Pau: Fred Wesley, jazz funk à gogo
Procédure inhabituelle pour ce second épisode automnal de la saison de Jazz à Pau. Le concert du soir dans un auditorium du Foirail toujours rempli à ras bord malgré la concomitance d’un match du Top 14 concernant le club de rugby de la ville -la Section Paloise face à Bordeaux Bègles retransmis en direct sur Canal- comporte une première partie avec des musiciens du crû jouant eux à domicile.
Jazz à Pau, Le Foirail, Pau (64000), 21 février
The Super Soul Brothers : David Noël, Claire Rousselot-Paillez (voc), Pierre-Antoine Dumora (g), Ludovic Timoteo (elb), Olivier Pelfigues (dm), Julien Suhubiette (tb), Julien Stantau (clav)

Musique en place. Succession de plans funky, breaks, syncopes et compagnie cultivés en pleine scène plus de gros coups de basse…avec le vecteur portant d’une voix grasse qui colle bien avec. Ajoutez-y nombre de retours envers le public en appels réitérés pour des battements de mains valorisés tels une rythmique élargie. Et même au pic de l’intensité du feeling ainsi dégagé la montée du chanteur à la rencontre du public. Lequel, chic et bon genre assure un gros succès au groupe béarnais qui joue là, chez lui, au bout d’une dizaine d’existence. Et vient d’obtenir le label de meilleur groupe du France Blues Award 2025.

Fred Wesley (tb), Dwayne Dolphin (elb, voc), Peter Madden (clav), Gary Winterstein (g, voc) Charles Mc Neall (ts), Bryan J Morris (dm), Bruno Speight (g)

C’est prévisible: mais avec cet orchestre en mélange de génération, d’entrée de jeu, le funk tourne à fond, le rythm’n blues tourne rond. La machine à produire du rythme est fabriquée forte d’un programme monté à dessein. Et il en ira ainsi, en place de la première à la dernière mesure. La sonorité des cuivres mis en premier plan s’en trouve minutieusement astiquée. D’ailleurs Fred Wesley, vétéran de ce « jazz funk » lâche de sa singulière petite voix une confidence en mode de justification « En hommage à James Brown on a appelé l’orchestre Fred Wesley and the New JB’s, moi je le rebaptiserais bien « Fred Wesley and the Holly Horn »
Le tromboniste de 82 ans qui a tourné sur toutes les scènes du monde auprès de James Brown, du Parliament Funkadelic, Ike et Tina Turner aussi bien que Count Basie notamment relit aussi Georges Clinton au passage. Recette de départ incontournable: un plan de base basse/batterie sur un tempo binaire appuyé, strict, incassable, inusable. Le temps que la guitare rythmique aille chercher les contretemps…et c’est parti pour le groupe dans son entier, effet coup de poing swing favorable au déhanchement. D’autant que les cuivres sonnant à trois voix additionnées, compactes insistent en autant de contrechants qui durent, se répètent, mordent dans le cortex…

« Moanin » l’un des hymnes du hard bop signé Bobby Timmons pour les Jazz Messengers : voilà comment on passe en un instant du monolithe funk à la souplesse du ternaire. Une parenthèse, une respiration le temps d’un solo de trompette classique. Wesley lui, costard impec et col roulé blanc assis sur son tabouret de bar fait coulisser son trombone d une force tranquille, mesurée. Il scande le standard de jazz en modèle comme d’aucuns réciteraient d’une voix claire quelques alexandrins d’un Victor Hugo .

Pourtant les accents forts de la fièvre rythm’n blues reviennent au grand galop « Peace power » mine de rien se veut un « chant de réaction aux événements noirs qui assombrissent le ciel de notre époque » Une veine de funk pur: on sent qu’il possède cette grammaire black soul sur le bout des doigts. La singularité du personnage veut qu’il se régale visiblement encore à son âge à la professer en live ( il ira même à ce titre le lendemain assurer une master class au Conservatoire de Pau) Un sang de blues à couler également au passage: « Trick Bag », un thème qu’il se plait à chanter avec, nécessité du genre, un solo de guitare tranchant histoire d’authentifier la matière. Pour conclure, toujours un peu professoral dans le ton, par du contenu question catalogue exposé « On vous a joué du funk, du jazz, du boogie, du blues…on a aussi en réserve une chanson d’amour. Ça peut arriver à tout le monde non ?… » Ce sera « In love » occasion d’une ballade soft. Un trombone joué sonorité en glissando feutré, langoureux. Des accords de piano électrique dans une tonalité similaire en accompagnement. C’est bien fait, c’est rodé: idéal pour marier, au pied des Pyrénées décorées du blanc tendre des premières neige, « funk and tenderness »
Robert Latxague