Singularités de la rue Bonaparte et l’Espace Gérard Philippe

Instruments anciens autour d’une machine à remonter le temps imaginée par David Chevallier à la Maison des Voyages dans le 6e arrondissement parisien. Esthétique composite et inclassable imaginées par Marc Benham pour un trio piano et orgue / trombone / batterie augmenté d’un trio vocal.

Hier 3 octobre, la Maison des Voyages offrait à un public restreint le nouveau programme The Time Machineimaginé par David Chevallier dans son désir de tirer parti des factures anciennes. Un programme qui en évoque un autre et porte le deuil récent d’Anne Magouët, compagne de David Chevallier et chanteuse soliste d’un autre programme pour instruments baroques “Emmotional Landscapes”. Orchestration réduite ici, instruments à vent –Rose Dehors à la saqueboute, cet ancêtre du trombone à coulisse – donnant la primauté aux cordes : Étienne Manchon au clavecin), Atsushi Sakaï à la basse de viole et David Chevallier au théorbe, à la composition et dans un rôle de narrateur. En effet, sa suite The Time Machine s’articulant autour des épisodes du roman de H.G. Wells, il en ponctue les différents mouvements par un résumé de chacun d’eux. La prolifération des cordes pincées – le violoncelle alternant archet et pizzicato – selon une écriture très dense, très “machine” pour un volume sonore très mince, qui évoquerait presque l’inhumaine virtuosité des œuvres pour piano pneumatiques de Conlon Nancarrow. Un dimension acoustique et discursive se prêtant hélas mal à l’acoustique du lieu peu compatible avec la lisibilité tant de la partie musicale que de celle récitée, Rose Dehors tirant toutefois son épingle du jeu grâce à la puissance de projection de son instrument et un talent que l’on espère voir s’affirmer prochainement ici comme ailleurs. Quant à cette Time Machine, elle a trouvé son public au printemps dernier dans le cadre du festival Jazzdor à Berlin et le retrouvera le 12 novembre à Strabourg (toujours dans le cadre de Jazzdor) et le 11 décembre au conservatoire Nantes dans des conditions acoustiques plus adaptées.

Quelques stations de métro et de RER plus tard, à l’Espace Gérard Philippe de Fontenay-sous-bois, je rejoignais de festival du collectif Pégaz pour croiser aux portes de la salle un public bouleversé par le récital que venait d’y donner la chanteuse et joueuse de oud Kamilyan Jubran et sa vieille complice, la contrebassiste Sarah Murcia. Quelques minutes plus tard, sur la même scène, Marc Benham présentait son Tricératops, lui-même à l’orgue et au piano, entouré de Fidel Fourneyron au trombone et François Merville. Comment vous dire, sans multiplier les clichés ? Or justement, cette musique, ce programme, ce théâtre sonore imaginé par un authentique virtuose du clavier comme de l’écriture, comme “à travers cheminées et placards” une multitude d’archétypes (du piano au stride au groove néo-orlénais en passant par un splendide coup de chapeau à Duke Ellington servi par le trombone sur In My Solitude, et bien d’autres encore que j’ai oublié) sans jamais céder au faux pas du cliché et sans pour autant faire les pieds au mur, ce en quoi l’encourage François Merville lui-même atypique, d’une batterie qui faisait venir aux lèvres de mon voisin de rang, Jean-Charles Richard, le nom d’Alfred Spirli, ce brocanteur-illusionniste de la percussion, avec cependant ce professionnalisme orchestral qu’assume Merville en toute décontraction sans jamais un coup d’œil sur la partition. Et lorsqu’il fait entrer en scène un trio vocal (Célia Tranchand, Léa Castro et Laurence Ilous), alors qu’on le tient à l’œil, aucun faux pas de sa part, il use de ce charmant trio, comme personne n’aurait su le faire, d’une fraicheur insolente (et même ici, l’insolence nous paraît relever d’un cliché journalistique qui n’est pas de son registre).
Ça continue ce soir et j’y cours, avec Paul Jarret qui présente un nouveau quartette, Tilia (le saxophoniste Philippe Groper, le contrebassiste Étienne Renard et le batteur Sun Mi Hong) et The Other Side Orchestra, version orchestrale du nouveau duo constitué par Julien Soro et Delphine Deau rejoints par la trompettiste Heidi Bayer, le tromboniste Daniel Zimmerman, le tubiste Fabien Debellefontaine, la clarinettiste Catherine Delaunay, le vibraphonsite Stephan Caracci, le contrebassiste Raphaël Schwab et le batteur Rafeël Koerner. Partitions d’orchestre de Frédéric Maurin, Grégoire Letouvet et Raphaël Schwab. Wow ! On s’y retrouve ? Franck Bergerot
Jazzdor à Berlin