Jazz live
Publié le 20 Juil 2019

Goldberg Family, en duo-quartet au Sunside

Michel Goldberg et son fils Dexter fêtaient au Sunside la sortie de leur disque en duo Family Business. Et comme ils ont l’un et l’autre le goût des paradoxes créatifs, ce disque en duo fut célébré… en quartet.

 

Michel Goldberg (sax tenor et soprano), Dexter Goldberg (piano), Yoni Zelnik (contrebasse), Simon Bernier (batterie), 9 juillet 2019, Sunside, 75004 Paris

 

Le saxophoniste Michel Golberg (fondateur et directeur de l’ARPEJ, une des écoles de jazz et de musiques afro-américaines les plus réputées de la capitale) n’est pas seulement un excellent formateur: il est aussi un saxophoniste au style très original, trop rare malheureusement sur les scènes parisiennes.
Dès le premier morceau, il affirme son esthétique. Son Stardust est pris sur un tempo très doux, et voluptueusement énoncé, avec des graves splendides, et une sorte de décontraction très personnelle. Ce relâchement, d’ailleurs, n’est pas seulement un trait de caractère, mais se révèle riche d’implications musicales. Il rejaillit sur le phrasé, les silences, l’accentuation des notes, et surtout sur le swing: c’est donc une vertu éminemment musicale (je me souviens d’ailleurs d’avoir lu des critiques de jazz des années cinquante, comme Boris Vian, qui faisaient du « relax » des musiciens, comme ils disaient, un critère majeur de leur jugement). Et donc, Michel Goldberg expose avec décontraction et sensibilité ce magnifique thème, Stardust, d’abord a capella puis rejoint par son fils qui l’accompagne dans un style swing traditionnel à la Teddy Wilson. Michel Goldberg ici n’improvise pas, se contentant de personnaliser son interprétation par des effets de souffle, de petites altérations, des décalages. Un jeu dense, sans esbrouffe, où aucune note n’est gaspillée. Superbe.

 


La personnalité de Michel Goldberg se lit dans le répertoire choisi, avec quelques standards de derrière les fagots: Portrait of jenny, Here’s that rainy day, When I put my sugar to tea, On the slow boat to China (ritournelle qui eut les faveurs de Sonny Rollins et de Stan Getz) et même Syracuse . Tout au long de ces standards choisis, Michel Goldberg déploie les nuances de son jeu. Sur Syracuse, il utilise de manière très étonnante le registre aigu de son instrument (on dirait presque un alto) ce qui magnifie la tendresse et la nostalgie de la chanson. Sur Cedar’s blues et When I put my sugar to Tea il se montre vif, mordant, swingant, tout en gardant ce côté « relax » dont j’ai parlé. Au soprano (sur Here’s that rainy day) il semble s’autoriser plus d’audace et plus de turbulences harmoniques.

 


Et le fiston? Au début il a accompagné son père dans un style très « straight jazz », avec son style personnel qui ressurgissait par moments, comme des sortes de trouées irrésistibles. Puis, au fur à mesure du concert, sa personnalité et son esthétique ont pris le dessus,  et Dexter Goldberg a joué comme Dexter Goldberg, dans l’esprit de son propre trio, c’est à dire avec ce style léger, alerte, cette alternance joyeuse dans le phrasé entre moments percussifs et moments perlés. Il se libère notamment sur Cedar’s Blues, et dans le rappel, avec le vénérable Stella By Starlight, qui rajeunit à vue d’oeil sous ses doigts.

Autour de la famille Goldberg (dont la complicité musicale et humaine fait plaisir à voir, comme en témoignent les nombreux sourires échangés ) deux autres musiciens de choix: le contrebassiste Yoni Zelnik, toujours aussi impliqué, admirable dans ses chorus (voilà un contrebassiste dont on en pourra jamais dire que les solos sont des lignes de basse améliorées, il chante vraiment à travers son instrument) et le batteur Simon Bernier, la finesse même, et qui possède en plus quelque chose du relâchement du saxophoniste. Très beau concert.

Quelques jours plus tard, je téléphone à Michel Goldberg pour en savoir un peu plus sur ses influences musicales. Evidemment, la source d’inspiration première est attestée par le prénom de son fils: Dexter, comme Dexter Gordon, bien sûr:  « Je l’ai vraiment beaucoup écouté…et j’ai eu la chance de le voir une fois en live, à l’Espace Cardin, à la fin des années 70…un des derniers concerts où il jouait vraiment bien . Je me souviens que le gars était complêtement décontracté…mais alors décontracté à un point que même quand moi je suis décontracté, je suis tendu à côté…Quand il parlait il laissait des silences énormes entre ses phrases…peut-être qu’il était cuit, je ne sais pas…Je me souviens que pour lancer les morceaux il ne faisait pas1,2,3,4 mais utilisait de petits signes cabalistiques mystérieux... ». Michel Goldberg, lancé, déroule un tapis d’anecdotes savoureuses. Il évoque l’influence de Bob Berg: « Sa grande période, c’est avec Cedar Walton…Il avait un son très paticulier, un peu comme un instrument à cordes…Ensuite, après avoir joué avec Miles Davis, ce n’était plus la même chose. Un jour je lui ai demandé pourquoi il avait changé, il m’a répondu : parce qu’il faut…« .
Il pointe aussi l’influence qu’a eue sur lui le batteur américain George Brown, un musicien remarquable (mais oublié) qui a joué avec Wes Montgomery, Dizzy Gillespie, John Coltrane…Avec lui, l’apprentissage prend des chemins inattendus: « Soit il m’embrassait, soit il me fusillait du regard et j’avais peur qu’il m’envoie une cymbale sur la gueule… lui-même avait pris des cours avec Philly Joe Jones…il jouait magnifiquement…« .
Cette méthode à la dure, Michel Golberg s’est bien gardé de l’imposer à son fils dont il aime le style « pétillant »: « Je ne lui ai pas vraiment donné de cours. De toute façon, il a choisi un instrument , le piano, que je ne pratique pas. Mon rôle a plutôt été de lui faire écouter des disques à la maison, comme Cedar Walton, qui est devenu l’une de ses influences…En tous cas, je ne l’ai pas dégoûté de la musique… » dit-il. Et à ce moment là,  même au téléphone, on l’entend sourire.

texte: JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (autres dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com et en se rendant au Sunset-Sunside où une exposition est en cours)