Jazz live
Publié le 24 Nov 2022

Choisissez votre grand format au Petit Duc aixois

Beau programme au Petit Duc et au Théâtre du Bois de l‘Aune aixois en cette fin novembre grise et froide avec la rentrée en fanfare de Grands Formats les 23 et 24 novembre.

JAZZ EN GRAND ( ET PLUS PETIT FORMAT) au  PETIT DUC AIXOIS

http://www.boisdelaune.fr/POLAR-STAR

Grands Formats : https://www.grandsformats.com/

Jazz sur la ville https://jazzsurlaville.org/

Beau programme au Petit Duc et au Théâtre du Bois de l‘Aune aixois en cette  froide fin novembre avec la rentrée en fanfare de Grands Formats.

Rentrée Grands Formats – Site officiel de la fédération Grands Formats

Ajoutons que cette opération s’inscrit en PACA dans le cadre de la 16ème édition de Jazz sur la ville avec près de cinquante concerts sur trente lieux, à Marseille principalement, dans tout le département des Bouches du Rhône, rayonnant sur la région, puisque figurent l’AJMI vauclusien, l’Osons Jazz Club de Lurs (04) ou le Fort Napoléon de la Seyne sur Mer, le Théâtre Denis d’Hyères (83)…

Chaque année à l’automne, la fédération GRANDS FORMATS s’associe à un lieu ou un festival pour un temps fort de plusieurs concerts en grande et petite formation, des rencontres professionnelles et des actions culturelles. Cette année notre région a été choisie, elle qui compte le Kami Octet de Pascal Charrier, le Christophe Dal Sasso Big band et le Nice Jazz Orchestra de Pierre Bertrand qui anime aussi la Caja negra.

A Aix, eut lieu ce matin l’Assemblée générale de la Fédé, au Petit Duc.

Rappelons que Grands Formats est une fédération née en 2003 à l’initiative d’un groupe de chefs d’orchestre du jazz et des musiques improvisées et sa création résonne comme un manifeste. Ses membres l’expriment avec force : la musique en grand nécessite d’être totalement reconnue et soutenue, elle est un art singulier où la liberté et la créativité de chacun s’expriment pleinement et collectivement.

La situation ne s’est pas arrangée depuis la création de Grands formats en 2003 avec l’évolution de la société, les modes de consommation de la musique depuis l’arrivée d’ Internet, la crise de l’industrie du disque. Les festivals se multiplient certes sans éponger pour autant  l’abondance de l’offre, l’explosion du nombre de groupes et de musiciens…Pourtant le grand format persiste, est-ce un signe de cette catharsis du collectif, sensible depuis la création des Big Bands aux USA dans les années 20?

Ils sont 109 implantés dans toute la France, le dernier arrivé cette année à la Réunion, pour 1300 musiciens et musiciennes et la variété des ensembles qui constituent ecette fédération de Grands Formats reflète la vitalité du jazz contemporain et la créativité d’artistes qui osent imaginer leur musique en grand. Parmi les plus anciens, citons le Mégaoctet d’Andy Emler, l’ONJ, le Sacre du Tympan…

Voir la musique en grand mais aussi en plus petit

Alexandre Herer et Juliette Meyer duo (collectif Onze Heures Onze) Daumenkino Trio(Capsul Collectif) Theorem of Joy(Collectif Déluge)

Soirée défi pour la vaillante troupe du Petit Duc qui reçoit ainsi 3 formations en un temps record, 40 minutes chacune, avec les changements de plateaux à vue (sur la webtv aussi, on ne cache rien) et tout de suite quelques aléas techniques.

Alors que le premier groupe vient de se placer et que la chanteuse a débuté son tour, c’est le noir absolu! On pourrait croire à une péripétie de ce happening musical. Mais non, il s’agit simplement d’une panne d’électricité. Black out/ Cut. On reprend assez vite,  ce sont les joies du direct et j’avoue admirer la tranquille assurance de Gérard Dahan qui assume et représente le duo. Une soirée en totale improvisation, vous disait-on!

ALEXANDRE HERER & JULIETTE MEYER

www.Alexandreherer.fr  

 Onze Heures Onze

www.juliettemeyer.com

Onze heure Onze, un label , une structure de production et un collectif, entre parfaitement dans le jeu de Grands Formats.

Pianiste de solide formation classique, ouvert à d’autres esthétiques, coloriste aux rythmiques impaires (clin d’oeil au titre de son label) Alexandre Herer a su faire la synthèse de toutes ses influences, il travaille la musique en images ce qui n’est peut être pas si loin ce soir de la performance de sa partenaire, Juliette Meyer.

Avec cette mezzo soprano, c’est une plongée en terre inconnue, la Terre Adélie du chant : un moment exploratoire, très visuel, qui correspond à la forme de ce moment, un geste sans suite. A chaque rencontre, le duo tente une suite de 40 minutes mais en garde tout de même trace…

Chercheuse de structures, de textures, par ses cris, son souffle, plus que ses chuchotements, son bruisme de glotte, elle se lance : des mots captés d’une langue inconnue, français, grec? Il faut vite abandonner ses repères de temporalité, symétrie, placement de la voix! Le cri fait écho. Cette recherche de poésie sonore joue pourtant sur le rythme, l’intensité, les proférations issues de la gorge.  La gestuelle est toujours saisissante, mains et bras d’ une marionnette qui tirerait elle même ses ficelles. Je pense soudain à Joe Cocker dans sa reprise à Woodstock (presque plus sublime que l’originale) du With a little help des Beatles, ce malabar qui faisait de tous petits gestes avec ses doigts alors que la voix sortait, magnifique.

D’autres images me viennent de cette dame brune, non pas la chanteuse, mais la formidable Zouk qui ne faisait pas l’enfant mais devenait soudain bébé…

Il est certain que le travail du claviériste est plus classique en comparaison: expérimentateur sonore autour du fender, il entoure la chanteuse d’une nappe de sons, la nimbe de bleu où se mêlent volontiers des éclats de rouge. Musique ouverte, aérienne, volontairement froide,  superposition de couches par moments, vrai tuilage, et du ruissellement comme si, torrent à sa naissance, il descendait des gammes.

J’ai lu moi aussi Improvisation libre Manuel d’écoute de John Corbett (Lenka Lente) et je laisse tout au vestiaire. Comment juger à la première écoute?Improviser son compte rendu sans hiérarchiser des impressions, lister celles-ci au contraire à mesure que la musique file, au fur…

Me concentrant sur ce que je vois et entends dans ce duo, faut il se fixer sur l’une ou l’un, voir comment ils fonctionnent de concert? Au moment où je me pose la question de l’achèvement, Juliette ralentit, sa voix devient un murmure qui s’interrompt. C’est fini…. Je n’ai pas regardé ma montre!

DAUMENKINO TRIO

Maxime Bobo : sax ténor et effets Jean Jacques Goichon : contrebase et effets Etienne Ziemnak : batterie et effets

Après cette totale improvisation, passage au trio du Capsul Collectif basé à Tours. On n’en saura pas plus mais nous voilà en terrain plus familier. On comprend tout de suite que ce trio est cent pour cent free. Un sax énervé au son grêle, de biniou breton (ça plairait à l’ami Bergerot) aux gestes éruptifs qui ne tient pas en place, avance, recule, ne sort que très rarement le bec de la bouche. Le batteur dans son coin, très chevelu, semble ne rien voir que son set et mouline sans discontinuer. La vitesse n’est pas synonyme de tempo, on ne compte pas les pulsations, ce serait plutôt le  fait du contrebassiste  mais on ressent le flux! C’est d’ailleurs le contrebassiste le plus gracieux visuellement, à contrepied, dissonant parfois, il attrape sa basse à bras le corps, l’enserre, couché sur elle et fait entendre tout un jeu sonore intrigant. Tenter de relier les plans parfaitement distincts de chacun. Où se fait la jonction, car c’est sûr, ils s‘écoutent du coin de l’oreille?

Trois morceaux, le premier folk, du pur jus celte, une gigue entraînante qui grince bien. Le deuxième, plus dans la tournerie, aux séquences mélodiques répétitives du sax jusqu’à ce qu’il s’arrête, signifiant la fin du morceau. Pour le dernier bout, le sax relance sa plainte, chante son cri à intervalle régulier. Là encore, je sens la fin arriver.

Un groupe joliment déglingué, qui imprime quelques images persistantes sur la rétine comme aux premiers temps du cinéma, de la laterna magica chère à Bergman. Bancal pas banal?

 

Theorem of joy

Thomas Julienne contrebasse et compositions Ellinoa, voix Kevin Lasakis, guitare Hélène Lefevre, violon Tom Peyron, batterie.

Ce set, le dernier, le plus “classique” va étrangement me paraître le plus long. Le quintet Theorem of Joy, issu du Collectif Déluge joue son deuxième album L’hiver, sorti en 2018.

Thomas Julienne, le contrebassiste leader, présente les titres qui tous racontent des histoires, ils aiment ça que la musique raconte. Ainsi “Atoll” fut conçu par exemple après une séance de chamanisme, “De l’autre côté du silence” est ce  joli titre pour évoquer la mémoire, celle à laquelle on n’a pas eu accès à cause de la colonisation, le “Deuil”, “Hope to see you” pour une Palestinienne amie qui voulait voir la mer, à moins que ce ne soit Hop to see you? “Imposture”des politiciens après les attentats de 2015.

C’est la chanteuse Ellinoa qui mène le bal, en français ou anglais de sa jolie et fraîche voix, vibrante et rayonnante, après s’être échauffée, convaincante sur le deuxième titre aux mélismes orientaux. Une voix qui chante, parle autant qu’elle improvise. Qu’on a entendu dans le Rituals du dernier ONJ ou encore dans Anna Livia Plurabelle d’André Hodeir.

Ces cinq là aiment la pop évidemment et même un rock progressif non violent : le son de groupe est séduisant, rendu poétique par le travail sur la masse orchestrale de toutes ces cordes pincées, frottées, grattées qui enveloppent la voix, s’ajustent autour d’elle, lui font écrin doux, la plus belle des parures. Il me manquerait juste une flûte mais le duo de la chanteuse avec la violoniste peut y parer!  Sonne la fin du concert que je n’ai pas ressentie, moins concentrée peut être? Le Petit Duc a joué et gagné sa partie.

On a encore le droit de faire de la musique ensemble et en nombre. Mais faire exister un grand ensemble est une aventure quand on connaît la difficulté de l’organisation des concerts, les financements aléatoires et les lieux de répétitions improbables.  Aussi ces collectifs se divisent en sous-ensembles, labo de recherches d’où sont issus les groupes de ce soir. Même rapport à la musique et libre de ses propositions comme au sein de leur grand ensemble constitutif. Si avec cette structure des Grands Formats, les musiciens peuvent faire entendre leur voix, de nombreux combats restent à mener : la programmation du jazz dans des scènes généralistes, la place des femmes, la viabilité économique, l’accès aux aides publiques…

Remercions encore le Petit Duc et son équipe dégourdie pour cette belle prise d’initiative, en rappelant que ce soir, jeudi 24 Novembre, le Théâtre du Bois de l’Aune accueille un vrai Grand Format à 20h : Polar Star par Initiative H, une grande formation dirigée par David Haudrechy.

Sophie Chambon