Les Émouvantes #3

C’était il y a quatre jours, le 13 septembre, dernier soir « jeune et dansant » aux Émouvantes à Marseille, avec “Mÿa” de Robinson Khoury et “Slydee” de Sylvain Daniel.
NB: N’ayant pas à cœur de sortir le clic-clac de mon téléphone portable dans le cadre intime des concerts des Émouvantes, les pochettes qui illustrent ce compte rendu sont purement imaginaires et n’engagent aucunement la responsabilité des artistes. En fin d’article, les pochettes correspondant aux disques présents dans le commerce.
La peur de l’usure, du mal vieillir, le désir de renouvellement et d’élargir un public que l’on sait vieillissant, particulièrement dans les salles du jazz, a incité le fondateur des Émouvantes, son âme, Claude Tchamitchian, à associer à sa tâche de programmateur un musicien plus jeune, Fabrice Martinez, fantastique trompettiste (ce qu’il a démontré une fois de plus lors de la soirée d’ouverture du festival en donnant la réplique à Marc Ducret), susceptible par ses choix esthétiques et son vécu de faire office de passeur trans-générationnel.
Ce sentiment d’usure peut également étreindre le chroniqueur qui passé les soixante ans – que dis-je… les soixante-dix –, même s’il continue à exercer sa curiosité auprès des jeunes générations, tend à refermer l’éventail de ses terrains d’observation, privilégiant l’expérimentation… pas trop expérimentale, fuyant les grandes salles et ses sonos tonitruantes, les territoires artistique où le festif, la convivialité contrainte, le métissage programmé, l’exotisme et la transe à consommer debout une bière à la main, le diktat du chiffre. Frisolité de Boomers, soixante-huitards (r)assis sur de vieilles préoccupations esthétiques ? Qu’en est-il ? Où en suis-je ? Dans quelle impasse ? Dans quelle retraite mentale me suis-je laissé interner ? Et d’où Fabrice Martinez m’inviterait à faire le mur, lui qui me renouvelle, lorsqu’il me croise avec une petit sourire amical et narquois, la promesse faite au public lors des présentations de la programmation « Et ce samedi soir, vous allez danser ! »

La veille, le trio “Haleïs” de Juliette Meyer m’avait tiré avec bonheur de ma zone de confort. Avec Robinson Khoury, son instrument – dont il ne joue que la coulisse dans le morceau d’ouverture avec une conviction confondante – m’y ramène. La virtuosité et l’expressivité instrumentale font partie des critères du vieux jazzfan qui se laisse enchanter lorsqu’elle est pratiquée à ce niveau de technicité et de conviction. Mais j’apprécie aussi le caractère épique de son nouveau groupe Mÿa, l’intensité de sa présence et la justesse du rappel de ses racines libanaises. Et si je trouve un peu pauvrettes les sonorités des claviers de Leo Jassef dont l’usage simultané m’a semblé “embarrasser” son jeu de piano – ou peut-être embarrasser mon écoute –, l’usage trépidant que fait Khoury lui-même de différents outils de programmation (dont une console à fiches qui éveillent le souvenir des premiers synthétiseurs) est assez réjouissant, à quoi s’ajoute une sonorisation dynamique due à l’ingénieur du son Mathieu Pion qui participe de cette polyphonie électronique. Je m’en voudrais d’oublier Anissa Nehari dont la polyrythmie virevoltante de ses percussions participe de cette féérie de sons, de mélodies et de rythmes.

Passé la pause repas, le bassiste électrique (ici et là chanteur, d’une voix filtrée par quelque effet électronique) Sylvain Daniel invite le public à se lever pour venir danser devant la scène sur un mélange rock et rhythm’n’blues vintage façon “années 1970”. À ses côtés, des musiciens de premier plan : Aymeric Avice (trompette), Bruno Ruder (piano, Fender Rhodes), Arnaud Roulin (synthétiseurs), Vincent Taeger (batterie). Dois-je en parler ? Puis-je en parler ? Suis-je compétent pour le faire ? C’est admirablement bien joué, les solos de Ruder et d’Avice ne sauraient me laisser indifférent, les interventions pleines d’humour d’Arnaud Roulin donnant une touche second degré à cette musique du siècle dernier, sur des drummings d’une densité sans relief qui me donnerait plus envie de marcher au pas que de danser. Boomer que je suis… me voici réfractaire à une musique quasi de boomer. Indécrottablement indifférent, songeant qu’il me faudrait régler l’alarme de mon mobile à 5h30 pour ne pas louper mon train je me suis retiré sans attendre le rappel, un peu honteux de ne pas goûter ces plaisirs simples… me demandant toutefois si c’était là la bonne formule pour ces Émouvantes en quête de renouvellement. Franck Bergerot
