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Publié le 4 Nov 2025

Lignes volées à Billy Hart

Franck Bergerot vient d’acquérir Oceans of Time, l’autobiographie “musicale” que le pianiste Ethan Iverson à fait raconter au batteur Billy Hart au fil de chapitres tels Lessons with Wes, Mawndishi ou Miles the Teacher. ll en a extrait quelques lignes pour vous faire saliver.

Dans le chapitre “Miles the Teacher”, Billy Hart se souvient des séances « On the Corner », où il était arrivé en pensant être le seul batteur avant de découvrir que Jack DeJohnette était aussi là, plus trois claviers, un guitare, saxophone, un sitar et des percussions. Livré à lui-même sans réelle consigne, essayant de faire ce qu’il peut dans ce contexte sans réelle consigne, il voit Miles sortir de la cabine de régi et lui glisse à l’oreille « I don’t go like that. » Nouvelle prise. « Nouvelle prise de quoi ? » s’interroge Billy, perplexe comme ses compagnons d’infortune quant à l’objectif de la séance. Miles sortant à nouveau de la régie lui murmure en passant : « Aw, man, just play whatever the fuck you wanna play. » Puis quelques prises plus tard : « You know any James Brown beats ? » Et Billy de se dire en lui-même : « Yeah, Miles, I do, and you can hear that beat on the track “Black Satin”. »

J’ai mis le nez dans le coffret « The Complete On the Corner Sessions ». On est donc là le 1er juin 1972 au studio B de Columbia et, curieusement, ce jour-là, Billy Hart est crédité aux petites percussions aux côtés de Don Alias (congas) et Badal Roy (tablas). Billy confondrait-il avec la séance du 6 où il joue effectivement de la batterie au côté de Jack ? À écouter les prises de ces journées de juin, une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

Herbie Hancock participa également à ces séances de juin 1972, contribuant aux parties de claviers avec Chick Corea, Harold Ivory Williams et Lonnie Liston Smith. Billy qui dit n’avoir, par la suite, jamais vraiment écouté “On the Corner” demandera à Herbie losque le disque paraîtra : « Man, what the fuck does that sound like ? » et s’entendra répondre « It sounds like what we did. » Se souvenant que Jack Dejohnette (« more articulate about how the Miles Davis sessions from that era went ») était plus positif sur le côté expérimental de la chose, Billy cite encore Robert Glasper présentant Billy à ses amis : « This is Billy Hart, who played on “On the Corner”, which is one the first hip-hop records. » « Intéressant ! » s’est dit Billy, se souvenant que l’un des morceaux de la troisième séance, le 12 juin, il participa, cette fois-ci au côté d’Al Foster, à l’enregistrement de l’un des inédits des “Complete Sessions”, titré Jabali. Or Jabali était le pseudonyme de Billy Hart au sein de Mwandishi, le sextette de Herbie Hancock à l’époque. « One of these Days, I really need to sit down with “On the Corner” and try to figure out just how far ahead Miles was from everyone else. »

« Miles was always a teacher » poursuit-il. Sur la page opposée il se souvient de deux leçons que Miles lui donna alors qu’il était passé écouter le sextette d’Hancock au Village Vanguard. Le trompettiste s’était assis dans un coin à la droite du batteur et il lui avait dit : « Billy, start your phrases on four, and don’t finish nothin’. » Ce que Billy comprit plus tard en écoutant Hank Jones, Ray Brown et Roy Haynes lors d’un festival européen et en observant comme ils rendaient exceptionnelles les phrases les plus banales, juste en les déplaçant pour ensuite les laisser en suspens sans les conclure. Et de citer Hancock : « Miles jouait comme une pierre ricochant à la surface d’un étang. »

Et aussi : « Sometimes, you can play behind the beat. That shit swings like a motherfucker. Sometimes, you can play on top of the beat. That shit swings like a motherfucker. Sometimes, you play right in the center of the beat. That shit swings like a motherfucker ! »  Miles, poursuit Billy, était extatique lorsqu’il désignait le cœur du temps en empoignant sa bite comme quelqu’un se masturbant: « Probablement, tout le monde dans cette musique connaît les trois façons de se placer sur le temps, derrière, dedans, devant – mais c’était intéressant de voir comme Miles privilégiait le centre. « Probably everyone in music knows about the three places of the beat – behind, center, and ahead – but it was interesting that Miles valued the center so much.»

Lu dans Oceans of Time, the Musical Autobiography of Billy Hart (as told to Ethan Iverson) – Cymbal Press, 2025