Jazz live
Publié le 5 Sep 2025

Ola Tunji et le Leo Geller Quartet featuring Olivier Lucchese

Quelques heures volées aux 24e Trophées du Sunside remportés par le quintette avec voix Aâma et dominés par le pianiste Levi Harvey. Palmarès détaillé en fin de ce papier, mais lorsque la curiosité a conduit Franck Bergerot à pousser la porte du Sunside, d’autres concurrents s’y produisaient (dont le 2ème prix de soliste, la saxophoniste Ornella Noulet).

Après quarante de fréquentation des concours et tremplins de jazz comme jury, cette année j’ai démissionné à deux reprises. Impression de plus en plus fréquente de voir le palmarès motivé par de supposés potentiels de séduction immédiate au détriment de l’artistique ? Goût de la découverte émoussé au bord d’un fossé générationnel ? Place aux jeunes : c’est l’inusable Alex Dutilh qui m’a succédé au Tremplin JazzContreband !

À regret ? Non, ce n’est pas la nostalgie qui m’a amené à pousser la porte du Sunside mercredi soir pendant la deuxième des trois soirées de la 24e édition des Trophées du Sunside. Mais, toujours, la curiosité. Pour deux lauréats de tremplins antérieurs.

Le premier, à 20h, c’est le quartette Ola Tunji emmené par la saxophoniste Ornella Noulet qui avait été un peu à l’origine de mon renoncement à me rendre à Avignon. Très insatisfait de voir ce tremplin à vocation européenne réduit à une seule soirée et trois groupes, j’avais navigué par curiosité sur internet pour juger de cette présélection et j’étais tombé sur de mauvaises vidéos d’Ola Tunji illustrant une pâle caricature de jazz coltranien. Plus récemment, les sachant vainqueurs du Tremplin d’Avignon (prix de groupe plus prix d’instrumentiste pour la saxophoniste), le doute me fit tomber sur des images filmées de l’épreuve avignonaise très différentes de ce que j’avais vu auparavant.

Les voici donc, tout jeunes (entre 22 et 24 ans) si je me reporte au compte rendu de Sophie Chambon, qui s’installent avec un mélange d’assurance et de fièvre sur la scène du Sunside et, d’emblée, c’est le choc devant cette musique qui, sur un répertoire original, revisite le Coltrane des derniers mois, non celui des derniers concerts, mais celui qui constitue une sorte d’aboutissement lors des dernières séances studio du quartette (“Expression” et surtout “Stellar Regions”). Certes, Loïc Lengagne est plus McCoy Tyner qu’Alice Coltrane, mais un Tyner moins massif, ce qui sous mes doigts n’est pas un reproche. Egon Wolfson navigue entre deux esthétiques, héritier d’Elvin Jones sur le tempo (voire de Tony Williams lorsque le up-tempo le pousse vers une découpe binaire), mais se rapprochant de l’option foisonnante de Rashied Ali sur le rubato. Le tout dans une complicité très mûre avec Anthony Jouravsky que je n’ose comparer à Jimmy Garrison même s’il s’en montre digne, mais avec un mélange de virtuosité et de brutalité qui semble lui appartenir en propre. Enfin, Ornella Noulet au saxophone ténor m’a laissé bouche-bée par sa façon d’incarner l’intouchable. Peut-être y apporte-t-elle une pointe de Pharoah Sanders (qui figure en effigie sur son t-shirt) et si je n’en suis pas convaincu, c’est peut-être que je méconnais le Sanders post-sixties.

Je laisserai les musicologues s’interroger plus précisément sur les emprunts de langage harmonique (ou mieux, faudrait-il l’interroger elle-même), sur la façon dont elle a assimilé cette influence qui dut être écrasante, et sur la nature de ce mimétisme, mais je me suis simplement laissé conquérir par ce mélange de puissance et de projection du son, de densité du discours, de plénitude dans le lyrisme comme dans l’abstraction, l’une et l’autre s’engendrant l’une l’autre. Tout du moins lorsqu’elle est au ténor. Au soprano c’est moins convaincant – mais il est vrai que je n’ai pas une grande passion pour Coltrane sopraniste – et je pense qu’elle aurait avantage à travailler la question du côté de Steve Lacy et/ou de David Liebman (voire à aller désormais se ressourcer du côté d’Evan Parker et Tony Malaby). Évidemment, cela pose la question du revivalisme. Mais pourquoi se poserait-elle lorsque l’on s’attaque de cette manière à Coltrane alors que l’on n’exprime aucun doute lorsque d’autres arpentent en tous sens les œuvres de Clifford Brown, des Jazz Messengers ou de Bill Evans. Aussi, tout en souhaitant à ce groupe de sortir de ce qui pourrait être une ornière aussi convaincante soit-elle, je souhaite à un public qui n’a jamais vu Coltrane de jouir de cette réincarnation qui ne sent pas le Musée Grévin.

21h30, c’est au tour du guitariste lyonnais Leo Geller de s’installer sur scène et l’on verra qu’il n’est pas seul. Son quartette, avec un saxophoniste différent, avait remporté à Sion le Tremplin JazzContreBand en 2023, sans m’avoir laissé un souvenir inoubliable. En revanche, de nouveaux enregistrements assortis d’une invitation de venir réécouter le groupe au Sunside en janvier dernier, m’avait fait regretter mon indisponibilité ce jour-là. Et c’est sa participation deux ans après JazzContreBand qui m’incitait mercredi dernier à passer une tête au Sunside à l’occasion des Trophées. Je notais non seulement la présence d’un nouveau saxophoniste mais aussi ce nouvel intitulé : Leo Geller Quartet featuring Jérémie Lucchese. Geller à la sortie de leur prestation me racontera combien l’arrivée récente de ce jeune saxophoniste diplômé du CSNM a stimulé l’évolution du groupe déjà en cours depuis JazzContreBand.

Première observation, une écriture et un jeu très orchestraux jusque dans les improvisations où le soliste ne semble jamais se désolidariser du groupe. Ça circule constamment. Et même si les solistes ne se refusent pas à l’emportement, ils restent dans une permanente interaction avec le collectif et le matériel écrit. Pas de flow extatique, mais une improvisation pas à pas, des phrasés très détachés évoquant le caractère très posés de ces saxophonistes apparus au tournant du siècle dans le sillage de Mark Turner et Chris Cheek, retrouvant cette espèce de pas à pas redécouvert chez ce dernier au Respire Jazz Festival 2025. Attitude que j’observais également dans les phrasés de Léo Geller avec une attaque du médiator presque staccato jusque dans les phrasés les plus fluides, ceux-ci voisinant avec un sens de l’espace et un souci permanent de la construction, notamment dans les choix des intervalles. On en oublierait presque la rythmique, tellement moins spectaculaire que chez Ola Tunji, mais dont l’activité se fond dans le son orchestral. Soit le batteur Malo Thierry à la prolixité discrète, mesurée, attentive, “spaciale”, intensément musicale, et Fanny Bouteiller peu visible derrière Jérémie Lucchese, d’une virtuosité discrète, qu’on oublierait presque, sinon qu’à y prêter quelque attention on se rend compte que sans elle, le son collectif, la musique elle-même perdrait toute consistance, tant son rôle orchestral dépasse la seule ponctuation en walking.

Ce n’était là qu’une visite indiscrète et ponctuelle à un concours s’étalant sur trois jours et dont j’ai voulu attendre la proclamation des prix pour livrer ces quelques lignes afin de ne pas avoir l’air de doubler jury. On lui doit le palmarès suivant :

1er prix de groupe et composition : le quintette avec voix Aâma emmené par la chanteuse Emma Prat (3ème soir 1h39*) .

2ème prix de groupe et composition : le quintette du guitariste Loan Buathier (1er 3h43*)

1er prix de soliste : le pianiste Leiv Harvey qui semble avoir dominé la première soirée, présent au sein de son propre trio (1er soir 4h47*), du Loan Buathier 5tet (1er soir 3’50*) et du trio de Juliette Delas (1er soir 2’44*) .

2ème prix de soliste : Ornella Noulet du quartette Ola Tunji (2ème soir 1h41*) .

Mentions spéciale : la chanteuse Azilis (2ème soir 3h54*).

Franck Bergerot

* Code time sur les captations vidéo des trois soirées disponibles sur youtube. Je me permets d’y ajouter la prestation du Leo Geller Quartet (2ème soir 2h39) et d’une “curiosité” don la fraîcheur pourrait dissimuler quelque promesse : la prestation de la tromboniste et chanteuse Gabrielle Rachel et de son pianiste Clément Simon (1er soir 1h41) .