Jazz live
Publié le 22 Août 2016

Uzeste (2): Lubat, Luther, Chyko, Martinique et Compagnie

André Minvielle, son éternel galurin, son tambour électronique, sa voix chaudement timbrée cinglant ses mots gascons, dirige le bal. Tout le monde danse, corps chaloupant collés serrés en sudation. Rythmes de samba, de cumbia, de foro. L’Estaminet, caverne villageoise rituelle des Lubat fait sa mue de folie nocturne façon Olodum à Bahía ou Scenarium de Rio de Janeiro.

Uzeste, Hestejades de las Arts, Chapiteau Marie Lubat, 18,19 aout

Joëlle Léandre (b), Serge Teyssot-Gay (g)

L’Anguison Quartet: jacques Di Donato (dm), Roméo Monteiro (dm, perc), Fabrice Charles (tb), Nicolas Nageotte (bas, as)

Compagnie Lubat de Jazzcogne: Bernard Lubat (p), Fabrice Vieira (voc, per, g), Jules Rousseau (elb), Thomas Boudé (g), Louis Lubat (dm), Jaime Chao (élec, synthé, voc)

Caraïbe Jazzcogne idem + invités: Julien Dubois (as), Thibault Cellier (b) Luther François (ts, ss), Chyko Jehelmann (p)

Langues et lueurs : Jean Paul Delore (texte), Louis Sclavis (cl, bcl, hca), Sébastien Boisseau (b)

Du trombone pyrotechnique de Patrick Auzier aux Territoires des Solis Sauvages essaimé dans le pignada jusqu’aux jaillissements sonores de Portal, Sclavis, Di Donato, Evan Parker etc. en passant par les déclamations tonitruantes d’André Benedetto ou Richard Bohinger et consort sous les mobiles d’Ernest Pignon Ernest accrochés aux branches des arbres: de toujours Uzeste a résonné de l’improbable, du mitonné dans l’instant de recettes sucrées, salées aromatisées au piment oiseau ou d’Espelette. Sous le vocable estampillé lubatien « Improiésiques Trans » la rencontre Joelle LéandreSerge Tieyssot-Gay procède à l’évidence de ces infusions rares. Une bassiste inclassable issu du free et de la musique contemporaine rencontre l’ex guitariste de Noir Désir au prétexte de  cordes plus ou moins bien et mal menées. Et paradoxalement chacun reste à sa place. La basse au bout d’excroissances donne le rythme, le relance, le prolonge. La guitare en sécrétions de notes tenues sous perfusion de distorsion et boucles 2.0  trace des lignes comme obsédée par un besoin de mélodie. Petit moment d’onirisme et de poésie sonore en saillies sous chapiteau de cirque en mode ébauche de voie lactée.

Sclavis figure lui au rang des enfants d’Uzeste. Fidèle parmi les fidèles de ce rendez vous musical à nul autre pareil. On le sait aimer le jazz, l’improvisation, la danse contemporaine. Cette année il a choisi d’accompagner, d’illustrer les mots, les phrases dénichées par un autre lyonnais, Jean Paul Doloire (metteur en scène par ailleurs du spectacle spectaculaire proposée par La Marmite Infernale  « Les Hommes…Maintenant » cf: compte rendu dans Jazz Live du festival de San Sebastian) à partir de textes (hormis Henri Michaud) essentiellement piochés chez des auteurs africains. Mots (montés à) crus au sujet de vies, de corps, peaux, sexes traversés de désir ou frustration conjugués au féminin comme au masculin. La musique de Louis Sclavis et Sébastien Boisseau (écrite autant qu’improvisée) vient en appui, en soulignement, sur-lignage ou développement, donnant du relief et surtout des couleurs, bref un arrière plan de sens aux courtes histoires humaines ainsi doublement contées.

Quelle surprise de voir Jacques Di Donato aux commandes d’un set de batterie en lieu et place de ses clarinettes habituelle! Le musicien du Morvan aborde l’instrument sur un pur plan rythmique, foisonnant mais appliqué aux canons du genre, à la pulsation, comme attaché aux basiques du soutien, de la relance dans les rayons binaires ou ternaires. Il choisit ainsi de laisser ses compères se lancer dans les coups de vents et autres colonnes d’air (Fabrice Charles au trombone est un habitué, expert  de l’exercice à ses côtés) suscités et improvisés à souhait.

Uzeste, le chez soi plutôt que le quant à soi, reste l’occasion d’écouter la Compagnie Lubat (aujourd’hui re-qualifiée de la formule complémentaire « de Jazzcogne » dans sa dimension la plus immédiate, actualisée. Soit le deus ex machina dirigeant ses jeunes recrues, ses musiciens choisis, formés, lancés dans divers bains à la fois (musique, enseignement/formation, organisation) Pour cette 39e édition l’orchestre toujours en chantier a livré, dans son village d’attache, deux visages distincts.  Premier acte: une version intégrale. Avant même la première note, un concert de la Compagnie débute toujours par des mots. En guise d’introduction, de bande annonce donc  cette maxime « Les mots sont des masques qui n’on rien à cacher » Le contenu s’affiche bien sur à l’image de l’histoire du fondateur leader. Du jazz bien entendu dans cette façon revivifiante, expressionniste de revisiter le Good Bye Pork Pie Hat de Mingus. Ou Le M’en baou tout soûl, livré très bluesy, (la voix de Lubat), tout swing (intro au piano). Où quand l’orchestre dans son entier fait revivre avec bon goût les amours be bop du batteur girondins initié par Kenny Clarke en personne, sa science du rythme fonctionnant avec des mélodies qui chantent au bon moment. La Compagnie bénéficie désormais d’une vraie rythmique, précise, efficiente. Et Fabrice Viera, relanceur avisé, double désormais le leader gourmand de mots par une marque de scat déposée avec à propos. De la dérision au programme aussi, comme sceau frappé aux couleurs de la Compagnie et d’Uzeste en général. Les bruits, les cris, les détournements de notes ou instruments. Les gadgets également: des figurines mécaniques d’hier Bernard Lubat est passé aux figures numériques. Dans sa panoplie de comediante il trimballe et use désormais de robots lancés sur scène ou jetés vif dans le ventre du piano. Il joue aussi avec un drone, étrange aéronef clignotant volant, tournoyant, furetant au dessus de la scène, des instruments. Enfin une saynète choc: revenant d’un noir de scène total surgissent en pleine lumière les musiciens, muets, affublés de têtes d’animaux domestiques ou bêtes sauvages, totems et figures de fable plongés soudain dans un silence absolu. Saisissant.

Lubat et compagnie, épisode 2.: Caraïbe Jazzgascogne se veut être la jonction de deux pratiques d’un jazz métissé de part et d’autre de l’Atlantique. Soit la Compagnie Lubat renforcée par des invités. Thibault Cellier, contrebasse; Julien Rousseau, sax alto, par ailleurs responsable du département jazz du Conservatoire de Bordeaux représentent un pôle Aquitaine. Luther François, saxophoniste de Sainte Lucie mais établi sur la côte sud de la Martinique et Chyko Jehelmann (Fort de France) pianiste inclassable (cf Jazz Live, Uzeste 1) Expérience, expérimentation: la greffe prend plus ou moins selon les séquences, peu favorisée semble-t-il par des problèmes sons de retour de scène. Caravan de Duke Ellington, St Thomas de Sonny Rollins laissent fructifier (Julien Dubois plus à l’aise que Luther François dans ce contexte de houle sonore, Chyko peu habitué au travail de groupe ne ressort que peu souvent au sommet des vagues successives) un matériau abordé à vif. Pour le reste Lubat sur ses claviers électro fait le lien, s’efforce sans relâche de rétablir les équilibres, de distribuer les rôles. Ce premier résultat germé à partir d’un terreau gorgé d’improvisation préfigure un projet ambitieux « Nous sommes au début d’un travail de fond. Je voudrais établir sur trois années des allers et retour entre Aquitaine et Martinique autour d’échanges artistiques à l’image de ce qui se passe à Uzeste. J’ai senti là bas en allant voir Luther chez lui des pratiques, des envies, du potentiel créatif en matière de musiques notamment, assez similaires aux nôtres développées ici à Uzeste. Bien sur, pour entamer ce boulot, à partir de cette volonté commune, se pose la question des moyens. La venue de Chyko et Luther à Uzeste, leur engagement vis à vis du festival représente un premier pas. Notre boulot passe maintenant par un travail auprès des responsables, des élus des deux régions concernées. De les concerner, les faire s’engager. Le développement du projet transartistique est à ce prix »

Perché sur son vélo neuf éclairé d’une petite loupiote,   crinière grise de chevalier gascon entêté du XXIe siècle, Bernard Lubat quitte dans la nuit noire le chapiteau baptisé du nom de sa mère, Marie, pour gagner l’Estaminet. L’air un peu las certes « Uzeste c’est une petite équipe. Avec Martine nous devons tout assurer, tout regarder, tout vérifier » Mais porteur dans son panier avant, des plans d’un e bataille de plus sous la bannière Tout Monde d’Edouard Glissant. Un drôle de challenge.

Robert Latxague

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André Minvielle, son éternel galurin, son tambour électronique, sa voix chaudement timbrée cinglant ses mots gascons, dirige le bal. Tout le monde danse, corps chaloupant collés serrés en sudation. Rythmes de samba, de cumbia, de foro. L’Estaminet, caverne villageoise rituelle des Lubat fait sa mue de folie nocturne façon Olodum à Bahía ou Scenarium de Rio de Janeiro.

Uzeste, Hestejades de las Arts, Chapiteau Marie Lubat, 18,19 aout

Joëlle Léandre (b), Serge Teyssot-Gay (g)

L’Anguison Quartet: jacques Di Donato (dm), Roméo Monteiro (dm, perc), Fabrice Charles (tb), Nicolas Nageotte (bas, as)

Compagnie Lubat de Jazzcogne: Bernard Lubat (p), Fabrice Vieira (voc, per, g), Jules Rousseau (elb), Thomas Boudé (g), Louis Lubat (dm), Jaime Chao (élec, synthé, voc)

Caraïbe Jazzcogne idem + invités: Julien Dubois (as), Thibault Cellier (b) Luther François (ts, ss), Chyko Jehelmann (p)

Langues et lueurs : Jean Paul Delore (texte), Louis Sclavis (cl, bcl, hca), Sébastien Boisseau (b)

Du trombone pyrotechnique de Patrick Auzier aux Territoires des Solis Sauvages essaimé dans le pignada jusqu’aux jaillissements sonores de Portal, Sclavis, Di Donato, Evan Parker etc. en passant par les déclamations tonitruantes d’André Benedetto ou Richard Bohinger et consort sous les mobiles d’Ernest Pignon Ernest accrochés aux branches des arbres: de toujours Uzeste a résonné de l’improbable, du mitonné dans l’instant de recettes sucrées, salées aromatisées au piment oiseau ou d’Espelette. Sous le vocable estampillé lubatien « Improiésiques Trans » la rencontre Joelle LéandreSerge Tieyssot-Gay procède à l’évidence de ces infusions rares. Une bassiste inclassable issu du free et de la musique contemporaine rencontre l’ex guitariste de Noir Désir au prétexte de  cordes plus ou moins bien et mal menées. Et paradoxalement chacun reste à sa place. La basse au bout d’excroissances donne le rythme, le relance, le prolonge. La guitare en sécrétions de notes tenues sous perfusion de distorsion et boucles 2.0  trace des lignes comme obsédée par un besoin de mélodie. Petit moment d’onirisme et de poésie sonore en saillies sous chapiteau de cirque en mode ébauche de voie lactée.

Sclavis figure lui au rang des enfants d’Uzeste. Fidèle parmi les fidèles de ce rendez vous musical à nul autre pareil. On le sait aimer le jazz, l’improvisation, la danse contemporaine. Cette année il a choisi d’accompagner, d’illustrer les mots, les phrases dénichées par un autre lyonnais, Jean Paul Doloire (metteur en scène par ailleurs du spectacle spectaculaire proposée par La Marmite Infernale  « Les Hommes…Maintenant » cf: compte rendu dans Jazz Live du festival de San Sebastian) à partir de textes (hormis Henri Michaud) essentiellement piochés chez des auteurs africains. Mots (montés à) crus au sujet de vies, de corps, peaux, sexes traversés de désir ou frustration conjugués au féminin comme au masculin. La musique de Louis Sclavis et Sébastien Boisseau (écrite autant qu’improvisée) vient en appui, en soulignement, sur-lignage ou développement, donnant du relief et surtout des couleurs, bref un arrière plan de sens aux courtes histoires humaines ainsi doublement contées.

Quelle surprise de voir Jacques Di Donato aux commandes d’un set de batterie en lieu et place de ses clarinettes habituelle! Le musicien du Morvan aborde l’instrument sur un pur plan rythmique, foisonnant mais appliqué aux canons du genre, à la pulsation, comme attaché aux basiques du soutien, de la relance dans les rayons binaires ou ternaires. Il choisit ainsi de laisser ses compères se lancer dans les coups de vents et autres colonnes d’air (Fabrice Charles au trombone est un habitué, expert  de l’exercice à ses côtés) suscités et improvisés à souhait.

Uzeste, le chez soi plutôt que le quant à soi, reste l’occasion d’écouter la Compagnie Lubat (aujourd’hui re-qualifiée de la formule complémentaire « de Jazzcogne » dans sa dimension la plus immédiate, actualisée. Soit le deus ex machina dirigeant ses jeunes recrues, ses musiciens choisis, formés, lancés dans divers bains à la fois (musique, enseignement/formation, organisation) Pour cette 39e édition l’orchestre toujours en chantier a livré, dans son village d’attache, deux visages distincts.  Premier acte: une version intégrale. Avant même la première note, un concert de la Compagnie débute toujours par des mots. En guise d’introduction, de bande annonce donc  cette maxime « Les mots sont des masques qui n’on rien à cacher » Le contenu s’affiche bien sur à l’image de l’histoire du fondateur leader. Du jazz bien entendu dans cette façon revivifiante, expressionniste de revisiter le Good Bye Pork Pie Hat de Mingus. Ou Le M’en baou tout soûl, livré très bluesy, (la voix de Lubat), tout swing (intro au piano). Où quand l’orchestre dans son entier fait revivre avec bon goût les amours be bop du batteur girondins initié par Kenny Clarke en personne, sa science du rythme fonctionnant avec des mélodies qui chantent au bon moment. La Compagnie bénéficie désormais d’une vraie rythmique, précise, efficiente. Et Fabrice Viera, relanceur avisé, double désormais le leader gourmand de mots par une marque de scat déposée avec à propos. De la dérision au programme aussi, comme sceau frappé aux couleurs de la Compagnie et d’Uzeste en général. Les bruits, les cris, les détournements de notes ou instruments. Les gadgets également: des figurines mécaniques d’hier Bernard Lubat est passé aux figures numériques. Dans sa panoplie de comediante il trimballe et use désormais de robots lancés sur scène ou jetés vif dans le ventre du piano. Il joue aussi avec un drone, étrange aéronef clignotant volant, tournoyant, furetant au dessus de la scène, des instruments. Enfin une saynète choc: revenant d’un noir de scène total surgissent en pleine lumière les musiciens, muets, affublés de têtes d’animaux domestiques ou bêtes sauvages, totems et figures de fable plongés soudain dans un silence absolu. Saisissant.

Lubat et compagnie, épisode 2.: Caraïbe Jazzgascogne se veut être la jonction de deux pratiques d’un jazz métissé de part et d’autre de l’Atlantique. Soit la Compagnie Lubat renforcée par des invités. Thibault Cellier, contrebasse; Julien Rousseau, sax alto, par ailleurs responsable du département jazz du Conservatoire de Bordeaux représentent un pôle Aquitaine. Luther François, saxophoniste de Sainte Lucie mais établi sur la côte sud de la Martinique et Chyko Jehelmann (Fort de France) pianiste inclassable (cf Jazz Live, Uzeste 1) Expérience, expérimentation: la greffe prend plus ou moins selon les séquences, peu favorisée semble-t-il par des problèmes sons de retour de scène. Caravan de Duke Ellington, St Thomas de Sonny Rollins laissent fructifier (Julien Dubois plus à l’aise que Luther François dans ce contexte de houle sonore, Chyko peu habitué au travail de groupe ne ressort que peu souvent au sommet des vagues successives) un matériau abordé à vif. Pour le reste Lubat sur ses claviers électro fait le lien, s’efforce sans relâche de rétablir les équilibres, de distribuer les rôles. Ce premier résultat germé à partir d’un terreau gorgé d’improvisation préfigure un projet ambitieux « Nous sommes au début d’un travail de fond. Je voudrais établir sur trois années des allers et retour entre Aquitaine et Martinique autour d’échanges artistiques à l’image de ce qui se passe à Uzeste. J’ai senti là bas en allant voir Luther chez lui des pratiques, des envies, du potentiel créatif en matière de musiques notamment, assez similaires aux nôtres développées ici à Uzeste. Bien sur, pour entamer ce boulot, à partir de cette volonté commune, se pose la question des moyens. La venue de Chyko et Luther à Uzeste, leur engagement vis à vis du festival représente un premier pas. Notre boulot passe maintenant par un travail auprès des responsables, des élus des deux régions concernées. De les concerner, les faire s’engager. Le développement du projet transartistique est à ce prix »

Perché sur son vélo neuf éclairé d’une petite loupiote,   crinière grise de chevalier gascon entêté du XXIe siècle, Bernard Lubat quitte dans la nuit noire le chapiteau baptisé du nom de sa mère, Marie, pour gagner l’Estaminet. L’air un peu las certes « Uzeste c’est une petite équipe. Avec Martine nous devons tout assurer, tout regarder, tout vérifier » Mais porteur dans son panier avant, des plans d’un e bataille de plus sous la bannière Tout Monde d’Edouard Glissant. Un drôle de challenge.

Robert Latxague

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André Minvielle, son éternel galurin, son tambour électronique, sa voix chaudement timbrée cinglant ses mots gascons, dirige le bal. Tout le monde danse, corps chaloupant collés serrés en sudation. Rythmes de samba, de cumbia, de foro. L’Estaminet, caverne villageoise rituelle des Lubat fait sa mue de folie nocturne façon Olodum à Bahía ou Scenarium de Rio de Janeiro.

Uzeste, Hestejades de las Arts, Chapiteau Marie Lubat, 18,19 aout

Joëlle Léandre (b), Serge Teyssot-Gay (g)

L’Anguison Quartet: jacques Di Donato (dm), Roméo Monteiro (dm, perc), Fabrice Charles (tb), Nicolas Nageotte (bas, as)

Compagnie Lubat de Jazzcogne: Bernard Lubat (p), Fabrice Vieira (voc, per, g), Jules Rousseau (elb), Thomas Boudé (g), Louis Lubat (dm), Jaime Chao (élec, synthé, voc)

Caraïbe Jazzcogne idem + invités: Julien Dubois (as), Thibault Cellier (b) Luther François (ts, ss), Chyko Jehelmann (p)

Langues et lueurs : Jean Paul Delore (texte), Louis Sclavis (cl, bcl, hca), Sébastien Boisseau (b)

Du trombone pyrotechnique de Patrick Auzier aux Territoires des Solis Sauvages essaimé dans le pignada jusqu’aux jaillissements sonores de Portal, Sclavis, Di Donato, Evan Parker etc. en passant par les déclamations tonitruantes d’André Benedetto ou Richard Bohinger et consort sous les mobiles d’Ernest Pignon Ernest accrochés aux branches des arbres: de toujours Uzeste a résonné de l’improbable, du mitonné dans l’instant de recettes sucrées, salées aromatisées au piment oiseau ou d’Espelette. Sous le vocable estampillé lubatien « Improiésiques Trans » la rencontre Joelle LéandreSerge Tieyssot-Gay procède à l’évidence de ces infusions rares. Une bassiste inclassable issu du free et de la musique contemporaine rencontre l’ex guitariste de Noir Désir au prétexte de  cordes plus ou moins bien et mal menées. Et paradoxalement chacun reste à sa place. La basse au bout d’excroissances donne le rythme, le relance, le prolonge. La guitare en sécrétions de notes tenues sous perfusion de distorsion et boucles 2.0  trace des lignes comme obsédée par un besoin de mélodie. Petit moment d’onirisme et de poésie sonore en saillies sous chapiteau de cirque en mode ébauche de voie lactée.

Sclavis figure lui au rang des enfants d’Uzeste. Fidèle parmi les fidèles de ce rendez vous musical à nul autre pareil. On le sait aimer le jazz, l’improvisation, la danse contemporaine. Cette année il a choisi d’accompagner, d’illustrer les mots, les phrases dénichées par un autre lyonnais, Jean Paul Doloire (metteur en scène par ailleurs du spectacle spectaculaire proposée par La Marmite Infernale  « Les Hommes…Maintenant » cf: compte rendu dans Jazz Live du festival de San Sebastian) à partir de textes (hormis Henri Michaud) essentiellement piochés chez des auteurs africains. Mots (montés à) crus au sujet de vies, de corps, peaux, sexes traversés de désir ou frustration conjugués au féminin comme au masculin. La musique de Louis Sclavis et Sébastien Boisseau (écrite autant qu’improvisée) vient en appui, en soulignement, sur-lignage ou développement, donnant du relief et surtout des couleurs, bref un arrière plan de sens aux courtes histoires humaines ainsi doublement contées.

Quelle surprise de voir Jacques Di Donato aux commandes d’un set de batterie en lieu et place de ses clarinettes habituelle! Le musicien du Morvan aborde l’instrument sur un pur plan rythmique, foisonnant mais appliqué aux canons du genre, à la pulsation, comme attaché aux basiques du soutien, de la relance dans les rayons binaires ou ternaires. Il choisit ainsi de laisser ses compères se lancer dans les coups de vents et autres colonnes d’air (Fabrice Charles au trombone est un habitué, expert  de l’exercice à ses côtés) suscités et improvisés à souhait.

Uzeste, le chez soi plutôt que le quant à soi, reste l’occasion d’écouter la Compagnie Lubat (aujourd’hui re-qualifiée de la formule complémentaire « de Jazzcogne » dans sa dimension la plus immédiate, actualisée. Soit le deus ex machina dirigeant ses jeunes recrues, ses musiciens choisis, formés, lancés dans divers bains à la fois (musique, enseignement/formation, organisation) Pour cette 39e édition l’orchestre toujours en chantier a livré, dans son village d’attache, deux visages distincts.  Premier acte: une version intégrale. Avant même la première note, un concert de la Compagnie débute toujours par des mots. En guise d’introduction, de bande annonce donc  cette maxime « Les mots sont des masques qui n’on rien à cacher » Le contenu s’affiche bien sur à l’image de l’histoire du fondateur leader. Du jazz bien entendu dans cette façon revivifiante, expressionniste de revisiter le Good Bye Pork Pie Hat de Mingus. Ou Le M’en baou tout soûl, livré très bluesy, (la voix de Lubat), tout swing (intro au piano). Où quand l’orchestre dans son entier fait revivre avec bon goût les amours be bop du batteur girondins initié par Kenny Clarke en personne, sa science du rythme fonctionnant avec des mélodies qui chantent au bon moment. La Compagnie bénéficie désormais d’une vraie rythmique, précise, efficiente. Et Fabrice Viera, relanceur avisé, double désormais le leader gourmand de mots par une marque de scat déposée avec à propos. De la dérision au programme aussi, comme sceau frappé aux couleurs de la Compagnie et d’Uzeste en général. Les bruits, les cris, les détournements de notes ou instruments. Les gadgets également: des figurines mécaniques d’hier Bernard Lubat est passé aux figures numériques. Dans sa panoplie de comediante il trimballe et use désormais de robots lancés sur scène ou jetés vif dans le ventre du piano. Il joue aussi avec un drone, étrange aéronef clignotant volant, tournoyant, furetant au dessus de la scène, des instruments. Enfin une saynète choc: revenant d’un noir de scène total surgissent en pleine lumière les musiciens, muets, affublés de têtes d’animaux domestiques ou bêtes sauvages, totems et figures de fable plongés soudain dans un silence absolu. Saisissant.

Lubat et compagnie, épisode 2.: Caraïbe Jazzgascogne se veut être la jonction de deux pratiques d’un jazz métissé de part et d’autre de l’Atlantique. Soit la Compagnie Lubat renforcée par des invités. Thibault Cellier, contrebasse; Julien Rousseau, sax alto, par ailleurs responsable du département jazz du Conservatoire de Bordeaux représentent un pôle Aquitaine. Luther François, saxophoniste de Sainte Lucie mais établi sur la côte sud de la Martinique et Chyko Jehelmann (Fort de France) pianiste inclassable (cf Jazz Live, Uzeste 1) Expérience, expérimentation: la greffe prend plus ou moins selon les séquences, peu favorisée semble-t-il par des problèmes sons de retour de scène. Caravan de Duke Ellington, St Thomas de Sonny Rollins laissent fructifier (Julien Dubois plus à l’aise que Luther François dans ce contexte de houle sonore, Chyko peu habitué au travail de groupe ne ressort que peu souvent au sommet des vagues successives) un matériau abordé à vif. Pour le reste Lubat sur ses claviers électro fait le lien, s’efforce sans relâche de rétablir les équilibres, de distribuer les rôles. Ce premier résultat germé à partir d’un terreau gorgé d’improvisation préfigure un projet ambitieux « Nous sommes au début d’un travail de fond. Je voudrais établir sur trois années des allers et retour entre Aquitaine et Martinique autour d’échanges artistiques à l’image de ce qui se passe à Uzeste. J’ai senti là bas en allant voir Luther chez lui des pratiques, des envies, du potentiel créatif en matière de musiques notamment, assez similaires aux nôtres développées ici à Uzeste. Bien sur, pour entamer ce boulot, à partir de cette volonté commune, se pose la question des moyens. La venue de Chyko et Luther à Uzeste, leur engagement vis à vis du festival représente un premier pas. Notre boulot passe maintenant par un travail auprès des responsables, des élus des deux régions concernées. De les concerner, les faire s’engager. Le développement du projet transartistique est à ce prix »

Perché sur son vélo neuf éclairé d’une petite loupiote,   crinière grise de chevalier gascon entêté du XXIe siècle, Bernard Lubat quitte dans la nuit noire le chapiteau baptisé du nom de sa mère, Marie, pour gagner l’Estaminet. L’air un peu las certes « Uzeste c’est une petite équipe. Avec Martine nous devons tout assurer, tout regarder, tout vérifier » Mais porteur dans son panier avant, des plans d’un e bataille de plus sous la bannière Tout Monde d’Edouard Glissant. Un drôle de challenge.

Robert Latxague

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André Minvielle, son éternel galurin, son tambour électronique, sa voix chaudement timbrée cinglant ses mots gascons, dirige le bal. Tout le monde danse, corps chaloupant collés serrés en sudation. Rythmes de samba, de cumbia, de foro. L’Estaminet, caverne villageoise rituelle des Lubat fait sa mue de folie nocturne façon Olodum à Bahía ou Scenarium de Rio de Janeiro.

Uzeste, Hestejades de las Arts, Chapiteau Marie Lubat, 18,19 aout

Joëlle Léandre (b), Serge Teyssot-Gay (g)

L’Anguison Quartet: jacques Di Donato (dm), Roméo Monteiro (dm, perc), Fabrice Charles (tb), Nicolas Nageotte (bas, as)

Compagnie Lubat de Jazzcogne: Bernard Lubat (p), Fabrice Vieira (voc, per, g), Jules Rousseau (elb), Thomas Boudé (g), Louis Lubat (dm), Jaime Chao (élec, synthé, voc)

Caraïbe Jazzcogne idem + invités: Julien Dubois (as), Thibault Cellier (b) Luther François (ts, ss), Chyko Jehelmann (p)

Langues et lueurs : Jean Paul Delore (texte), Louis Sclavis (cl, bcl, hca), Sébastien Boisseau (b)

Du trombone pyrotechnique de Patrick Auzier aux Territoires des Solis Sauvages essaimé dans le pignada jusqu’aux jaillissements sonores de Portal, Sclavis, Di Donato, Evan Parker etc. en passant par les déclamations tonitruantes d’André Benedetto ou Richard Bohinger et consort sous les mobiles d’Ernest Pignon Ernest accrochés aux branches des arbres: de toujours Uzeste a résonné de l’improbable, du mitonné dans l’instant de recettes sucrées, salées aromatisées au piment oiseau ou d’Espelette. Sous le vocable estampillé lubatien « Improiésiques Trans » la rencontre Joelle LéandreSerge Tieyssot-Gay procède à l’évidence de ces infusions rares. Une bassiste inclassable issu du free et de la musique contemporaine rencontre l’ex guitariste de Noir Désir au prétexte de  cordes plus ou moins bien et mal menées. Et paradoxalement chacun reste à sa place. La basse au bout d’excroissances donne le rythme, le relance, le prolonge. La guitare en sécrétions de notes tenues sous perfusion de distorsion et boucles 2.0  trace des lignes comme obsédée par un besoin de mélodie. Petit moment d’onirisme et de poésie sonore en saillies sous chapiteau de cirque en mode ébauche de voie lactée.

Sclavis figure lui au rang des enfants d’Uzeste. Fidèle parmi les fidèles de ce rendez vous musical à nul autre pareil. On le sait aimer le jazz, l’improvisation, la danse contemporaine. Cette année il a choisi d’accompagner, d’illustrer les mots, les phrases dénichées par un autre lyonnais, Jean Paul Doloire (metteur en scène par ailleurs du spectacle spectaculaire proposée par La Marmite Infernale  « Les Hommes…Maintenant » cf: compte rendu dans Jazz Live du festival de San Sebastian) à partir de textes (hormis Henri Michaud) essentiellement piochés chez des auteurs africains. Mots (montés à) crus au sujet de vies, de corps, peaux, sexes traversés de désir ou frustration conjugués au féminin comme au masculin. La musique de Louis Sclavis et Sébastien Boisseau (écrite autant qu’improvisée) vient en appui, en soulignement, sur-lignage ou développement, donnant du relief et surtout des couleurs, bref un arrière plan de sens aux courtes histoires humaines ainsi doublement contées.

Quelle surprise de voir Jacques Di Donato aux commandes d’un set de batterie en lieu et place de ses clarinettes habituelle! Le musicien du Morvan aborde l’instrument sur un pur plan rythmique, foisonnant mais appliqué aux canons du genre, à la pulsation, comme attaché aux basiques du soutien, de la relance dans les rayons binaires ou ternaires. Il choisit ainsi de laisser ses compères se lancer dans les coups de vents et autres colonnes d’air (Fabrice Charles au trombone est un habitué, expert  de l’exercice à ses côtés) suscités et improvisés à souhait.

Uzeste, le chez soi plutôt que le quant à soi, reste l’occasion d’écouter la Compagnie Lubat (aujourd’hui re-qualifiée de la formule complémentaire « de Jazzcogne » dans sa dimension la plus immédiate, actualisée. Soit le deus ex machina dirigeant ses jeunes recrues, ses musiciens choisis, formés, lancés dans divers bains à la fois (musique, enseignement/formation, organisation) Pour cette 39e édition l’orchestre toujours en chantier a livré, dans son village d’attache, deux visages distincts.  Premier acte: une version intégrale. Avant même la première note, un concert de la Compagnie débute toujours par des mots. En guise d’introduction, de bande annonce donc  cette maxime « Les mots sont des masques qui n’on rien à cacher » Le contenu s’affiche bien sur à l’image de l’histoire du fondateur leader. Du jazz bien entendu dans cette façon revivifiante, expressionniste de revisiter le Good Bye Pork Pie Hat de Mingus. Ou Le M’en baou tout soûl, livré très bluesy, (la voix de Lubat), tout swing (intro au piano). Où quand l’orchestre dans son entier fait revivre avec bon goût les amours be bop du batteur girondins initié par Kenny Clarke en personne, sa science du rythme fonctionnant avec des mélodies qui chantent au bon moment. La Compagnie bénéficie désormais d’une vraie rythmique, précise, efficiente. Et Fabrice Viera, relanceur avisé, double désormais le leader gourmand de mots par une marque de scat déposée avec à propos. De la dérision au programme aussi, comme sceau frappé aux couleurs de la Compagnie et d’Uzeste en général. Les bruits, les cris, les détournements de notes ou instruments. Les gadgets également: des figurines mécaniques d’hier Bernard Lubat est passé aux figures numériques. Dans sa panoplie de comediante il trimballe et use désormais de robots lancés sur scène ou jetés vif dans le ventre du piano. Il joue aussi avec un drone, étrange aéronef clignotant volant, tournoyant, furetant au dessus de la scène, des instruments. Enfin une saynète choc: revenant d’un noir de scène total surgissent en pleine lumière les musiciens, muets, affublés de têtes d’animaux domestiques ou bêtes sauvages, totems et figures de fable plongés soudain dans un silence absolu. Saisissant.

Lubat et compagnie, épisode 2.: Caraïbe Jazzgascogne se veut être la jonction de deux pratiques d’un jazz métissé de part et d’autre de l’Atlantique. Soit la Compagnie Lubat renforcée par des invités. Thibault Cellier, contrebasse; Julien Rousseau, sax alto, par ailleurs responsable du département jazz du Conservatoire de Bordeaux représentent un pôle Aquitaine. Luther François, saxophoniste de Sainte Lucie mais établi sur la côte sud de la Martinique et Chyko Jehelmann (Fort de France) pianiste inclassable (cf Jazz Live, Uzeste 1) Expérience, expérimentation: la greffe prend plus ou moins selon les séquences, peu favorisée semble-t-il par des problèmes sons de retour de scène. Caravan de Duke Ellington, St Thomas de Sonny Rollins laissent fructifier (Julien Dubois plus à l’aise que Luther François dans ce contexte de houle sonore, Chyko peu habitué au travail de groupe ne ressort que peu souvent au sommet des vagues successives) un matériau abordé à vif. Pour le reste Lubat sur ses claviers électro fait le lien, s’efforce sans relâche de rétablir les équilibres, de distribuer les rôles. Ce premier résultat germé à partir d’un terreau gorgé d’improvisation préfigure un projet ambitieux « Nous sommes au début d’un travail de fond. Je voudrais établir sur trois années des allers et retour entre Aquitaine et Martinique autour d’échanges artistiques à l’image de ce qui se passe à Uzeste. J’ai senti là bas en allant voir Luther chez lui des pratiques, des envies, du potentiel créatif en matière de musiques notamment, assez similaires aux nôtres développées ici à Uzeste. Bien sur, pour entamer ce boulot, à partir de cette volonté commune, se pose la question des moyens. La venue de Chyko et Luther à Uzeste, leur engagement vis à vis du festival représente un premier pas. Notre boulot passe maintenant par un travail auprès des responsables, des élus des deux régions concernées. De les concerner, les faire s’engager. Le développement du projet transartistique est à ce prix »

Perché sur son vélo neuf éclairé d’une petite loupiote,   crinière grise de chevalier gascon entêté du XXIe siècle, Bernard Lubat quitte dans la nuit noire le chapiteau baptisé du nom de sa mère, Marie, pour gagner l’Estaminet. L’air un peu las certes « Uzeste c’est une petite équipe. Avec Martine nous devons tout assurer, tout regarder, tout vérifier » Mais porteur dans son panier avant, des plans d’un e bataille de plus sous la bannière Tout Monde d’Edouard Glissant. Un drôle de challenge.

Robert Latxague