D'Jazz Nevers ( suite) Au midi du septième jour - Jazz Magazine
Jazz live
Publié le 15 Nov 2025

D’Jazz Nevers ( suite) Au midi du septième jour

L[EG]ACY Jeudi 14 novembre

Eric Löhrer et Jean Charles Richard à la petite Maison 12h15

Les hasards de la programmation font parfois bien les choses. Alors que l’ami Xavier Prévost évoque le formidable travail de ces jeunes musiciens ( Benjamin Dousteyssier, P.A Badaroux) qui sortent des archives de Steve Lacy de véritables pépites, de notre côté dans la petite salle de la Maison de Nevers nous allons écouter un hommage délicat à ce musicien aussi exceptionnel que discret de l’histoire du jazz.

Une heure de musique qui se propose de revenir sur l’oeuvre enregistrée du musicien, une façon élégante de le faire (re)découvrir, de le retrouver dans quelques unes de ses compositions choisies avec soin dans sa longue et riche discographie et présentées avec talent par le saxophoniste Jean Charles Richard sur une idée d’Eric Löhrer.

Les deux hommes se connaissent depuis le quartet du guitariste Selene Song en 2010. Et on ne saurait mieux choisir pour faire partager leur intimité avec Steve Lacy. Il faut en effet des passeurs pour entretenir le souvenir. On connaît l’attachement, la fidélité de Jean Charles Richard à celui qui fut en quelque sorte son mentor puisqu’il a étudié avec Steve Lacy l’instrument. Et dans le duo chacun à sa manière s’efforce de faire fructifier cet héritage. D’où cet album sorti l’an dernier sur l’Heure du Loup

présenté au Musée d’Art moderne de la ville de Paris. Idée brillante puisque Steve Lacy partageait tout naturellement ces passages d’une forme artistique à l’autre, ami de Zao Wou Ki avec lequel ajoute J.C Richard ils pouvaient discuter de l’importance du silence aussi bien dans la musique que dans la peinture, de l’unité du souffle, du travail sur le son.

Le répertoire a été construit avec finesse avec le choix de petites pièces alternées plus moins entraînantes. Les compositions de Lacy explorent souvent ses recherches formelles. Ce montage vif met en valeur le talent de deux musiciens qui ne cherchent jamais à être virtuoses mais sont les mieux placés pour rendre l’évidence lumineuse de cette musique, son « Art » ( c’est d’ailleurs le premier thème joué, sans doute l’une des compositions les plus célèbres), certains thèmes de ses partenaires de jeu, Cecil Taylor par exemple avec lequel il joua à ses débuts (« Louise » en 1960 in The Straight Horn of Steve Lacy), Monk évidemment pour lequel Lacy avait plus que du goût. Trois compositions jouées au baryton, le timbre le plus adapté : «evidence» s’imposait, « Bright Mississipi », et en rappel le dansant « In walked Bud » qui vous ferait rejoindre une piste de danse. Un seul thème du guitariste Eric Löhrer « Maybe Yes » se glisse dans la sélection sans déparer tant Eric Löhrer a de familiarité avec Monk auquel il avait consacré un solo intitulé… Evidence !

Des compositions plus tardives traduisent le passage sans transition du swing au free ( Lacy avait même commencé en terres du Dixieland) avec « Retreat »ou encore « Hook » qui est plus qu’un rappel du blues auquel le jazzman revient toujours. Il faudrait encore citer son duo avec Gil Evans « Esteem »en 1987 sur un disque de JJ Pussiau alors que le pianiste participait au big band Lumiere de Laurent Cugny. Deux thèmes traduisent sa fascination pour l’orient et sa philosophie. Le soprano se pare de mystère, devient alors shakuhachi, la flûte japonaise que le saxophoniste avait travaillé avec l’un des maîtres Watazumido So.

Steve Lacy, c’est une histoire accélérée de la musique de jazz, le chaînon indispensable entre le jazz des débuts et Monk, puis sans transition entre le bop et le free, comme Jimmy Giuffre qui d’un jazz aérien chambré ne pouvait faire autrement que de jouer free…Sans quitter le soprano, contrairement à JC Richard qui fait un grand et (lourd écart) du soprano au baryton, Lacy avait une sonorité lyrique aussi que bien que tranchant. Et une curiosité rare dans la vie.

Liberté de mouvement, souplesse de lignes, les deux musiciens dans leur dialogue introduisent le silence en même temps que le son par impulsions successives, donnent chair à leur geste musical. La guitare sobrement heavy ou cristalline d’Eric Löhrer est le contrepoint idéal au phrasé de Jean-Charles Richard : blues décontracté, brouillage parasiteux et brouillasseux pour le free, micro chirurgie de fins gratouillis pour la méditation japonisante, tout un éventail de sonorités, de recherches de textures. Une seule guitare PRS qui ressemble à une Gibson Les Paul qu’il ne change pas compulsivement comme tant de confrères, passant leur temps à bidouiller et chercher des effets. Mais il sait les trouver pour habiller la musique de son camarade de jeu, les envolées moelleuses au baryton, les stridences free écorchées au soprano. Avec ces deux là on continuerait bien le voyage, on ne quitterait pas le Lacy land. Et il faudrait en poète inventer des haïkus en mémoire de Steve!

Sophie Chambon