San Sebastian: Bobo Stenson piano forte
Bobo Stenson (p), Anders Jormin (b), Jon Fãlt (dm)
Donostia Kultura, Club Victoria Eugenia, San Sebastian, Euskadi, Espagne, 5 décembre

À suivre attentivement le lien entre le piano et la contrebasse on note aussitôt la forte présence d’une écoute, d’un échange nourri entre eux. Rien de plus logique: les deux musiciens suédois se suivent, se fréquentent sur scène depuis bien longtemps. La caractéristique du piano de Bobo Stenson tient à ce qu’il se cultive sur un terrain de mélodies travaillées en profondeur tout en se montrant plutôt assez économe sur la quantité de notes produites. Méthode « nordique » Point trop d’ornements. Pas de bavardage superflu. Ce qui n’obère en rien des couleurs pastels exposées le long d’un thème « inspiré des paysages de Corée du Sud » La batterie là, précisément, laisse ses baguettes imprimer une percussion légère. Ce ne sera pas toujours le cas…

Ainsi Jon Fällt que l’on découvre pour l’occasion, entraine-t-il ensuite son instrument dans un mouvement de danse nanti d’une fermeté douce de ses poignets via les balais en frappe caressantes ou appuyées sur le dôme de cuivre des cymbales. Ce jeune batteur se révèle être un personnage. Musicien créatif dans ses interventions, ses trouvailles, les sonorités générées. Mais acteur également, récréatif de par les gestes, mimiques, cris et autres onomatopées ! Dans le calme, la concentration caractéristique du trio scandinave il apporte un lot d’intranquillité. Preuve manifeste à l’occasion d’un morceau signé Don Cherry. Une courte introduction sur une séquence inspirée du catalan Frédéric Mompou (pianiste et compositeur notamment de la musique du film Cria Cuervos du réalisateur Carlos Saura) le temps d’installer une rythmique obsédante frappée à partir d’un schéma de sanza africaine par ce même batteur, aussitôt relayée par la main gauche sur les basses du piano. Puis la figure devenue collective se lance, tourne, monte intensive vers une version d’une autre danse irrépressible. Le trio a quitté une certaine retenue pour emprunter les chemins d’une triangulation veine plein jazz effervescent.

Même renversement de valeur dans une séquence suivante pareillement construite en opposition de phase. Un exposé du thème mode piano solo. Bobo Stenson retrouve les plans ECM des seventies qui l’ont révélé -dans le :même temps que Jan Garbarek-, ceux du dit « plus beau son du monde après le silence » Piano objet cadeau de délicatesse et de toucher sensible sur le clavier. Notes choisies comme une à une, parsemées, intimiste de caractère. Pourtant le moment référentiel parait ne durer ici que l’espace d’un temps bref. La suite, à trois instruments à nouveau conjugués, procède plutôt par flashs éclairants au travers du filtre de trois objectifs séparés.
Bobo Stenson que l’on n’avait pas trouvé sur scène depuis des années -il se fait rare en France par exemple, faut-il le souligner- 81 ans maintenant, au bout de plus d’un demi siècle de carrière garde une fraicheur intacte. Fait montre d’une certaine simplicité dans son art pianistique. On reste avec son piano en prise directe avec une expression jazz forte, personnelle.

Robert Latxague