Jazz live
Publié le 13 Oct 2025

Marmande: De Bethman & Garcia Fons top jazz

Jazz et Garonne ,Théâtre Comédia, Marmande (47200)

Éric Séva souligne ce point à l’occasion de la présentation de la 15 e édition de Jazz et Garonne après avoir remercié une année encore les collectivités locales et les sponsors privés qui soutiennent le festival depuis sa création « L’association les Z’Arts de Garonne qui pilote et assure le continuum du festival persiste aussi dans une voix éducative. Nous avons assuré cette année encore un  travail pédagogique autour du jazz et de la musique improvisée. Par exemple cette fois des écoliers du primaire de l’agglomération Val de Garonne  ont participé à l’écriture et l’exécution  d!un conte musical »

10 octobre

Laura Kipp (voc) William Lecomte (p), Jens Loh (b), Daniel Mudrack (dm)) + invité: Eric Seva (bars, ss)

Laura Kipp

Introduction du concert d’un orchestre que l’on n’entend pas souvent dans les festivals de l’hexagone: le duo vocal/basse révèle  une voix brillante,  toute de présence de la part de Laura Kipp, chanteuse allemande qui termine actuellement une formation sur la voix à l’Université du Caire. « Ce duo représente les racines du groupe que vous pouvez entendre » justifie-t-elle.  « Jardin du Luxembourg » voit l’entrée sur scène de l’ensemble du quartet avec Eric Seva en invité. Premier son de sax soprano en contrechant. Puis vient le baryton en intro, toujours objet d’un petit jeu efficient avec la rythmique histoire de bien poser le thème, de lui donner un plus de relief.  Avant de  doubler en tonalité de grave les scansions de la voix dotée d’une souplesse certaine dans l’énoncé. On ressent alors un effet soul avec en point d’orgue un chorus très précis de la part de William Leconte. On sent chez ce dernière du métier éprouvé en tant qu’accompagnateur de chanteurs ou chanteuse. On découvre également au passage chez le pianiste un solide savoir faire de soliste.

William Lecomte

Le vocal reste au centre du propos musical. Une empreinte de voix de tonalité plutôt douce, nuancée. Ce pourrait être quelque chemin de jazz parcouru façon Anita O Day ou Peggy Lee .avec des arrêts aux carrefour de la pop le temps de côtoyer Ricky Lee Jones ou Diana Krall par exemple. Les paysages défilent: sonorité west coast au travers de traits de sax baryton. Écho de  flamenco aussi avec la composition signée du bassiste Jeff Loh dont Laura Kipp dit qu’il est le vrai maestro de l’orchestre » Puis l’on aborde un décor de chanson brésilienne (« I could write a book » Avant d’entrer dans une séquence de feeling plus lourd, une composition écrite en faveur de l’Ukraine (« The Prayer »),  sorte de chanson hymne dans laquelle Laura Kripp quitte un instant sa retenue pour partir en vocalises successives, jusqu’au cri.

Eric Seva

Tout au long de ce concert d’ouverture ce sont pourtant les souffles inspirés, mordants d’Eric Seva invité spécial en son propre territoire (sax baryton et soprano) autant que les interventions ciblées du piano de William Lecomte qui fournissent les doses appropriées de  couleurs fortes. Ce dernier aura l’élégance de rendre hommage in fine à un enfant du pays « Bernard Maury né à Marmande a été mon génialissime prof d’harmonie… » On apprendra plus tard que celui ci avait eu sous sa coup également un certain Michel Petrucciani. Et qu’il fut un ami de Bill Evans.

Renaud Garcia-Fons (b), Soléa Garcia-Foins (voc), Stefan Caracci (vib, mar midi)  Jean-Luc Di Fraya (dm, perc)

Renaud Garcia-Fons

Son dernier album (Blue Maqâm) fruit de son nouveau projet ne fait que le confirmer: chez Garcia-Fons as de la construction de lignes mélodiques, ses projections en arabesques, accrochent tout de suite l’ouïe. Sans effort obligé. Dans ses compositions les terres ibériques ne sont jamais très loin. « Tomate El tiempo » vient comme une illustration «  Plutôt utile non cette philosophie de vie par ces temps agités …? » dit-il d’un ton calme lui qui jamais ne hausse la voix. Dans cette écriture musicale qui lui est propre ressort ce mélange singulier justement de l’utilisation de la mesure temps, du tempo, de la métrique et des soubresauts de la mélodie, dans ses hauteurs, ses largeurs, leurs largesses en matière de ressenti, de feeling, d’inspiration. Au plan plus personnel, celui purement d’instrumentiste ses doigtés sur les cordes de basse participent déjà d’un langage. Lequel parle d’autant plus aisément associé ici à un jeu de percussions riches en sonorités. Jean-Luc Di Fraya s’ingénie à faire sonner caisses et cymbales à main nue. Au naturel. Dans ce même champ musical solaire le timbre sonore du vibraphone apporte une source de fraîcheur.  

Solea Garcia-Fons

Question mots, dans le verbe chanté on ne comprend pas tout. Et pour cause Solea Garcia-Fons utilise pas moins de huit langues dont, outre le français, l’espagnol, le grec, l’arabe, l’hébreu etc. La musique dans sa diversité d’expressions reflète un tel kaléidoscope. Ainsi « Orissa », joué en formule trio instrumental sensément sourcé musique indienne, flirte aussi avec des pans de musique afro latine. Di Fraya y utilise le cajon, caisse cubique importée du flamenco comme base rythmique avec la même vélocité que les quatre mailloches entre les mains de Stefan Carracci,. « Gamesha » se joue sur la langue persane. Occasion pour le bassiste de démontrer sa virtuosité à l’archet, toujours nanti d’une grande justesse. «  Alicante » un écrit de Jacques Prévert ouvre sur la séduction de la poésie «…une orange sur la table, la robe sur le tapis et toi dans mon lit .. » Moment aérien d’une voix qui vole et se voile. Un petit écrin de soi enfin à signaler: quelques minutes d’un duo de Renaud avec sa fille Solea pour une pièce de style flamenco : « Enamorada » La voix revient comme épurée  afin de conter sans plus de pathos une histoire d’amour…On sent la chanteuse à l’aise dans le rôle. L’alegria, figure l’enchantement d’un genre typique du flamenco. Ont ainsi défilé moulte couleurs et sons originels du monde. La boucle est bouclée.

Jean-Luc Di Fraya

Garcia-Fons, reste le générateur inspiré d’une très large palette musicale. 

11 octobre

Lada Obradovic  (dm, perc, élec), David Tixier (p, élec)

Eu égard à l’afflux, au volume sonore, à l’intensité, à la multiplicité des frappes sèches percussives, dans l’abord d’un tel type de concert il faut choisir son camp: la prendre comme elle vient et entrer dans la musique. Ou préférer quitter la salle. À ce sujet « Every time think of me » le premier titre joué sur scène possède déjà un signifiant. Direct, impactant, le contenu procède de rafales de ruptures de rythmes sur un substrat d’accords aptes à supporter une mélodie très tendue. Chacun(e) derrière son imposant instrument, les deux protagonistes se font face. Ils se regardent, on sent une volonté d’échange. Pourtant aussitôt la question se pose: qui pilote ? Des voix surgissent en fond d’écran musical. Elles ne sont pas produites en direct. Elles proviennent d’enregistrements effectués au préalable, synthétisées ou générées par l’I.A. qui sait. Elles interviennent en coloration, en complément d’objet d’éléments de musique vivante. A ce titre le piano produit beaucoup d’effets de main gauche sur les touches des graves du clavier. Une constante.

David Tixier

David Tixier justement  se lève de son tabouret maintenant pour fournir quelques explications sur la méthode : « J’ai composé ce morceau pendant la Covid histoire d’échapper un peu à l’enfermement. Il évoque une cage dorée… » De fait chaque morceau du duo se veut raconter une histoire. Le contenu musical la met en image et sons perçus en rafales acoustiques ou non. Témoin cette séquence  de percussions en frappes tendues, appuyées (« B for angel ») 

Lada Obranovic

Des paysages sonores dessinés en face à face avec une certaine dose d’improvisation. Explicitée dans leur album « Jiggled Juggler » (Somewhere Beyond Records )la démarche des deux jeunes instrumentistes se veut aussi une ouverture au monde . Ainsi à l’instar de Garcia-Fons la veille sur cette même scène, disent-ils être sensibles aux musiques du continent indien (« Delhi’s dream »). Echos restitués de sitar, copies conformes de ragas et bowls en fonction réelle peuplent cette courte incursion fictionnelle en Inde. 

Merchandising plus plus…

Question de génération ? Ils entendent également défendre certaines causes humanitaires et environnementales « qui nous tiennent à coeur » – d’où l’important matériel de merchandising disponible étalé sur une table à l’entrée du théâtre. Et, jetée comme un signal, Lara Obradovic se lance alors dans une longue séance de roulements de tambours sur les caisses pourpres d’une batterie très fournie. De tels motifs plutôt expressionnistes marquent le travail du duo fort d’une prégnance harmonique laissée au piano. Pareille dominante n’empêche nullement l’impression finale que l’on garde à l’oreille: l’empreinte de textures non musicales laissée dans le fil rouge sonore. Certains partisans d’un jazz hétérodoxe pourront en tirer quelque irritation. Mais le duo inclue volontairement des injections de « bruitisme » dans l’écriture de sa partition.

Pierre de Bethman (p), David El Malek (ts),  Simon Tailleu (b),  Antoine Paganotti (dm)

Pierrede Bethman

Autant poser le constat tout de suite sur la table…il s’agit bien d’un plaisir renouvelé à proprement parler que de goûter aux inflexions, aux modulations, aux improvisations originales d’un ténor de cet acabit. David El Malek figure une vraie richesse pour l’expression propre à l’orchestre. À laquelle vient s’ajouter le travail d’une dite rythmique qui n’en est pas (seulement) une. Mais bien plutôt un élément de régulation, d’apport en mode bonus musical. « Vouloir tout est là est une composition qui date de sept années déjà » justifie Pierre de Bethman « Je me sers d’une formule tirée de la pièce légendaire En attendant Godot de Samuel Beckett » Un premier morceau donc, avec sa part de piano libre et déjà » ite missa est ! » Ou presque, par bonheur pour l’auditoire. 

David el Malek

Survient « Agapé » titre éponyme de l’album paru en ce début d’année (aleamusique.com) Toutes ces effluves de notes sur la partie haute du clavier, ces contrastes forts crées dans le mouvement main droite/main gauche: De Bethman est un sacré pianiste de jazz en tout ce qu’il parvient à traduire au long cours de ses notes choisies, en ce qu’il fait passer comme canevas d’ impressions, de ressenti. D’émotion. Y compris à partir de la substance d’un thème baptisé « Rien » -à l’imitation des titres relevants de l’absurde ou de l’humour à froid chers à Martial Solal-  Soit une longue pièce quelque peu étirée, en appui sur un tempo calibré minimaliste. Occasion d’un voyage au centre du clavier, telle une invitation à partager un sentiment de plénitude Dans le bain d’un tel climat David El Malek, encore lui, méthodiquement, fait monter le souffle de son chant, s’ingénie à moissonner un champs de couleurs fortes.

Simon Tailleu

Pierre de Bethman, dans sa série sur le trio -d’autres albums doivent suivre- comme ici avec l’apport d’un saxophone a déjà démontré sa capacité en tant que compositeur. Sa qualité dans le travail de  tissages en matière d’écriture jazzistique. Pour ce thème baptisé PFH, ses trouvailles originelles, le travail du rendu sur scène de la part du quartet scellent un bonus immédiat, instantané, notable. Où lorsque la partition de départ se voit dépassée pour et par le plaisir du jeu collectif live. Jusques et y compris dans le creuset d’un « Stella by starlight », standard de jazz éprouvé  offert ès qualité en bis à un  public marmandais en demande.

Antoine Paganotti

12 octobre

Église de Fourques sur Garonne (47200)

Yves Rousseau (b), Jean-Marc Larché (ss, as)

Jean-Marc Larché

Une petite église nichée au bord du Canal du Midi. Toujours le même cadre pour le concert de clôture de Jazz et Garonne en sa quinzième édition. Une certaine intimité. Plus une sonorité quasi acoustique, offerte au duo, souffle d’air pur et vibrations de cordes natures. En un tel décor religieux Jean-Marc Larché dans ses phrases de saxophone soprano joue cash sur l’accentuation. À l’image de cette fin d’après-midi d’un automne aujourd’hui moelleux, placé sous la voute devant l’autel, le duo en une dite « démarcation d’une composition d’un gambiste de l’époque moderne » livre une mélodie sculptée en notes lentes pesées, posées -on le dirait- là dans ce cadre de rituel,  à cet effet précis.

Yves Rousseau prend soin d’annoncer, d’expliquer le choix des morceaux. Hommages successifs à un peintre, un compositeur, un lieu…En continuum logique du propos, son jeu en notes « frisées » sur les cordes graves de sa contrebasse rejoignant celles à peine saturées de l’alto résonnent comme un écho recherché. Plus avant l’intensité musicale monte avec les répercussions immédiates sur la pierre du choeur de l’église. Ce ne peut vraiment représenter une surprise: certaines compositions, dans leur exécution et la part d’improvisation qui vont avec laissent penser à un remake de musique de chambre, phrases ciselées, choisies, réverbération naturelle d’un son de chapelle dans la nef.

Retour à une autre réalité: Eric Seva, directeur artistique et programmateur du festival s’en était déjà, fait l’écho auprès du maire et président de la Communauté d’Agglomération Val de Garonne « Notre festival veut défendre le jazz comme musique vivante. Et les musiciens en tant qu’acteurs culturels et créateurs » Yves Rousseau « son ami de quarante ans » avec lequel il a débuté sa carrière remet l’ouvrage sur le métier « De plus en plus souvent pour créer et pérenniser ces festivals de jazz tellement importants en région les musiciens mettent les mains dans le cambouis…Merci à  Éric et à son équipe. Et grand merci aussi aux bénévoles sans qui ces concerts n’existeraient pas… » 

Yves Rousseau

« Miro » pour continuer, un titre en forme d’hommage double « Au peintre catalan bien sur mais aussi en référence à un bassiste de jazz extraordinaire: Miroslav Vitous. Certains familièrement l’appellent Miro… » De contrebasse il en est question, évidemment dans l’exécution qui suit: une belle sonorité pleine, un focus appuyé sur le registre grave. Alors,  histoire de ne pas demeurer en reste quant à la qualité de la pratique de l’instrument, Jean-Marc Larché offre sur son saxophone au public recueilli sur les bancs de l’église, un éclat sonore cuivré à point. De quoi marquer de sa manière les strates d’exposé des thèmes comme les phases d’une improvisation très contrôlée de sa part.

Jazz et Garonne, « Ite missa est »

Robert Latxague