Jazz live
Publié le 30 Nov 2019

Le supplément d’âme de Gabor Gado

Bien qu’estompé par des péripéties personnelles venues s’interposer depuis, le souvenir du concert donné il y a dix jours à Paris au Centre Wallonie-Bruxelles par le quartette du guitariste hongrois Gábor Gadó est resté suffisamment vif pour qu’il mérite quelques lignes dans ces pages.

On avait suivi d’assez près (quoique trop discrètement) les aventures du guitariste et compositeur avec ses complices français (le saxophoniste Matthieu Donarier, le contrebassiste Sébastien Boisseau et le batteur Joe Quizke), puis le public français l’avait un peu perdu de vue. On l’avait entendu se chercher du côté de Jean-Sébastien Bach, une recherche pour lequel il s’était trouvé un partenaire à Bruxelles, le trompettiste Laurent Blondiau (“Veil and Quintessence”, 2017, BMC). C’est une version de ce duo étendu au quartette, avec le fidèle Sébastien Boisseau et le batteur australien Will Guthrie, qu’il nous a été donné d’entendre le 20 novembre dernier dans le cadre du festival Jazzy Colors.

Laurent Blondiau surgit seul de la pénombre d’un discret dispositif d’éclairage imaginé par Sam Mary, avançant du fond de la scène en jouant sur les possibilités d’une trompette à double pavillon qui lui permet de se répondre à lui-même avec une sonorité différente, comme si son ombre même lui répondait. Tout du long du concert, il saura ainsi jouer de la plénitude de cette sonorité que l’on est tenté de situer dans le sillage de Kenny Wheeler, en l’altérant par un art du growl et des sourdines qui ma l’a fait comparer par le passé à un Rex Stewart des temps modernes.

Il n’en faut pas moins pour habiter les splendides partitions que la guitare de Gadó vient bientôt dérouler sous ses pas et pour imprimer sa personnalité sur ces pages, nombreuses, précisément délimitées, selon une écriture qui, sans souffrir des tares d’une certain post-modernisme, se joue des ressemblances et des évocations, déstabilisant constamment l’auditeur qui croit y reconnaître sans jamais rien pouvoir identifier, quelque classique de la musique baroque ou pré-baroque que viennent dérégler quelques tournures aux allures faussement sérielles. La pédale de volume gommant l’attaque du médiator, les savantes conduites de voix sur basse continue, égrenées en arpèges ou plaquées en accords font sonner ces fervents chorals comme s’ils étaient joués à l’orgue ou chantés par quelque chœur dans la nef d’un édifice religieux. Et lorsque la contrebasse de Sébastien Boisseau et la batterie de Will Guthrie entrent en jeu, c’est en un passionnant équilibre entre les consignes précises du chef-guitariste et le lâcher prise du jazz quartette livré aux élans et chausse-trapes de la controlled freedom, pour nous livrer un objet esthétique doublé d’un supplément d’âme l’un et l’autre hors du commun. Franck Bergerot