Jazz live
Publié le 20 Juin 2022

Pegazz festival Jour 2 : Otrium (Quentin Ghomari trio) et PJ 5 (Paul Jarret)

 

 

Ôtrium, avec Quentin Ghomari (trompette), Yoni Zelnik (contrebasse), Antoine Paganotti (batterie), Studio de l’Ermitage, 13 juin 2022, Studio de l’Ermitage

 

Le trompettiste Quentin Ghomari (entendu notamment avec Papanosh, ou avec Marc Benham au sein de Gonam City, ou encore avec Leïla Olivesi) fait paraître son premier disque Ôtrium (contraction de Otium, l’oisiveté, et trio) une éclatante réussite, et l’évidence d’un univers poétique très personnel.

La voix singulière de ce musicien,  on la remarque dès le premier morceau du concert, Knock Knock, qui ouvre également son disque. Une délicieuse friandise, deux minutes en solo, qui pourrait évoquer une conversation animée entre deux personnes, en jouant sur les effets de demi-piston et de growl que Quentin Ghomari maîtrise à la perfection. C’est léger, délicat, amusant…et beau. Et cette petite introduction est emblématique de son approche de la trompette : Quentin Ghomari a développé une virtuosité bien à lui, très loin de l’esbrouffe des aigus stratosphériques, qui consiste à incorporer à son jeu un travail sur le son (j’ai parlé des demi-piston et des growls, il y en a d’autres). Il intègre donc ces effets (nourris par une connaissance profonde de toute l’histoire de la trompette) à une sonorité éclatante: on s’en rend compte dans le deuxième morceau du concert, Kenny and Jim (hommage à Kenny Wheeler et Jim Harrison), très belle mélodie, suivie d’une belle improvisation lyrique et chantante,   on pense à Kenny Wheeler, mais aussi à Booker Little pour les sauts d’intervalles.

La musique respire. Le contrebassiste Yoni Zelnik est au cœur du trio. On l’entend dans toutes les facettes de son jeu, avec sa capacité à prendre des chorus très mélodiques, mais aussi à groover comme un fou, avec un engagement total : plusieurs morceaux sont construits sur ses ostinatos (par exemple Ôtrium, morceau éponyme). Quant au dernier élément de ce trio, Antoine Paganotti, il possède une énergie brute, primale, qui équilibre parfaitement le jeu poétique de Quentin Ghomari. Voilà un batteur qui n’est jamais banal, jamais tiède. Ses interventions ont toujours quelque chose d’inattendu, par exemple son solo sur Charms of Miles Sky (hommage à Miles Davis et Dave Douglas): tout à coup arrive, venue d’on ne sait d’où, une montée d’énergie stupéfiante. Les compositions (signées Quentin Ghomari) ont un caractère ludique, poétique, et sensible: comme Last minute Call, petite fanfare gracieuse, ou le vif argent Joe l’invisible. Une musique sucrée juste ce qu’il faut, avec de délicieux petits éclats d’acidité. La fraîcheur d’une glace au citron.

 

 

 

 

 

PJ5, Paul Jarret (guitare), Maxence Ravelomanantsoa (tenor saxophone), Jules Boittin (trombone), Alexandre Perrot (contrebasse), 13 juin 2022, Studio de l’Ermitage

Après Ôtrium, PJ5 fait souffler sur la scène de l’Ermitage un vent épique. Ils ne sont que 5, mais quel engagement ! Ariel Tessier, déchaîné comme jamais, est la flamme, la mèche, et la poudre. Il instille une énergie phénomènale à ce groupe qui est, c’est sa particularité, aussi mélodique qu’explosif. Les mélodies sont exposées avec force par le sax ténor de Maxence Ravelomanantsoa (souvent dans le registre aigu de l’instrument) pendant que Jules Boittin harmonise dans les graves, et que Paul Jarret énonce les accords de base (et beaucoup d’autres choses). Tous les instrumentistes utilisent des effets de réverb, de delay, qui concourent à l’ampleur de cette musique. Comme beaucoup de spectateurs, je suis saisi par cette conjonction entre l’énergie rock, et ces puissantes vagues mélodiques. Aux tempêtes déchaînées succèdent des clairières contemplatives. Quand le silence survient, il est encore coloré du fracas qui a précédé. Il semble habité, nourri, infusé d’échos multiples. Paul Jarret, à la guitare, a cette faculté de planer au-dessus des tutti sax-trombone qui complète la masse sonore. Alexandre Perrot fait partie de ces contrebassistes qui en quelques notes savent faire exister une atmosphère.

Après le concert, j’échange quelques mots avec Paul Jarret qui détaille quelques-unes de ses influences, situées plus du coté du rock (Sigur Ros, groupe islandais, mais aussi Ozma, groupe du batteur français Stéphane Charlé…). Il revient sur l’évolution de son groupe depuis 12 ans :  « j’ai du mal à écouter aujourd’hui certains titres de nos premiers albums. Je nous trouve parfois un peu scolaires dans notre volonté de coller à une certaine forme de jazz new yorkais. Aujourd’hui, nous avons pas mal évolué. La plupart des musiciens du groupe s’intéressent beaucoup au free, et je crois que cela se ressent dans la musique. J’ai l’impression que dans les impros, on va plus loin qu’avant. Pour autant, la dimension mélodique est toujours là, je me rends compte aujourd’hui qu’elle fait vraiment partie de ma personnalité musicale… ».