Jazz live
Publié le 19 Juil 2016

Jazz à Luz 2016 (3)

Après une bonne balade riche en musiques et en informations, la troisième soirée de Jazz à Luz restera dans les mémoires grâce à la prestation artistique sans équivalent du Aum Grand Ensemble.

Vendredi 15 juillet 2016, Esquièze-Sère

Excursions artistiques en pays Toy, « Jazz en marche » #1

Gaspar Claus solo, 10h50

Gaspar Claus (vlle)GasparClaus

Les nuits sont courtes pour les festivaliers. Rendez-vous leur était en effet donné à 10h30 devant la mairie d’Esquièze-Sère, qui jouxte Luz-Saint-Sauveur. Après un parcours à travers le village, le groupe auquel votre rapporteur appartenait se retrouva invité à assister à un concert de Gaspar Claus en l’église Saint-Jean-Baptiste de Sère. Le solo du violoncelliste, totalement improvisé, se situa entre lyrisme athématique et exploration timbrique, Gaspar Claus entrant en interaction avec les reflets sonores renvoyés par les voûtes du XIIe siècle de l’édifice. Tout à coup, un extrait d’une des suites de Bach pour violoncelle seul se trouva interprété, peut-être sous l’inspiration du retable fin XVIIe siècle devant lequel il se produisait, coda d’une improvisation sans recherche réelle de construction, avec pour seul plaisir celui de jouir du plaisir de baigner dans le son.

Pascal Niggenkemper solo, 11h45

Pascal Niggenkemper (cb).

C’est ensuite à l’église Saint-Nicolas d’Esquièze, inchangée depuis au moins le XIIIe siècle, que se produisit à son tour le leader du 7ème continent entendu la veille. Contrairement à Gaspar Claus, Pascal Niggenkemper aime bousculer sa contrebasse avec l’intrusion d’objets dans, sur ou entre les cordes, notamment des percussions à peau (tambourin, peau de tom…). Il fit aussi avec les circonstances, comme lorsqu’à midi, les cloches de l’église sonnèrent par deux fois, avant que l’angélus du midi éclate dans les airs. C’est néanmoins le passage qu’il improvisa aux doigts qui me fit la plus forte impression, comme à la plupart des personnes interrogées autour de moi.

PascalNiggenkemper

Les deux musiciens se retrouvèrent vers 13h pour un duo impromptu devant l’ensemble des personnes de cette excursion, réparties sur les reliefs herbeux situés derrière l’église de Sère.

ClausNiggenkemperLe repas pris, Anne Montaron anima une double table ronde, la première avec les installations sonores pour thématique, la seconde autour de l’improvisation en solo. Il ressortit des propos de Gaspar Claus et Pascal Niggenkemper qu’en dépit de ce qu’avancent certains improvisateurs, l’improvisation libre en solo n’est jamais tout à fait une action réalisée seul. Le musicien interagit toujours avec le lieu, les réactions de l’auditoire, l’énergie spécifique qui se dégage de moments précis. De ce fait, la quête de ces solistes reste celle de continuer à se surprendre soi-même, à sortir de son vocabulaire et de ses propres réflexes, le « vraiment improvisé » s’avérant de plus en plus difficile à atteindre lorsque l’on joue beaucoup et de plus en plus souvent.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, Maison de la Vallée, 15h30

Jazz et cinéma de 1945 à 1955

Deux ans après avoir exploré à Luz la présence du jazz dans les cinémas américain et français dans la première moitié du XXe siècle, le collaborateur à Jazz Magazine Pierre-Henri Ardonceau exposait les fruits de ses recherches pour les années de guerre et d’après-guerre. Il en est ressorti qu’après avoir été plutôt très mal traité dans les premières décennies, le jazz trouva quelques réalisateurs à la hauteur de cette musique. Il souligna néanmoins combien souvent le jazz reste une sorte de décorum, ou alors qu’il glorifie le jazz de musiciens blancs, Louis Armstrong, Billie Holiday et bien d’autres n’ayant pas eu leur « biopic » (comme on dit de nos jours), à la différence de Glenn Miller, Benny Goodman ou Bix Beiderbecke (joué par Kirk Douglas). Pierre-Henry Ardonceau, avec ce style détendu et précis qu’on lui connaît, évoqua également les « race movies », ces équivalents des race records produits, tournés et à destination des Noirs, s’étonnant qu’aucune étude n’ait été encore menée en France sur le sujet.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, chapiteau du verger, 19h

Aum Grand Ensemble

Elise Dabrowski (vx), Jean-Brice Godet (cl, bcl), Antonin-Tri Hoang (as, cl), Julien Pontvianne (ts, cl), Jozef Dumoulin (p), Tony Paeleman (kb), Stéphane Garin (vib, perc), Amélie Grould (vib), Richard Comte (elb), Simon Tailleu (elb), Youen Cadiou (cb), Julien Loutelier (dm), Alexandre Herer (électroniques), Dylan Corley (dir).

« Silere » du Aum Grand Ensemble de Julien Pontvianne a été mon « CHOC » pour l’année 2015. C’est avec une attente toute particulière que j’allais entendre la formation en direct, une attente d’ailleurs palpable auprès des festivaliers.

Disons-le d’emblée, le concert fut des plus réussis. Pourtant, la journée avait mal commencé pour Julien Pontvianne lorsqu’il avait appris que la vocaliste Anne-Marie Jean n’avait pas pu prendre son avion pour venir jusqu’à Luz. Par chance, Elise Dabrowski avait décidé de venir écouter ses amis dans les Pyrénées. Outre ses qualités de contrebassiste improvisatrice, elle est également chanteuse lyrique de haut niveau. Elle accepta d’endosser ce rôle au pied levé lorsque Julien Pontvianne la contacta par téléphone alors qu’elle était encore dans le train. Elle réalisa dans la soirée une interprétation plus qu’honorable après seulement une lecture de la longue pièce avant le concert.

Est-ce que Julien Pontvianne a songé au « Om » de Coltrane ou au Konx-Om-Pax de Scelsi en nommant sa formation ? Quoi qu’il en soit, sa référence évidente au mantra bouddhiste indique sans détour que la musique sera affaire d’introspection, de plongée intérieure. C’est pourtant la lecture de textes de Henry David Thoreau qui sont pour partie à l’origine de cette musique, Walden en particulier, un texte à la dimension philosophique pré-écologiste.

Aum

En live, on perçoit bien évidemment les événements d’une manière différente qu’avec le CD. La spatialisation change, de même que la profondeur ou le son d’ensemble (notamment en ce qui concerne les instruments acoustiques, même s’ils se trouvent amplifiés). On comprend aussi comment certaines choses sont mises en place, comme par exemple les variations de volume gérées par le « chef d’orchestre », Dylan Corley, qui use alors d’une gestique issue du sound painting. Grâce à la contribution de leur propre ingénieur du son, l’équilibre électro-acoustique en façade ne fut pas décevant même s’il s’avéra fort différent, finalement, de celui de l’album, moins compact mais pas moins dense.

Peu de solo improvisé dans cette musique, hormis celui, absolu, de Jozef Dumoulin, remarquable de subtilité, tout en texture évolutive, fondée entre autre sur un jeu de variations infimes du poids de chaque doigt des deux mains.

Plus la musique – donnée d’un seul tenant – avançait, plus une atmosphère de communion quasi mystique entre musiciens et public se dégageait du chapiteau, cathédrale de plastique syncrétique. Une atmosphère tout à fait particulière qui m’a rappelé celle que le festival Jazz à Luz avait connu l’année dernière avec la prestation du In C de Terry Riley par l’Ensemble FM de Christine Wodrascka. Mais au contraire de cette partition, celle de Julien Pontvianne évacue toute pulsation trop affirmée ; du moins lorsqu’il y en a une, ce n’est que par l’œil, en voyant la direction du chef, que l’on en prend conscience. La temporalité et le temps musical conséquent vont ainsi à l’encontre du tempo effréné, de la multiplication folle des couches temporelles qui caractérise notre XXIe siècle. Pour ma part, j’y vois une forme de résistance en même temps qu’un acte spirituel. Voilà en effet une musique du détail, où l’infime modification apparaît comme une évolution essentielle et constitue une action des plus importantes pour le devenir musical. Plus qu’une musique de la patience, une musique qui jauge la profondeur d’un présent comme étiré.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, salle du conseil, 22h

Electrik Botanik Ensemble

Basile Robert (électronique, machines, éclairages, construction mécanique, bricolage, scénographie).

Entre les deux concerts, l’installation de recherche sonore imaginée par Basile Robert, toute proche de la scène du chapiteau, pouvait être investie par le public depuis 17h. Il s’agit d’une sorte de forêt de constructions sonores plus étranges les unes que les autres, coordonnées aléatoirement par un ordinateur. A 22h toutefois, Basile Robert en prenait les commandes pour un authentique duo avec son invité du soir, le clarinettiste Joris Rühl. Hélas, par inconsistance et manque de professionnalisme, votre rapporteur arriva trop tard pour assister à cette prestation. Je n’ai donc pu observer que le « mode automatique » de l’Electrik Botanik Ensemble, ou comment le bric et le broc peuvent devenir magie pure.

ElectricBotanique

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, chapiteau du verger, 23h

BDC la belle

William Laudinat (tp), Florian Nastorg (as, bs), Bastien Andrieu (kb), Antoine Paulin (elg), Juan Favarel (elb), Léonard Bossavy (dm).

Comme en chaque début de fin de soirée (les nuits du festival luzéen sont longues), le dernier groupe à jouer sous le chapiteau envoya une bonne énergie. Le texte du programme décrivait parfaitement la musique donnée sur scène : ni rock, ni jazzcore, ni psychédélique, ni noise, ni musique improvisée, ni heavy metal, ni dub, mais tout cela à la fois en des équilibres chaque fois différents d’un morceau à l’autre. Ce qui frappe avec ce groupe de jeunes toulousains, c’est son efficacité. Que ce soit dans l’énergie, dans le son, dans les transitions d’une dominante musicale à une autre, jusque dans leur aplomb, voilà une formation qui sait où elle va, qui sait comment elle y va, et qui possède une idée précise de la manière dont il faut y aller. Le public fut ravi, et le festival fit une nouvelle fois honneur à sa devise : « Depuis 26 ans, nous faisons le pari de l’étonnement. »

BDC

À plus d’une heure du matin, à la Maison de la vallée, la nuit se termina avec The Real Fake MC (le vocaliste Clyde Kingrap) & DJ Suspect. En prévision de la balade du lendemain dans les villages de montagne, je décidais de rentrer prendre des forces pendant le peu de nuit qu’il me restait, et n’assistais donc pas à cette partie endiablée de la nuit. Les échos que j’eus le lendemain furent tous bons.

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Après une bonne balade riche en musiques et en informations, la troisième soirée de Jazz à Luz restera dans les mémoires grâce à la prestation artistique sans équivalent du Aum Grand Ensemble.

Vendredi 15 juillet 2016, Esquièze-Sère

Excursions artistiques en pays Toy, « Jazz en marche » #1

Gaspar Claus solo, 10h50

Gaspar Claus (vlle)GasparClaus

Les nuits sont courtes pour les festivaliers. Rendez-vous leur était en effet donné à 10h30 devant la mairie d’Esquièze-Sère, qui jouxte Luz-Saint-Sauveur. Après un parcours à travers le village, le groupe auquel votre rapporteur appartenait se retrouva invité à assister à un concert de Gaspar Claus en l’église Saint-Jean-Baptiste de Sère. Le solo du violoncelliste, totalement improvisé, se situa entre lyrisme athématique et exploration timbrique, Gaspar Claus entrant en interaction avec les reflets sonores renvoyés par les voûtes du XIIe siècle de l’édifice. Tout à coup, un extrait d’une des suites de Bach pour violoncelle seul se trouva interprété, peut-être sous l’inspiration du retable fin XVIIe siècle devant lequel il se produisait, coda d’une improvisation sans recherche réelle de construction, avec pour seul plaisir celui de jouir du plaisir de baigner dans le son.

Pascal Niggenkemper solo, 11h45

Pascal Niggenkemper (cb).

C’est ensuite à l’église Saint-Nicolas d’Esquièze, inchangée depuis au moins le XIIIe siècle, que se produisit à son tour le leader du 7ème continent entendu la veille. Contrairement à Gaspar Claus, Pascal Niggenkemper aime bousculer sa contrebasse avec l’intrusion d’objets dans, sur ou entre les cordes, notamment des percussions à peau (tambourin, peau de tom…). Il fit aussi avec les circonstances, comme lorsqu’à midi, les cloches de l’église sonnèrent par deux fois, avant que l’angélus du midi éclate dans les airs. C’est néanmoins le passage qu’il improvisa aux doigts qui me fit la plus forte impression, comme à la plupart des personnes interrogées autour de moi.

PascalNiggenkemper

Les deux musiciens se retrouvèrent vers 13h pour un duo impromptu devant l’ensemble des personnes de cette excursion, réparties sur les reliefs herbeux situés derrière l’église de Sère.

ClausNiggenkemperLe repas pris, Anne Montaron anima une double table ronde, la première avec les installations sonores pour thématique, la seconde autour de l’improvisation en solo. Il ressortit des propos de Gaspar Claus et Pascal Niggenkemper qu’en dépit de ce qu’avancent certains improvisateurs, l’improvisation libre en solo n’est jamais tout à fait une action réalisée seul. Le musicien interagit toujours avec le lieu, les réactions de l’auditoire, l’énergie spécifique qui se dégage de moments précis. De ce fait, la quête de ces solistes reste celle de continuer à se surprendre soi-même, à sortir de son vocabulaire et de ses propres réflexes, le « vraiment improvisé » s’avérant de plus en plus difficile à atteindre lorsque l’on joue beaucoup et de plus en plus souvent.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, Maison de la Vallée, 15h30

Jazz et cinéma de 1945 à 1955

Deux ans après avoir exploré à Luz la présence du jazz dans les cinémas américain et français dans la première moitié du XXe siècle, le collaborateur à Jazz Magazine Pierre-Henri Ardonceau exposait les fruits de ses recherches pour les années de guerre et d’après-guerre. Il en est ressorti qu’après avoir été plutôt très mal traité dans les premières décennies, le jazz trouva quelques réalisateurs à la hauteur de cette musique. Il souligna néanmoins combien souvent le jazz reste une sorte de décorum, ou alors qu’il glorifie le jazz de musiciens blancs, Louis Armstrong, Billie Holiday et bien d’autres n’ayant pas eu leur « biopic » (comme on dit de nos jours), à la différence de Glenn Miller, Benny Goodman ou Bix Beiderbecke (joué par Kirk Douglas). Pierre-Henry Ardonceau, avec ce style détendu et précis qu’on lui connaît, évoqua également les « race movies », ces équivalents des race records produits, tournés et à destination des Noirs, s’étonnant qu’aucune étude n’ait été encore menée en France sur le sujet.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, chapiteau du verger, 19h

Aum Grand Ensemble

Elise Dabrowski (vx), Jean-Brice Godet (cl, bcl), Antonin-Tri Hoang (as, cl), Julien Pontvianne (ts, cl), Jozef Dumoulin (p), Tony Paeleman (kb), Stéphane Garin (vib, perc), Amélie Grould (vib), Richard Comte (elb), Simon Tailleu (elb), Youen Cadiou (cb), Julien Loutelier (dm), Alexandre Herer (électroniques), Dylan Corley (dir).

« Silere » du Aum Grand Ensemble de Julien Pontvianne a été mon « CHOC » pour l’année 2015. C’est avec une attente toute particulière que j’allais entendre la formation en direct, une attente d’ailleurs palpable auprès des festivaliers.

Disons-le d’emblée, le concert fut des plus réussis. Pourtant, la journée avait mal commencé pour Julien Pontvianne lorsqu’il avait appris que la vocaliste Anne-Marie Jean n’avait pas pu prendre son avion pour venir jusqu’à Luz. Par chance, Elise Dabrowski avait décidé de venir écouter ses amis dans les Pyrénées. Outre ses qualités de contrebassiste improvisatrice, elle est également chanteuse lyrique de haut niveau. Elle accepta d’endosser ce rôle au pied levé lorsque Julien Pontvianne la contacta par téléphone alors qu’elle était encore dans le train. Elle réalisa dans la soirée une interprétation plus qu’honorable après seulement une lecture de la longue pièce avant le concert.

Est-ce que Julien Pontvianne a songé au « Om » de Coltrane ou au Konx-Om-Pax de Scelsi en nommant sa formation ? Quoi qu’il en soit, sa référence évidente au mantra bouddhiste indique sans détour que la musique sera affaire d’introspection, de plongée intérieure. C’est pourtant la lecture de textes de Henry David Thoreau qui sont pour partie à l’origine de cette musique, Walden en particulier, un texte à la dimension philosophique pré-écologiste.

Aum

En live, on perçoit bien évidemment les événements d’une manière différente qu’avec le CD. La spatialisation change, de même que la profondeur ou le son d’ensemble (notamment en ce qui concerne les instruments acoustiques, même s’ils se trouvent amplifiés). On comprend aussi comment certaines choses sont mises en place, comme par exemple les variations de volume gérées par le « chef d’orchestre », Dylan Corley, qui use alors d’une gestique issue du sound painting. Grâce à la contribution de leur propre ingénieur du son, l’équilibre électro-acoustique en façade ne fut pas décevant même s’il s’avéra fort différent, finalement, de celui de l’album, moins compact mais pas moins dense.

Peu de solo improvisé dans cette musique, hormis celui, absolu, de Jozef Dumoulin, remarquable de subtilité, tout en texture évolutive, fondée entre autre sur un jeu de variations infimes du poids de chaque doigt des deux mains.

Plus la musique – donnée d’un seul tenant – avançait, plus une atmosphère de communion quasi mystique entre musiciens et public se dégageait du chapiteau, cathédrale de plastique syncrétique. Une atmosphère tout à fait particulière qui m’a rappelé celle que le festival Jazz à Luz avait connu l’année dernière avec la prestation du In C de Terry Riley par l’Ensemble FM de Christine Wodrascka. Mais au contraire de cette partition, celle de Julien Pontvianne évacue toute pulsation trop affirmée ; du moins lorsqu’il y en a une, ce n’est que par l’œil, en voyant la direction du chef, que l’on en prend conscience. La temporalité et le temps musical conséquent vont ainsi à l’encontre du tempo effréné, de la multiplication folle des couches temporelles qui caractérise notre XXIe siècle. Pour ma part, j’y vois une forme de résistance en même temps qu’un acte spirituel. Voilà en effet une musique du détail, où l’infime modification apparaît comme une évolution essentielle et constitue une action des plus importantes pour le devenir musical. Plus qu’une musique de la patience, une musique qui jauge la profondeur d’un présent comme étiré.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, salle du conseil, 22h

Electrik Botanik Ensemble

Basile Robert (électronique, machines, éclairages, construction mécanique, bricolage, scénographie).

Entre les deux concerts, l’installation de recherche sonore imaginée par Basile Robert, toute proche de la scène du chapiteau, pouvait être investie par le public depuis 17h. Il s’agit d’une sorte de forêt de constructions sonores plus étranges les unes que les autres, coordonnées aléatoirement par un ordinateur. A 22h toutefois, Basile Robert en prenait les commandes pour un authentique duo avec son invité du soir, le clarinettiste Joris Rühl. Hélas, par inconsistance et manque de professionnalisme, votre rapporteur arriva trop tard pour assister à cette prestation. Je n’ai donc pu observer que le « mode automatique » de l’Electrik Botanik Ensemble, ou comment le bric et le broc peuvent devenir magie pure.

ElectricBotanique

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, chapiteau du verger, 23h

BDC la belle

William Laudinat (tp), Florian Nastorg (as, bs), Bastien Andrieu (kb), Antoine Paulin (elg), Juan Favarel (elb), Léonard Bossavy (dm).

Comme en chaque début de fin de soirée (les nuits du festival luzéen sont longues), le dernier groupe à jouer sous le chapiteau envoya une bonne énergie. Le texte du programme décrivait parfaitement la musique donnée sur scène : ni rock, ni jazzcore, ni psychédélique, ni noise, ni musique improvisée, ni heavy metal, ni dub, mais tout cela à la fois en des équilibres chaque fois différents d’un morceau à l’autre. Ce qui frappe avec ce groupe de jeunes toulousains, c’est son efficacité. Que ce soit dans l’énergie, dans le son, dans les transitions d’une dominante musicale à une autre, jusque dans leur aplomb, voilà une formation qui sait où elle va, qui sait comment elle y va, et qui possède une idée précise de la manière dont il faut y aller. Le public fut ravi, et le festival fit une nouvelle fois honneur à sa devise : « Depuis 26 ans, nous faisons le pari de l’étonnement. »

BDC

À plus d’une heure du matin, à la Maison de la vallée, la nuit se termina avec The Real Fake MC (le vocaliste Clyde Kingrap) & DJ Suspect. En prévision de la balade du lendemain dans les villages de montagne, je décidais de rentrer prendre des forces pendant le peu de nuit qu’il me restait, et n’assistais donc pas à cette partie endiablée de la nuit. Les échos que j’eus le lendemain furent tous bons.

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Après une bonne balade riche en musiques et en informations, la troisième soirée de Jazz à Luz restera dans les mémoires grâce à la prestation artistique sans équivalent du Aum Grand Ensemble.

Vendredi 15 juillet 2016, Esquièze-Sère

Excursions artistiques en pays Toy, « Jazz en marche » #1

Gaspar Claus solo, 10h50

Gaspar Claus (vlle)GasparClaus

Les nuits sont courtes pour les festivaliers. Rendez-vous leur était en effet donné à 10h30 devant la mairie d’Esquièze-Sère, qui jouxte Luz-Saint-Sauveur. Après un parcours à travers le village, le groupe auquel votre rapporteur appartenait se retrouva invité à assister à un concert de Gaspar Claus en l’église Saint-Jean-Baptiste de Sère. Le solo du violoncelliste, totalement improvisé, se situa entre lyrisme athématique et exploration timbrique, Gaspar Claus entrant en interaction avec les reflets sonores renvoyés par les voûtes du XIIe siècle de l’édifice. Tout à coup, un extrait d’une des suites de Bach pour violoncelle seul se trouva interprété, peut-être sous l’inspiration du retable fin XVIIe siècle devant lequel il se produisait, coda d’une improvisation sans recherche réelle de construction, avec pour seul plaisir celui de jouir du plaisir de baigner dans le son.

Pascal Niggenkemper solo, 11h45

Pascal Niggenkemper (cb).

C’est ensuite à l’église Saint-Nicolas d’Esquièze, inchangée depuis au moins le XIIIe siècle, que se produisit à son tour le leader du 7ème continent entendu la veille. Contrairement à Gaspar Claus, Pascal Niggenkemper aime bousculer sa contrebasse avec l’intrusion d’objets dans, sur ou entre les cordes, notamment des percussions à peau (tambourin, peau de tom…). Il fit aussi avec les circonstances, comme lorsqu’à midi, les cloches de l’église sonnèrent par deux fois, avant que l’angélus du midi éclate dans les airs. C’est néanmoins le passage qu’il improvisa aux doigts qui me fit la plus forte impression, comme à la plupart des personnes interrogées autour de moi.

PascalNiggenkemper

Les deux musiciens se retrouvèrent vers 13h pour un duo impromptu devant l’ensemble des personnes de cette excursion, réparties sur les reliefs herbeux situés derrière l’église de Sère.

ClausNiggenkemperLe repas pris, Anne Montaron anima une double table ronde, la première avec les installations sonores pour thématique, la seconde autour de l’improvisation en solo. Il ressortit des propos de Gaspar Claus et Pascal Niggenkemper qu’en dépit de ce qu’avancent certains improvisateurs, l’improvisation libre en solo n’est jamais tout à fait une action réalisée seul. Le musicien interagit toujours avec le lieu, les réactions de l’auditoire, l’énergie spécifique qui se dégage de moments précis. De ce fait, la quête de ces solistes reste celle de continuer à se surprendre soi-même, à sortir de son vocabulaire et de ses propres réflexes, le « vraiment improvisé » s’avérant de plus en plus difficile à atteindre lorsque l’on joue beaucoup et de plus en plus souvent.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, Maison de la Vallée, 15h30

Jazz et cinéma de 1945 à 1955

Deux ans après avoir exploré à Luz la présence du jazz dans les cinémas américain et français dans la première moitié du XXe siècle, le collaborateur à Jazz Magazine Pierre-Henri Ardonceau exposait les fruits de ses recherches pour les années de guerre et d’après-guerre. Il en est ressorti qu’après avoir été plutôt très mal traité dans les premières décennies, le jazz trouva quelques réalisateurs à la hauteur de cette musique. Il souligna néanmoins combien souvent le jazz reste une sorte de décorum, ou alors qu’il glorifie le jazz de musiciens blancs, Louis Armstrong, Billie Holiday et bien d’autres n’ayant pas eu leur « biopic » (comme on dit de nos jours), à la différence de Glenn Miller, Benny Goodman ou Bix Beiderbecke (joué par Kirk Douglas). Pierre-Henry Ardonceau, avec ce style détendu et précis qu’on lui connaît, évoqua également les « race movies », ces équivalents des race records produits, tournés et à destination des Noirs, s’étonnant qu’aucune étude n’ait été encore menée en France sur le sujet.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, chapiteau du verger, 19h

Aum Grand Ensemble

Elise Dabrowski (vx), Jean-Brice Godet (cl, bcl), Antonin-Tri Hoang (as, cl), Julien Pontvianne (ts, cl), Jozef Dumoulin (p), Tony Paeleman (kb), Stéphane Garin (vib, perc), Amélie Grould (vib), Richard Comte (elb), Simon Tailleu (elb), Youen Cadiou (cb), Julien Loutelier (dm), Alexandre Herer (électroniques), Dylan Corley (dir).

« Silere » du Aum Grand Ensemble de Julien Pontvianne a été mon « CHOC » pour l’année 2015. C’est avec une attente toute particulière que j’allais entendre la formation en direct, une attente d’ailleurs palpable auprès des festivaliers.

Disons-le d’emblée, le concert fut des plus réussis. Pourtant, la journée avait mal commencé pour Julien Pontvianne lorsqu’il avait appris que la vocaliste Anne-Marie Jean n’avait pas pu prendre son avion pour venir jusqu’à Luz. Par chance, Elise Dabrowski avait décidé de venir écouter ses amis dans les Pyrénées. Outre ses qualités de contrebassiste improvisatrice, elle est également chanteuse lyrique de haut niveau. Elle accepta d’endosser ce rôle au pied levé lorsque Julien Pontvianne la contacta par téléphone alors qu’elle était encore dans le train. Elle réalisa dans la soirée une interprétation plus qu’honorable après seulement une lecture de la longue pièce avant le concert.

Est-ce que Julien Pontvianne a songé au « Om » de Coltrane ou au Konx-Om-Pax de Scelsi en nommant sa formation ? Quoi qu’il en soit, sa référence évidente au mantra bouddhiste indique sans détour que la musique sera affaire d’introspection, de plongée intérieure. C’est pourtant la lecture de textes de Henry David Thoreau qui sont pour partie à l’origine de cette musique, Walden en particulier, un texte à la dimension philosophique pré-écologiste.

Aum

En live, on perçoit bien évidemment les événements d’une manière différente qu’avec le CD. La spatialisation change, de même que la profondeur ou le son d’ensemble (notamment en ce qui concerne les instruments acoustiques, même s’ils se trouvent amplifiés). On comprend aussi comment certaines choses sont mises en place, comme par exemple les variations de volume gérées par le « chef d’orchestre », Dylan Corley, qui use alors d’une gestique issue du sound painting. Grâce à la contribution de leur propre ingénieur du son, l’équilibre électro-acoustique en façade ne fut pas décevant même s’il s’avéra fort différent, finalement, de celui de l’album, moins compact mais pas moins dense.

Peu de solo improvisé dans cette musique, hormis celui, absolu, de Jozef Dumoulin, remarquable de subtilité, tout en texture évolutive, fondée entre autre sur un jeu de variations infimes du poids de chaque doigt des deux mains.

Plus la musique – donnée d’un seul tenant – avançait, plus une atmosphère de communion quasi mystique entre musiciens et public se dégageait du chapiteau, cathédrale de plastique syncrétique. Une atmosphère tout à fait particulière qui m’a rappelé celle que le festival Jazz à Luz avait connu l’année dernière avec la prestation du In C de Terry Riley par l’Ensemble FM de Christine Wodrascka. Mais au contraire de cette partition, celle de Julien Pontvianne évacue toute pulsation trop affirmée ; du moins lorsqu’il y en a une, ce n’est que par l’œil, en voyant la direction du chef, que l’on en prend conscience. La temporalité et le temps musical conséquent vont ainsi à l’encontre du tempo effréné, de la multiplication folle des couches temporelles qui caractérise notre XXIe siècle. Pour ma part, j’y vois une forme de résistance en même temps qu’un acte spirituel. Voilà en effet une musique du détail, où l’infime modification apparaît comme une évolution essentielle et constitue une action des plus importantes pour le devenir musical. Plus qu’une musique de la patience, une musique qui jauge la profondeur d’un présent comme étiré.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, salle du conseil, 22h

Electrik Botanik Ensemble

Basile Robert (électronique, machines, éclairages, construction mécanique, bricolage, scénographie).

Entre les deux concerts, l’installation de recherche sonore imaginée par Basile Robert, toute proche de la scène du chapiteau, pouvait être investie par le public depuis 17h. Il s’agit d’une sorte de forêt de constructions sonores plus étranges les unes que les autres, coordonnées aléatoirement par un ordinateur. A 22h toutefois, Basile Robert en prenait les commandes pour un authentique duo avec son invité du soir, le clarinettiste Joris Rühl. Hélas, par inconsistance et manque de professionnalisme, votre rapporteur arriva trop tard pour assister à cette prestation. Je n’ai donc pu observer que le « mode automatique » de l’Electrik Botanik Ensemble, ou comment le bric et le broc peuvent devenir magie pure.

ElectricBotanique

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, chapiteau du verger, 23h

BDC la belle

William Laudinat (tp), Florian Nastorg (as, bs), Bastien Andrieu (kb), Antoine Paulin (elg), Juan Favarel (elb), Léonard Bossavy (dm).

Comme en chaque début de fin de soirée (les nuits du festival luzéen sont longues), le dernier groupe à jouer sous le chapiteau envoya une bonne énergie. Le texte du programme décrivait parfaitement la musique donnée sur scène : ni rock, ni jazzcore, ni psychédélique, ni noise, ni musique improvisée, ni heavy metal, ni dub, mais tout cela à la fois en des équilibres chaque fois différents d’un morceau à l’autre. Ce qui frappe avec ce groupe de jeunes toulousains, c’est son efficacité. Que ce soit dans l’énergie, dans le son, dans les transitions d’une dominante musicale à une autre, jusque dans leur aplomb, voilà une formation qui sait où elle va, qui sait comment elle y va, et qui possède une idée précise de la manière dont il faut y aller. Le public fut ravi, et le festival fit une nouvelle fois honneur à sa devise : « Depuis 26 ans, nous faisons le pari de l’étonnement. »

BDC

À plus d’une heure du matin, à la Maison de la vallée, la nuit se termina avec The Real Fake MC (le vocaliste Clyde Kingrap) & DJ Suspect. En prévision de la balade du lendemain dans les villages de montagne, je décidais de rentrer prendre des forces pendant le peu de nuit qu’il me restait, et n’assistais donc pas à cette partie endiablée de la nuit. Les échos que j’eus le lendemain furent tous bons.

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Après une bonne balade riche en musiques et en informations, la troisième soirée de Jazz à Luz restera dans les mémoires grâce à la prestation artistique sans équivalent du Aum Grand Ensemble.

Vendredi 15 juillet 2016, Esquièze-Sère

Excursions artistiques en pays Toy, « Jazz en marche » #1

Gaspar Claus solo, 10h50

Gaspar Claus (vlle)GasparClaus

Les nuits sont courtes pour les festivaliers. Rendez-vous leur était en effet donné à 10h30 devant la mairie d’Esquièze-Sère, qui jouxte Luz-Saint-Sauveur. Après un parcours à travers le village, le groupe auquel votre rapporteur appartenait se retrouva invité à assister à un concert de Gaspar Claus en l’église Saint-Jean-Baptiste de Sère. Le solo du violoncelliste, totalement improvisé, se situa entre lyrisme athématique et exploration timbrique, Gaspar Claus entrant en interaction avec les reflets sonores renvoyés par les voûtes du XIIe siècle de l’édifice. Tout à coup, un extrait d’une des suites de Bach pour violoncelle seul se trouva interprété, peut-être sous l’inspiration du retable fin XVIIe siècle devant lequel il se produisait, coda d’une improvisation sans recherche réelle de construction, avec pour seul plaisir celui de jouir du plaisir de baigner dans le son.

Pascal Niggenkemper solo, 11h45

Pascal Niggenkemper (cb).

C’est ensuite à l’église Saint-Nicolas d’Esquièze, inchangée depuis au moins le XIIIe siècle, que se produisit à son tour le leader du 7ème continent entendu la veille. Contrairement à Gaspar Claus, Pascal Niggenkemper aime bousculer sa contrebasse avec l’intrusion d’objets dans, sur ou entre les cordes, notamment des percussions à peau (tambourin, peau de tom…). Il fit aussi avec les circonstances, comme lorsqu’à midi, les cloches de l’église sonnèrent par deux fois, avant que l’angélus du midi éclate dans les airs. C’est néanmoins le passage qu’il improvisa aux doigts qui me fit la plus forte impression, comme à la plupart des personnes interrogées autour de moi.

PascalNiggenkemper

Les deux musiciens se retrouvèrent vers 13h pour un duo impromptu devant l’ensemble des personnes de cette excursion, réparties sur les reliefs herbeux situés derrière l’église de Sère.

ClausNiggenkemperLe repas pris, Anne Montaron anima une double table ronde, la première avec les installations sonores pour thématique, la seconde autour de l’improvisation en solo. Il ressortit des propos de Gaspar Claus et Pascal Niggenkemper qu’en dépit de ce qu’avancent certains improvisateurs, l’improvisation libre en solo n’est jamais tout à fait une action réalisée seul. Le musicien interagit toujours avec le lieu, les réactions de l’auditoire, l’énergie spécifique qui se dégage de moments précis. De ce fait, la quête de ces solistes reste celle de continuer à se surprendre soi-même, à sortir de son vocabulaire et de ses propres réflexes, le « vraiment improvisé » s’avérant de plus en plus difficile à atteindre lorsque l’on joue beaucoup et de plus en plus souvent.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, Maison de la Vallée, 15h30

Jazz et cinéma de 1945 à 1955

Deux ans après avoir exploré à Luz la présence du jazz dans les cinémas américain et français dans la première moitié du XXe siècle, le collaborateur à Jazz Magazine Pierre-Henri Ardonceau exposait les fruits de ses recherches pour les années de guerre et d’après-guerre. Il en est ressorti qu’après avoir été plutôt très mal traité dans les premières décennies, le jazz trouva quelques réalisateurs à la hauteur de cette musique. Il souligna néanmoins combien souvent le jazz reste une sorte de décorum, ou alors qu’il glorifie le jazz de musiciens blancs, Louis Armstrong, Billie Holiday et bien d’autres n’ayant pas eu leur « biopic » (comme on dit de nos jours), à la différence de Glenn Miller, Benny Goodman ou Bix Beiderbecke (joué par Kirk Douglas). Pierre-Henry Ardonceau, avec ce style détendu et précis qu’on lui connaît, évoqua également les « race movies », ces équivalents des race records produits, tournés et à destination des Noirs, s’étonnant qu’aucune étude n’ait été encore menée en France sur le sujet.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, chapiteau du verger, 19h

Aum Grand Ensemble

Elise Dabrowski (vx), Jean-Brice Godet (cl, bcl), Antonin-Tri Hoang (as, cl), Julien Pontvianne (ts, cl), Jozef Dumoulin (p), Tony Paeleman (kb), Stéphane Garin (vib, perc), Amélie Grould (vib), Richard Comte (elb), Simon Tailleu (elb), Youen Cadiou (cb), Julien Loutelier (dm), Alexandre Herer (électroniques), Dylan Corley (dir).

« Silere » du Aum Grand Ensemble de Julien Pontvianne a été mon « CHOC » pour l’année 2015. C’est avec une attente toute particulière que j’allais entendre la formation en direct, une attente d’ailleurs palpable auprès des festivaliers.

Disons-le d’emblée, le concert fut des plus réussis. Pourtant, la journée avait mal commencé pour Julien Pontvianne lorsqu’il avait appris que la vocaliste Anne-Marie Jean n’avait pas pu prendre son avion pour venir jusqu’à Luz. Par chance, Elise Dabrowski avait décidé de venir écouter ses amis dans les Pyrénées. Outre ses qualités de contrebassiste improvisatrice, elle est également chanteuse lyrique de haut niveau. Elle accepta d’endosser ce rôle au pied levé lorsque Julien Pontvianne la contacta par téléphone alors qu’elle était encore dans le train. Elle réalisa dans la soirée une interprétation plus qu’honorable après seulement une lecture de la longue pièce avant le concert.

Est-ce que Julien Pontvianne a songé au « Om » de Coltrane ou au Konx-Om-Pax de Scelsi en nommant sa formation ? Quoi qu’il en soit, sa référence évidente au mantra bouddhiste indique sans détour que la musique sera affaire d’introspection, de plongée intérieure. C’est pourtant la lecture de textes de Henry David Thoreau qui sont pour partie à l’origine de cette musique, Walden en particulier, un texte à la dimension philosophique pré-écologiste.

Aum

En live, on perçoit bien évidemment les événements d’une manière différente qu’avec le CD. La spatialisation change, de même que la profondeur ou le son d’ensemble (notamment en ce qui concerne les instruments acoustiques, même s’ils se trouvent amplifiés). On comprend aussi comment certaines choses sont mises en place, comme par exemple les variations de volume gérées par le « chef d’orchestre », Dylan Corley, qui use alors d’une gestique issue du sound painting. Grâce à la contribution de leur propre ingénieur du son, l’équilibre électro-acoustique en façade ne fut pas décevant même s’il s’avéra fort différent, finalement, de celui de l’album, moins compact mais pas moins dense.

Peu de solo improvisé dans cette musique, hormis celui, absolu, de Jozef Dumoulin, remarquable de subtilité, tout en texture évolutive, fondée entre autre sur un jeu de variations infimes du poids de chaque doigt des deux mains.

Plus la musique – donnée d’un seul tenant – avançait, plus une atmosphère de communion quasi mystique entre musiciens et public se dégageait du chapiteau, cathédrale de plastique syncrétique. Une atmosphère tout à fait particulière qui m’a rappelé celle que le festival Jazz à Luz avait connu l’année dernière avec la prestation du In C de Terry Riley par l’Ensemble FM de Christine Wodrascka. Mais au contraire de cette partition, celle de Julien Pontvianne évacue toute pulsation trop affirmée ; du moins lorsqu’il y en a une, ce n’est que par l’œil, en voyant la direction du chef, que l’on en prend conscience. La temporalité et le temps musical conséquent vont ainsi à l’encontre du tempo effréné, de la multiplication folle des couches temporelles qui caractérise notre XXIe siècle. Pour ma part, j’y vois une forme de résistance en même temps qu’un acte spirituel. Voilà en effet une musique du détail, où l’infime modification apparaît comme une évolution essentielle et constitue une action des plus importantes pour le devenir musical. Plus qu’une musique de la patience, une musique qui jauge la profondeur d’un présent comme étiré.

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, salle du conseil, 22h

Electrik Botanik Ensemble

Basile Robert (électronique, machines, éclairages, construction mécanique, bricolage, scénographie).

Entre les deux concerts, l’installation de recherche sonore imaginée par Basile Robert, toute proche de la scène du chapiteau, pouvait être investie par le public depuis 17h. Il s’agit d’une sorte de forêt de constructions sonores plus étranges les unes que les autres, coordonnées aléatoirement par un ordinateur. A 22h toutefois, Basile Robert en prenait les commandes pour un authentique duo avec son invité du soir, le clarinettiste Joris Rühl. Hélas, par inconsistance et manque de professionnalisme, votre rapporteur arriva trop tard pour assister à cette prestation. Je n’ai donc pu observer que le « mode automatique » de l’Electrik Botanik Ensemble, ou comment le bric et le broc peuvent devenir magie pure.

ElectricBotanique

Vendredi 15 juillet 2016, Luz-Saint-Sauveur, chapiteau du verger, 23h

BDC la belle

William Laudinat (tp), Florian Nastorg (as, bs), Bastien Andrieu (kb), Antoine Paulin (elg), Juan Favarel (elb), Léonard Bossavy (dm).

Comme en chaque début de fin de soirée (les nuits du festival luzéen sont longues), le dernier groupe à jouer sous le chapiteau envoya une bonne énergie. Le texte du programme décrivait parfaitement la musique donnée sur scène : ni rock, ni jazzcore, ni psychédélique, ni noise, ni musique improvisée, ni heavy metal, ni dub, mais tout cela à la fois en des équilibres chaque fois différents d’un morceau à l’autre. Ce qui frappe avec ce groupe de jeunes toulousains, c’est son efficacité. Que ce soit dans l’énergie, dans le son, dans les transitions d’une dominante musicale à une autre, jusque dans leur aplomb, voilà une formation qui sait où elle va, qui sait comment elle y va, et qui possède une idée précise de la manière dont il faut y aller. Le public fut ravi, et le festival fit une nouvelle fois honneur à sa devise : « Depuis 26 ans, nous faisons le pari de l’étonnement. »

BDC

À plus d’une heure du matin, à la Maison de la vallée, la nuit se termina avec The Real Fake MC (le vocaliste Clyde Kingrap) & DJ Suspect. En prévision de la balade du lendemain dans les villages de montagne, je décidais de rentrer prendre des forces pendant le peu de nuit qu’il me restait, et n’assistais donc pas à cette partie endiablée de la nuit. Les échos que j’eus le lendemain furent tous bons.