Jazz live
Publié le 2 Fév 2013

Tam de Villiers au Tam

 

Hier, 1er février, le Jazz Cabaret du Tam (Théâtre André Malraux) de Rueil-Malmaison accueillait le quartette du guitariste Tam de Villiers pour un programme qui se situait entre différents univers new-yorkais (David Binney et Mark Turner d’un côté, Tim Berne et Marc Ducret de l’autre). Devant un public peu averti dont nous avons guetté les résistances, bien à tort.

 

 

 

 

Cabaret Jazz (Tam/cinéma Ariel), Rueil-Mamaison (92), le 1er février 2013.


Tam de Villiers Quartet: David Prez (sax ténor), Tam de Viliers (guitare électrique, compositions), Bruno Schorp (contrebasse), Karl Jannuska (batterie).


Quatrième concert de cette saison du renouveau pour le cabaret jazz de Rueil-Malmaison, renouveau qui tient dans la programmation confiée au saxophoniste Alexis Avakian. Et il est intéressant d’observer ce renouveau au prisme de ce quatrième concert. Le premier qui ne se donnait pas à guichets fermés, les trois premiers ayant été pris d’assault par les habitués du Théâtre André Malraux dès de la présentation publique de la saison en juin dernier. Où l’on sent que ce cabaret jazz qui semble avoir le vent en poupe évolue sous haute surveillance, ou dans une indifférence qui pourrait lui être fatale s’il manquait à se faire remarquer par une réussite incontestable. Or pourquoi donc cette baisse d’intérêt à l’endroit de Tam de Villiers (qui, on le verra, fut contredite par l’affluence le soir-même du concert et l’accueil du public) ? Le mot “rock” dans le programme aurait-il fait peur à un public pas très jeune (mais qui a grandi avec le rock et qui a moins été dérouté par la reprise de Message in a Bottle de Police que par son traitement) ? La difficulté de définir la musique de Tam de Villers à partir de référents courants aurait-elle dissuadé ?


Ça me rappelle ma situation de programmateur, dans les années 80, à la discothèque municipale de Montrouge. Dans un contexte, il est vrai, fort différent. Il s’agissait de concerts gratuits et je n’avais pas de compte de billetterie à rendre. Et pourtant, je me suis aussi inquiété de l’affluence, du mécontentement possible, face à des musiques qui, sans être radicales, pouvaient s’avérer difficiles dans un équilibre permanent entre différentes formes de jazz. Car, en dépit du soutien sans faille du secrétariat général, je travaillais dans ce genre de mairies pour lesquelles un bon concert est celui qui se donne devant une salle dont plus un siège n’est libre et d’où le public sort unanime. À quoi s’ajoutait le souci exclusif du public de la commune, le public extérieur étant souvent considéré comme une sorte d’envahisseur. À l’inverse, d’autres municipalités, plutôt à gauche et plus rodées à l’exercice d’une politique culturelle, revendiquent le rayonnement hors de leurs frontières et la prise de risque qui permet un vrai travail de découverte – clivage rendu fameux sous le ministère perfide de Frédéric Mitterand entre « la culture pour chacun » et « la culture pour tous ». Si je suis partisan de la prise de risque, j’avoue avoir été parfois été choqué par une déresponsabilisation telle que la désertion du public semblait la norme, une forme de fatalité, voire de label de qualité. Le combat pour la qualité, n’est-ce pas aussi le combat pour la conquête du public. Un public, ça se forme, ça se gagne. Il n’en reste pas moins que j’observai hier, avec une appréhension que je me surpris à faire mienne, ce public face à la musique pas si facile de Tam de Villiers. L’appréhension, la peur, n’ont jamais été les meilleures conseillères pour apprécier une œuvre. Je fus pourtant pris à ce piège, surveillant les réactions, les marques d’adhésion ou de rejet, me désolant de quelques départs à l’entracte, probablement parce que je tiens à cette programmation à quelques centaines de mètres de mon domicile dans le relatif désert de cette banlieue en matière de jazz, alors que la plupart des concerts dont je rends compte dans ces pages m’imposent des longs et tardifs retours par les transports en commun.


Mais avais-je moi-même justement apprécié la musique de Tam de Villiers lors des chroniques de ses disques “Alba Lux” en 2008 et “Motion Unfolding”  en 2011 ? La comparaison que j’en avais faite avec l’univers de Gabor Gado ne me sautait pas hier aux yeux, même si Tam m’avouera à l’issue du concert en comprendre les raisons. C’est en tout cas une musique différente de celle que je croyais avoir chroniquée que je découvrais sur scène. Les autres références aux antécédents français (Marc Ducret, Malo Vallois) s’estompaient à mes yeux au profit d’une musique plus new-yorkaise, avec deux pôles d’attraction dont le guitariste ne se défend pas : d’un côté, cette musique qui s’est développée autour du Smalls dans les années 90 avec des personnalités comme David Binney et Mark Turner, de l’autre les recherches métriques et surtout formelles de Tim Berne. Des deux côtés, une même préoccupation : rééquilibrer les relations entre improvisation et composition et créer une forme d’interaction entre les deux domaines. D’un côté comme de l’autre, je suis tout à la fois estomaqué par la densité de l’écriture de Tam de Villiers qui dans ses meilleurs moments s’approche du monde du quatuor à cordes tant il répartit de véritables développements entre ses quatre voix, de manière tout à la fois égalitaire et complémentaire, avec un sens des volumes, de l’espace, de la dynamique et du récit… et dans le même temps gêné par le défaut de charisme et de lyrisme, par la vanité de certaines complexités rythmiques et le bridage de l’expression. Réécoutant les disques avec un réel plaisir en rédigeant cette chronique, j’y vois deux causes : le manque d’occasions de cet orchestre qui n’a pas suffisamment joué les difficiles répertoires de ses deux disques – et qui se doit de continuer à en créer de nouveaux – pour les servir sur scène de toute la décontraction voulue, et de l’autre cette peur de la désaffection du public à laquelle je me suis abandonné de manière fautive… Ce n’était évidemment pas mon rôle.


Concernant le jeu du groupe, soit l’on pense à Tim Berne et il manque ici cette énergie, ce groove, cet engagement, cette rage de jouer qui emporte la musique du saxophoniste et qui fait contraste avec le jeu tout en retenue de David Prez. Si l’on pense aux musiciens new-yorkais auxquels cette retenue fait référence (Mark Turner, Chris Cheek), il m’a semblé entendre particulièrement du côté de Prez un manque de conviction et de charisme qui pouvait aussi résulter d’un effet d’illusion sur la perception du lyrisme, du fait d’un son de saxophone très mat qui, dans cette salle à l’acoustique par ailleurs excellente, aurait mérité un poil de réverb à la
sono. À défaut de quoi, une certaine distance s’instaurait entre l’auditeur et le saxophoniste déjà peu porté à l’effusion.


Mais concernant la réaction du public, mes appréhensions étaient injustifiées : la salle était pleine et le départ de quelques spectateurs à l’entracte permit surtout à d’autres de trouver place assise pour une seconde partie où j’ai senti le public conquis… Rien de tel qu’une rencontre au bar avec les musiciens pour entrer dans le vif de leur musique, si j’en juge du ravissement en seconde partie d’un spectateur septuagénaire les ayant abordés à l’entracte en avouant n’avoir jamais été plus loin que Dizzy Gillespie. Applaudissements sans réserve en fin de concert de la part d’un public qui, dans sa grande majorité, découvrait un univers inconnu de lui. After hours, nous évoquions avec Tam le dernier projet de Marc Ducret, Tower Bridge, et sa capacité, malgré son ambition esthétique, à conquérir sur scène tout public non averti. Dans le dernier numéro des Cahiers du jazz (numéro 9, nouvelle série), Alain Gerber ne dit pas autre chose à propos d’André Hodeir, réputé si cérébral, s’étonnant sous le titre Le Vrai Motif d’aimer qu’on n’écoute pas Anna Liva Plurabelle ou Le Palais idéal, comme il l’a fait, aussi naïvement qu’on écoute Erroll Garner, Stan Getz ou Ella Fitzgerald. C’est pourtant par ce genre de biais que je suis venu au jazz du temps de mon adolescence. L’adolescence, c’est probablement ce qui manquait hier dans la salle. On ne désespère de la voir venir au cabaret.


Franck Bergerot


Le 1er mars, c’est le chaleureux ténor d’Alexis Avakian qui sera sur la scène du cabaret jazz de Rueil-Malmaison dans un programme de compositions personnelles plus « straight ahead » avec Jérôme Barde (guitare), Samuel Hubert (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie). Le 5 avril, ce sera au tour du contrebassiste Mauro Gargano avec notamment le torride saxophoniste Francesco Bearzatti.

 

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Hier, 1er février, le Jazz Cabaret du Tam (Théâtre André Malraux) de Rueil-Malmaison accueillait le quartette du guitariste Tam de Villiers pour un programme qui se situait entre différents univers new-yorkais (David Binney et Mark Turner d’un côté, Tim Berne et Marc Ducret de l’autre). Devant un public peu averti dont nous avons guetté les résistances, bien à tort.

 

 

 

 

Cabaret Jazz (Tam/cinéma Ariel), Rueil-Mamaison (92), le 1er février 2013.


Tam de Villiers Quartet: David Prez (sax ténor), Tam de Viliers (guitare électrique, compositions), Bruno Schorp (contrebasse), Karl Jannuska (batterie).


Quatrième concert de cette saison du renouveau pour le cabaret jazz de Rueil-Malmaison, renouveau qui tient dans la programmation confiée au saxophoniste Alexis Avakian. Et il est intéressant d’observer ce renouveau au prisme de ce quatrième concert. Le premier qui ne se donnait pas à guichets fermés, les trois premiers ayant été pris d’assault par les habitués du Théâtre André Malraux dès de la présentation publique de la saison en juin dernier. Où l’on sent que ce cabaret jazz qui semble avoir le vent en poupe évolue sous haute surveillance, ou dans une indifférence qui pourrait lui être fatale s’il manquait à se faire remarquer par une réussite incontestable. Or pourquoi donc cette baisse d’intérêt à l’endroit de Tam de Villiers (qui, on le verra, fut contredite par l’affluence le soir-même du concert et l’accueil du public) ? Le mot “rock” dans le programme aurait-il fait peur à un public pas très jeune (mais qui a grandi avec le rock et qui a moins été dérouté par la reprise de Message in a Bottle de Police que par son traitement) ? La difficulté de définir la musique de Tam de Villers à partir de référents courants aurait-elle dissuadé ?


Ça me rappelle ma situation de programmateur, dans les années 80, à la discothèque municipale de Montrouge. Dans un contexte, il est vrai, fort différent. Il s’agissait de concerts gratuits et je n’avais pas de compte de billetterie à rendre. Et pourtant, je me suis aussi inquiété de l’affluence, du mécontentement possible, face à des musiques qui, sans être radicales, pouvaient s’avérer difficiles dans un équilibre permanent entre différentes formes de jazz. Car, en dépit du soutien sans faille du secrétariat général, je travaillais dans ce genre de mairies pour lesquelles un bon concert est celui qui se donne devant une salle dont plus un siège n’est libre et d’où le public sort unanime. À quoi s’ajoutait le souci exclusif du public de la commune, le public extérieur étant souvent considéré comme une sorte d’envahisseur. À l’inverse, d’autres municipalités, plutôt à gauche et plus rodées à l’exercice d’une politique culturelle, revendiquent le rayonnement hors de leurs frontières et la prise de risque qui permet un vrai travail de découverte – clivage rendu fameux sous le ministère perfide de Frédéric Mitterand entre « la culture pour chacun » et « la culture pour tous ». Si je suis partisan de la prise de risque, j’avoue avoir été parfois été choqué par une déresponsabilisation telle que la désertion du public semblait la norme, une forme de fatalité, voire de label de qualité. Le combat pour la qualité, n’est-ce pas aussi le combat pour la conquête du public. Un public, ça se forme, ça se gagne. Il n’en reste pas moins que j’observai hier, avec une appréhension que je me surpris à faire mienne, ce public face à la musique pas si facile de Tam de Villiers. L’appréhension, la peur, n’ont jamais été les meilleures conseillères pour apprécier une œuvre. Je fus pourtant pris à ce piège, surveillant les réactions, les marques d’adhésion ou de rejet, me désolant de quelques départs à l’entracte, probablement parce que je tiens à cette programmation à quelques centaines de mètres de mon domicile dans le relatif désert de cette banlieue en matière de jazz, alors que la plupart des concerts dont je rends compte dans ces pages m’imposent des longs et tardifs retours par les transports en commun.


Mais avais-je moi-même justement apprécié la musique de Tam de Villiers lors des chroniques de ses disques “Alba Lux” en 2008 et “Motion Unfolding”  en 2011 ? La comparaison que j’en avais faite avec l’univers de Gabor Gado ne me sautait pas hier aux yeux, même si Tam m’avouera à l’issue du concert en comprendre les raisons. C’est en tout cas une musique différente de celle que je croyais avoir chroniquée que je découvrais sur scène. Les autres références aux antécédents français (Marc Ducret, Malo Vallois) s’estompaient à mes yeux au profit d’une musique plus new-yorkaise, avec deux pôles d’attraction dont le guitariste ne se défend pas : d’un côté, cette musique qui s’est développée autour du Smalls dans les années 90 avec des personnalités comme David Binney et Mark Turner, de l’autre les recherches métriques et surtout formelles de Tim Berne. Des deux côtés, une même préoccupation : rééquilibrer les relations entre improvisation et composition et créer une forme d’interaction entre les deux domaines. D’un côté comme de l’autre, je suis tout à la fois estomaqué par la densité de l’écriture de Tam de Villiers qui dans ses meilleurs moments s’approche du monde du quatuor à cordes tant il répartit de véritables développements entre ses quatre voix, de manière tout à la fois égalitaire et complémentaire, avec un sens des volumes, de l’espace, de la dynamique et du récit… et dans le même temps gêné par le défaut de charisme et de lyrisme, par la vanité de certaines complexités rythmiques et le bridage de l’expression. Réécoutant les disques avec un réel plaisir en rédigeant cette chronique, j’y vois deux causes : le manque d’occasions de cet orchestre qui n’a pas suffisamment joué les difficiles répertoires de ses deux disques – et qui se doit de continuer à en créer de nouveaux – pour les servir sur scène de toute la décontraction voulue, et de l’autre cette peur de la désaffection du public à laquelle je me suis abandonné de manière fautive… Ce n’était évidemment pas mon rôle.


Concernant le jeu du groupe, soit l’on pense à Tim Berne et il manque ici cette énergie, ce groove, cet engagement, cette rage de jouer qui emporte la musique du saxophoniste et qui fait contraste avec le jeu tout en retenue de David Prez. Si l’on pense aux musiciens new-yorkais auxquels cette retenue fait référence (Mark Turner, Chris Cheek), il m’a semblé entendre particulièrement du côté de Prez un manque de conviction et de charisme qui pouvait aussi résulter d’un effet d’illusion sur la perception du lyrisme, du fait d’un son de saxophone très mat qui, dans cette salle à l’acoustique par ailleurs excellente, aurait mérité un poil de réverb à la
sono. À défaut de quoi, une certaine distance s’instaurait entre l’auditeur et le saxophoniste déjà peu porté à l’effusion.


Mais concernant la réaction du public, mes appréhensions étaient injustifiées : la salle était pleine et le départ de quelques spectateurs à l’entracte permit surtout à d’autres de trouver place assise pour une seconde partie où j’ai senti le public conquis… Rien de tel qu’une rencontre au bar avec les musiciens pour entrer dans le vif de leur musique, si j’en juge du ravissement en seconde partie d’un spectateur septuagénaire les ayant abordés à l’entracte en avouant n’avoir jamais été plus loin que Dizzy Gillespie. Applaudissements sans réserve en fin de concert de la part d’un public qui, dans sa grande majorité, découvrait un univers inconnu de lui. After hours, nous évoquions avec Tam le dernier projet de Marc Ducret, Tower Bridge, et sa capacité, malgré son ambition esthétique, à conquérir sur scène tout public non averti. Dans le dernier numéro des Cahiers du jazz (numéro 9, nouvelle série), Alain Gerber ne dit pas autre chose à propos d’André Hodeir, réputé si cérébral, s’étonnant sous le titre Le Vrai Motif d’aimer qu’on n’écoute pas Anna Liva Plurabelle ou Le Palais idéal, comme il l’a fait, aussi naïvement qu’on écoute Erroll Garner, Stan Getz ou Ella Fitzgerald. C’est pourtant par ce genre de biais que je suis venu au jazz du temps de mon adolescence. L’adolescence, c’est probablement ce qui manquait hier dans la salle. On ne désespère de la voir venir au cabaret.


Franck Bergerot


Le 1er mars, c’est le chaleureux ténor d’Alexis Avakian qui sera sur la scène du cabaret jazz de Rueil-Malmaison dans un programme de compositions personnelles plus « straight ahead » avec Jérôme Barde (guitare), Samuel Hubert (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie). Le 5 avril, ce sera au tour du contrebassiste Mauro Gargano avec notamment le torride saxophoniste Francesco Bearzatti.

 

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Hier, 1er février, le Jazz Cabaret du Tam (Théâtre André Malraux) de Rueil-Malmaison accueillait le quartette du guitariste Tam de Villiers pour un programme qui se situait entre différents univers new-yorkais (David Binney et Mark Turner d’un côté, Tim Berne et Marc Ducret de l’autre). Devant un public peu averti dont nous avons guetté les résistances, bien à tort.

 

 

 

 

Cabaret Jazz (Tam/cinéma Ariel), Rueil-Mamaison (92), le 1er février 2013.


Tam de Villiers Quartet: David Prez (sax ténor), Tam de Viliers (guitare électrique, compositions), Bruno Schorp (contrebasse), Karl Jannuska (batterie).


Quatrième concert de cette saison du renouveau pour le cabaret jazz de Rueil-Malmaison, renouveau qui tient dans la programmation confiée au saxophoniste Alexis Avakian. Et il est intéressant d’observer ce renouveau au prisme de ce quatrième concert. Le premier qui ne se donnait pas à guichets fermés, les trois premiers ayant été pris d’assault par les habitués du Théâtre André Malraux dès de la présentation publique de la saison en juin dernier. Où l’on sent que ce cabaret jazz qui semble avoir le vent en poupe évolue sous haute surveillance, ou dans une indifférence qui pourrait lui être fatale s’il manquait à se faire remarquer par une réussite incontestable. Or pourquoi donc cette baisse d’intérêt à l’endroit de Tam de Villiers (qui, on le verra, fut contredite par l’affluence le soir-même du concert et l’accueil du public) ? Le mot “rock” dans le programme aurait-il fait peur à un public pas très jeune (mais qui a grandi avec le rock et qui a moins été dérouté par la reprise de Message in a Bottle de Police que par son traitement) ? La difficulté de définir la musique de Tam de Villers à partir de référents courants aurait-elle dissuadé ?


Ça me rappelle ma situation de programmateur, dans les années 80, à la discothèque municipale de Montrouge. Dans un contexte, il est vrai, fort différent. Il s’agissait de concerts gratuits et je n’avais pas de compte de billetterie à rendre. Et pourtant, je me suis aussi inquiété de l’affluence, du mécontentement possible, face à des musiques qui, sans être radicales, pouvaient s’avérer difficiles dans un équilibre permanent entre différentes formes de jazz. Car, en dépit du soutien sans faille du secrétariat général, je travaillais dans ce genre de mairies pour lesquelles un bon concert est celui qui se donne devant une salle dont plus un siège n’est libre et d’où le public sort unanime. À quoi s’ajoutait le souci exclusif du public de la commune, le public extérieur étant souvent considéré comme une sorte d’envahisseur. À l’inverse, d’autres municipalités, plutôt à gauche et plus rodées à l’exercice d’une politique culturelle, revendiquent le rayonnement hors de leurs frontières et la prise de risque qui permet un vrai travail de découverte – clivage rendu fameux sous le ministère perfide de Frédéric Mitterand entre « la culture pour chacun » et « la culture pour tous ». Si je suis partisan de la prise de risque, j’avoue avoir été parfois été choqué par une déresponsabilisation telle que la désertion du public semblait la norme, une forme de fatalité, voire de label de qualité. Le combat pour la qualité, n’est-ce pas aussi le combat pour la conquête du public. Un public, ça se forme, ça se gagne. Il n’en reste pas moins que j’observai hier, avec une appréhension que je me surpris à faire mienne, ce public face à la musique pas si facile de Tam de Villiers. L’appréhension, la peur, n’ont jamais été les meilleures conseillères pour apprécier une œuvre. Je fus pourtant pris à ce piège, surveillant les réactions, les marques d’adhésion ou de rejet, me désolant de quelques départs à l’entracte, probablement parce que je tiens à cette programmation à quelques centaines de mètres de mon domicile dans le relatif désert de cette banlieue en matière de jazz, alors que la plupart des concerts dont je rends compte dans ces pages m’imposent des longs et tardifs retours par les transports en commun.


Mais avais-je moi-même justement apprécié la musique de Tam de Villiers lors des chroniques de ses disques “Alba Lux” en 2008 et “Motion Unfolding”  en 2011 ? La comparaison que j’en avais faite avec l’univers de Gabor Gado ne me sautait pas hier aux yeux, même si Tam m’avouera à l’issue du concert en comprendre les raisons. C’est en tout cas une musique différente de celle que je croyais avoir chroniquée que je découvrais sur scène. Les autres références aux antécédents français (Marc Ducret, Malo Vallois) s’estompaient à mes yeux au profit d’une musique plus new-yorkaise, avec deux pôles d’attraction dont le guitariste ne se défend pas : d’un côté, cette musique qui s’est développée autour du Smalls dans les années 90 avec des personnalités comme David Binney et Mark Turner, de l’autre les recherches métriques et surtout formelles de Tim Berne. Des deux côtés, une même préoccupation : rééquilibrer les relations entre improvisation et composition et créer une forme d’interaction entre les deux domaines. D’un côté comme de l’autre, je suis tout à la fois estomaqué par la densité de l’écriture de Tam de Villiers qui dans ses meilleurs moments s’approche du monde du quatuor à cordes tant il répartit de véritables développements entre ses quatre voix, de manière tout à la fois égalitaire et complémentaire, avec un sens des volumes, de l’espace, de la dynamique et du récit… et dans le même temps gêné par le défaut de charisme et de lyrisme, par la vanité de certaines complexités rythmiques et le bridage de l’expression. Réécoutant les disques avec un réel plaisir en rédigeant cette chronique, j’y vois deux causes : le manque d’occasions de cet orchestre qui n’a pas suffisamment joué les difficiles répertoires de ses deux disques – et qui se doit de continuer à en créer de nouveaux – pour les servir sur scène de toute la décontraction voulue, et de l’autre cette peur de la désaffection du public à laquelle je me suis abandonné de manière fautive… Ce n’était évidemment pas mon rôle.


Concernant le jeu du groupe, soit l’on pense à Tim Berne et il manque ici cette énergie, ce groove, cet engagement, cette rage de jouer qui emporte la musique du saxophoniste et qui fait contraste avec le jeu tout en retenue de David Prez. Si l’on pense aux musiciens new-yorkais auxquels cette retenue fait référence (Mark Turner, Chris Cheek), il m’a semblé entendre particulièrement du côté de Prez un manque de conviction et de charisme qui pouvait aussi résulter d’un effet d’illusion sur la perception du lyrisme, du fait d’un son de saxophone très mat qui, dans cette salle à l’acoustique par ailleurs excellente, aurait mérité un poil de réverb à la
sono. À défaut de quoi, une certaine distance s’instaurait entre l’auditeur et le saxophoniste déjà peu porté à l’effusion.


Mais concernant la réaction du public, mes appréhensions étaient injustifiées : la salle était pleine et le départ de quelques spectateurs à l’entracte permit surtout à d’autres de trouver place assise pour une seconde partie où j’ai senti le public conquis… Rien de tel qu’une rencontre au bar avec les musiciens pour entrer dans le vif de leur musique, si j’en juge du ravissement en seconde partie d’un spectateur septuagénaire les ayant abordés à l’entracte en avouant n’avoir jamais été plus loin que Dizzy Gillespie. Applaudissements sans réserve en fin de concert de la part d’un public qui, dans sa grande majorité, découvrait un univers inconnu de lui. After hours, nous évoquions avec Tam le dernier projet de Marc Ducret, Tower Bridge, et sa capacité, malgré son ambition esthétique, à conquérir sur scène tout public non averti. Dans le dernier numéro des Cahiers du jazz (numéro 9, nouvelle série), Alain Gerber ne dit pas autre chose à propos d’André Hodeir, réputé si cérébral, s’étonnant sous le titre Le Vrai Motif d’aimer qu’on n’écoute pas Anna Liva Plurabelle ou Le Palais idéal, comme il l’a fait, aussi naïvement qu’on écoute Erroll Garner, Stan Getz ou Ella Fitzgerald. C’est pourtant par ce genre de biais que je suis venu au jazz du temps de mon adolescence. L’adolescence, c’est probablement ce qui manquait hier dans la salle. On ne désespère de la voir venir au cabaret.


Franck Bergerot


Le 1er mars, c’est le chaleureux ténor d’Alexis Avakian qui sera sur la scène du cabaret jazz de Rueil-Malmaison dans un programme de compositions personnelles plus « straight ahead » avec Jérôme Barde (guitare), Samuel Hubert (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie). Le 5 avril, ce sera au tour du contrebassiste Mauro Gargano avec notamment le torride saxophoniste Francesco Bearzatti.

 

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Hier, 1er février, le Jazz Cabaret du Tam (Théâtre André Malraux) de Rueil-Malmaison accueillait le quartette du guitariste Tam de Villiers pour un programme qui se situait entre différents univers new-yorkais (David Binney et Mark Turner d’un côté, Tim Berne et Marc Ducret de l’autre). Devant un public peu averti dont nous avons guetté les résistances, bien à tort.

 

 

 

 

Cabaret Jazz (Tam/cinéma Ariel), Rueil-Mamaison (92), le 1er février 2013.


Tam de Villiers Quartet: David Prez (sax ténor), Tam de Viliers (guitare électrique, compositions), Bruno Schorp (contrebasse), Karl Jannuska (batterie).


Quatrième concert de cette saison du renouveau pour le cabaret jazz de Rueil-Malmaison, renouveau qui tient dans la programmation confiée au saxophoniste Alexis Avakian. Et il est intéressant d’observer ce renouveau au prisme de ce quatrième concert. Le premier qui ne se donnait pas à guichets fermés, les trois premiers ayant été pris d’assault par les habitués du Théâtre André Malraux dès de la présentation publique de la saison en juin dernier. Où l’on sent que ce cabaret jazz qui semble avoir le vent en poupe évolue sous haute surveillance, ou dans une indifférence qui pourrait lui être fatale s’il manquait à se faire remarquer par une réussite incontestable. Or pourquoi donc cette baisse d’intérêt à l’endroit de Tam de Villiers (qui, on le verra, fut contredite par l’affluence le soir-même du concert et l’accueil du public) ? Le mot “rock” dans le programme aurait-il fait peur à un public pas très jeune (mais qui a grandi avec le rock et qui a moins été dérouté par la reprise de Message in a Bottle de Police que par son traitement) ? La difficulté de définir la musique de Tam de Villers à partir de référents courants aurait-elle dissuadé ?


Ça me rappelle ma situation de programmateur, dans les années 80, à la discothèque municipale de Montrouge. Dans un contexte, il est vrai, fort différent. Il s’agissait de concerts gratuits et je n’avais pas de compte de billetterie à rendre. Et pourtant, je me suis aussi inquiété de l’affluence, du mécontentement possible, face à des musiques qui, sans être radicales, pouvaient s’avérer difficiles dans un équilibre permanent entre différentes formes de jazz. Car, en dépit du soutien sans faille du secrétariat général, je travaillais dans ce genre de mairies pour lesquelles un bon concert est celui qui se donne devant une salle dont plus un siège n’est libre et d’où le public sort unanime. À quoi s’ajoutait le souci exclusif du public de la commune, le public extérieur étant souvent considéré comme une sorte d’envahisseur. À l’inverse, d’autres municipalités, plutôt à gauche et plus rodées à l’exercice d’une politique culturelle, revendiquent le rayonnement hors de leurs frontières et la prise de risque qui permet un vrai travail de découverte – clivage rendu fameux sous le ministère perfide de Frédéric Mitterand entre « la culture pour chacun » et « la culture pour tous ». Si je suis partisan de la prise de risque, j’avoue avoir été parfois été choqué par une déresponsabilisation telle que la désertion du public semblait la norme, une forme de fatalité, voire de label de qualité. Le combat pour la qualité, n’est-ce pas aussi le combat pour la conquête du public. Un public, ça se forme, ça se gagne. Il n’en reste pas moins que j’observai hier, avec une appréhension que je me surpris à faire mienne, ce public face à la musique pas si facile de Tam de Villiers. L’appréhension, la peur, n’ont jamais été les meilleures conseillères pour apprécier une œuvre. Je fus pourtant pris à ce piège, surveillant les réactions, les marques d’adhésion ou de rejet, me désolant de quelques départs à l’entracte, probablement parce que je tiens à cette programmation à quelques centaines de mètres de mon domicile dans le relatif désert de cette banlieue en matière de jazz, alors que la plupart des concerts dont je rends compte dans ces pages m’imposent des longs et tardifs retours par les transports en commun.


Mais avais-je moi-même justement apprécié la musique de Tam de Villiers lors des chroniques de ses disques “Alba Lux” en 2008 et “Motion Unfolding”  en 2011 ? La comparaison que j’en avais faite avec l’univers de Gabor Gado ne me sautait pas hier aux yeux, même si Tam m’avouera à l’issue du concert en comprendre les raisons. C’est en tout cas une musique différente de celle que je croyais avoir chroniquée que je découvrais sur scène. Les autres références aux antécédents français (Marc Ducret, Malo Vallois) s’estompaient à mes yeux au profit d’une musique plus new-yorkaise, avec deux pôles d’attraction dont le guitariste ne se défend pas : d’un côté, cette musique qui s’est développée autour du Smalls dans les années 90 avec des personnalités comme David Binney et Mark Turner, de l’autre les recherches métriques et surtout formelles de Tim Berne. Des deux côtés, une même préoccupation : rééquilibrer les relations entre improvisation et composition et créer une forme d’interaction entre les deux domaines. D’un côté comme de l’autre, je suis tout à la fois estomaqué par la densité de l’écriture de Tam de Villiers qui dans ses meilleurs moments s’approche du monde du quatuor à cordes tant il répartit de véritables développements entre ses quatre voix, de manière tout à la fois égalitaire et complémentaire, avec un sens des volumes, de l’espace, de la dynamique et du récit… et dans le même temps gêné par le défaut de charisme et de lyrisme, par la vanité de certaines complexités rythmiques et le bridage de l’expression. Réécoutant les disques avec un réel plaisir en rédigeant cette chronique, j’y vois deux causes : le manque d’occasions de cet orchestre qui n’a pas suffisamment joué les difficiles répertoires de ses deux disques – et qui se doit de continuer à en créer de nouveaux – pour les servir sur scène de toute la décontraction voulue, et de l’autre cette peur de la désaffection du public à laquelle je me suis abandonné de manière fautive… Ce n’était évidemment pas mon rôle.


Concernant le jeu du groupe, soit l’on pense à Tim Berne et il manque ici cette énergie, ce groove, cet engagement, cette rage de jouer qui emporte la musique du saxophoniste et qui fait contraste avec le jeu tout en retenue de David Prez. Si l’on pense aux musiciens new-yorkais auxquels cette retenue fait référence (Mark Turner, Chris Cheek), il m’a semblé entendre particulièrement du côté de Prez un manque de conviction et de charisme qui pouvait aussi résulter d’un effet d’illusion sur la perception du lyrisme, du fait d’un son de saxophone très mat qui, dans cette salle à l’acoustique par ailleurs excellente, aurait mérité un poil de réverb à la
sono. À défaut de quoi, une certaine distance s’instaurait entre l’auditeur et le saxophoniste déjà peu porté à l’effusion.


Mais concernant la réaction du public, mes appréhensions étaient injustifiées : la salle était pleine et le départ de quelques spectateurs à l’entracte permit surtout à d’autres de trouver place assise pour une seconde partie où j’ai senti le public conquis… Rien de tel qu’une rencontre au bar avec les musiciens pour entrer dans le vif de leur musique, si j’en juge du ravissement en seconde partie d’un spectateur septuagénaire les ayant abordés à l’entracte en avouant n’avoir jamais été plus loin que Dizzy Gillespie. Applaudissements sans réserve en fin de concert de la part d’un public qui, dans sa grande majorité, découvrait un univers inconnu de lui. After hours, nous évoquions avec Tam le dernier projet de Marc Ducret, Tower Bridge, et sa capacité, malgré son ambition esthétique, à conquérir sur scène tout public non averti. Dans le dernier numéro des Cahiers du jazz (numéro 9, nouvelle série), Alain Gerber ne dit pas autre chose à propos d’André Hodeir, réputé si cérébral, s’étonnant sous le titre Le Vrai Motif d’aimer qu’on n’écoute pas Anna Liva Plurabelle ou Le Palais idéal, comme il l’a fait, aussi naïvement qu’on écoute Erroll Garner, Stan Getz ou Ella Fitzgerald. C’est pourtant par ce genre de biais que je suis venu au jazz du temps de mon adolescence. L’adolescence, c’est probablement ce qui manquait hier dans la salle. On ne désespère de la voir venir au cabaret.


Franck Bergerot


Le 1er mars, c’est le chaleureux ténor d’Alexis Avakian qui sera sur la scène du cabaret jazz de Rueil-Malmaison dans un programme de compositions personnelles plus « straight ahead » avec Jérôme Barde (guitare), Samuel Hubert (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie). Le 5 avril, ce sera au tour du contrebassiste Mauro Gargano avec notamment le torride saxophoniste Francesco Bearzatti.