d’organiser de grands concerts populaires axés uniquement sur ce style de jazz.

Pour en terminer avec ce (trop !) long préambule : évocation de deux souvenirs, assez incroyables, mais vraiment édifiants.

Marc Allibert excellent guitariste palois dans la lignée de Wes Montgomery avait organisé, dans les années 70, un concert dans la salle des fêtes d’un hôtel palois. La (toute) petite centaine de spectateurs intéressés fut accueillie par une haie de « déshonneur » : des adhérents du HCP houspillaient les entrants aux cris de : « Il faut que vous sachiez que ce concert n’est pas du vrai jazz… C’est une escroquerie… Une usurpation du mot jazz ».

Une autre fois lors d’une projection de superbes vieilles bobines en noir et blanc dans un cinéma palois après une séquence où l’on entendait Count Basie, Thelonious Monk présent près du piano, est invité par Count à jouer… Dans le noir, depuis sa place, le Président du Hot Club Palois, Jacques Morgantini, s’est alors levé et avec une voix de stentor a déclaré : « Mesdames Messieurs ce que vous allez entendre maintenant lors de ce passage du film, que nous n’avons pas pu couper, n’est pas du vrai jazz. Thelonious Monk n’est pas un jazzman » !

Etonnant non ! Comme aurait dit le regretté Pierre Desproges.

De 1985 à 2015… un paysage quasi désertique pour les « grands » concerts de jazz à Pau

Alors que dans deux villes moyennes (Oloron et Orthez) et dans une toute petite commune (Marciac), toutes 3 situées à proximité de Pau, des festivals de jazz à la programmation ouverte (pour Marciac ce ne fut pas immédiat car les premières années furent consacrées au jazz traditionnel) sont apparus à partir des années 80, à Pau, après la fin des grandes messes populaires « hotclubiennes », la vie jazziste était devenue un quasi désert. A l’exception de quelques programmations et tentatives ponctuelles, intéressantes et courageuses, mais généralement sans lendemain.

Une belle initiative : le Guitar Master proposa pendant quelques années (de 1989 à 2000) de beaux concerts mais sans jamais avoir réussi à fixer un public conséquent permettant la survie financière de cet intéressant festival. John Mc Laughlin, John Pizarelli, Lucky Peterson, Biréli Lagrène en furent entre autres les têtes d’affiche.

Les Amis de la Chanson Populaire qui organisent un festival gratuit (financé par la municipalité) pendant l’été ont aussi depuis quelques années proposé, courageusement, une ou deux soirées jazz (ou tout proche) pendant juillet/août.

Une association dénommée La Factory (syndrome New Yorkais!)  a aussi organisé quelques superbes concerts de free et post free (Ethic Heritage Ensemble, Big Four avec Akchoté, Brotzmann Donead, Lazro…) . Devant de maigres publics. Et malheureusement sans suite.

Plus récemment, des bars musicaux comme le « Show Case » (surtout, et de manière remarquable) et l’Imparfait (quelquefois) ont aussi régulièrement (et vaillament !) programmé depuis quelques années des soirées avec de jeunes talents émergents et des « pointures » régionales. Mais avec peu de moyens budgétaires et un public trop souvent « maigrelet ». Les soirées consacrées au blues faisant exception avec des fidèles, regroupés autour d’une « locomotive » talentueuse et charismatique : Nico Wayne Toussaint (voc et harmonica). Nico W.T. vit entre Pau et les USA et il anime, dès qu’il le peut, des « jam sessions » très chaleureuses ouvertes aux musiciens amateurs et débutants.

And now… introducing « Tonnerre de jazz » !

Quoi qu’il en soit (« le passé c’est le passé » comme on dit !) évoquons maintenant, le « renouveau ».

Une toute nouvelle association est née en 2015 :Tonnerre de Jazz.

Cette association a donc décidé d’occuper désormais le terrain laissé vacant depuis trop longtemps par les intégristes, en proposant hardiment (et en même temps prudemment… ce n’est pas incompatible !) un concert de jazz actuel chaque mois.

Des partenariats avec différents salles et lieux de l’agglomération de Pau ont été mis en place. Avantage de la formule : pas de frais de location pour ces théâtres, auditoriums, cinémas, centre culturels et les publics de ces structures sont ainsi invités à découvrir du jazz d’aujourd’hui… La programmation est principalement axée sur des groupes français (une exception en 2017 : Avishai Cohen… le trompettiste) et régionaux de haut niveau, tous engagés dans une démarche créative et originale. Disposant de ressources financières très limitées Tonnerre de Jazz, en s’appuyant sur le « carnet d’adresses » et le « relationnel » de ses dirigeants, demande des « faveurs » aux musiciens… Cachets inférieurs à leurs « tarifs » habituels (à titre exceptionnel, bien sûr, pour aider et accompagner les débuts de l’association) ; logement chez l’habitant (des bénévoles) ; repas sous forme de buffets mitonnés par les membres de l’association…

Une programmation originale et… le public suit

En décembre 2015, après quelques concerts automnaux de « warm up », la venue du superbe quartet « Nomade Sonore » d’Eric Seva, a attiré à Idron (proche banlieue de Pau) plus de 200 personnes et enthousiasmé et « converti » (sans vergogne -contaminé ?- voilà que j’utilise le même vocabulaire que les intégristes du hot club! ) un nouveau public « profane ». Incontestablement le succès de ce concert de Seva a été une belle rampe de lancement pour Tonnerre de Jazz. Le groupe propose une musique épurée et élégante et pourtant vive, dans une formule proche des quartets de Mulligan. Avec des musiciens d’exception dont Daniel Zimmerman tromboniste toujours surprenant et Matthieu Chazarenc batteur musicien et coloriste subtil. Mathieu a étudié la percussion au Conservatoire de Pau et nombre des ses amis de l’époque étaient venus le saluer. Good vibes !

Gardel/RP3. Billère (6/10/2016)

Nicolas Gardel (tp), Remi Panossian (p), Maxime Delporte (b), Frédéric Petitprez  (dr).
La saison 2016/2017 a démarré fort avec le trompettiste Nicolas Gardel accompagné par le trio de Rémi Panossian. Salle pleine à Billère (commune limitrophe de Pau) et une prestation de haut niveau du quartet qui a enchanté les présents. Gardel, sideman de luxe (David Sanborn, ElectroDeluxe…), mène de front différents projets à la tête de plusieurs formations. Il a abandonné (pour cause, entre autres, d’agenda surbooké, mais pas seulement) ses prestations en tant que trompettiste classique (il a appartenu un temps au pupitre de cuivres du prestigieux Orchestre Symphonique du Capitole de Toulouse). Son Headbangers (plutôt funky, pour le dire vite) met le feu partout. L’étonnant multi-saxophoniste de Pulcinella : Ferdinand Doumerc prenant sa très large part dans la dynamique renversante du groupe. Avec ses « ceux qui secouent la tête» Gardel « bouscule les mélodies et fait groover les rythmes » : irrépressibles petits hochements de tête de plaisir dans le public… N. Gardel avec son sextet déjoue les clivages en alliant le vintage au moderne, faisant dialoguer, aux frontières de ces univers, funk, pop music, jazz et électro.

A Billère, Nicolas Gardel a proposé une rencontre inédite avec son ami de longue date, le pianiste Rémi Panossian. Le RP 3 (Rémi Panossian Trio) joue beaucoup : dans le Grand Sud bien sûr (Panossian est originaire de Montpellier) mais aussi à l’étranger. Le trio est inventif, vif. Habituellement il propose une musique qui aime s’ébattre bien au delà du jazz dit moderne : The Bad Plus ou Esbjorn Svensson font partie des territoires visités. Mais pour cette rencontre le parti-pris assumé et totalement maîtrisé fut de jouer avec jubilation autour de grands standards du bop et du hard-bop. Concert superbe avec moult envolées faites de lyrisme et de dextérité (jamais gratuite). Avec de grands moments d’émotion comme ce Bye Bye Blackbird hommage au Miles Davis des années 50, joué avec une sourdine Harmon. Oui, la même que celle de Miles ! Gardel venait d’en trouver une qu’il avait payée « trois francs six sous » ! Il en était encore tout ravi et, en tout cas, il avait vraiment retrouvé le son magique du Miles des 50′.

NB : La sourdine Harmon est une sourdine wah-wah dont on a complètement enlevé le tube ce qui permet d’obtenir un son très fermé et très atténué.

Nicolas Gardel tpNicolas Gardel (Photo Lydia Sanchez)

salut RP3 et NGDe gauche à droite : Remi Panossian, Nicolas Gardel, Maxime Delporte, Frédéric Petitprez (Photo Lydia Sanchez)

Paul Jarret/Projet Emma. Billère (4/11/2016)
Paul Jarret (g), Antonin Tri Hoang  (sax, cl), Hannah Tolf  (voc), Élie Martin-Charrière (dr).

Paul Jarret est souvent venu en Béarn avec son PJ5 (Paul Jarret Quintet). Il y a de nombreux amis et fidèles. PJ5 est un des lauréats de Jazz Migration 2017! Son batteur habituel Ariel Tessier est d’ici et son père, Jean-Claude, après avoir fondé au début des années 80 le Festival d’Oloron est le « promoteur » (et le Président) de Tonnerre de Jazz.

Ariel Tessier (un des meilleurs jeunes batteurs actuels de l’hexagone, Grand prix de soliste du Concours de Jazz de la Défense – rarissime pour un drummer!) ne participe pas au projet Emma.

Paul Jarret est franco-suédois et EMMA est inspiré par le thème de l’immigration suédoise vers les États-Unis au début du 20ème siècle, thème qui entre en résonance avec de nombreuses problématiques contemporaines. Le quartet, sans contrebasse, propose une « musique qui brouille les frontières entre jazz, pop-rock et électronique, s’inspirant de chansons traditionnelles suédoises et de poèmes évoquant l’exil et de mélodies scandinaves » (P.J.).

Ce projet avait été sélectionné par le Centre International des Musiques Nomades de Grenoble et avait été créé suite à une résidence en mars 2015.

Hannah Tolf chanteuse et compositrice suédoise, dirige ses propres groupes et joue dans le monde entier avec de nombreux orchestres comme soliste invitée.

A Billère le groupe « renouait » avec cette création qu’il n’avait pas rejoué depuis plus d’un an. Projet original, complexe, riche, dense, ambitieux. Les musiciens après avoir un peu cherché leurs marques en première partie se détendirent en deuxième partie et le rappel fut magnifique. Hannah Tolf donnant alors toute la mesure de son talent. Avec notamment une grande maîtrise des effets électroniques.

PJfiliPaul Jarret (photo Lydia Sanchez)

Paul Jarret EMMADe gauche à droite : Antonin Tri Hoang, Paul Jarret (g),  Hannah Tolf, Élie Martin-Charrière (dr). Photo Lydia Sanchez.

Moussay/Sclavis Pau (Le Méliès 10/12/2016)

Benjamin Moussay (p), Louis Sclavis (clarinettes)

Carton plein pour le dernier concert de 2016 de Tonnerre de Jazz : la salle du cinéma Le Méliès emplie à ras bord pour accueillir un des duos les plus étonnants de la scène jazz européenne, Moussay/Sclavis.

Benjamin Moussay a des attaches familiales dans la région. Le duo avait consenti des conditions exceptionnelles aux organisateurs dans le cadre d’une mini tournée « Sud Ouest » (Tarbes, Pau, Uzeste). Inspirés par un superbe matériau compositionnel orginal, toujours profondément mélodique, Benjamin et Louis, à tout moment partent dans des direction surprenantes, tout en maîtrisant totalement leur propos. Entre eux, la musique circule naturellement. Chacun répond au quart de tour, sans forcer, aux propositions et stimulations réciproques. Lyrisme et virtuosité, omniprésents, cohabitent superbement. Tensions/détente : un « héritage » du jazz « classique » ? Par des maîtres du jazz actuel! Bingo. Talent, complicité. Louis et Benjamin jouent ensemble depuis longtemps mais toujours avec allégresse et jubilation. Au rappel Louis a invité le palois Francis Lassus à rejoindre le duo. Francis Lassus est un immense batteur au CV plus qu’étonnant : depuis 30 ans il a accompagné les plus grands noms du jazz d’aujourd’hui. Pendant une dizaine d’années (dans les années 90) F. Lassus a joué dans plusieurs groupes de Louis Sclavis, notamment sur le somptueux projet (publié chez ECM) : Les Violences de Rameau. Juste avec un simple tambourin et des percussions de cheville Francis Lassus, sur deux morceaux a emmené, le duo vers un final fort allègre.

sclavis 2

IMG_5393Photos PHA

En fin d’après midi Louis Sclavis, toujours au Méliès, après la projection d’un passionnant documentaire sur Niki De Saint Phalle (Un rêve d’architecte film de Louise Faure et Anne Julien) dont il a composé la bande son, a évoqué, souvent avec humour, les spécificités du travail de composition pour le cinéma. Louis est au générique d’une vingtaine de musiques de films. Liste intégrale sur le site incontournable pour tout savoir sur le cinéma : IMDb.

Ironie de l’histoire : c’est dans cette salle du Méliès que Jacques Morgantini, comme évoqué au début de ce texte, avait fustigé violemment le jazz moderne ! Quarante ans plus tard : un concert de jazz « plus que moderne ! »  a fait le plein et a enchanté le public…

Grace à Tonnerre de Jazz, en cette belle journée du 10 décembre 2016, la vaine et ridicule querelle vrai/faux jazz me semble avoir été enterrée en territoire béarnais. Définitivement ? On le souhaite. Vraiment.

Pierre-Henri Ardonceau

Les concerts 2017 à venir

21 janvier : FLORIAN MARQUES QUINTET

17 février : ANNE PACEO QUARTET « Circles »

9/10/11 mars : FESTIVAL TONNERRE DE JAZZ
TREMPLIN DE JEUNES FORMATIONS (le 9)
– ANNE QUILLIER SEXTET (le 10)

CRITICAL QUARTET EXPERIENCE (Lauréat du Tremplin TDJ 2016)
et DANIEL ZIMMERMANN QUARTET (le 11)

4 avril : AVISHAI COHEN QUINTET

19 mai : SARAH LENKA “Sarah sings Bessie Smith”

10 juin : UN POCO LOCO (Lauréat de Jazz Migration 2016)|Longtemps. Très (trop!) longtemps, Pau fut une terre de mission pour les intégristes du « vrai » jazz. Une jeune association (Tonnerre De Jazz), née en 2015, s’est donné comme objectif de programmer une dizaine de fois par an du jazz actuel. Enfin !

Un peu d’histoire… (et quelques souvenirs étonnants)

Après la seconde guerre mondiale, le petit monde du jazz a connu sa bataille d’Hernani. La naissance du be-bop avec Charlie Parker, Miles Davis, Dizzy Gillespie et Thelonious Monk (entre autres) généra un schisme violent. La bataille fut rude : d’un côté ceux qui décidèrent que le jazz moderne n’était pas du « vrai » jazz, de l’autre ceux qui s’enthousiasmèrent pour ce nouveau jazz. Les « figues moisies » contre les « raisins verts » selon la belle formule de Boris Vian.

Sous la houlette d’Hugues Panassié (surnommé le « Pape de Montauban ») de nombreux Hot Club se créèrent un peu partout en France pour défendre le « vrai » jazz. Dans les années 50 et 60 sur l’ensemble du territoire ces Hot Clubs eurent des dizaines de milliers d’adhérents. Dynamiques et portés par leur « foi » ils organisaient moult concerts et causeries pour diffuser leurs dogmes : « Le jazz moderne ce n’est pas du jazz car il ne respecte pas les canons du jazz swing », « Le be-bop est une musique de laboratoire… il ne doit donc pas sortir de ses laboratoires ! », etc.

Dans de nombreuses villes leurs concerts (généralement remarquables d’ailleurs) programmant les grands noms du jazz classique, drainaient des auditoires imposants. Limoges et Pau (entre autres) furent jusque dans les années 80 des bastions puissants de diffusion de ce jazz « hot » (aussi dénommé dans les encyclopédies jazz classique ou mainstream). Dans chacune de ces villes des lieutenants zélés et entreprenants de Panassié organisaient de grandes messes de « pur » jazz qui enthousiasmaient de très nombreux fidèles. A Pau quelques téméraires (et inconscients) amateurs tentèrent très ponctuellement, pendant cet âge d’or du Hot Club local, d’organiser quelques concerts de jazz moderne… Une puissante machine de guerre « hot clubienne » se mettait alors en marche pour organiser la contre-offensive. Médias et notables locaux étaient entièrement acquis à la cause du Hot Club de Pau (fort de ses très nombreux adhérents) et participaient à la fustigation des infidèles et mécréants : boycott des concerts de « faux » jazz, manifestations « anti jazz-moderne » étaient organisées par le Hot Club Palois!

Arrivé à Pau en 1973 je fus éberlué par cette situation. Lucien Malson, que j’avais informé de ce qui se passait dans la capitale du Bearn, m’invita dans une de ses émissions hebdomadaires sur France Culture pour évoquer ces derniers territoires d’intégrisme jazziste provincial… Dans un quotidien palois, suite à la diffusion de cette émission, je fus traité par le Président du Hot Club de Pau de « Jeune blanc bec, totalement inculte… ».

Depuis les années 90 ces concerts de « pur » jazz classique ont disparu de la scène musicale paloise (et d’ailleurs aussi) : la plupart des grands maîtres du jazz classique étant décédés, il était devenu impossible pour les Hot Clubs d’organiser de grands concerts populaires axés uniquement sur ce style de jazz.

Pour en terminer avec ce (trop !) long préambule : évocation de deux souvenirs, assez incroyables, mais vraiment édifiants.

Marc Allibert excellent guitariste palois dans la lignée de Wes Montgomery avait organisé, dans les années 70, un concert dans la salle des fêtes d’un hôtel palois. La (toute) petite centaine de spectateurs intéressés fut accueillie par une haie de « déshonneur » : des adhérents du HCP houspillaient les entrants aux cris de : « Il faut que vous sachiez que ce concert n’est pas du vrai jazz… C’est une escroquerie… Une usurpation du mot jazz ».

Une autre fois lors d’une projection de superbes vieilles bobines en noir et blanc dans un cinéma palois après une séquence où l’on entendait Count Basie, Thelonious Monk présent près du piano, est invité par Count à jouer… Dans le noir, depuis sa place, le Président du Hot Club Palois, Jacques Morgantini, s’est alors levé et avec une voix de stentor a déclaré : « Mesdames Messieurs ce que vous allez entendre maintenant lors de ce passage du film, que nous n’avons pas pu couper, n’est pas du vrai jazz. Thelonious Monk n’est pas un jazzman » !

Etonnant non ! Comme aurait dit le regretté Pierre Desproges.

De 1985 à 2015… un paysage quasi désertique pour les « grands » concerts de jazz à Pau

Alors que dans deux villes moyennes (Oloron et Orthez) et dans une toute petite commune (Marciac), toutes 3 situées à proximité de Pau, des festivals de jazz à la programmation ouverte (pour Marciac ce ne fut pas immédiat car les premières années furent consacrées au jazz traditionnel) sont apparus à partir des années 80, à Pau, après la fin des grandes messes populaires « hotclubiennes », la vie jazziste était devenue un quasi désert. A l’exception de quelques programmations et tentatives ponctuelles, intéressantes et courageuses, mais généralement sans lendemain.

Une belle initiative : le Guitar Master proposa pendant quelques années (de 1989 à 2000) de beaux concerts mais sans jamais avoir réussi à fixer un public conséquent permettant la survie financière de cet intéressant festival. John Mc Laughlin, John Pizarelli, Lucky Peterson, Biréli Lagrène en furent entre autres les têtes d’affiche.

Les Amis de la Chanson Populaire qui organisent un festival gratuit (financé par la municipalité) pendant l’été ont aussi depuis quelques années proposé, courageusement, une ou deux soirées jazz (ou tout proche) pendant juillet/août.

Une association dénommée La Factory (syndrome New Yorkais!)  a aussi organisé quelques superbes concerts de free et post free (Ethic Heritage Ensemble, Big Four avec Akchoté, Brotzmann Donead, Lazro…) . Devant de maigres publics. Et malheureusement sans suite.

Plus récemment, des bars musicaux comme le « Show Case » (surtout, et de manière remarquable) et l’Imparfait (quelquefois) ont aussi régulièrement (et vaillament !) programmé depuis quelques années des soirées avec de jeunes talents émergents et des « pointures » régionales. Mais avec peu de moyens budgétaires et un public trop souvent « maigrelet ». Les soirées consacrées au blues faisant exception avec des fidèles, regroupés autour d’une « locomotive » talentueuse et charismatique : Nico Wayne Toussaint (voc et harmonica). Nico W.T. vit entre Pau et les USA et il anime, dès qu’il le peut, des « jam sessions » très chaleureuses ouvertes aux musiciens amateurs et débutants.

And now… introducing « Tonnerre de jazz » !

Quoi qu’il en soit (« le passé c’est le passé » comme on dit !) évoquons maintenant, le « renouveau ».

Une toute nouvelle association est née en 2015 :Tonnerre de Jazz.

Cette association a donc décidé d’occuper désormais le terrain laissé vacant depuis trop longtemps par les intégristes, en proposant hardiment (et en même temps prudemment… ce n’est pas incompatible !) un concert de jazz actuel chaque mois.

Des partenariats avec différents salles et lieux de l’agglomération de Pau ont été mis en place. Avantage de la formule : pas de frais de location pour ces théâtres, auditoriums, cinémas, centre culturels et les publics de ces structures sont ainsi invités à découvrir du jazz d’aujourd’hui… La programmation est principalement axée sur des groupes français (une exception en 2017 : Avishai Cohen… le trompettiste) et régionaux de haut niveau, tous engagés dans une démarche créative et originale. Disposant de ressources financières très limitées Tonnerre de Jazz, en s’appuyant sur le « carnet d’adresses » et le « relationnel » de ses dirigeants, demande des « faveurs » aux musiciens… Cachets inférieurs à leurs « tarifs » habituels (à titre exceptionnel, bien sûr, pour aider et accompagner les débuts de l’association) ; logement chez l’habitant (des bénévoles) ; repas sous forme de buffets mitonnés par les membres de l’association…

Une programmation originale et… le public suit

En décembre 2015, après quelques concerts automnaux de « warm up », la venue du superbe quartet « Nomade Sonore » d’Eric Seva, a attiré à Idron (proche banlieue de Pau) plus de 200 personnes et enthousiasmé et « converti » (sans vergogne -contaminé ?- voilà que j’utilise le même vocabulaire que les intégristes du hot club! ) un nouveau public « profane ». Incontestablement le succès de ce concert de Seva a été une belle rampe de lancement pour Tonnerre de Jazz. Le groupe propose une musique épurée et élégante et pourtant vive, dans une formule proche des quartets de Mulligan. Avec des musiciens d’exception dont Daniel Zimmerman tromboniste toujours surprenant et Matthieu Chazarenc batteur musicien et coloriste subtil. Mathieu a étudié la percussion au Conservatoire de Pau et nombre des ses amis de l’époque étaient venus le saluer. Good vibes !

Gardel/RP3. Billère (6/10/2016)

Nicolas Gardel (tp), Remi Panossian (p), Maxime Delporte (b), Frédéric Petitprez  (dr).
La saison 2016/2017 a démarré fort avec le trompettiste Nicolas Gardel accompagné par le trio de Rémi Panossian. Salle pleine à Billère (commune limitrophe de Pau) et une prestation de haut niveau du quartet qui a enchanté les présents. Gardel, sideman de luxe (David Sanborn, ElectroDeluxe…), mène de front différents projets à la tête de plusieurs formations. Il a abandonné (pour cause, entre autres, d’agenda surbooké, mais pas seulement) ses prestations en tant que trompettiste classique (il a appartenu un temps au pupitre de cuivres du prestigieux Orchestre Symphonique du Capitole de Toulouse). Son Headbangers (plutôt funky, pour le dire vite) met le feu partout. L’étonnant multi-saxophoniste de Pulcinella : Ferdinand Doumerc prenant sa très large part dans la dynamique renversante du groupe. Avec ses « ceux qui secouent la tête» Gardel « bouscule les mélodies et fait groover les rythmes » : irrépressibles petits hochements de tête de plaisir dans le public… N. Gardel avec son sextet déjoue les clivages en alliant le vintage au moderne, faisant dialoguer, aux frontières de ces univers, funk, pop music, jazz et électro.

A Billère, Nicolas Gardel a proposé une rencontre inédite avec son ami de longue date, le pianiste Rémi Panossian. Le RP 3 (Rémi Panossian Trio) joue beaucoup : dans le Grand Sud bien sûr (Panossian est originaire de Montpellier) mais aussi à l’étranger. Le trio est inventif, vif. Habituellement il propose une musique qui aime s’ébattre bien au delà du jazz dit moderne : The Bad Plus ou Esbjorn Svensson font partie des territoires visités. Mais pour cette rencontre le parti-pris assumé et totalement maîtrisé fut de jouer avec jubilation autour de grands standards du bop et du hard-bop. Concert superbe avec moult envolées faites de lyrisme et de dextérité (jamais gratuite). Avec de grands moments d’émotion comme ce Bye Bye Blackbird hommage au Miles Davis des années 50, joué avec une sourdine Harmon. Oui, la même que celle de Miles ! Gardel venait d’en trouver une qu’il avait payée « trois francs six sous » ! Il en était encore tout ravi et, en tout cas, il avait vraiment retrouvé le son magique du Miles des 50′.

NB : La sourdine Harmon est une sourdine wah-wah dont on a complètement enlevé le tube ce qui permet d’obtenir un son très fermé et très atténué.

Nicolas Gardel tpNicolas Gardel (Photo Lydia Sanchez)

salut RP3 et NGDe gauche à droite : Remi Panossian, Nicolas Gardel, Maxime Delporte, Frédéric Petitprez (Photo Lydia Sanchez)

Paul Jarret/Projet Emma. Billère (4/11/2016)
Paul Jarret (g), Antonin Tri Hoang  (sax, cl), Hannah Tolf  (voc), Élie Martin-Charrière (dr).

Paul Jarret est souvent venu en Béarn avec son PJ5 (Paul Jarret Quintet). Il y a de nombreux amis et fidèles. PJ5 est un des lauréats de Jazz Migration 2017! Son batteur habituel Ariel Tessier est d’ici et son père, Jean-Claude, après avoir fondé au début des années 80 le Festival d’Oloron est le « promoteur » (et le Président) de Tonnerre de Jazz.

Ariel Tessier (un des meilleurs jeunes batteurs actuels de l’hexagone, Grand prix de soliste du Concours de Jazz de la Défense – rarissime pour un drummer!) ne participe pas au projet Emma.

Paul Jarret est franco-suédois et EMMA est inspiré par le thème de l’immigration suédoise vers les États-Unis au début du 20ème siècle, thème qui entre en résonance avec de nombreuses problématiques contemporaines. Le quartet, sans contrebasse, propose une « musique qui brouille les frontières entre jazz, pop-rock et électronique, s’inspirant de chansons traditionnelles suédoises et de poèmes évoquant l’exil et de mélodies scandinaves » (P.J.).

Ce projet avait été sélectionné par le Centre International des Musiques Nomades de Grenoble et avait été créé suite à une résidence en mars 2015.

Hannah Tolf chanteuse et compositrice suédoise, dirige ses propres groupes et joue dans le monde entier avec de nombreux orchestres comme soliste invitée.

A Billère le groupe « renouait » avec cette création qu’il n’avait pas rejoué depuis plus d’un an. Projet original, complexe, riche, dense, ambitieux. Les musiciens après avoir un peu cherché leurs marques en première partie se détendirent en deuxième partie et le rappel fut magnifique. Hannah Tolf donnant alors toute la mesure de son talent. Avec notamment une grande maîtrise des effets électroniques.

PJfiliPaul Jarret (photo Lydia Sanchez)

Paul Jarret EMMADe gauche à droite : Antonin Tri Hoang, Paul Jarret (g),  Hannah Tolf, Élie Martin-Charrière (dr). Photo Lydia Sanchez.

Moussay/Sclavis Pau (Le Méliès 10/12/2016)

Benjamin Moussay (p), Louis Sclavis (clarinettes)

Carton plein pour le dernier concert de 2016 de Tonnerre de Jazz : la salle du cinéma Le Méliès emplie à ras bord pour accueillir un des duos les plus étonnants de la scène jazz européenne, Moussay/Sclavis.

Benjamin Moussay a des attaches familiales dans la région. Le duo avait consenti des conditions exceptionnelles aux organisateurs dans le cadre d’une mini tournée « Sud Ouest » (Tarbes, Pau, Uzeste). Inspirés par un superbe matériau compositionnel orginal, toujours profondément mélodique, Benjamin et Louis, à tout moment partent dans des direction surprenantes, tout en maîtrisant totalement leur propos. Entre eux, la musique circule naturellement. Chacun répond au quart de tour, sans forcer, aux propositions et stimulations réciproques. Lyrisme et virtuosité, omniprésents, cohabitent superbement. Tensions/détente : un « héritage » du jazz « classique » ? Par des maîtres du jazz actuel! Bingo. Talent, complicité. Louis et Benjamin jouent ensemble depuis longtemps mais toujours avec allégresse et jubilation. Au rappel Louis a invité le palois Francis Lassus à rejoindre le duo. Francis Lassus est un immense batteur au CV plus qu’étonnant : depuis 30 ans il a accompagné les plus grands noms du jazz d’aujourd’hui. Pendant une dizaine d’années (dans les années 90) F. Lassus a joué dans plusieurs groupes de Louis Sclavis, notamment sur le somptueux projet (publié chez ECM) : Les Violences de Rameau. Juste avec un simple tambourin et des percussions de cheville Francis Lassus, sur deux morceaux a emmené, le duo vers un final fort allègre.

sclavis 2

IMG_5393Photos PHA

En fin d’après midi Louis Sclavis, toujours au Méliès, après la projection d’un passionnant documentaire sur Niki De Saint Phalle (Un rêve d’architecte film de Louise Faure et Anne Julien) dont il a composé la bande son, a évoqué, souvent avec humour, les spécificités du travail de composition pour le cinéma. Louis est au générique d’une vingtaine de musiques de films. Liste intégrale sur le site incontournable pour tout savoir sur le cinéma : IMDb.

Ironie de l’histoire : c’est dans cette salle du Méliès que Jacques Morgantini, comme évoqué au début de ce texte, avait fustigé violemment le jazz moderne ! Quarante ans plus tard : un concert de jazz « plus que moderne ! »  a fait le plein et a enchanté le public…

Grace à Tonnerre de Jazz, en cette belle journée du 10 décembre 2016, la vaine et ridicule querelle vrai/faux jazz me semble avoir été enterrée en territoire béarnais. Définitivement ? On le souhaite. Vraiment.

Pierre-Henri Ardonceau

Les concerts 2017 à venir

21 janvier : FLORIAN MARQUES QUINTET

17 février : ANNE PACEO QUARTET « Circles »

9/10/11 mars : FESTIVAL TONNERRE DE JAZZ
TREMPLIN DE JEUNES FORMATIONS (le 9)
– ANNE QUILLIER SEXTET (le 10)

CRITICAL QUARTET EXPERIENCE (Lauréat du Tremplin TDJ 2016)
et DANIEL ZIMMERMANN QUARTET (le 11)

4 avril : AVISHAI COHEN QUINTET

19 mai : SARAH LENKA “Sarah sings Bessie Smith”

10 juin : UN POCO LOCO (Lauréat de Jazz Migration 2016)|Longtemps. Très (trop!) longtemps, Pau fut une terre de mission pour les intégristes du « vrai » jazz. Une jeune association (Tonnerre De Jazz), née en 2015, s’est donné comme objectif de programmer une dizaine de fois par an du jazz actuel. Enfin !

Un peu d’histoire… (et quelques souvenirs étonnants)

Après la seconde guerre mondiale, le petit monde du jazz a connu sa bataille d’Hernani. La naissance du be-bop avec Charlie Parker, Miles Davis, Dizzy Gillespie et Thelonious Monk (entre autres) généra un schisme violent. La bataille fut rude : d’un côté ceux qui décidèrent que le jazz moderne n’était pas du « vrai » jazz, de l’autre ceux qui s’enthousiasmèrent pour ce nouveau jazz. Les « figues moisies » contre les « raisins verts » selon la belle formule de Boris Vian.

Sous la houlette d’Hugues Panassié (surnommé le « Pape de Montauban ») de nombreux Hot Club se créèrent un peu partout en France pour défendre le « vrai » jazz. Dans les années 50 et 60 sur l’ensemble du territoire ces Hot Clubs eurent des dizaines de milliers d’adhérents. Dynamiques et portés par leur « foi » ils organisaient moult concerts et causeries pour diffuser leurs dogmes : « Le jazz moderne ce n’est pas du jazz car il ne respecte pas les canons du jazz swing », « Le be-bop est une musique de laboratoire… il ne doit donc pas sortir de ses laboratoires ! », etc.

Dans de nombreuses villes leurs concerts (généralement remarquables d’ailleurs) programmant les grands noms du jazz classique, drainaient des auditoires imposants. Limoges et Pau (entre autres) furent jusque dans les années 80 des bastions puissants de diffusion de ce jazz « hot » (aussi dénommé dans les encyclopédies jazz classique ou mainstream). Dans chacune de ces villes des lieutenants zélés et entreprenants de Panassié organisaient de grandes messes de « pur » jazz qui enthousiasmaient de très nombreux fidèles. A Pau quelques téméraires (et inconscients) amateurs tentèrent très ponctuellement, pendant cet âge d’or du Hot Club local, d’organiser quelques concerts de jazz moderne… Une puissante machine de guerre « hot clubienne » se mettait alors en marche pour organiser la contre-offensive. Médias et notables locaux étaient entièrement acquis à la cause du Hot Club de Pau (fort de ses très nombreux adhérents) et participaient à la fustigation des infidèles et mécréants : boycott des concerts de « faux » jazz, manifestations « anti jazz-moderne » étaient organisées par le Hot Club Palois!

Arrivé à Pau en 1973 je fus éberlué par cette situation. Lucien Malson, que j’avais informé de ce qui se passait dans la capitale du Bearn, m’invita dans une de ses émissions hebdomadaires sur France Culture pour évoquer ces derniers territoires d’intégrisme jazziste provincial… Dans un quotidien palois, suite à la diffusion de cette émission, je fus traité par le Président du Hot Club de Pau de « Jeune blanc bec, totalement inculte… ».

Depuis les années 90 ces concerts de « pur » jazz classique ont disparu de la scène musicale paloise (et d’ailleurs aussi) : la plupart des grands maîtres du jazz classique étant décédés, il était devenu impossible pour les Hot Clubs d’organiser de grands concerts populaires axés uniquement sur ce style de jazz.

Pour en terminer avec ce (trop !) long préambule : évocation de deux souvenirs, assez incroyables, mais vraiment édifiants.

Marc Allibert excellent guitariste palois dans la lignée de Wes Montgomery avait organisé, dans les années 70, un concert dans la salle des fêtes d’un hôtel palois. La (toute) petite centaine de spectateurs intéressés fut accueillie par une haie de « déshonneur » : des adhérents du HCP houspillaient les entrants aux cris de : « Il faut que vous sachiez que ce concert n’est pas du vrai jazz… C’est une escroquerie… Une usurpation du mot jazz ».

Une autre fois lors d’une projection de superbes vieilles bobines en noir et blanc dans un cinéma palois après une séquence où l’on entendait Count Basie, Thelonious Monk présent près du piano, est invité par Count à jouer… Dans le noir, depuis sa place, le Président du Hot Club Palois, Jacques Morgantini, s’est alors levé et avec une voix de stentor a déclaré : « Mesdames Messieurs ce que vous allez entendre maintenant lors de ce passage du film, que nous n’avons pas pu couper, n’est pas du vrai jazz. Thelonious Monk n’est pas un jazzman » !

Etonnant non ! Comme aurait dit le regretté Pierre Desproges.

De 1985 à 2015… un paysage quasi désertique pour les « grands » concerts de jazz à Pau

Alors que dans deux villes moyennes (Oloron et Orthez) et dans une toute petite commune (Marciac), toutes 3 situées à proximité de Pau, des festivals de jazz à la programmation ouverte (pour Marciac ce ne fut pas immédiat car les premières années furent consacrées au jazz traditionnel) sont apparus à partir des années 80, à Pau, après la fin des grandes messes populaires « hotclubiennes », la vie jazziste était devenue un quasi désert. A l’exception de quelques programmations et tentatives ponctuelles, intéressantes et courageuses, mais généralement sans lendemain.

Une belle initiative : le Guitar Master proposa pendant quelques années (de 1989 à 2000) de beaux concerts mais sans jamais avoir réussi à fixer un public conséquent permettant la survie financière de cet intéressant festival. John Mc Laughlin, John Pizarelli, Lucky Peterson, Biréli Lagrène en furent entre autres les têtes d’affiche.

Les Amis de la Chanson Populaire qui organisent un festival gratuit (financé par la municipalité) pendant l’été ont aussi depuis quelques années proposé, courageusement, une ou deux soirées jazz (ou tout proche) pendant juillet/août.

Une association dénommée La Factory (syndrome New Yorkais!)  a aussi organisé quelques superbes concerts de free et post free (Ethic Heritage Ensemble, Big Four avec Akchoté, Brotzmann Donead, Lazro…) . Devant de maigres publics. Et malheureusement sans suite.

Plus récemment, des bars musicaux comme le « Show Case » (surtout, et de manière remarquable) et l’Imparfait (quelquefois) ont aussi régulièrement (et vaillament !) programmé depuis quelques années des soirées avec de jeunes talents émergents et des « pointures » régionales. Mais avec peu de moyens budgétaires et un public trop souvent « maigrelet ». Les soirées consacrées au blues faisant exception avec des fidèles, regroupés autour d’une « locomotive » talentueuse et charismatique : Nico Wayne Toussaint (voc et harmonica). Nico W.T. vit entre Pau et les USA et il anime, dès qu’il le peut, des « jam sessions » très chaleureuses ouvertes aux musiciens amateurs et débutants.

And now… introducing « Tonnerre de jazz » !

Quoi qu’il en soit (« le passé c’est le passé » comme on dit !) évoquons maintenant, le « renouveau ».

Une toute nouvelle association est née en 2015 :Tonnerre de Jazz.

Cette association a donc décidé d’occuper désormais le terrain laissé vacant depuis trop longtemps par les intégristes, en proposant hardiment (et en même temps prudemment… ce n’est pas incompatible !) un concert de jazz actuel chaque mois.

Des partenariats avec différents salles et lieux de l’agglomération de Pau ont été mis en place. Avantage de la formule : pas de frais de location pour ces théâtres, auditoriums, cinémas, centre culturels et les publics de ces structures sont ainsi invités à découvrir du jazz d’aujourd’hui… La programmation est principalement axée sur des groupes français (une exception en 2017 : Avishai Cohen… le trompettiste) et régionaux de haut niveau, tous engagés dans une démarche créative et originale. Disposant de ressources financières très limitées Tonnerre de Jazz, en s’appuyant sur le « carnet d’adresses » et le « relationnel » de ses dirigeants, demande des « faveurs » aux musiciens… Cachets inférieurs à leurs « tarifs » habituels (à titre exceptionnel, bien sûr, pour aider et accompagner les débuts de l’association) ; logement chez l’habitant (des bénévoles) ; repas sous forme de buffets mitonnés par les membres de l’association…

Une programmation originale et… le public suit

En décembre 2015, après quelques concerts automnaux de « warm up », la venue du superbe quartet « Nomade Sonore » d’Eric Seva, a attiré à Idron (proche banlieue de Pau) plus de 200 personnes et enthousiasmé et « converti » (sans vergogne -contaminé ?- voilà que j’utilise le même vocabulaire que les intégristes du hot club! ) un nouveau public « profane ». Incontestablement le succès de ce concert de Seva a été une belle rampe de lancement pour Tonnerre de Jazz. Le groupe propose une musique épurée et élégante et pourtant vive, dans une formule proche des quartets de Mulligan. Avec des musiciens d’exception dont Daniel Zimmerman tromboniste toujours surprenant et Matthieu Chazarenc batteur musicien et coloriste subtil. Mathieu a étudié la percussion au Conservatoire de Pau et nombre des ses amis de l’époque étaient venus le saluer. Good vibes !

Gardel/RP3. Billère (6/10/2016)

Nicolas Gardel (tp), Remi Panossian (p), Maxime Delporte (b), Frédéric Petitprez  (dr).
La saison 2016/2017 a démarré fort avec le trompettiste Nicolas Gardel accompagné par le trio de Rémi Panossian. Salle pleine à Billère (commune limitrophe de Pau) et une prestation de haut niveau du quartet qui a enchanté les présents. Gardel, sideman de luxe (David Sanborn, ElectroDeluxe…), mène de front différents projets à la tête de plusieurs formations. Il a abandonné (pour cause, entre autres, d’agenda surbooké, mais pas seulement) ses prestations en tant que trompettiste classique (il a appartenu un temps au pupitre de cuivres du prestigieux Orchestre Symphonique du Capitole de Toulouse). Son Headbangers (plutôt funky, pour le dire vite) met le feu partout. L’étonnant multi-saxophoniste de Pulcinella : Ferdinand Doumerc prenant sa très large part dans la dynamique renversante du groupe. Avec ses « ceux qui secouent la tête» Gardel « bouscule les mélodies et fait groover les rythmes » : irrépressibles petits hochements de tête de plaisir dans le public… N. Gardel avec son sextet déjoue les clivages en alliant le vintage au moderne, faisant dialoguer, aux frontières de ces univers, funk, pop music, jazz et électro.

A Billère, Nicolas Gardel a proposé une rencontre inédite avec son ami de longue date, le pianiste Rémi Panossian. Le RP 3 (Rémi Panossian Trio) joue beaucoup : dans le Grand Sud bien sûr (Panossian est originaire de Montpellier) mais aussi à l’étranger. Le trio est inventif, vif. Habituellement il propose une musique qui aime s’ébattre bien au delà du jazz dit moderne : The Bad Plus ou Esbjorn Svensson font partie des territoires visités. Mais pour cette rencontre le parti-pris assumé et totalement maîtrisé fut de jouer avec jubilation autour de grands standards du bop et du hard-bop. Concert superbe avec moult envolées faites de lyrisme et de dextérité (jamais gratuite). Avec de grands moments d’émotion comme ce Bye Bye Blackbird hommage au Miles Davis des années 50, joué avec une sourdine Harmon. Oui, la même que celle de Miles ! Gardel venait d’en trouver une qu’il avait payée « trois francs six sous » ! Il en était encore tout ravi et, en tout cas, il avait vraiment retrouvé le son magique du Miles des 50′.

NB : La sourdine Harmon est une sourdine wah-wah dont on a complètement enlevé le tube ce qui permet d’obtenir un son très fermé et très atténué.

Nicolas Gardel tpNicolas Gardel (Photo Lydia Sanchez)

salut RP3 et NGDe gauche à droite : Remi Panossian, Nicolas Gardel, Maxime Delporte, Frédéric Petitprez (Photo Lydia Sanchez)

Paul Jarret/Projet Emma. Billère (4/11/2016)
Paul Jarret (g), Antonin Tri Hoang  (sax, cl), Hannah Tolf  (voc), Élie Martin-Charrière (dr).

Paul Jarret est souvent venu en Béarn avec son PJ5 (Paul Jarret Quintet). Il y a de nombreux amis et fidèles. PJ5 est un des lauréats de Jazz Migration 2017! Son batteur habituel Ariel Tessier est d’ici et son père, Jean-Claude, après avoir fondé au début des années 80 le Festival d’Oloron est le « promoteur » (et le Président) de Tonnerre de Jazz.

Ariel Tessier (un des meilleurs jeunes batteurs actuels de l’hexagone, Grand prix de soliste du Concours de Jazz de la Défense – rarissime pour un drummer!) ne participe pas au projet Emma.

Paul Jarret est franco-suédois et EMMA est inspiré par le thème de l’immigration suédoise vers les États-Unis au début du 20ème siècle, thème qui entre en résonance avec de nombreuses problématiques contemporaines. Le quartet, sans contrebasse, propose une « musique qui brouille les frontières entre jazz, pop-rock et électronique, s’inspirant de chansons traditionnelles suédoises et de poèmes évoquant l’exil et de mélodies scandinaves » (P.J.).

Ce projet avait été sélectionné par le Centre International des Musiques Nomades de Grenoble et avait été créé suite à une résidence en mars 2015.

Hannah Tolf chanteuse et compositrice suédoise, dirige ses propres groupes et joue dans le monde entier avec de nombreux orchestres comme soliste invitée.

A Billère le groupe « renouait » avec cette création qu’il n’avait pas rejoué depuis plus d’un an. Projet original, complexe, riche, dense, ambitieux. Les musiciens après avoir un peu cherché leurs marques en première partie se détendirent en deuxième partie et le rappel fut magnifique. Hannah Tolf donnant alors toute la mesure de son talent. Avec notamment une grande maîtrise des effets électroniques.

PJfiliPaul Jarret (photo Lydia Sanchez)

Paul Jarret EMMADe gauche à droite : Antonin Tri Hoang, Paul Jarret (g),  Hannah Tolf, Élie Martin-Charrière (dr). Photo Lydia Sanchez.

Moussay/Sclavis Pau (Le Méliès 10/12/2016)

Benjamin Moussay (p), Louis Sclavis (clarinettes)

Carton plein pour le dernier concert de 2016 de Tonnerre de Jazz : la salle du cinéma Le Méliès emplie à ras bord pour accueillir un des duos les plus étonnants de la scène jazz européenne, Moussay/Sclavis.

Benjamin Moussay a des attaches familiales dans la région. Le duo avait consenti des conditions exceptionnelles aux organisateurs dans le cadre d’une mini tournée « Sud Ouest » (Tarbes, Pau, Uzeste). Inspirés par un superbe matériau compositionnel orginal, toujours profondément mélodique, Benjamin et Louis, à tout moment partent dans des direction surprenantes, tout en maîtrisant totalement leur propos. Entre eux, la musique circule naturellement. Chacun répond au quart de tour, sans forcer, aux propositions et stimulations réciproques. Lyrisme et virtuosité, omniprésents, cohabitent superbement. Tensions/détente : un « héritage » du jazz « classique » ? Par des maîtres du jazz actuel! Bingo. Talent, complicité. Louis et Benjamin jouent ensemble depuis longtemps mais toujours avec allégresse et jubilation. Au rappel Louis a invité le palois Francis Lassus à rejoindre le duo. Francis Lassus est un immense batteur au CV plus qu’étonnant : depuis 30 ans il a accompagné les plus grands noms du jazz d’aujourd’hui. Pendant une dizaine d’années (dans les années 90) F. Lassus a joué dans plusieurs groupes de Louis Sclavis, notamment sur le somptueux projet (publié chez ECM) : Les Violences de Rameau. Juste avec un simple tambourin et des percussions de cheville Francis Lassus, sur deux morceaux a emmené, le duo vers un final fort allègre.

sclavis 2

IMG_5393Photos PHA

En fin d’après midi Louis Sclavis, toujours au Méliès, après la projection d’un passionnant documentaire sur Niki De Saint Phalle (Un rêve d’architecte film de Louise Faure et Anne Julien) dont il a composé la bande son, a évoqué, souvent avec humour, les spécificités du travail de composition pour le cinéma. Louis est au générique d’une vingtaine de musiques de films. Liste intégrale sur le site incontournable pour tout savoir sur le cinéma : IMDb.

Ironie de l’histoire : c’est dans cette salle du Méliès que Jacques Morgantini, comme évoqué au début de ce texte, avait fustigé violemment le jazz moderne ! Quarante ans plus tard : un concert de jazz « plus que moderne ! »  a fait le plein et a enchanté le public…

Grace à Tonnerre de Jazz, en cette belle journée du 10 décembre 2016, la vaine et ridicule querelle vrai/faux jazz me semble avoir été enterrée en territoire béarnais. Définitivement ? On le souhaite. Vraiment.

Pierre-Henri Ardonceau

Les concerts 2017 à venir

21 janvier : FLORIAN MARQUES QUINTET

17 février : ANNE PACEO QUARTET « Circles »

9/10/11 mars : FESTIVAL TONNERRE DE JAZZ
TREMPLIN DE JEUNES FORMATIONS (le 9)
– ANNE QUILLIER SEXTET (le 10)

CRITICAL QUARTET EXPERIENCE (Lauréat du Tremplin TDJ 2016)
et DANIEL ZIMMERMANN QUARTET (le 11)

4 avril : AVISHAI COHEN QUINTET

19 mai : SARAH LENKA “Sarah sings Bessie Smith”

10 juin : UN POCO LOCO (Lauréat de Jazz Migration 2016)|Longtemps. Très (trop!) longtemps, Pau fut une terre de mission pour les intégristes du « vrai » jazz. Une jeune association (Tonnerre De Jazz), née en 2015, s’est donné comme objectif de programmer une dizaine de fois par an du jazz actuel. Enfin !

Un peu d’histoire… (et quelques souvenirs étonnants)

Après la seconde guerre mondiale, le petit monde du jazz a connu sa bataille d’Hernani. La naissance du be-bop avec Charlie Parker, Miles Davis, Dizzy Gillespie et Thelonious Monk (entre autres) généra un schisme violent. La bataille fut rude : d’un côté ceux qui décidèrent que le jazz moderne n’était pas du « vrai » jazz, de l’autre ceux qui s’enthousiasmèrent pour ce nouveau jazz. Les « figues moisies » contre les « raisins verts » selon la belle formule de Boris Vian.

Sous la houlette d’Hugues Panassié (surnommé le « Pape de Montauban ») de nombreux Hot Club se créèrent un peu partout en France pour défendre le « vrai » jazz. Dans les années 50 et 60 sur l’ensemble du territoire ces Hot Clubs eurent des dizaines de milliers d’adhérents. Dynamiques et portés par leur « foi » ils organisaient moult concerts et causeries pour diffuser leurs dogmes : « Le jazz moderne ce n’est pas du jazz car il ne respecte pas les canons du jazz swing », « Le be-bop est une musique de laboratoire… il ne doit donc pas sortir de ses laboratoires ! », etc.

Dans de nombreuses villes leurs concerts (généralement remarquables d’ailleurs) programmant les grands noms du jazz classique, drainaient des auditoires imposants. Limoges et Pau (entre autres) furent jusque dans les années 80 des bastions puissants de diffusion de ce jazz « hot » (aussi dénommé dans les encyclopédies jazz classique ou mainstream). Dans chacune de ces villes des lieutenants zélés et entreprenants de Panassié organisaient de grandes messes de « pur » jazz qui enthousiasmaient de très nombreux fidèles. A Pau quelques téméraires (et inconscients) amateurs tentèrent très ponctuellement, pendant cet âge d’or du Hot Club local, d’organiser quelques concerts de jazz moderne… Une puissante machine de guerre « hot clubienne » se mettait alors en marche pour organiser la contre-offensive. Médias et notables locaux étaient entièrement acquis à la cause du Hot Club de Pau (fort de ses très nombreux adhérents) et participaient à la fustigation des infidèles et mécréants : boycott des concerts de « faux » jazz, manifestations « anti jazz-moderne » étaient organisées par le Hot Club Palois!

Arrivé à Pau en 1973 je fus éberlué par cette situation. Lucien Malson, que j’avais informé de ce qui se passait dans la capitale du Bearn, m’invita dans une de ses émissions hebdomadaires sur France Culture pour évoquer ces derniers territoires d’intégrisme jazziste provincial… Dans un quotidien palois, suite à la diffusion de cette émission, je fus traité par le Président du Hot Club de Pau de « Jeune blanc bec, totalement inculte… ».

Depuis les années 90 ces concerts de « pur » jazz classique ont disparu de la scène musicale paloise (et d’ailleurs aussi) : la plupart des grands maîtres du jazz classique étant décédés, il était devenu impossible pour les Hot Clubs d’organiser de grands concerts populaires axés uniquement sur ce style de jazz.

Pour en terminer avec ce (trop !) long préambule : évocation de deux souvenirs, assez incroyables, mais vraiment édifiants.

Marc Allibert excellent guitariste palois dans la lignée de Wes Montgomery avait organisé, dans les années 70, un concert dans la salle des fêtes d’un hôtel palois. La (toute) petite centaine de spectateurs intéressés fut accueillie par une haie de « déshonneur » : des adhérents du HCP houspillaient les entrants aux cris de : « Il faut que vous sachiez que ce concert n’est pas du vrai jazz… C’est une escroquerie… Une usurpation du mot jazz ».

Une autre fois lors d’une projection de superbes vieilles bobines en noir et blanc dans un cinéma palois après une séquence où l’on entendait Count Basie, Thelonious Monk présent près du piano, est invité par Count à jouer… Dans le noir, depuis sa place, le Président du Hot Club Palois, Jacques Morgantini, s’est alors levé et avec une voix de stentor a déclaré : « Mesdames Messieurs ce que vous allez entendre maintenant lors de ce passage du film, que nous n’avons pas pu couper, n’est pas du vrai jazz. Thelonious Monk n’est pas un jazzman » !

Etonnant non ! Comme aurait dit le regretté Pierre Desproges.

De 1985 à 2015… un paysage quasi désertique pour les « grands » concerts de jazz à Pau

Alors que dans deux villes moyennes (Oloron et Orthez) et dans une toute petite commune (Marciac), toutes 3 situées à proximité de Pau, des festivals de jazz à la programmation ouverte (pour Marciac ce ne fut pas immédiat car les premières années furent consacrées au jazz traditionnel) sont apparus à partir des années 80, à Pau, après la fin des grandes messes populaires « hotclubiennes », la vie jazziste était devenue un quasi désert. A l’exception de quelques programmations et tentatives ponctuelles, intéressantes et courageuses, mais généralement sans lendemain.

Une belle initiative : le Guitar Master proposa pendant quelques années (de 1989 à 2000) de beaux concerts mais sans jamais avoir réussi à fixer un public conséquent permettant la survie financière de cet intéressant festival. John Mc Laughlin, John Pizarelli, Lucky Peterson, Biréli Lagrène en furent entre autres les têtes d’affiche.

Les Amis de la Chanson Populaire qui organisent un festival gratuit (financé par la municipalité) pendant l’été ont aussi depuis quelques années proposé, courageusement, une ou deux soirées jazz (ou tout proche) pendant juillet/août.

Une association dénommée La Factory (syndrome New Yorkais!)  a aussi organisé quelques superbes concerts de free et post free (Ethic Heritage Ensemble, Big Four avec Akchoté, Brotzmann Donead, Lazro…) . Devant de maigres publics. Et malheureusement sans suite.

Plus récemment, des bars musicaux comme le « Show Case » (surtout, et de manière remarquable) et l’Imparfait (quelquefois) ont aussi régulièrement (et vaillament !) programmé depuis quelques années des soirées avec de jeunes talents émergents et des « pointures » régionales. Mais avec peu de moyens budgétaires et un public trop souvent « maigrelet ». Les soirées consacrées au blues faisant exception avec des fidèles, regroupés autour d’une « locomotive » talentueuse et charismatique : Nico Wayne Toussaint (voc et harmonica). Nico W.T. vit entre Pau et les USA et il anime, dès qu’il le peut, des « jam sessions » très chaleureuses ouvertes aux musiciens amateurs et débutants.

And now… introducing « Tonnerre de jazz » !

Quoi qu’il en soit (« le passé c’est le passé » comme on dit !) évoquons maintenant, le « renouveau ».

Une toute nouvelle association est née en 2015 :Tonnerre de Jazz.

Cette association a donc décidé d’occuper désormais le terrain laissé vacant depuis trop longtemps par les intégristes, en proposant hardiment (et en même temps prudemment… ce n’est pas incompatible !) un concert de jazz actuel chaque mois.

Des partenariats avec différents salles et lieux de l’agglomération de Pau ont été mis en place. Avantage de la formule : pas de frais de location pour ces théâtres, auditoriums, cinémas, centre culturels et les publics de ces structures sont ainsi invités à découvrir du jazz d’aujourd’hui… La programmation est principalement axée sur des groupes français (une exception en 2017 : Avishai Cohen… le trompettiste) et régionaux de haut niveau, tous engagés dans une démarche créative et originale. Disposant de ressources financières très limitées Tonnerre de Jazz, en s’appuyant sur le « carnet d’adresses » et le « relationnel » de ses dirigeants, demande des « faveurs » aux musiciens… Cachets inférieurs à leurs « tarifs » habituels (à titre exceptionnel, bien sûr, pour aider et accompagner les débuts de l’association) ; logement chez l’habitant (des bénévoles) ; repas sous forme de buffets mitonnés par les membres de l’association…

Une programmation originale et… le public suit

En décembre 2015, après quelques concerts automnaux de « warm up », la venue du superbe quartet « Nomade Sonore » d’Eric Seva, a attiré à Idron (proche banlieue de Pau) plus de 200 personnes et enthousiasmé et « converti » (sans vergogne -contaminé ?- voilà que j’utilise le même vocabulaire que les intégristes du hot club! ) un nouveau public « profane ». Incontestablement le succès de ce concert de Seva a été une belle rampe de lancement pour Tonnerre de Jazz. Le groupe propose une musique épurée et élégante et pourtant vive, dans une formule proche des quartets de Mulligan. Avec des musiciens d’exception dont Daniel Zimmerman tromboniste toujours surprenant et Matthieu Chazarenc batteur musicien et coloriste subtil. Mathieu a étudié la percussion au Conservatoire de Pau et nombre des ses amis de l’époque étaient venus le saluer. Good vibes !

Gardel/RP3. Billère (6/10/2016)

Nicolas Gardel (tp), Remi Panossian (p), Maxime Delporte (b), Frédéric Petitprez  (dr).
La saison 2016/2017 a démarré fort avec le trompettiste Nicolas Gardel accompagné par le trio de Rémi Panossian. Salle pleine à Billère (commune limitrophe de Pau) et une prestation de haut niveau du quartet qui a enchanté les présents. Gardel, sideman de luxe (David Sanborn, ElectroDeluxe…), mène de front différents projets à la tête de plusieurs formations. Il a abandonné (pour cause, entre autres, d’agenda surbooké, mais pas seulement) ses prestations en tant que trompettiste classique (il a appartenu un temps au pupitre de cuivres du prestigieux Orchestre Symphonique du Capitole de Toulouse). Son Headbangers (plutôt funky, pour le dire vite) met le feu partout. L’étonnant multi-saxophoniste de Pulcinella : Ferdinand Doumerc prenant sa très large part dans la dynamique renversante du groupe. Avec ses « ceux qui secouent la tête» Gardel « bouscule les mélodies et fait groover les rythmes » : irrépressibles petits hochements de tête de plaisir dans le public… N. Gardel avec son sextet déjoue les clivages en alliant le vintage au moderne, faisant dialoguer, aux frontières de ces univers, funk, pop music, jazz et électro.

A Billère, Nicolas Gardel a proposé une rencontre inédite avec son ami de longue date, le pianiste Rémi Panossian. Le RP 3 (Rémi Panossian Trio) joue beaucoup : dans le Grand Sud bien sûr (Panossian est originaire de Montpellier) mais aussi à l’étranger. Le trio est inventif, vif. Habituellement il propose une musique qui aime s’ébattre bien au delà du jazz dit moderne : The Bad Plus ou Esbjorn Svensson font partie des territoires visités. Mais pour cette rencontre le parti-pris assumé et totalement maîtrisé fut de jouer avec jubilation autour de grands standards du bop et du hard-bop. Concert superbe avec moult envolées faites de lyrisme et de dextérité (jamais gratuite). Avec de grands moments d’émotion comme ce Bye Bye Blackbird hommage au Miles Davis des années 50, joué avec une sourdine Harmon. Oui, la même que celle de Miles ! Gardel venait d’en trouver une qu’il avait payée « trois francs six sous » ! Il en était encore tout ravi et, en tout cas, il avait vraiment retrouvé le son magique du Miles des 50′.

NB : La sourdine Harmon est une sourdine wah-wah dont on a complètement enlevé le tube ce qui permet d’obtenir un son très fermé et très atténué.

Nicolas Gardel tpNicolas Gardel (Photo Lydia Sanchez)

salut RP3 et NGDe gauche à droite : Remi Panossian, Nicolas Gardel, Maxime Delporte, Frédéric Petitprez (Photo Lydia Sanchez)

Paul Jarret/Projet Emma. Billère (4/11/2016)
Paul Jarret (g), Antonin Tri Hoang  (sax, cl), Hannah Tolf  (voc), Élie Martin-Charrière (dr).

Paul Jarret est souvent venu en Béarn avec son PJ5 (Paul Jarret Quintet). Il y a de nombreux amis et fidèles. PJ5 est un des lauréats de Jazz Migration 2017! Son batteur habituel Ariel Tessier est d’ici et son père, Jean-Claude, après avoir fondé au début des années 80 le Festival d’Oloron est le « promoteur » (et le Président) de Tonnerre de Jazz.

Ariel Tessier (un des meilleurs jeunes batteurs actuels de l’hexagone, Grand prix de soliste du Concours de Jazz de la Défense – rarissime pour un drummer!) ne participe pas au projet Emma.

Paul Jarret est franco-suédois et EMMA est inspiré par le thème de l’immigration suédoise vers les États-Unis au début du 20ème siècle, thème qui entre en résonance avec de nombreuses problématiques contemporaines. Le quartet, sans contrebasse, propose une « musique qui brouille les frontières entre jazz, pop-rock et électronique, s’inspirant de chansons traditionnelles suédoises et de poèmes évoquant l’exil et de mélodies scandinaves » (P.J.).

Ce projet avait été sélectionné par le Centre International des Musiques Nomades de Grenoble et avait été créé suite à une résidence en mars 2015.

Hannah Tolf chanteuse et compositrice suédoise, dirige ses propres groupes et joue dans le monde entier avec de nombreux orchestres comme soliste invitée.

A Billère le groupe « renouait » avec cette création qu’il n’avait pas rejoué depuis plus d’un an. Projet original, complexe, riche, dense, ambitieux. Les musiciens après avoir un peu cherché leurs marques en première partie se détendirent en deuxième partie et le rappel fut magnifique. Hannah Tolf donnant alors toute la mesure de son talent. Avec notamment une grande maîtrise des effets électroniques.

PJfiliPaul Jarret (photo Lydia Sanchez)

Paul Jarret EMMADe gauche à droite : Antonin Tri Hoang, Paul Jarret (g),  Hannah Tolf, Élie Martin-Charrière (dr). Photo Lydia Sanchez.

Moussay/Sclavis Pau (Le Méliès 10/12/2016)

Benjamin Moussay (p), Louis Sclavis (clarinettes)

Carton plein pour le dernier concert de 2016 de Tonnerre de Jazz : la salle du cinéma Le Méliès emplie à ras bord pour accueillir un des duos les plus étonnants de la scène jazz européenne, Moussay/Sclavis.

Benjamin Moussay a des attaches familiales dans la région. Le duo avait consenti des conditions exceptionnelles aux organisateurs dans le cadre d’une mini tournée « Sud Ouest » (Tarbes, Pau, Uzeste). Inspirés par un superbe matériau compositionnel orginal, toujours profondément mélodique, Benjamin et Louis, à tout moment partent dans des direction surprenantes, tout en maîtrisant totalement leur propos. Entre eux, la musique circule naturellement. Chacun répond au quart de tour, sans forcer, aux propositions et stimulations réciproques. Lyrisme et virtuosité, omniprésents, cohabitent superbement. Tensions/détente : un « héritage » du jazz « classique » ? Par des maîtres du jazz actuel! Bingo. Talent, complicité. Louis et Benjamin jouent ensemble depuis longtemps mais toujours avec allégresse et jubilation. Au rappel Louis a invité le palois Francis Lassus à rejoindre le duo. Francis Lassus est un immense batteur au CV plus qu’étonnant : depuis 30 ans il a accompagné les plus grands noms du jazz d’aujourd’hui. Pendant une dizaine d’années (dans les années 90) F. Lassus a joué dans plusieurs groupes de Louis Sclavis, notamment sur le somptueux projet (publié chez ECM) : Les Violences de Rameau. Juste avec un simple tambourin et des percussions de cheville Francis Lassus, sur deux morceaux a emmené, le duo vers un final fort allègre.

sclavis 2

IMG_5393Photos PHA

En fin d’après midi Louis Sclavis, toujours au Méliès, après la projection d’un passionnant documentaire sur Niki De Saint Phalle (Un rêve d’architecte film de Louise Faure et Anne Julien) dont il a composé la bande son, a évoqué, souvent avec humour, les spécificités du travail de composition pour le cinéma. Louis est au générique d’une vingtaine de musiques de films. Liste intégrale sur le site incontournable pour tout savoir sur le cinéma : IMDb.

Ironie de l’histoire : c’est dans cette salle du Méliès que Jacques Morgantini, comme évoqué au début de ce texte, avait fustigé violemment le jazz moderne ! Quarante ans plus tard : un concert de jazz « plus que moderne ! »  a fait le plein et a enchanté le public…

Grace à Tonnerre de Jazz, en cette belle journée du 10 décembre 2016, la vaine et ridicule querelle vrai/faux jazz me semble avoir été enterrée en territoire béarnais. Définitivement ? On le souhaite. Vraiment.

Pierre-Henri Ardonceau

Les concerts 2017 à venir

21 janvier : FLORIAN MARQUES QUINTET

17 février : ANNE PACEO QUARTET « Circles »

9/10/11 mars : FESTIVAL TONNERRE DE JAZZ
TREMPLIN DE JEUNES FORMATIONS (le 9)
– ANNE QUILLIER SEXTET (le 10)

CRITICAL QUARTET EXPERIENCE (Lauréat du Tremplin TDJ 2016)
et DANIEL ZIMMERMANN QUARTET (le 11)

4 avril : AVISHAI COHEN QUINTET

19 mai : SARAH LENKA “Sarah sings Bessie Smith”

10 juin : UN POCO LOCO (Lauréat de Jazz Migration 2016)