Jazz live
Publié le 3 Oct 2025

L’Autre Festival avec Benjamin Garson et Léa Ciechelski

Un guitariste en solo Benjamin Garson et le quintette “Franges” de la saxophoniste et flûtiste Léa Ciechelski” dans le cadre de L’Autre Festival franco-norvégien qui se clôturera le samedi 4 à la Petite Halle.

Benjamin Garson – que l’on connaît par ailleurs guitariste de jazz, Gibson L5 en main ou équivalent – entre en scène avec une guitare cordes nylon et un repose pied pour surélever son genou gauche où poser le creux de l’éclisse de sa guitare, une pratique associée à la guitare classique que j’ai rarement vue sur la scène du jazz, sinon chez Ralph Towner. Garson a son répertoire en tête qu’il feuillettera mentalement pour en choisir quelques pages parmi lesquelles cheminer selon une sélection et dans un ordre qui participent de son métier d’improvisateur.

Cheminer. Le manche d’une guitare est une géographie. Elle a ses territoires. Certains très fréquentés comme le trottoir des grands magasins aux veilles de Noël, à commencer par le Mi 1ère position que John McLaughlin égraina le jour où Miles Davis lui demanda de jouer In the Silent Way comme s’il jouait de la guitare pour la première fois… et des déserts jamais foulés par quiconque et des forêts vierges. S’y aventurer, partir à leur conquête, c’est imaginer des trajets, des parcours, entre fluidité du geste et grands écarts, des solutions de continuité documentées dans les méthodes, les “plans” que l’on se refile, sur les pas des pédagogues et de grands maîtres , des passage secrets enfin, jamais foulés par d’autres. Benjamin Garson se concentre, réfléchit, pose les doigts sur le manche. Les a-t-il posés avec une position en tête (visuelle, tactile) pour le plaisir gymnastique du grand écart et le pari d’une résolution à l’accord qui va en surgir ? Probablement, le musicien qu’il est, a-t-il déjà son identité sonore en tête, mais il a une façon de le métamorphoser, agrandir, élargir, progresser, déplacer qui laisse à penser que l’exercice musculaire de ses doigts participe de l’expérience harmonique à laquelle il se livre et qui débouche sur un air de déjà entendu même si j’ai rarement fréquenté les œuvres de Buxtehude. Puis de cette Allemande, Garson nous emmènera vers un Prélude de Johann Sebastian Bach qui, à l’âge de vingt ans, parcourut à pieds les quatre cent kilomètres le séparant de Lübeck pour rencontrer celui qui restera son maître, Dietrich Buxtehude. Cheminer.

Rédigeant au saut du lit, une nuit, plus tard, je n’ai plus en mémoire l’ordre de ce programme, mais je me souviens d’une transition qui m’a mis en alerte et dont Benjamin Garson nous dévoilera la raison : Brief Hesitation de Jimmy Giuffre. Moyennant quelques pauses entre différentes suites, nous revisiterons d’autres pages de Bach (Pavane, Partita) d’où surgiront comme des ombres dans la brume Line for Lyons de Gerry Muligan, Lonnie’s Lament de John Coltrane, ou bien en pleine lumière un Ornette Coleman… (était-ce Una Muy Bonita qu’il joue sur son disque “Biome” ?). Chacune de ces suites selon cet art du cheminement évoqué plus haut consistant à se frayer un passage d’un vallon ou d’un continent à l’autre, débouchant soudain sur ces Barricades mystérieuses, véritable tube de François Couperin, partition dont je me demande si elles marquèrent l’imagination collective – y compris la mienne fort peu informée de la musique française de l’époque – pour cet entêtant et minimal motif à variations (2 minutes, guère plus) ou pour ce titre qui, du temps où je le découvris, l’après-68, me faisait imaginer de bien réelles barricades, mais qui font aujourd’hui venir d’autres barricades plus galantes à mon imagination voguant vers le grand âge.

Deuxième partie, le quintette de la saxophoniste Léa Ciechelski dont, ayant déjà entendu le récital solo de Benjamin Garson (autre sélection et autres enchaînements dans le même répertoire), les quelques collaborations entendues ici et là avait motivé mon déplacement, ainsi que la présence à son côté du trompettiste Hector Lena-Schroll d’une fratrie dont on parle beaucoup et que je tardais à écouter. D’emblée, dès les premières notes de piano préparé, Vincent Audusseau (il joue aussi de manière orthodoxe, mais avec déjà des placements, des tournures, des harmonies, échappées de la main droite qui semblent lui appartenir) et dès l’entrée des claviers de Maÿlis Maronne, on se sent interpelé. Au caractère fugitif de ses phrasés sur son Fender-Rhodes, on songe à Jozef Dumoulin ; aux découpes boiteuses de sa bass-station, on se souvient l’avoir entendue auprès de Magic Malik. Elle apporte en tout cas là le son d’une famille Et l’on se dit aussitôt que la batterie d’Axel Gaudron « a un son », qui n’est pas massif, mais fluide, intense. Et lorsqu’entrent saxophone et trompette, c’est tout l’orchestre a un « sonne », un son orchestral sur des partitions longues et narratives, loin du simple exposé-solos-exposé, au-delà des répartitions front line ou soliste + rythmique, plus ici et là des sonorités de synthétiseurs sous les doigts Vincent Audusseau loin des timbres stéréotypés qu’occasionnent souvent ce recours. Hector Lena-Schroll use parfois de la trompette piccolo pour renforcer la force de pénétration, l’angulation et la ferveur des phrasés qui peuvent aussi se faire tendrement oniriques, notamment lorsque Léa Ciechelski s’empare de la flûte pour en doubler le son de sa propre voix le temps d’un poème chanté, le vocal et l’instrument, le sens et le son se parasitant de stimulante manière. Une autre pièce consacrée à la flûte sera dédiée à deux grandes flûtistes : Fanny Ménegoz et Sylvaine Hélary.

Pour clore le concert, Léa Ciechelski remercie l’Autre Collectif pour l’invitation qui lui a été faite et salue tout particulièrement parmi ses membres le pianiste Clément Mérienne, ce soir à la sonorisation, et le frère d’Hector, Sol Lena-Schroll, invité comme principal soliste du dernier titre, sans y faire figure d’intrus.

L’Autre Collectif est franco-norvégien basé à Paris et Oslo, animé par Mérienne, les frères Scholl, la saxophoniste et flûtiste Sigrid Aftret et la violoncelliste-chef d’orchestre-compositrice Andrine Dyblie Erdale. La 7ème édition de son festival se tenait les 5 et 6 septembre à Oslo. Le concert d’hier au petit théâtre les Rendez-vous d’ailleurs inauguration sa 8ème édition qui se poursuit ce soir à domicile à Montreuil (lieu communiqué sur réservation ) avec la violoniste Tuva Halse à 19h, le guitariste basse acoustique Gard Kronborg à 20h et les duo Liam Szymonik (saxophone) / Lou Ferrand (voix) à 21h. Grand final le 4 octobre à partir de 21h à la Petite Halle avec l’Axel Rønning Trio, la grande formation Ojkos associé à l’Autre Ensemble et le trio de musique électronique improvisée Deltaplane.

Je n’y serai pas, dès ce soir sollicité à 19h30, Les Maisons du Voyage (76 rue Bonaparte) par le concert du quartette Time Machine de David Chevallier avec instruments anciens, avant de prendre mes jambes à mon cou jusqu’au Théâtre Gérard Philippe de Fontenay-sous-Bois où le festival du collectif Pégazz bat son plein et où j’aurai manqué le duo Kamilya Jubran / Sarah Murcia (dès 20h), mais où j’espère bien être parvenu à 21h30 pour la prestation Tricératops (Marc Benham, Fidel Fourneyron, François Merville) + Invités (les voix de Célia Tranchand, Léa Castro et Laurence Ilous). D’ailleurs, je file, quittant ma banlieue opposée, au risque de laisser ici quelque coquilles. Franck Bergerot