BOJAN Z
« As Is »
1 CD Paradis improvisé / L’Autre Distribution
NOUVEAUTÉ. On a tellement pris l’habitude ces dernières années de l’admirer au service des autres –magistral compositeur, arrangeur et directeur artistique des derniers disques de Michel Portal, pour ne citer que ceux là, qu’on en viendrait presque à oublier le formidable pianiste qu’est Bojan Z.
Heureusement, tous les dix ans à peu près (“Solobsession” en 2001, “Soul Shelter” en 2012), Bojan Z s’installe seul au clavier pour nous offrir sur un mode intimiste une sorte d’état des lieux de son art poétique. Enregistré in situ, sans préparations ni corrections après coup, dans le cadre de la série initiée par Hélène Dumez, ce nouvel instantané remet les pendules à l’heure de façon magistrale. À partir d’un répertoire constitué pour moitié de compositions originales et de l’autre d’une sélection de thèmes fétiches empruntés à Jimmy Rowles (The Peacocks), Wayne Shorter (Some Place Called Where), Clare Fischer (The Greek), Horace Silver (Ecaroh) et Charles Mingus (Self-Portrait In Three Colors), Bojan Z développe dans son style à la fois abrupt et raffiné un univers tout en paradoxes, étayant sa fragilité et son sens de la nuance sur un phrasé remarquablement articulé et architecturé. Plongeant au cœur des mélodies pour en ramener de troublantes visions (version hantée de The Peacocks), doublant parfois ses phrases à l’unisson de sifflements comme pour mieux en accentuer l’enchantement, Bojan Z signe là un chef-d’œuvre de poésie brute.
Stéphane Ollivier.
Bojan Z (p). Marseille, Bojan Z (p).
Marseille, Paradis Improvisé, 17 octobre 2021.
SONNY ROLLINS
« Go West ! » The Contemporary Records Albums
1 COFFRET 3 CD ou 3 LP Craft Recordings /Universal
RÉÉDITION. Disponible au format compact disc ou microsillon, ce coffret regroupe deux albums majeurs de Sonny Rollins, “Way Out West” et “Sonny Rollins And The Contemporary Leaders”.
C’est lors de son premier séjour sur la Côte Ouest que Lester Koenig, le boss de Contemporary Records, lui proposa d’enregistrer. Pour la première séance du 7 mars 1957, le saxophoniste choisit la formule du trio pianoless avec Ray Brown et Shelly Manne. Grâce à ses qualités musicales exceptionnelles et à une prise de son idoine, “Way Out West” connut un grand succès, sans doute “boosté” par sa pochette illustrée par une géniale photo de William Claxton : Rollins dans le désert avec son chapeau de cow-boy, cliché qu’il mit d’ailleurs bien longtemps à assumer… À l’image de cette relecture de I’m An Old Cowhand, une chanson de Johnny Mercer que Rollins avait découverte, enfant, en voyant Bing Crosby l’interpréter dans le western Rhythm On The Range, la thématique inhabituelle contribua à faire de “Way Out West” un disque à part. Plus classique formellement, “Sonny Rollins And The Contemporary Leaders” n’en reste pas moins une séance de très haut niveau : le fiévreux et rapide The Song Is You (Rollins et Manne en ébullition !), cette merveille de How High The Moon en trio avec Barney Kessel et Leroy Vinnegar et le swinguissime Rock A Bye Your Baby With A Dixie Melody en sont les grands moments. Avec des rééditions d’une telle excellence éditoriale, soulignons aussi la qualité des alternate takes troisième CD, Craft Recordings est en train de s’imposer comme l’un des meilleurs labels patrimoniaux du moment.
Étienne Dorsay.
Sonny Rollins (ts), Barney Kessel (elg), Victor Feldman (vib)
Hampton Hawes (p), Leroy Vinnegar, Ray Brown (b), Shelly Manne (dm).
Los Angeles Contemporary Studios, 7 mars
1957 et 20, 21 et 22 octobre 1958.
RIFFLET & GORDIANI
« E.P.1 »
Digital exclusivement
NOUVEAUTÉ. Cet EP digital qui ne dure qu’une vingtaine de minutes annonce un album qui doit sortir à l’automne et que l’on a hâte de découvrir.
On sait la complicité musicale qui unit le saxophoniste (et clarinettiste) Sylvain Rifflet et le guitariste expert ès-électronique Philippe Gordiani. (Gordiani joue sur la majeure partie des disques de Rifflet depuis le début des années 2010.) Ici, Gordiani a laissé sa six-cordes dans son étui pour distiller sa science électronique et dialoguer au plus haut point d’incandescence créative avec Rifflet. Ces quatre pièces sobrement nommées Inst 1.4, Inst 1.2, Inst 1.7 et Inst 1.8 quid des 1.3, 1.5, 1.6… ? On aime ces mystères et ce suspense… bruissent du meilleur de ce que les années 1970, 1980, 1990 et 2000 nous ont offert dans le domaine du jazz dit “électronique” et prouvent si besoin était qu’il y a de la vie dans les machines quand elles sont ainsi manipulées. Évidemment, ce souffle de vie est aussi prodigué par le saxophone et la clarinette de Rifflet le troubadour 2.0. Vite, courez vers la plateforme de streaming la plus proche de chez vous ! Choc digital donc, avant, sans doute, le Choc physique à la fin de l’année.
Fred Goaty.
Sylvain Rifflet (ts, cl, effets),
Philippe Gordiani (elec).
Émile Parisien, Roberto Negro
« LES MÉTANUITS »
1 CD Act / Pias
NOUVEAUTÉ. Avec le temps, l’influence du grand compositeur hongrois György Ligeti ne cesse de croître auprès des nouvelles générations.
Pour leur première en duo, le saxophoniste Émile Parisien et le pianiste Roberto Negro en apportent magistralement la preuve. Partant du premier quatuor à cordes sous-titré Métamorphoses nocturnes que György Ligeti, âgé à peine de 30 ans, composa en 1953 sous l’influence encore perceptible de Béla Bartok, ces deux musiciens parmi les plus représentatifs de la vitalité et de l’ouverture d’esprit de la scène jazz européenne entreprennent non pas de proposer une simple réduction pour saxophone et piano de cette œuvre à la beauté mystérieuse et à la modernité intacte, mais bel et bien de s’en emparer pour l’adapter en duo à la gamme expressive de leurs instruments respectifs et poursuivre le cycle de ses métamorphoses en l’affrontant au risque de l’improvisation. Plongeant dans les tréfonds de la partition pour en révéler les lignes de forces les plus secrètes, Émile Parisien et Roberto Negro signent là une adaptation envoûtante d’une grande cohérence langagière quand bien même elle passe, au fil des mouvements, par une vaste gamme d’humeurs disparates, du tumulte à l’évanescence mélancolique. Une œuvre toute personnelle, qui en parvenant à demeurer toujours lyrique, malicieuse et impétueuse, est le plus bel hommage que l’on pouvait rendre à la musique de Ligeti.
Stéphane Ollivier.
Émile Parisien (ss), Roberto Negro (p).
Amiens, Studio Gil Evans.