Jazz live
Publié le 25 Juin 2019

JazzAscona, 1. Un trophée pour Othella

Sous-titrée,, comme les précédentes, « The New Orleans Experience », cette édition témoigne que la connexion avec la Cité du Croissant n’a jamais été aussi fructueuse. L’expérience, ou, si l’on préfère, la découverte, se décline, en effet, sur plusieurs registres, musical, mais aussi gastronomique (les spécialités louisianaises fleurissent dans les restaurants), voire caractéristique du showbizz américain et de ses récompenses, avec la désormais traditionnelle remise d’un Swiss Jazz Award.

La référence à La Nouvelle-Orléans, symbole, pour certains, de vieillerie tout à fait désuète, pourrait être réductrice. Et même trompeuse. Evoquer je ne sais quel ressassement stérile. Il n’en est rien. Nicolas Gilliet, directeur artistique du festival, est, à l’inverse, à l’affût des nouvelles tendances et des nouveaux talents. Si bien qu’Ascona est devenue une manière de vitrine où se côtoient ceux qui perpétuent la tradition du jazz dit « classique » et les tenants de la fusion avec des musiques populaires contemporaines – les uns et les autres ayant des arguments à faire valoir. Mais c’est là un autre débat.

Parmi les premiers, The Fats Boys. Un quartette qui se réclame explicitement de Fats Waller.

 

The Fats Boys

Brenno Boccadoro (p), Adriano Bassanini (tp, voc), Thomas Winteler (cl, ss), René Lambelet (dm).

Stage New Orleans, 23 juin.

Réunis autour du pianiste tessinois Brenno Boccadoro, parfait émule des grands du sride, doté d’une solide main gauche et capable d’improviser avec fluidité, deux souffleurs à la technique éprouvée et un batteur aussi sobre qu’efficace. Fats Waller, donc, ses standards (Ain’t Misbehavin’, Honeysuckle Rose, I Believe in Miracles, entre autres), mais aussi ses entours, Armstrong (West End Blues, Cornet Shop Suey, What a Wonderful World), Bechet (Indian Summer), et puis encore Jelly Roll et autres Hoagy Carmichael (Georgia on My Mind ). Une promenade d’autant plus plaisante qu’Adriano Bassanini se révèle crooner assez sobre pour ne verser jamais dans le pathos. Que Thomas Winteler excelle à lui fournir un contrechant subtil et pose, au soprano, ses pas dans ceux de Sidney. Tout cela joint à la simplicité des arrangements contribue à l’agrément d’un concert qui offre aux têtes chenues le plaisir de plonger dans leurs souvenirs, aux autres, celui de la découverte. Ce qui n’est déjà pas si mal.

 

Othella Dallas (voc), Ueli Gasser (elg), Michael Chylewski (elb), Lukas Gasser (dm), Thomas Möckel (tp, bugle).

Stage New Orleans, 23 juin.

Le Swiss Jazz Award 2019 est donc échu à Othella Dallas et la cérémonie de remise du  trophée a suivi la prestation des Fats Boys. Un véritable phénomène que cette chanteuse et danseuse originaire de Memphis (Tennessee). Elle est née en… 1925 et réside en Suisse depuis les années 60 sans avoir cessé de se produire régulièrement sur scène depuis ses débuts à Paris dans les années 50. Longévité exceptionnelle et carrière tout aussi remarquable. Son domaine, le jazz, le blues, le rhythm  and blues, le funk. Ses références, impressionnantes. Elève de la danseuse et chorégraphe Katherine Dunham, elle a par la suite côtoyé Louis Armstrong et Sidney Bechet, Duke Ellington, Quincy Jones, Sammy Davis, Jr., Nat King Cole, Sonny Stitt et King Curtis, pour ne citer qu’eux. « Bête de scène » qui ne dédaigne pas d’esquisser des pas de danse, de stimuler du geste et de la voix ses musiciens et le public, voire de simuler la séduction, jupe retroussée sur des mollets galbés de danseuse, jambes haut croisées, ondulations suggestives. Pour la petite histoire , il faut ajouter que ce concert couronnait une journée bien remplie : interviews pour la radio et la TV, projection d’un film à elle consacré, mondanités diverses. Autant de servitudes auxquelles sont accoutumées les vedettes internationales.

Accompagnée par un quartette d’où émerge l’excellent guitariste Ueli Gasser, soutenue à la trompette et au bugle par Thomas Möckel que l’on eût aimé entendre davantage en solo, elle se meut avec aisance dans les standards (le Fever de Peggy Lee, Georgia on My Mind, Let the Good Time Roll, Some of These Days, popularisé en 1927 par Sophie Tucker), alterne le blues le plus torride, la ballade et le gospel, terminant sur un Oh  Happy Day propre à plonger dans la transe une foule en délire qui aimerait, nonobstant son âge, lui voir enchaîner les rappels. Qui donc prétendait  que la pratique immodérée de la scène nuisait à la santé ?

Jacques Aboucaya