Jazz live
Publié le 12 Oct 2020

Jeff Ballard Trio à Jazz sur son 31

Lancé depuis déjà quatre jours, le festival "Jazz sur son 31" offrait aux toulousains du dimanche soir un concert d'une sobriété bienheureuse, partageant le concert du trio de Jeff Ballard en le diffusant simultanément en streaming. Il aurait été dommage que cela reste confiné à un petit nombre d'auditeurs.

Dimanche 11 octobre 2020, Toulouse, Conseil Départemental de Haute-Garonne,

Festival « Jazz sur son 31 »

Jeff Ballard Trio

Rick Margitza (ts), Joe Sanders (cb), Jeff Ballard (dr)

Il pleut sur Toulouse ce soir. Et pourtant… La covid-19 a contraint les organisateurs du concert de réduire des deux tiers la jauge de la salle, qui paraît si ce n’est vide du moins un peu tristouille. Et pourtant… Les applaudissements, bien que nourris, ne remplissent pas le lieu. Et pourtant…

Pourtant, le trio de Jeff Ballard va produire une musique d’une noble beauté. Ni racoleuse, ni facile. Ni ésotérique, ni absconse. Non. D’une noble beauté. Le format sans instrument harmonique, dans sa nudité même, appelle à cet idéal.

Le premier morceau, Ah-Leu-Cha, permet aux musiciens de se trouver, à Joe Sanders de mieux serrer son pic de contrebasse, et aux techniciens de mieux régler le son de façade. C’est ensuite Jitterburg Waltz – Jeff Ballard l’a enregistré au sein du New Trio de Chick Corea – dans un arrangement subtil de Rick Margitza. La chauffe de l’énergie continue sa progression. Vient alors Happy House d’Ornette Coleman, dont l’interprétation ne sera ni totalement libre, ni harmolodique à proprement parler, ni absolument free, mais un peu de tout ceci quand même. Joe Sanders chante chacune de ses interventions solistes, aussi étranges et inhabituelles soient-elles. Une pause ensuite, avec la ballade Cry Me a River.

Le trio reprend ensuite le Bloomdido de Charlie Parker. Sous des allures d’une walkin’ bass traditionnelle, Joe Sanders désagrège le blues, en efface le cadre et ses points d’ancrage par des lignes qui se refusent à souligner les premiers temps de la structure en douze mesures, ni à affirmer les degrés harmoniques forts du blues. Il faut s’accrocher pour ne pas tomber dans la spirale.

Your Lady, de John Coltrane, permet à Rick Margitza des envolées bien à lui, puisqu’on ne reconnaît ni Coltrane, ni Brecker, ni aucun autre saxophoniste au cours de son introduction en solo absolu puis de son improvisation. Il adopte des inflexions plus familières dans ce cool blues qu’est Goin’ Home d’Eddie Harris, de même que Joe Sanders fait entendre à quel il domine la tradition, lui qui s’est montré si bellement abstrait durant tous les morceaux précédents.

C’est fini. Le public rappelle. Les musiciens sourient. Il s’est arrêté de pleuvoir. Ce sera Gazzelloni d’Eric Dolphy où les musiciens entraîneront leurs auditeurs en de multiples dimensions rythmiques.

Jeff Ballard ? Magnifique de bout en bout, quel que soit le style, les virages pris, l’énergie ! Son trio, très différent de Fly (avec Mark Turner et Larry Grenadier) dans son expression, cultive l’art de la folie qui nous protège de la folie (pour paraphraser le regretté Bernard Stiegler).

Ludovic Florin