L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme.
Mattéo Rigetti (de Besançon) avait choisi :
Lukather
Steve Lukather
Columbia
1989
« Fan de la première heure de Toto, la sortie du premier album solo de Steve Lukather fut pour moi une belle surprise. Pensant qu’il serait disponible dans son pays natal avant de sortir en France, j’avais appelé un vieil ami américain pour lui demander de me le trouver chez un disquaire de son coin (il habitait Los Angeles), afin que je puisse l’écouter avant tout le monde ici ! “Mais quel disque solo de Lukather, bro’ ?!” m’avait-il répondu par fax. Hé oui, à ma grande surprise j’ai appris par la suite que “Lukather” était sorti dans le monde entier…sauf aux États-Unis ! La faute au nouveau boss de Columbia, un certain Donny Ienner, que Lukather détestait – c’était réciproque je crois…
Mais ce petit désagrément ne m’empêcha pas d’écouter mon CD en boucle et, ô joie, de constater que le premier morceau, l’incendiaire Twist The Knife, avait été composé à quatre mains par “Luke” et son pote Eddie Van Halen, qui jouait de la basse dessus !
Il faut dire que cet album éponyme était un festival de “big names” : Jeff Porcaro, Carlos Vega, Danny Kortchmar, Steve Stevens, Jan Hammer, Mike Landau, Lee Sklar, Randy Goodrum, Will Lee, David Paich, Randy Jackson… Tous donnaient un certain cachet à un disque de hard-rock’n’roll sans complexe, rentre dedans, puissant, et bien sûr débordant de soli brûlants (celui de Drive A Crooked Road est “juste une dinguerie”, comme vous dites, vous les jeunes). Ce qui n’excluait pas certaine verve mélodique.
Bref, aussi bon qu’on disque de Toto, quoique plus “viril” – d’une certaine manière, il annonçait le dernier album de Toto avec Jeff Porcaro, “Kingdom Of Desire”, dont la première chanson, Gypsy Train, aurait pu figurer dans ce “Lukather” qui fit mon bonheur. »
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L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme.
Lise Descombes (de Trouville) avait choisi :
High Crime
Al Jarreau
Warner Bros. Records
1984

« Ce disque d’Al Jarreau fut en son temps décrié par les puristes à cause de sa production très “eighties”, synthés à go go et beats électroniques. Et pourtant, quel divin choc avais-je reçu quand le saphir se cala dans le sillon de la première face de mon 33-tours acheté à Paris lors d’un bref séjour, je m’en souviens comme si c’était hier. Raging Waters ! Quelle énergie ! La voix féline et le phrasé élastique du grand Al qui dansait sur les boîtes à rythmes, qui pour l’occasion avaient toutes hérité d’un nom : Chip McSticks, Skinsoh Umor, Tubs Margranate, Tyrone B. Feedback, Rug Toupé, U.L. Blowby… Ah ah ah !
Et ces chansons si entraînantes, ces arrangements inventifs et modernes… Imagination, Murphy’s Law, la chanson titre, le tube Let’s Pretend (où l’on reconnaissait bien la “patte” de Richard Page et de Steve George des Pages), la très funky Sticky Wicked… Non, ce n’était pas un Crime que d’écouter ce disque qui me rendait High le plus légalement du monde – quelle meilleure drogue que la musique ? »
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L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme.
Michel Gauthier (de Tournon) avait choisi :
We Live Here
Pat Metheny Group
Geffen Records
1995

« C’est Claude Nougaro qui chantait : “Mon disque d’été est déjà rayé / Par les rayons gris de la mélancolie / Mon disque pleure sur sa dernière heure envolée.” Hé bien moi, mon disque de l’été 1996, c’était “We Live Here” du Pat Metheny Group, et je dois avouer qu’étant un peu jeune pour avoir “vécu” ce groupe génial dans les années 1980, son âge d’or selon les plus anciens, les disques du PMG (du “Pihemgi” !) des années 1990 sont ceux qui comptent le plus pour moi. Et donc celui-ci, le plus souvent rythmé par des beats (magnifiquement) programmés, mélangés au jeu de cymbale pointilliste de Paul Wertico. (Dans The Girl Next Door, on frôle le hip-hop !)
La musique du Pat Metheny Group m’a souvent invité au voyage – leurs célèbre double live de 1983 ne s’appelle-t-il pas “Travels” ? –, mais “We Live Here” représente pour moi un must du genre “trippin’ jazz” ensoleillé, avec des mélodies irrésistibles et des harmonies chatoyantes. Et puis il y les deux maîtres, Pat le guitariste et Lyle le claviériste, les Lennon & McCartney du jazz, qui de leur écrin avaient sorti leur plus belle plume pour coucher sur partition leurs idées lumineuses.
Et puis, comme on aime aussi leurs immenses qualités d’improvisateurs, permettez-moi d’insister sur les solos qu’ils prennent dans Episode d’Azur (j’adore ce titre !) : ils sont tout simplement touchés par la grâce. “Nous vivons ici” ? Moi aussi, pour la vie ! »
#fredgoatylapepitedujour #lapepitedujour #comingaoût #25disquessortentdubois#patmethenygroup
L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme. Annaëlle Dessan (de Nîmes) avait choisi : Zenyattà Mondatta The Police (A&M Records1980)

« Le troisième disque de The Police me tient à cœur pour une raison toute simple : je n’avais alors que deux 45-tours d’eux, Walking On The Moon et Message In A Bottle, et c’est le premier “33” que j’ai pu m’acheter avec mon argent de poche, peu de temps, je crois, après sa sortie (j’étais au Lycée Alphonse Daudet, je venais d’entrer en seconde, c’était donc forcément fin 1980). Je sais bien que “Zenyattà Mondatta” est loin d’être considéré comme le meilleur album de The Police, et d’ailleurs, pour moi qui ne connaissais donc que mes deux 45-tours, par cœur (et Roxanne bien sûr, qui passait souvent à la radio), je dois avouer que j’avais été un peu déçue, au début, ou plus précisément décontenancée par, comme dire, la différence énorme entre certaines chansons. J’adorais Don’t Stand So Close To Me, Voices Inside My Head (mon grand frère, batteurs, me disait que Stewart Copeland était vraiment génial sur ce morceau), et le fait que Driven To Tears et When The World Is Running Down, You Make The Best Of What’s Still Around (ce titre !) me troublait un peu, mais ça me plaisait tout de même. J’aimais nettement moins Canary In A Coalmine, dont je trouvais le refrain bêta (je dois avouer que je n’avais pas fait le rapprochement avec le fait que Sting soit originaire d’une ville minière…), De Do Do Do Do, De Da Da Da et Man In A Suitcase pour les mêmes raisons, et je zappais souvent Bombs Away. Mais le rythme bizarre de Shadows In The Rain et l’étrangeté des deux instrumentaux, Behind My Camel et The Other Way Of Stopping, fit qu’au bout du compte j’appris ce disque par cœur, qui reste pour moi un grand disque un peu enrhumé de The Police, mais un grand disque quand même. »
La rencontre au sommet de ces deux légendes de la guitare blues en 1983 est rééditée avec le plus grand soin en CD et en LP par Craft Recordings.
On n’oserait presque pas vous faire l’affront de vous répéter ce qui a déjà si souvent été dit sur cette collaboration de rêve, qui de toutes celles qui jalonnent l’histoire du blues reste l’une des plus brûlantes et mémorables. Voilà enfin rééditée dans les règles de l’art cette session de 1983, enregistrée alors que SRV ne s’était pas encore couvert de gloire pour sa participation à l’album “Let’s Dance” de David Bowie, et qu’Albert King, déjà entré dans la légende malgré une reconnaissance jugée insuffisante par ses admirateurs, était encore au sommet de son éloquence.
Depuis quelques années, Craft Recordings multiplie les rééditions, en LP et/ou en CD, de grands disques historiques avec tout le soin qu’ils méritent, tant au niveau de la qualité du son que de l’attention portée aux pochettes, et c’est un plaisir que de (re)découvrir “Albert King With Stevie Ray Vaughan / In Session”, publié à l’origine sur le label Stax, aussi bien traité.
Si le LP reprend le tracklisting des 7 morceaux de la première édition de 1999, la version 2 CD propose elle l’intégralité des pistes enregistrées le 6 décembre 1983 aux CHCH Studios d’Hamilton, dans l’état de l’Ontario, qu’on n’avait découvertes qu’en 2010 à l’occasion de la sortie du DVD, avec trois plages supplémentaires mais qu’on vous recommande de ne surtout pas rater : Born Under A Bad Sign, I’m Gonna Move To The Outskirts Of Town et le célèbre Texas Flood de SRV. Ici, pas de DVD (vous devriez pouvoir en trouver assez facilement des extraits sur la toile), mais le livret, à la pagination généreuse (15 pages) comprend les textes qui agrémentaient l’édition originale de 1999 et la réédition de 2010.
La qualité de la musique se passe de commentaire, mais l’entente qui règne entre les deux hommes laisse pantois, qui se prolonge dans leurs discussions entre les morceaux préservées par le montage, tandis qu’ils sont accompagnés d’une section rythmique à la hauteur de l’événement (Gus Thornton, basse, Michael Llorens, batterie, Tony Llorens, piano et orgue). Pour la qualité du travail éditorial et celle de la musique, toujours aussi forte qu’au premier jour (ou comme le disait Albert King lui-même : « The blues don’t change ») cette réédition est des plus recommandables ! Yazid Kouloughli
Le coffret “Talking Heads: 77” inaugure une magnifique série de rééditions Super Deluxe qui commence donc fort logiquement par le premier album du groupe culte de David Byrne, Tina Weymouth, Jerry Harrison et Chris Frantz.
Par Fred Goaty
Flashback #1. Le 3 septembre 1976 à Londres, 801, le groupe du guitariste de Roxy Music, Phil Manzanera, est à l’affiche du Queen Elizabeth Hall. Dans leur set list figure une reprise de You Really Got Me chantée d’une voix faussement lasse et très artystiquement dépassionnée par le futur producteur de Talking Heads, Brian Eno.
Flashback #2. Le 10 octobre 1977, à New York, Talking Heads est à l’affiche du CBGB. Dans leur set list figure une reprise de Take Me To The River chantée d’une voix nerveuse et à l’hystérie savamment contrôlée par David Byrne. Cette façon d’aborder – les puristes diraient peut-être « de saborder », mais nous n’avons que faire des puristes… – le tube d’Al Green rappelle les manières obliques de Brian Eno, un an plus tôt dans la capitale anglaise. Dans les deux cas, la relecture est entêtante, qui s’éloigne respectueusement des versions originales – à quoi bon chercher à bêtement imiter ? [Talking Heads finit par graver une version studio de Take Me To The River en 1978 dans leur second album, “More Songs About Buildings and Food”, NDR.]
Mais si, hélas, 801 fut un groupe éphémère, Talking Heads devint un groupe majeur de la post-pop post-glam post-punk, et réécouter en version Super Deluxe leur premier album, “Talking Heads: 77”, nous replonge dans l’effervescence de la scène new-yorkaise d’alors, où il suffisait de faire la queue devant le CBGB pour écouter Television, Patti Smith, Blondie, les Ramones, Richard Hell & The Voidoids ou, donc, le combo de David Byrne (chant, guitare), Tina Weymouth (basse), Jerry Harrison (claviers, guitare) et Chris Frantz (batterie).
A priori (l’info dervait être confirmée sous peu), cette version Deluxe de “Talking Heads: 77” sera suivie par celles de “More Songs About Buildings And Food” (1978), “Fear Of Music” (1979) et “Remain In Light” (1980), soit les trois autres chefs-d’œuvre du groupe – rappelons que leur live de 1983 tiré du film du même nom de Jonathan Demme, “Stop Making Sense”, vient de bénéficier aussi de divers traitement super luxueux.
Constat : cette “Limited Edition” (ne tardez pas !) de “Talking Heads: 77” est non seulement réjouissante musicalement, mais le design l’est tout autant, qui s’élève dans les hautes sphères de la catégorie “beaux livres”. Car “Talking Heads: 77” se lit autant qu’il s’écoute grâce aux témoignages rédigés par tous les membres du groupe, tous aussi éclairants que passionnants, et auxquels il faut ajouter celui, pas moins décisif, de l’ingénieur du son Ed Stadium.
Quant à la musique, elle n’a rien perdu de son ses qualités nerveusement funky et de son singulier cachet mélodique. Le grand classique de ce premier album, c’est bien sûr l’inoubliable Psycho Killer et son « fa fa fa fa » à la Otis Redding, mais cet arbre ne doit surtout pas cacher un magnifique bosquet (qui deviendra par la suiteune luxuriante forêt ) de chansons cultes, de Love –> Building On Fire (leur premier 45-tours, qui figure dans le track listing du CD 3, “Rarities”) à Uh-Ho, Love Comes To Town, New Feeling en passant par Don’t Worry About The Government.
Ce coffet 3 CD + 1 blu-ray contient l’album original remasterisé (et qui sonne mieux que jamais), le CD live inédit du CBGB, le CD de douze raretés évoqué plus haut et le blu-ray pour audiophiles avec son Atmos Mix (supervisé par Ed Stadium) et la Hi-Res Stereo. Le livre est, vous vous en doutiez, illustré par moult photos et autres affiches et flyers et est superbement mis en page.
Dans les années qui suivront, Talking Heads sortira d’autres chefs-d’œuvre, Tina Weymouth influencera la scène hip-hop naissante avec son Tom Tom Club, David Byrne se lancera dans une carrière solo et créera le label Luaka Bop, mais c’est une autre histoire…
COFFRET Talking Heads : “Talking Heads: 77 3-CD + 1-blu-ray Limited Edition” (Sire / Rhino, déjà dans les bacs).
Avec “Into The Light : The Solo Albums”, celui qui fut entre 1974 et 1976 la voix Deep Purple revisite ses années solo dans un nouveau coffret publié sous l’étendard de son groupe de toujours, Whitesnake. Votre guide Julien Ferté vous dit tout.
C’est une cassette qu’il avait pris soin d’envoyer au management de Deep Purple en 1973 qui a changé la vie de David Coverdale. Il y chantait notamment Everybody’s Talking de Harry Nilsson, un rien pompette et, d’après Jon Lord, avec un sens du rythme aléatoire. Pourtant, les lads de Deep Purple, alors sans chanteur ni bassiste, tombèrent instantanément sous le charme de cette voix gorgée de soul et de notes bleues, et quelques semaines plus tard le natif de Saltburn-By-The Sea (10 000 habitants) devint officiellement le nouveau lead singer d’un des plus célèbres groupes de rock du monde.
Trois ans et trois albums plus tard (“Burn”, “Stormbringer” et “Come Taste The Band”, avec Tommy Bolin à la guitare à la place de Ritchie Blackmore), l’aventure était déjà finie pour “The Cov’”. À 26 ans, déjà considéré comme un dinosaure par les punks – qui avaient pourtant le même âge que lui ! –, il se retrouvait au premier carrefour de sa vie d’artiste.
Dès lors, que faire de cette notoriété gagnée à la sueur de son front et par la force de ses cordes vocales ? Former un nouveau groupe avec Jeff Beck, Willie Weeks et Andy Newmark ? Il en a été question quelques minutes… Rejoindre cet autre groupe célèbre qui lui faisait alors les yeux doux ? Non. David Coverdale le sent, David Coverdale le sait : il est temps de se lancer dans une aventure solo, de sortir sans attendre son premier album.
Ainsi, le 1977, le premier 33-tours de l’“Ex-Deep Purple singer” (il savait bien que la maison de disques insisterait pour ajouter ce sticker…) fait son apparition chez les disquaires. On ne le sait pas encore, mais son titre au double entendre cher au blues, “WhiteSnake”, serait un an plus tard celui de son nouveau groupe… En attendant, “WhiteSnake”, produit par un autre membre historique de la Deep Purple Family, le bassiste Roger Glover (qui trois ans plus tôt avait invité Coverdale à chanter dans son concept album “The Butterfly Ball”), était un album qui préfigurait déjà ce rock alors plus vraiment hard teinté de soul et de blues (Peace Lovin’ Man fait songer à la version de With A Little Help From My Friend des Beatles chantée par Joe Cocker), avec une salutaire touche funky (aaah, la talk box dans Whitesnake… oooh, Celebration), qui serait la marque de fabrique des premiers Whitesnake, du moins jusqu’en 1984.
En 1978, “NorthWinds”, toujours produit par Roger Glover, toujours avec Micky Moody à la guitare (et Simon Phillips à la batterie), éleva le niveau d’un cran grâce à un songwriting aux contours plus affirmés, toujours dans des atmosphères inspirées par Free et Bad Company, mais aussi par Little Feat. Du steviewonderien Keep On Giving Me Love (avec Ronnie James Dio et sa femme Wendy dans les chœurs !) au lyrique Only My Soul nappé de piano électrique en passant par l’ensorcelant Time & Again, David Coverdale n’a peut-être jamais aussi bien chanté sur disque que dans “NorthWinds”.
Avance rapide. Nous voilà en 2000, vingt-deux ans et quelques vies plus tard. David Coverdale est désormais un vétéran du hard-rock, et pour souffler avec son groupe de toujours, Whitesnake, il s’offre une nouvelle parenthèse solo et décide d’écrire des chansons en tandem avec le guitariste Earl Slick, connu pour son travail avec « un grand ami » de Coverdale, David Bowie. Si “Into The Light” n’a pas tout à fait le charme des deux premiers opus solo du chanteur, on le (re)découvre avec certain plaisir ; la production a certes sans doute moins bien vieilli que celles supervisées par Roger Glover, et quelques longueurs manquent de nous égarer en route – au début des années 2000, les CD étaient souvent plombés par des chansons qui auraient dû n’être que des faces b… Reste que All The Time In The World, par exemple, transpire de la passion du “‘Cov’” pour The Allman Brothers Band.
Ces trois albums sont donc les pierres de touche du magnifique coffret de six CD “Into The Light : The Solo Albums Revisited, Remixed, Remastered”. Comme son titre l’indique, ils ont tous été augmentés de titres rares et/ou inédits, remasterisés et, pour “WhiteSnake” et “NorthWinds”, superbement remixés grâce à la fameuse Machine Audio Learning utilisée par Peter Jackson pour son génial documentaire sur les Beatles, Get Back. Le plaisir est grand que de réécouter “WhiteSnake” et “NorthWinds” ainsi remis en valeur (la String Version de Time & Again est une splendeur), tout en lisant les souvenirs – parfois un peu flous… – de David Coverdale racontés à Hugh Gilmour dans le livret. On notera au passage qu‘e’en 2024 le nom de Whitesnake est plus vendeur que celui de David Coverdale – marché américain, quand tu nous tiens…
PS : Ne manquez les post réguliers de David Coverdale sur Instagram et X (il y est très présent, sous le nom de Whitesnake bien sûr) et le unboxing de ce coffret sur YouTube, toujours un grand moment !
COFFRET Whitesnake : “Into The Light : The Solo Albums Revisited, Remixed, Remastered” (Rhino / Warner Music, dans les bacs le 25 octobre). “Into The Light” (2 LP), “WhiteSnake” et “NorthWinds” (LP simples) sont également disponibles en vinyles collectors.
Le coffret “1976” regroupe deux albums cultes de Thin Lizzy, “Jailbreak” et “Johnny The Fox”. Cinq CD et un blu-ray pour revivre la période dorée du groupe de Phil Lynott
Par Fred Goaty
Sur scène, Phil Lynott et sa bande étaient des hard-rockers. En studio, c’était une autre affaire, moins énergique peut-être, mais plus nuancée. Au grand dam, d’ailleurs, des deux axemen de la célèbre frontline de guitares de Thin Lizzy, l’Américain Scott Gorham et l’Écossais Brian Robertson, qui ont toujours estimé que leur groupe était bien trop sage sur disque. Depuis que “Jailbreak” et “Johnny The Fox” bénéficient du traitement “Deluxe” (une première fois en 2011, la seconde cette année), tout est donc fait pour tenter de rétablir sinon la vérité, du moins leur vérité : le son de Thin Lizzy doit être virilisé pour mieux refléter la vraie personnalité du groupe. Voilà pourquoi ces deux albums figurent dans ce nouveau coffret en “New Stereo Mix”, supervisés par Scott Gorham. Mais qu’on se rassure : les mixages originaux sont bien présents, ainsi que les outtakes et versions live (à la BBC ou à Cleveland) de rigueur, sans oublier, sur le blu-ray, le nouveau mix préféré des audiophiles : l’Atmos Mix.
La scène… Le studio… Et à la maison, il écoutait quoi Phil Lynott ? Du rock, du folk irlandais, du reggae, du jazz… Sa culture musicale n’avait pas de frontières, comme en témoignent “Solo In Soho” (1980) et “The Philip Lynott Album” (1982), ses deux albums persos que certains fans de Thin Lizzy – fort heureusement minoritaires… – n’ont jamais réussi à aimer, ces ballots. [Petit message amicalo-professionnel à Mercury Records et Universal Music Recordings : le coffret Phil Lynott avec ses deux opus solo et moult inédits, c’est quand vous voulez .]
En 1976, Phil Lynott, persuadé qu’avec “Jailbreak” il tenait enfin le hit album qui allait permettre à son groupe de conquérir l’Amérique, était remonté comme jamais et prêt à en découdre avec nul autre que Ritchie Blackmore et son Rainbow, alors au sommet de sa gloire – une tournée US avait été montée, et Phil, avant qu’elle ne commence, avait allumé son compatriote au Rainbow Bar And Grill de Los Angeles, lui promettant que son Liz’ allait manger tout cru son groupe arc-en-ciel, dont le Liz’ faisait la première partie. John Bonham, présent ce soir-là, était plié en quatre. Blackmore un peu moins. (Pourtant, Lynott et Blackmore étaient amis, et avaient même fomenté l’idée de former un groupe ensemble, Baby Face : des bandes existent, avec Ian Paice à la batterie, elles n’ont jamais parues.)
Le rêve américain de Phil Lynott tourna cependant vite au cauchemar puisqu’il contracta une hépatite C au tout début de la tournée, qui fut annulée aussi sec.
De retour à la maison, forcé de prendre du repos, Phil Lynott commença d’écrire de nouvelles chansons. Ça tombait bien : le management et la maison de disques voulait capitaliser sans attendre sur le succès de “Jailbreak”. Et comme notre (jeune) homme était plus inspiré que jamais, de nouveaux classiques lui tombèrent des mains, magnifiés par un groupe au sommet de son art, qui enregistra donc dans la foulée “Johnny The Fox”, toujours sous la supervision du producteur John Alcock, qui avec des loustics pareils devait avoir fort à faire – seul Brian Downey, cet excellent batteur aux inflexions jazz et funky, avait, disons, une personnalité plus mesurée. La tournée, anglaise cette fois, fut un triomphe.
Avec leurs magnifiques pochettes illustrées par Jim Fitzpatrick, “Jailbreak” et “Johnny The Fox” contiennent chacun son lot de classic songs : The Boys Are Back In Town (la chanson rock parfaite ?), Jailbreak, Emerald et Warriors pour le premier, Don’t Believe A Word, Johnny The Fox Meets Jimmy The Weed (dont les DJ pionniers du Bronx s’approprieront vite le groove), Massacre et Fool’s Gold pour le second. Dans les années suivantes, Thin Lizzy continuera d’enchaîner les grands albums et de déchaîner les foules. Gageons que les coffrets reflétant cette belle saga vont suivre au même tempo.
COFFRET Thin Lizzy : “1976” (Mercury Records / Universal Music Recordings, déjà dans les bacs).
PS : Merci Valérie !
Photos : X/DR (Mercury Records / Universal Music Recordings).
De “For The Roses” en 1972 à “Both Sides Now” en 2000 en passant par “Hejira” en 1976 et “Mingus” en 1979, Joni Mitchell n’a jamais cessé d’accueillir dans son univers poétique et musical les plus fortes personnalités de l’histoire du jazz moderne, faisant sienne cette musique dont les formes libres épousaient sensuellement la sienne, au grand dam de ses managers, mais certainement pas de ses admirateurs…
Par Fred Goaty
Un beau jour de 1972, le saxophoniste Tom Scott découvre, fasciné, la voix d’une chanteuse canadienne dont il ne sait pas grand chose, Joni Mitchell, et décide d’enregistrer l’une de ses plus belles chansons, Woodstock… à la flûte à bec ! « Pour essayer d’imiter sa voix. » Touchée à son tour par cette émouvante relecture qui figure en bonne place dans “Great Scott” (A&M Records), Joni Mitchell invite le saxophoniste aux séances d’enregistrement de son cinquième album, “For The Roses”. L’entente est immédiate. Tom Scott signe les arrangements, et l’on reconnaît sa patte dans Barangrill, tout en subtiles touches de clarinette et de flûtes. Il prend également un solo de saxophone soprano dans Cold Blue Steel And Sweet Fire. C’est à travers cette brève collaboration que le jazz fait son entrée dans la musique de Joni Mitchell, qui a déjà gravé l’un des plus bouleversants chefs-d’oeuvre du folk acoustique moderne, “Blue”, et écrit des chansons considérées à juste titre comme des classiques instantanés – Chelsea Morning, Both Sides Now ou encore Big Yellow Taxi… Mais elle est plus que jamais déterminée à faire de chaquealbum une expérience nouvelle. Le jazz en sera le fil rouge.
LA GUITARE COMME UN ORCHESTRE
Deux ans plus tard, Joni Mitchell enregistre “Court And Spark” entourée d’un grand nombre de jazzmen, principalement ceux du L.A. Express, le groupe de son nouveau compère Tom Scott, qu’elle avait pris soin d’aller écouter au Baked Potato, qui était à la fusion ce que le Minton’s fut au bebop. Séduite par les talents conjugués de messieurs Scott, toujours au saxophone, de Larry Carlton à la guitare, de Joe Sample au piano (vite remplacé par Larry Nash), de Max Bennett à la basse électrique et de John Guerin à la batterie, elle leur offre une place de choix. Dans “Court And Spark”, on retrouve également d’autres “pointures”, le guitariste Dennis Budimir ou le bassiste des Crusaders, Wilton Felder ; sans compter quelques amis chers – David Crosby, Graham Nash et Robbie Robertson. Les fans de la première heure font la grimace en découvrant “Court And Spark”. Il en est toujours, hélas, pour qui le changement est synonyme de déclin, voire de trahison – l’un des modèles de Joni Mitchell, Miles Davis, en sait quelque chose… Pourtant, quarante ans après sa parution, “Court And Spark” s’impose comme l’un des disques pop les plus raffinés des années 1970. En témoigne Troubled Child, enchaîné via un bref solo de trompette en sourdine de Chuck Findley avec Twisted, la toute première reprise enregistrée par Joni Mitchell. À l’origine, Twisted est une composition du saxophoniste Wardell Gray. En 1959, la chanteuse anglaise Annie Ross avait ajouté des paroles sur le thème – et le solo – de ce grand saxophoniste bebop pour en faire l’une des meilleures chansons du quatrième album de Lambert, Hendrick & Ross, trio ès-vocalese avec lequel elle connut la gloire. À l’orée des sixties, cette ode malicieuse au dédoublement de la personnalité (« I’ve got a thing that is unique and new / Instead of one head I got two / And you know two heads are better than one ») ravit une teenager nommée Joni, qui la découvrit… en dansant dessus lors d’une surprise-partie ! Elle se procura le 33-tours à prix d’or – au Canada, “Lambert, Hendrick & Ross !” était un 33-tours collector. Dans sa propre version de Twisted, Joni Mitchell chante pour la première fois sans s’accompagner à la guitare ou au piano. Ce qui pour elle, selon Tom Scott, « était révolutionnaire ». Car sa guitare, la chanteuse l’a toujours pensée comme un orchestre : « Les trois premières cordes sont des trompettes en sourdine ; les deux suivantes des cors ou des violons ; celle du haut servant à exécuter lignes de basses excentriques et clairsemées. »
Dans la foulée de “Court And Spark”, Joni Mitchell part en 1974 en tournée avec le L.A. Express. Robben Ford a remplacé Larry Carlton, parti rejoindre les Crusaders. Joni et ses jazzmen sillonnent l’Amérique du Nord, puis font un crochet par Londres. À Wembley, Annie Ross monte sur scène pour chanter Twisted en duo avec sa consœur, ravie. Le double album live “Miles Of Aisles” immortalise ces six mois d’harmonie entre folk progressiste et jazz électrique. Robben Ford garde un souvenir ému de cette tournée, et situe Joni Mitchell « au même niveau d’éclectisme et de largeur d’esprit qu’un John Coltrane ou un Miles Davis » (Uncut, n° 199).1975 est l’année de “The Hissing Of Summer Lawns”, de prime abord plus déroutant que “Court And Spark”. Les musiciens de jazz apportent leur savoir-jouer, sans être confinés au rôle de faire-valoir. Ils se fondent dans l’univers de la chanteuse, sans qu’elle dilue le sien dans quelques jazzysmes light. Tom Scott et son L.A. Express, mais aussi Joe Sample, Larry Carlton et Wilton Felder sont encore au générique, ainsi que Victor Feldman et Bud Shank, deux grandes figures du jazz West Coast. Comme dans “Court And Spark”, Joni Mitchell reprend une chanson extraite de son 33-tours fétiche de Lambert, Hendricks & Ross : Centerpiece surgit au beau milieu de Harry’s House de façon presque onirique. Quant aux tambours burundi de The Jungle Line, ils ouvrent la musique de la Canadienne sur celles qu’on ne va pas tarder à labéliser “world music”.

JONI & JACO
Début 1976, Robben Ford fait écouter à Joni Mitchell le premier 33-tours d’un jeune bassiste électrique nommé Jaco Pastorius. Sa sonorité inouïe et le sentiment de liberté qui émane de sa musique la captivent. Dès ses premières rencontres avec Jaco, elle sent qu’il est l’homme de la situation, celui qui selon elle résoudra enfin un problème des plus aigus : le manque de grave dans sa musique. Elle a vu juste. Les lignes de basse du surdoué floridien tombent sur ses chansons comme une douce pluie salvatrice. Pastorius joue sur la moitié d’“Hejira”, que Joni Mitchell enregistre après avoir traversé les États-Unis en voiture. Entre ces deux poètes, l’alchimie est miracle comme il en est rarement arrivé dans l’histoire de la musique. Dans la chanson-titre, Jaco utilise à merveille les ressources de l’overdub : sa basse, ses basses se lovent autour de la voix de Joni. En arrière-plan, la clarinette d’Abe Most, ancien accompagnateur de Tommy Dorsey, occupe timidement la place qui sera bientôt confiée à Wayne Shorter. Dans Black Crow, Jaco et Larry Carlton tissent des liens on ne peut plus nuancés. Carlton est exceptionnel tout au long du disque : ce qu’il joue quand Joni Mitchell chante « I feel like that black crow flying in a blue sky… » reflète son exceptionnelle capacité d’écoute et l’incroyable finesse de son jeu. Et pendant ce temps-là, Jaco fait chanter ses quatres cordes : comment ne pas se délecter de ces notes jouées en harmoniques sur la coda de Black Crow ? Le dernier “mot” du disque lui appartient : la fin de Refugee Of The Road est jouée en basse(s) solo.Sans rien renier de son style, de son art, mot auquel elle accorde une grande valeur – elle aime à se définir comme une « art singer » –, Joni Mitchell franchit à nouveau un cap avec “Hejira”. Jaco Pastorius est le premier grand soliste qui investit son univers. Certainement pas le dernier. D’autres vont suivre, et non des moindres.
LA FILLE DE DON JUAN
L’arrivée de nouveaux compagnons de route ne signifie pas pour autant le départ des anciens. John Guerin joue sur une partie d’“Hejira”. Tom Scott aussi. Les musiciens de Joni Mitchell font partie d’un cercle de jeu qui ne cesse de s’agrandir. En témoigne son album suivant, dont le titre lui est inspiré par la lecture de L’herbe du diable et la petite fumée de l’anthropologue américain apôtre du chamanisme, Carlos Castadena. “Don Juan’s Reckless Daughter” marque l’apparition de Wayne Shorter dans le cercle de jeu. Dans son sillage, on distingue d’autres étoiles de la galaxie Weather Report. Les percussionnistes Alex Acuna et Manolo Badrena, rejoints par Don Alias et Airto Moreira, s’en donnent à cœur joie dans The Tenth World. Cet ambitieux double album est moins facile d’accès qu’“Hejira”. Mais on ne saurait reprocher à Joni Mitchell ce besoin viscéral – on a failli écrire “milesdavisien” – de vouloir élargir l’horizon, quitte à désorienter l’auditeur. Et à laisser encore plus de place à Jaco Pastorius. La foudre grave tombe dès l’Overture, à 1’46” précisément. Avouons-le : c’est sublime. Dans Jericho, déjà publié en version live dans “Miles Of Aisles”, le bassiste, certes en état de grâce, est carrément “devant” la chanteuse – à 3’01”, la foudre tombe encore ! Shorter, lui, se faufile comme un chat malicieux. Le saxophoniste a l’habitude des vocalistes hors-normes : il a déjà soufflé aux côtés de Milton Nascimento. Ce mixage un rien bancal renforce malgré tout le caractère unique et fascinant de ce trilogue. Derrière ses fûts, en grand professionnel, John Guerin fait calmement danser ses balais sur les peaux. On raconte qu’il ne supportait pas Jaco Pastorius. Ça ne s’entend pas, ni dans Jericho, ni dans la fin de l’épique Paprika Plains, arrangé par Michael Gibbs.

LE GRAND CHARLES
“Don Juan’s Reckless Daughter” parviendra jusqu’aux oreilles de Charles Mingus. Fut-il choqué en découvrant la pochette où Joni Mitchell apparaît en minstrel, black face, le visage passé au cirage et déguisée en homme ? Au contraire ! Il trouvait que cette fille avait du cran pour oser s’afficher ainsi et, aussi, qu’elle essayait de chanter un peu comme Billie Holiday… [Sur la pochette de la dernière réédition de “Don Juan’s Reckless Daughter”, on ne voit plus Joni Mitchell en black face mais, en quelque sorte, dans la gueule du loup, NDR.] Joni Mitchell apprit par la bande que Mingus cherchait à la joindre. « Trop beau pour être vrai » se dit-elle. Même ses amis les plus proches pensaient que cette association était impossible, voire ridicule. La chanteuse, elle, se sentait honorée. Estimant n’être rien d’autre qu’une éternelle étudiante en musique(s), elle voyait dans cette collaboration la possibilité d’apprendre avec un immense artiste, et de mieux connaître un idiome musical qu’elle n’avait, selon elle, qu’effleuré : le jazz. Quand elle raconta à John Guerin (devenu son fiancé) que Mingus souhaitait la rencontrer, il se mit en colère : « Mingus veut jouer avec toi ?! Mais bon sang, quand je t’ai fait écouter ses disques, tu as à peine tendu l’oreille ! C’est moi qu’il devrait appeler ! »
Mingus fit la connaissance de Joni Mitchell en 1978. Cloué sur une chaise roulante, il savait déjà qu’il n’avait plus que quelques mois à vivre. Il souhaitait d’abord travailler avec Joni Mitchell sur des poèmes de T.S. Elliott. De fil en aiguille, il lui confia six mélodies – Joni I, Joni II, Joni III, Joni IV… – pour qu’elle écrive des paroles. Ils s’entendirent à merveille et travaillèrent intensément dans le loft new-yorkais que la chanteuse avait loué. Don Alias, le nouveau compagnon de la chanteuse, n’était jamais très loin. Avec Sue, la femme de Mingus, tout ce beau monde séjourna quelque temps dans la ville natale du contrebassiste, Cuernavaca. lLes saxophonistes Phil Woods et Gerry Mulligan, le claviériste Jan Hammer, les bassistes Eddie Gomez et Stanley Clarke, le guitariste John McLaughlin, les batteurs John Guerin, Tony Williams et Dannie Richmond – excusez du peu ! – furent impliqués lors des premières séances d’enregistrement [dont plusieurs extraits figurent désormais dans le coffret volume 4 des arciives de Joni Mitchell, NDR]. Mais c’est finalement avec Wayne Shorter, Herbie Hancock, Jaco Pastorius, Peter Erskine et Don Alias que Joni Mitchell grava quatre compositions de Mingus en deux jours. Le premier jour, c’est l’arrangeur anglais Jeremy Lubbock qui était au piano. Jaco Pastorius faisait la grimace, et appella Hancock qui, par chance, était libre. Il remplaça Lubbock sur le champ. Joni Mitchell était tout sourire : elle ne le savait pas encore, mais c’était le début d’une longue collaboration entre elle et le pianiste. Et pour la première fois de sa vie, Herbie Hancock écoutait vraiment les paroles des chansons qu’il jouait… A Chair In The Sky, Sweet Sucker Dance, The Dry Cleaner From Des Moines et Goodbye Pork Pie Hat : à ce précieux butin, Joni Mitchell ajoutera ensuite deux chansons originales, God Must Be A Boogie Man et The Wolf That Lives In Lindsey. Sobrement intitulé “Mingus”, le disque fit son apparition chez les disquaires en juin 1979. Mais cela faisait déjà plusieurs mois que cinquante six baleines s’étaient échouées sur les côtes mexicaines le 5 janvier 1979 [véridique !, NDR], jour de la mort de Charles Mingus. D’aucuns ont soupçonné Joni Mitchell d’avoir “profité” de Mingus pour s’offrir une jazz credibility. Mais on sait donc aujourd’hui que c’est Mingus qui avait contacté la chanteuse et que, par ailleurs, les managers de la Canadienne voyaient d’un très mauvais œil cette collaboration – « Du jazz ?! Mais tu vas perdre ton public ma pauvre ! »
DANSE AVEC LES LOUPS
“Mingus” est un disque unique aux antipodes du projet commémoratif. Branford Marsalis, qui le qualifie sans sourciller de chef-d’œuvre, estime qu’il n’est « ni vraiment jazz, ni vraiment folk ». Quoi qu’on en pense, c’est avec “Mingus” que Joni Mitchell s’approche au plus près de l’astre brûlant du jazz, mêlant sa poésie aux mélodies géniales offertes par Mingus. Les chansons inoubliables abondent. Le swing inouï de The Dry Cleaner From Des Moines, arrangé avec maestria par Pastorius, et la beauté diaphane de Goodbye Pork Pie Hat captivent, sans parler des liens intimes qui unissent Mitchell, Hancock, Shorter, Pastorius et Erskine dans Sweet Sucker Dance. La chanteuse continue cependant de s’affirmer en tant que compositrice et instrumentiste : dans The Wolf That Lives In Lindsey, enregistré en duo avec Alias juste après la mort de Mingus, la façon dont elle distille ses mots tout en faisant vibrer, voire souffrir sa guitare au milieu du hurlement des loups sonne comme la posture élégante d’une écorchée vive. C’est peut-être ça que Mingus avait soupçonné en découvrant sa musique…
Peu après la sortie de “Mingus”, une tournée est montée avec un incroyable all stars qui va donner une vingtaine de concerts pendant l’été 1979, uniquement aux États-Unis. “Shadows And Light”, le double live qui immortalise cette tournée, prouve que Joni Mitchell ne se laisse jamais déborder par ces solistes hors-normes qui s’épanchent pourtant à loisir.
UN DRÔLE D’OISEAU
Dans les années 1980, Joni Mitchell s’éloignera un peu de la jazzosphère, non sans continuer de se remettre en jeu et de repousser d’autres limites : celles de la pop music. En 1981, elle fait cependant la connaissance du bassiste Larry Klein, ancien accompagnateur de Carmen McRae et de Freddie Hubbard. Deux ans après la sortie de “Shadows And Light”, “Wild Things Run Fast” marque un net changement d’orientation. Sa musique puise désormais à d’autres sources, celles de ces groupes « pop-rock polyrythmés » qu’elle adore : Steely Dan, Talking Heads et surtout les trois virtuoses péroxydés de The Police, avec lesquels elle aurait beaucoup aimé enregistrer son disque ! Grâce à Larry Klein, qui deviendra son mari, elle fait la connaissance d’une nouvelle famille de musiciens : les guitaristes Michael Landau et Steve Lukather, et le batteur Vinnie Colaiuta, qui vient de quitter le groupe de Frank Zappa. Quelques “anciens” ont été conviés. John Guerin joue sur le cool et bebopisant Moon At The Window et Victor Feldman bataille toujours autant avec l’univers harmonique de la « James Joyce des accords de guitare ». Wayne Shorter est encore dans les parages. Le saxophoniste ne manque jamais de répondre à sa manière, et quelle manière – juste, concise, inventive – aux invitations de la chanteuse, qui n’aime rien tant que lui demander d’improviser sur une couleur, ou de « faire l’oiseau ». Entre poètes, on se comprend : à Don Alias, elle demanda à jour s’il pouvait jouer des percussions comme s’il était « en train de tomber de l’escalier »…

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LEÇON DE VIE
Au gré de ses albums suivants, “Night Ride Home”, “Turbulent Indigo”, “Taming The Tiger”, les textes de Joni Mitchell sont de plus en plus engagés. Ils reflètent sa fascination pour la culture amérindienne et son dégoût de plus en plus prononcé pour la toute puissance du capitalisme et la glorification des winners, autant de “valeurs” omniprésentes qui lui font prendre conscience que ce temps qui passe est, peut-être, de moins en moins le sien. Est-ce pour cela qu’elle décide d’enregistrer en grand orchestre les chansons qu’elle écoutait dans sa jeunesse ? L’album, “Both Sides Now”, produit par Larry Klein et arrangé par Vince Mendoza, sort en février 2000. Des plumitifs du New Musical Express s’offusquent qu’elle ajoute à ce répertoire de standards en or massif (You’re MyThrill, Stormy Weather, Sometimes I’m Happy, You’ve Changed…) deux de ses propres perles, A Case Of You et Both Sides Now. C’est évidemment oublier qu’elles sont aussi devenues des standards à part entière. Herbie Hancock fait son grand retour, et Wayne Shorter est là, bien sûr. L’esprit de Billie Holiday aussi. Jamais Joni Mitchell n’avait sondé avec une telle profondeur de chant ses abysses émotionnels, d’une voix désormais plus grave, marquée par les cicatrices de la vie, et sur laquelle serait comme délicatement tombé un voile pudique – ou de fumée ? « I really don’t know life at all / It’s life’s illusions that I recall / I really don’t know life / I really don’t know life at all », chante-t-elle dans Both Sides Now. On aimerait en savoiraussi peu qu’elle sur la vie. Ce serait déjà beaucoup.
Le très attendu “Volume 4” des “Joni Mitchell Archives” couvrant la période allant de 1976 à 1980 et qui devait sortir au printemps 2025 sera finalement disponible dès le 4 octobre.
Par Fred Goaty
Séances studio inédites, versions alternatives, enregistrements live, raretés et livre de 36 pages avec de nouvelles photos plus le long entretien désormais rituel entre Joni et le cinéaste (et ex-rock critic) Cameron Crowe : le rêve de fan continue ! “Joni Mitchell Archives, Volume 4 : The Asylum Years (1976-1980)” couvre la période durant laquelle sont successivement sortis “Hejira” (1976), “Don Juan’s Reckless Daughter” (1977), “Mingus” (1979) et “Shadows And Light” (1980). Mais ce ne sont donc pas ces chefs-d’œuvre déjà disponibles par ailleurs que l’on retrouvera dans ce coffret, mais des titres de la même période, enregistrés en studio ou immortalisés live lors de diverses tournées ou de festivals (tel le Bread & Roses Festival où Joni Mitchell s’était produite en duo avec Herbie Hancock au piano). La mémorable tournée de 1979 (avec Michael Brecker, Pat Metheny, Lyle Mays, Jaco Pastorius et Don Alias) est également à l’honneur.
La liste complète des musiciens n’a pas encore été révélée, mais outre ceux qui avaient participé à la tournée 1979, la présence dans l’impressionnant track listing des six CD (que nous vous révélons ci-dessous) d’inédits extraits de séances d’“Hejira”, “Don Juan’s Reckless Daughter” ou “Mingus” suggèrent que non seulement de Jaco Pastorius, Herbie Hancock, Larry Carlton ou Wayne Shorter sont de la partie, mais aussi, sans doute, les saxophonistes Phil Woods et Gerry Mulligan, les contrebassistes Eddie Gomez et Stanley Clarke, les batteurs Dannie Richmond et Tony Williams, le guitariste John McLaughlin ou encore le claviériste Jan Hammer. Sans oublier le pianiste Victor Feldman, le guitariste Robben Ford ou le batteur John Guerin, qui accompagnaient Joni Mitchell lors des concerts de 1976. Encore un peu de patience avant la révélation de la liste officielle des musiciens !
CD ou LP “Joni Mitchell Archives, Volume 4 : The Asylum Years (1976-1980)” (Rhino Records) sera disponible le 4 octobre en version 6 CD (intégrale) ou 4 LP (sélection des morceaux préférés de Joni Mitchell).
LE TRACK LISTING COMPLET :
CD 1
Rolling Thunder Revue, Live In Niagara Falls, Convention Center, Niagara Falls, NY, November 15, 1975
Jericho
Live at Harvard Square Theater, Cambridge, MA, November 20, 1975
- Introduction – Bob Neuwirth
- Edith and the Kingpin
- Don’t Interrupt The Sorrow
Live at Music Hall, Boston, MA, November 21, 1975
- Introduction – Bob Neuwirth
- Harry’s House
Live in Bangor, Bangor, ME, November 27, 1975
- A Case of You
Gordon Lightfoot’s House, Toronto, ON, Canada, November 30, 1975
- Woman of Heart and Mind
Live At Montreal Forum, Montreal, QC, Canada, December 4, 1975
- Introduction – Bob Neuwirth
- Intro to Coyote
- Coyote
1976 Tour of the United States, Recorded by Stanley Johnston from PA mixes by Brian Jonathan
(Courtesy of the estate of Stanley Tajima Johnston)
Live In Madison, Dane County Coliseum, Madison, WI, February 29, 1976
- Help Me
Live At Music Hall, Boston, MA, February 19, 1976
- Love or Money
- Free Man in Paris
- For The Roses
- Cold Blue Steel and Sweet Fire
- Big Yellow Taxi
- Shades of Scarlett Conquering
Live at Nassau Coliseum, Uniondale, NY, February 20, 1976
- For Free
CD 2
Live At Music Hall, Boston, MA, February 19, 1976
- Intro to Coyote / Don Juan’s Reckless Daughter
- Coyote / Don Juan’s Reckless Daughter
Live in Madison, Dane County Coliseum, Madison, WI, February 29, 1976
- Just Like This Train
Live at Music Hall, Boston, MA, February 19, 1976
- Shadows and Light
- In France They Kiss On Main Street
Live at Duke University, Cameron Stadium, Durham, NC, February 7, 1976
- Traveling (Hejira)
Live at Music Hall, Boston, MA, February 19, 1976
- Edith and the Kingpin
- Talk To Me
- Harry’s House/Centerpiece
- Intro to Furry Sings the Blues
- Furry Sings The Blues
- Trouble Child
- Rainy Night House
Live at Duke University, Cameron Stadium, Durham, NC, February 7, 1976
- Don’t Interrupt The Sorrow
Live at Music Hall, Boston, MA, February 19, 1976
- Raised on Robbery
- The Jungle Line
- Twisted
CD 3
“Hejira”Demos, A&M Studios, Hollywood, CA, March 1976
- Furry Sings The Blues
- Traveling (Hejira)
- Dreamland
- Talk To Me
- Coyote / Don Juan’s Reckless Daughter
- Black Crow
- Amelia
- Blue Motel Room
- A Strange Boy
Rolling Thunder Revue, Tarrant County Convention Center, Fort Worth, TX, May 16, 1976
- Black Cow
- Intro to Song For Sharon
- Song For Sharon
“Hejira” Sessions, A&M Studios, Hollywood, CA, Summer 1976
- Refuge of the Roads (Early Mix with Horns)
- Don Juan’s Reckless Daughter (Early Rough Mix)
CD 4
“Don Juan’s Reckless Daughter”Sessions, A&M Studios, Hollywood, CA
- “Save Magic” (Paprika Plains Embryonic Version)
- Otis and Marlena (Early Rough Mix)
“Mingus” Sessions, Electric Lady Studios, New York, NY
- Sweet Sucker Dance (Vocals & Drums Version – Take 5)
- A Chair in the Sky (Early Alternate Version – Take 6)
- Sweet Sucker Dance (Early Alternate Version)
Live At Bread & Roses Festival , Greek Theatre, Berkeley, CA, September 2 & 3, 1978
- Introduction
- The Dry Cleaner From Des Moines
- Intro to A Chair In The Sky
- A Chair In The Sky
- Intro to Goodbye Pork Pie Hat
- Goodbye Pork Pie Hat
- Intro to The Wolf That Lives In Lindsey
- The Wolf That Lives In Lindsey
“Mingus” Sessions, Electric Lady Studios, New York, NY and A&M Studios, Hollywood, CA, 1978 & 1979
- A Good Suit and A Good Haircut
- God Must Be A Boogie Man
- Solo for Old Fat Girl’s Soul
- The Dry Cleaner From Des Moines
CD 5
- Sue And The Holy River
“Mingus”Sessions, A&M Studios, Hollywood, CA, 1979
- The Wolf That Lives In Lindsey
Live At May 6 Coalition Rally Against Nuclear Power, National Mall, Washington, D.C., May 6, 1979
- Introduction – Graham Nash
- Big Yellow Taxi
1979 Tour Rehearsals, SIR Rehearsal Studios, Los Angeles, CA
- Jericho
- Help Me
1979 Tour of the United States, Live at Forest Hills Tennis Stadium, Queens, NY, August 25, 1979
- Big Yellow Taxi
- Just Like This Train
- In France They Kiss On Main Street
- Coyote
- Edith and The Kingpin
- Free Man In Paris
- Goodbye Pork Pie Hat
- Jaco’s Solo/ Third Stone From The Sun
- The Dry Cleaner From Des Moines
CD 6
- Amelia
- Pat’s Solo
- Hejira
- Don’s Solo
- Dreamland
- Black Crow
- Furry Sings The Blues
- Intro to God Must Be A Boogie Man
- God Must Be A Boogie Man
- Raised On Robbery
- Shadows and Light
- The Last Time I Saw Richard
- Why Do Fools Fall In Love
Live in Philadelphia, Robin Hood Dell West, Philadelphia, PA, August 28, 1979
- Woodstock
Live at Greek Theatre, Los Angeles, CA, September 13, 1979
- Intro to A Chair In The Sky
- A Chair In The Sky