Jazz live
Publié le 13 Mai 2018

Jazz sous les Pommiers (1): hors-les-murs

De chanteurs d'oiseaux en percussions aquatiques, deux performances inclassables ont émaillé l'édition 2018 du Festival bas-normand.

Cinq jours à Jazz sous les Pommiers, de l’ouverture samedi dernier – les embouteillages de départ en week-end m’ayant hélas fait rater les concerts de Papanosh et Mélanie de Biasio – à mercredi soir. Comment rendre compte d’une telle profusion ? Au traditionnel compte-rendu chronologique concert par concert, j’ai préféré adopter une approche par lieu, le festival bas-normand en comptant trois principaux : la Salle Marcel-Hélie, le Théâtre et le Magic Mirrors ; mais c’est hors-les-murs que se sont joués deux des événements les plus étonnants et stimulants de mon séjour, mettant chacun en jeu d’une manière particulière les rapports entre nature et culture.

Lundi soir, rendez-vous était donné au Lycée Nature, non dans une austère salle de classe, mais dans un charmant jardin des plantes où les élèves de l’établissement étudient d’ordinaire l’horticulture ou l’aménagement paysager. Une fois n’est pas coutume, les vedettes de ce concert-promenade ne jouent d’aucun instrument : il s’agit des Chanteurs d’oiseaux Jean Boucault et Johnny Rasse, déjà repérés pour leurs interventions télévisées à la cérémonie des Molières ou aux Victoires de la musique classique. Leur spécialité ? L’imitation de chants d’oiseaux sans appeaux, chaque espèce – j’aurais aimé pouvoir en reconnaître ne serait-ce qu’une seule, hormis la poule et le coq… – faisant l’objet d’une technique particulière : pour tel volatile, on glissera ses deux auriculaire dans sa bouche, pour tel autre, on sifflera entre les dents en avançant la mâchoire, et ainsi de suite. Le répertoire est infini, le résultat saisissant de réalisme, au point qu’un dialogue semble bientôt s’instaurer avec les oiseaux de chair et de plumes nichés dans les arbres alentours. Mais voilà qu’au détour d’un buisson, une espèce inconnue des ornithologues surgit : le saxophone soprano de Jean-Marc Larché. Un échange avec les imitateurs débute, contribuant à brouiller encore un peu plus les frontières : Où commence la musique ? Où s’arrête-t-elle ? En bon fan de John Zorn, je ne peux m’empêcher de songer aux volumes 1 et 2 de “The Classic Guide To Strategyˮ, solo de saxophone avec appeaux convoquant tout un bestiaire imaginaire. Une joyeuse participation du public – occasion pour quelques-uns de déployer leurs talents d’imitateurs d’oiseaux amateurs – conclut cette performance surprenante, nous laissant face à une question : et si l’imitation de la nature constituait la plus pure de toutes les musiques ?

Le lendemain matin, à 11 heures, cap sur la piscine de Coutances. Pas en maillot de bain, hélas, les spectateurs étant invités à rester au bord du bassin pour le concert d’Akutuk. Akutuk ? Derrière ces trois syllabes clapotantes se cache une ancestrale tradition pratiquée par les femmes de la forêt camerounaise pour célébrer les esprits de l’eau. Cette fois encore, pas d’instruments, ou presque : immergées jusqu’à la taille, Loïs Zongo, Marie-Thérèse Atem (venue spécialement de Kribi au Cameroun) et Odile Barlier n’ont besoin que de leurs mains pour se livrer à une spectaculaire performance de percussion aquatique, générant une variété de sons stupéfiante qu’elles accompagnent de chants polyphoniques. Bien qu’exécuté dans un milieu artificialisé entre tous (la piscine), leur concert explore d’une manière étonnamment poétique notre rapport à cet élément primordial qu’est l’eau. Originaire non du Cameroun mais de Lorraine (« l’eau-reine », comme le souligne facétieusement Loïs Zongo), Odile Barlier apporte sa touche personnelle à la tradition par l’utilisation de surprenantes flûtes aquatiques de son invention : on jurerait entendre la légendaire partie de bouteille en verre jouée au début de Watermelon Man des Headhunters ! Une référence pas si éloignée, d’ailleurs, puisque Bill Summers, le percussionniste du groupe, s’était inspiré pour ce titre de la musique pygmée d’Afrique équatoriale…

Loin de la routine festivalière, ces deux spectacles hors-normes ont fait le plein et ravi le public, signe d’une réelle demande pour des performances transcendant le cadre par trop codifié du concert.