Les rencontres AJC 2025 à la Dynamo de Banlieues Bleues - Jazz Magazine
Jazz live
Publié le 8 Déc 2025

Les rencontres AJC 2025 à la Dynamo de Banlieues Bleues

La frontline de Franges : Léa Ciechelski, Maïlys Maronne et Hector Léna-Schroll (© Maxim François)

Dans une ambiance familiale propice aux belles découvertes. Journal du 1er décembre, les rencontres AJC ont soufflé un vent de créativité quelque part entre Berlin, Paris et New York. par Hanna Kay / Photos : Maxim François

L’objectif ? Offrir une scène aux artistes accompagnés par Jazz Migration, juste avant qu’ils ne prennent leur envol pour une année de tournée. Énergie juvénile et idées audacieuses étaient au rendez-vous, dans une ambiance stimulante où l’on discutait autant que l’on écoutait. Pour cette onzième promotion de Jazz Migration, quatre formations se sont relayées ce lundi en véritables laboratoires sonores, explorant timbres, textures et procédés, entre héritage acoustique et audaces numériques. Une fusion riche de promesses, où instruments traditionnels et machines se sont rencontrées dans un dialogue intéressant. Place aux sons de demain.

Le Duo Brady

DUO BRADY — L’acoustique poussée jusqu’au mirage électronique (Michèle Pierre Violoncelle / Paul Colomb – Violoncelle)

La singularité du Duo Brady commence par un choix radical : « On n’a pas de pédales. Tous les sons, on veut les produire en acoustique ». Ces deux-là se connaissent bien et depuis longtemps. Issus d’une formation classique solide (Cnsm pour Michèle Pierre, et conservatoire de Lausanne pour Paul Colomb), ils s’amusaient, il y a 15 ans, à improviser des heures entières là où vivait Michèle à Paris, passage Brady. Leur premier morceau “Brady”, s’inspire de la musique Bollywood des restaurants indiens et pakistanais du quartier. Complicité solide, Souvenirs d’étudiants et réflexions sur un monde futur, ils font honneur à leur principal allié : le violoncelle. En brouillant les frontières entre classique, jazz et musiques d’avant-garde, ils se laissent emporter par la puissance des vibrations de l’archer sur les cordes pour trouver un ailleurs. Bienvenue dans un autre monde, celui des textures, des musiques qui inspirent des décors, des atmosphères. Le violoncelle comme instrument total — , percussion, synthé, basse, bruit blanc, souffle — grâce à une batterie de modes de jeu non traditionnels : onglets, frappes, frottements, résonances forcées. «Ce qui nous amuse, c’est de considérer le violoncelle comme un laboratoire », disent-ils. Pour créer l’illusion d’un beat de l’au-delà, ils invoquent Anaïs, leur ingénieure son :« C’est le troisième membre du groupe puisqu’elle joue sur partitions, elle déclenche ou enlève des micros et va chercher un timbre très particulier». Le processus d’écriture a muté avec le temps : « Avant, on improvisait puis on gardait ce qu’on aimait. C’était trop violoncellistique, trop dans notre zone de confort ». Aujourd’hui, ils partent parfois d’un imaginaire électronique — synthés virtuels, boîtes à rythme — avant d’en traduire les textures à deux violoncelles. « On écrit presque comme pour des machines, puis on recompose tout pour nos instruments ». Résultat : une techno organique qui respire, une musique répétitive non bouclée, un continuum acoustique qui imite l’électro par la seule matière du bois. Préparez-vous au décollage, ils nous emmènent même en boîte de nuit avec les extra-terrestres. Après le cosmos, les fonds marins pour leur prochain projet, déjà en cours de création.

FRANGES — L’écriture comme matière fluide et architecture en mouvement (Léa Ciechelski – Saxophone, flûte / Hector Léna-Schroll – Trompette / Maïlys Maronne – Piano, claviers / Vincent Audusseau – Piano, claviers/ Axel Gaudron – Batterie)

Ils s’appellent Franges, c’est un quintette, à l’image d’un mini-orchestre qui travaille la musique comme un organisme mouvant.« C’est de la matière en mouvement, qui peut être interprétée différemment à chaque concert », nous confient-ils. Leur construction repose sur un équilibre : répétitions structurantes et musiques improvisées. Franges balaye large : du free jazz au classique contemporain, des folklores nordiques à la musique conceptuelle. « J’aime les recherches d’écriture conceptuelle, les cadres qu’on peut détourner ». Entente amicale et musicale, chacun a sa place dans le groupe : « On veut que les prises de parole changent, que les spots circulent ». Le nom ? « Franges » , comme les franges de lumière et de son, comme un espace de transition qui laisse passer la lumière et nous emmène dans des univers oniriques. L’instrumentation — soufflants, claviers, batterie, piano — encourage cette plasticité. La flûte peut devenir moteur rythmique ; la trompette, éclat spectral ; les synthés, pulsations quasi tectoniques. En coulisses, ils se font écouter des musiques qui nourrissent leurs inspirations : « On peut tout à fait se faire écouter le dernier Justin Bieber que l’album de Pino Palladino et Sam Gendel ». Leur rapport à la musique sans frontière traduit une façon de relationner avec l’autre, avec l’auditoire. Le groupe décrit son intention comme un rapport au public fondé sur l’énergie plutôt que sur l’interaction frontale : « On se surprend nous-mêmes, et ça invite les auditeurs à entrer dans nos mouvements ». La formation comprend deux clavieristes capables de jongler entre plusieurs claviers et synthétiseurs. Ensemble, ils se stimulent, vont là où leur sensibilité les mène, partagent. Une musique qui respire comme un organisme vivant et dont la cartographie se réinvente à chaque itération.

La frontline de Franges : Léa Ciechelski, Maïlys Maronne et Hector Léna-Schroll (© Maxim François)

NITE AND DOGS — La folk augmentée, glitchée, traversée de cultures électroniques (Rose Dehors – Trombone, sacqueboute, chant, flûte à bec / Lou Ferrand – Chant / Raphaël Gautier – Guitare, pandeiro / Paolo Rezze – Violoncelle, basse, guitare, pandeiro)

Chez Nite And Dogs, la musique commence par un univers imaginaire : « On aime les objets lofi, les vieux téléphones, les glitchs, la radio ». Ces objets ne sont pas décoratifs : ils inspirent des textures, des grains, des saturations douces ou des distorsions volontaires. Leur procédé est hybride. « Certains morceaux sont composés seuls, d’autres à deux, mais toujours avec un espace où chacun peut jouer comme il veut ». Cette liberté est permise par des cellules musicales ouvertes, parfois réduites à un motif minimal, sur lesquelles chaque musicien construit sa trajectoire. Le rapport à la voix est central. Lou improvise souvent : « La voix peut devenir une passeuse entre les mondes, le réel et le pixel ». Dans leurs influences : Björk —« j’aime tout de Björk », nous confie Rose—, Saya Gray (album QWERTY, découvert il y a deux ans, impulsion majeure pour créer Nite & Dogs), la noise de Maria Bertel, Nina Garcia, mais aussi Gilberto Gil et des folklores plus organiques.

Nite And Dogs

Leur esthétique visuelle nourrit aussi la composition : « On a une esthétique foisonnante, façon collages numériques. Ça influence notre façon d’écrire ». « Nite & Dogs » en référence à Nintendogs, un jeu vidéo simulant un animal de compagnie virtuel. « On ne voulait pas avoir de procès avec Nintendo donc on a trouvé une autre façon de l’écrire » . Leur EP « Sky Telecom » est sorti fin octobre. Des clins d’oeils d’une jeune génération marquée par les jeux vidéos, mais aussi par l’univers de la BD. « Je suis très inspirée par Brecht Evens, dessinateur qui a fait Panthère ou Les Rigoles , qui mélange crayon à papier et serigraphie », nous dit Rose. Techniquement, leur concert revisite leur bagage de musicien classique dans un montage permanent entre écritures, textures électroniques, usage d’objets sonores, plages improvisées et distorsions sensibles — une folk mutante, inspirée de différentes formes artistiques, qui accepte l’erreur numérique comme matériau poétique.

OASIS BOOM — Une rhapsodie continue, répétitive, improvisée (Vincent Duchosal – Guitare électrique préparée / Mélissa Acchiardi – Batterie, synthé)

Batterie/Guitare, un duo plutôt rock mais très jazz dans l’intention. La musique d’Oasis Boom est un voyage sans interruption, où on donne tout sur scène, à l’image des rockstars. Leur morceau phare dure une heure, Cactus Bus. « On joue un seul morceau : une traversée. On ne veut pas lâcher les gens ». Cette forme impose une architecture musicale complexe : un enchaînement de textures, de riffs, qui changent de densité mais pas d’élan. Le duo refuse le dépouillement traditionnel guitare-batterie. Mélissa Acchiardi à la batterie joue simultanément du synthé et des percussions, et frappe le synthé avec des baguettes. Vincent Duchosal vient de la guitare classique et a beaucoup exploré d’autres styles, notamment la guitare façon Django. Pour ce projet, il utilise des pédales d’effets— octaveur, distorsion, delay— mais pas de pédales de loop.

Oasis Boom

« Je joue la guitare électrique comme une guitare classique préparée », nous dit-il. L’inspiration rhapsodique vient de structures libres héritées du maloya, des musiques mandingues, du rock et du noise. « Les thèmes se nouent, s’étirent, explosent, se fragmentent, mais jamais ne se répètent ». Le moteur du duo repose sur un principe : «Notre musique est répétitive, mais il n’y a aucune boucle » — tout est produit en direct. Sur scène, la proximité entre les deux musiciens, et les jeux de regard sont essentiels pour maintenir la tension : « On doit se voir en permanence pour les tops visuels. C’est de l’énergie pure », nous raconte Vincent. Il n’y a pas de voix dans le duo, mais les instruments produisent parfois des sonorités qui évoquent des voix, créant une ambiguïté pour le public. « L’objectif est de retranscrire des univers électroniques avec des instruments non électroniques, créant un contraste entre les deux univers » . Pour mettre au monde leur complicité et leur musique, les deux artistes ont travaillé d’arrache-pied façon rock avec des rencontres très régulières pendant un an (presque toutes les deux semaines), et des sessions enregistrées et réécoutées, construisant progressivement le morceau par la pratique intensive. Place à la musique, au rock, au jazz, à l’énergie surtout. Pour tous les publics, du club de jazz au club électro. Une musique hybride, qui change les couleurs et les idées. Hanna Kay