Jazz live
Publié le 20 Juin 2022

Pegazz Festival Jour 3: Dancing Birds (Julien Soro trio) +Les Rugissants (Grégoire Letouvet)

Dancing Birds, Julien Soro (tenor saxophone), Gabriel Midon (contrebasse), Ariel Tessier (batterie), et Lea Cichielski (sax alto), 14 juin 2022, Studio de l’Ermitage.

 

 

Bigre, quelle entrée en matière  ! Julien Soro (sa prédilection pour le ténor est désormais une évidence pour tous) attaque à bloc. Il mord dans son sax, se tord comme une flamme. Sonorité dure, rêche, minérale. Phrases scandées, vociférées. Une urgence à dire qui évoque Shepp.

Gabriel Midon (par des ostinatos ou des notes répétées) et Ariel Tessier (vitesse sidérante de réaction et d’anticipation, grande complicité avec Soro) s’engouffrent dans son sillage. Dans Orthopédie, Soro devient prêcheur-hurleur, il joue le blues body and soul, et même guts and soul, nous voilà presque transportés dans une église baptiste.  Mais le trio a bien d’autres choses à offrir que cette saisissante énergie. Au soprano particulièrement, Julien Soro trouve des climats plus apaisés.

 

Et de belles compositions arrivent, Blind, ou encore le lion de Cléopâtre, de la plume d’Ariel Tessier, composition vive, un peu ironique peut-être, on ne peut s’empêcher de penser à un animal superbe mais un peu claudicant. Même fraîcheur pour une autre composition inspirée par le Capitaine Haddock.

A ce moment-là, vers la fin du concert, la saxophoniste alto Lea Cichielski rejoint le groupe (elle fait en outre partie de Big Fish, le quartet de Julien Soro). Vitesse des réflexes, des doigts, de l’imagination, élan, énergie, phrases incisives, elle engage un dialogue riche et prenant avec Julien Soro.

Leur dialogue  semble ouvrir de nouvelles portes à la musique (unissons, questions/réponses…).  Comme si la présence d’un interlocuteur permettait à Soro de donner le meilleur. Un nouveau projet passionnant, quelques mois après son trio Players, où ses échanges avec le vibraphoniste Stefan Caracci nous avaient déjà totalement convaincus.

 

 

 

Les Rugissants, Grégoire Letouvet  (composition, direction, piano), Léo Jeannet (trompette), Jules Boittin trombone (trombone), Corentin Giniaux (clarinette, clarinette basse), Paul de Rémusat (saxophone alto),  Rémi Scribe (saxophone soprano, saxophone ténor), Thibaud Merle (saxophone ténor), Raphaël Herlem (saxophone baryton), Alexandre Perrot (contrebasse), Jean-Baptiste Paliès (batterie), 14 juin, Studio de l’Ermitage.

Les Rugissants, le big band de Grégoire Letouvet, arrangeur, pianiste, compositeur, a déjà huit ans d’existence (et deux albums derrière lui, « L’insecte et la révolution », « D’humain et d’animal »). C’est un big-band d’une esthétique très différente de celle de Raphaël Schwab (Grégoire Letouvet cite le Liberation Music Orchestra, le Big band de Kenny Wheeler, et de Charles Mingus parmi ses multiples influences). Une écriture toute aussi raffinée que celle du contrebassiste, mais sans doute plus axée sur la limpidité narrative (on imagine assez bien certains des morceaux comme des bandes-sons de petits courts métrages).

La thématique choisie est celle du cri. Elle permet de dire beaucoup de choses et de varier les ambiances (du cri primal, cri de la matière, cri céleste, cri de la rue…). La présence du fender Rhodes (à la droite de Grégoire Letouvet, le piano étant à sa gauche) donne une couleur originale à l’orchestre. Tout au long de la soirée, de beaux échanges se tissent entre l’orchestre et les claviers. On remarque aussi le caractère très organique de ce big-band, dont les solos ne rompent jamais la continuité. Parmi les titres joués, on retient notamment Fission (le cri de la matière) et ces tutti qui ne s’arrêtent jamais, cette manière de scinder l’orchestre en deux, soufflants d’un côté, rythmique de l’autre, avant une réconciliation qui s’opère notamment grâce aux claviers, et ce petit air entêtant répété au Rhodes qui surplombe les éclaboussures des cuivres. (thème de la plume du batteur Jean-Baptiste Paliès).

Autre  très beau beau moment, Céleste, écrit par le contrebassiste Alexandre Perrot, d’où émane une ambiance mystérieuse et prenante, qui a évoqué un paysage nocturne à mon camarade Franck Bergerot présent ce soir là. Une atmosphère indéniablement poétique, où le saxophone de Rémi Scribe infuse un surcroît de mystère.  Affres (du saxophoniste baryton Raphaël Herlem) offre un autre moment musical délicieux, avec cette manière sensuelle dont les cuivres enveloppent la sonorité du saxophone baryton.

Le concert se termine  par deux morceaux très réussis, Vacarme, dont l’idée de départ est « savante » (« C’est un jeu sur le 4, 5, 6, 7 . Les accords sont de plus en plus longs, je me suis inspiré un peu de certaines compositions de Magik malik, l’idée est d’obtenir un effet de dévoilement » révèle Grégoire Letouvet après le concert) et Sauvage, très réussi, qui donne l’impression d’une transe à plusieurs niveaux, et où s’illustre, déchainé, le saxophoniste alto Paul de Rémusat, dans un chorus d’esprit ornette colemanien qui fracasse tout sur son passage…Un disque est prévu au printemps.

 

Texte : JF Mondot

Dessins : AC Alvoet (autres dessins, peintures sur son site www.annie-claire.com)