Clément Janinet et Arve Henriksen, l'esprit d'ouverture - Jazz Magazine
Entretien
Publié le 5 Déc 2025

Clément Janinet et Arve Henriksen, l’esprit d’ouverture

Robert Lucaciu, Arven Henriksen, Clément Janinet, Ambre Vuillermoz. Photo © X/DR

Le violoniste français a créé un nouveau quartette au carrefour du jazz et des musiques baroques et traditionnelles françaises. A l’occasion de leur concert à la Dynamo de Banlieues Bleues dans le cadre du dispositif européen Jazz With, les deux hommes ont raconté la genèse de cette formation unique.

Arve Henriksen, quel rapport entreteniez-vous avec la France avant l’invitation de Clément Janinet à participer à Garden Of Silences ?
J’ai joué dans beaucoup d’endroits depuis mes débuts dans les années 1990, notamment à Banlieues Bleues à l’occasion, et un passage il y a bien des années au festival de Nevers au sein du Trygve Seim Ensemble. Mais en général jouer en France a été difficile. Rencontrer de jeunes cats comme Clément Janinet et le reste de Garden Of Silences est génial, c’est l’opportunité d’apprendre de la nouvelle génération. En France comme en Norvège, il y a un super système de soutien aux artistes nationaux, mais nous avons aussi une volonté et des structures pour exporter nos artistes, notamment parce que notre scène est assez petite, on a envie de sortir de chez nous. Ma femme [la chanteuse Anna Maria Friman] pratique les musiques médiévales où beaucoup de collaborations se pratiquent entre des artistes très différents, comme Catalina Vicens, Marco Ambrosini… J’ai retrouvé cette grande ouverture avec la formation de Clément. Lui-même a exploré beaucoup de choses, les musiques africaines, le jazz, j’aime beaucoup cette vision de la musique. Si on ajoute l’improvisation, ça permet d’aller jouer dans plein d’endroits et c’est plus que jamais le moment : on a besoin et envie de savoir ce qu’il se passe en France autrement qu’avec la presse. Il y a beaucoup de connexions entre la France et la Norvège : notre Constitution est fondée sur les mêmes principes de liberté, d’égalité et de fraternité que la vôtre, l’ancienne ministre Eva Joly est norvégienne par exemple, tandis que le Punkt Festival de Jan Bang a collaboré avec Banlieues Bleues. C’est très important de continuer ce processus.

Clément Janinet, comment est né Garden Of Silences ?
J’avais d’abord envie d’un quartette avec cette instrumentation violon-accordéon-contrebasse-trompette, en partie après avoir écouté l’album “Charms Of The Night Sky” de Dave Douglas. Je voulais aussi m’inspirer de répertoires anciens, comme l’avaient fait Louis Sclavis pour “Les Violences de Rameau”, Uri Caine, Arve Henriksen avec le Trio Mediaeval dont fait partie son épouse, ou le trompettiste Jean-Paul Estiévenart avec un ensemble baroque. J’étudie la musique baroque depuis un an et demi au conservatoire pour ne pas juste en garder une vision de jazzman qui vient “en touriste”. Il y a plein de ponts avec le jazz : l’improvisation, certaines inégalités de longueur et de volume de notes, mais aussi ce côté modal, ces lignes que chacun développe pour former des harmonies. J’ai souvent tourné avec le bassiste Etienne Mbappé en Scandinavie entre 2007 et 2015. Beaucoup de musiciens de cette région sont excellents et pratiquent des styles très différents sans les “cases” qui ont longtemps cloisonné les genres en France, leur approche des musiques contemplatives me parle beaucoup. J’ai donc invité Arve Henriksen, spontanément par e-mail. J’avais rencontré Robert Lucaciu quelques fois, je savais qu’il jouait très bien à l’archet. J’ai découvert Ambre Vuillermoz sur une recommandation de Bruno Ducret, membre de La Litanie des Cimes. L’élément humain est très important pour moi. On n’avait jamais joué ensemble mais la première répétition s’est très bien passé, on avait d’emblée le son que j’avais en tête.

Comment définiriez-vous la sonorité de ce quartette ?
Nos influences sont très diverses. La musique est n’est pas très complexe, les textures et les structures sont assez balisées en amont, et les mélodies assez simples pour qu’on ne passe pas trop de temps à mettre en place la musique, que chacun puisse s’en emparer et y mettre sa personnalité. L’idée c’est que les choses ne soient jamais trop identifiables : on reprend par exemple un morceau de Marin Marais [compositeur français, 1656-1728, NDLR] mais selon comment on le joue, ça pourrait une mélodie traditionnelle du centre de la France. J’apporte des choses des musiques du monde, et l’improvisation permet de faire ressortir des côtés différents à chaque fois. Notre son est principalement acoustique, même si Arve chante et utilise des effets en concert, et le résultat dépend beaucoup de la salle où on joue. On a enregistré assez tôt dans le processus, après seulement un concert avant d’entrer en studio pour voit où les improvisations pouvaient nous mener. Pour l’album, a gardé les prises enregistrées dans une configuration totalement acoustique, mais on a aussi en boîte des live qui devraient sortir début 2027. Au micro : Yazid Kouloughli

A écouter Garden Of Silences “Garden Of Silences” (BMC / Socadisc, sortie en 2026).