Années 1980 : Choses vues sur la scène du jazz français et alentours… / Film #3-1 Jean-François Lauriol Trio avec Hubertus Biermann et Bruno Tocanne
Trois concerts sur ce film, le premier faisant apparaître sur l’émulsion photographique, le 18 janvier 1981 à l’Espace du Marais, un artiste appelé à devenir une figure active de la scène française. Et c’est déjà toute une histoire qui se déplie…

Ma première rencontre avec Bruno Tocanne remonte à 1973. Plus d’un demi-siècle ! Mon ami de lycée, le guitariste Jean-Paul Casson, m’invite un jour à assister à une répétition, dans un vieux pavillon de la rue des Ponts à Croissy, d’un quartette que vient de former Laurent Cugny (Fender-Rhodes… et chevelure jusqu’aux reins ou presque), un bassiste dont j’ai oublié le nom, Bruno Tocanne à la batterie et Jean-Paul dont je me souviens de la Gibson Les Paul noire et de l’énorme ampli que lui avait fabriqué son père. Sources d’inspiration : Soft Machine, Gong et un groupe local de rock-prog née en 1968 à Sartrouville : Moving Gelatine Plates. Jean-Paul est mort quelques années plus tard… tombé d’une fenêtre. Une histoire qui en rappelle une autre (Robert Wyatt), mais parle aussi d’une famille marquée par le suicide.
Par la suite, je n’ai cessé de croiser la route de Bruno. Une deuxième fois du vivant de Chanvre mou, puisque j’ai eu l’audace inconsidérée de jouer au violon quelques jigs, reels et hornpipes en solo sur la même scène, lors de la première partie d’un concert à la Salle des fêtes de Croissy, au cours duquel je vis Jean-Paul Casson retirer à la fin de chaque solo l’un des multiples masques sont il avait couvert son visage. Une vision assez cauchemardesque.
La deuxième fois, je suis pion au collège Auguste Renoir de Chatou où une ombre de bouc m’a attiré le surnom de Buffalo Bill… d’ailleurs vite oublié pour celui de Bozo le clown lorsqu’une altercation avec un jeune élève qui ne voulait pas débarrasser son assiette au réfectoire me vit rouler sous la table, sauvé in extremis par une surveillante générale, petite, menue, mais dont l’autorité semblait plus crédible que la mienne. Or, surveillant une étude, qui j’aperçois par la fenêtre, un beau jour ? Bruno Tocanne qui dirige un cours d’éducation physique dans la cour… sans apparente conviction si j’en juge aux sabots qu’il porte en guise de chaussures de sport.

Puis, en 1979, c’est Éric Denfert, bientôt mon beau-frère, qui m’attire, le 22 avril, à la Maison des jeunes du Chenil à Marly-le-Roi, où il participe au saxophone ténor au premier concert du big band Lumière Laurent Cugny. Je crois que c’est là que j’ai vu pour la première fois un Electric Grand Piano Yamha CP 70, sorti d’usine en 1976, et qui eut la faveur de pianistes espérant disposer d’un vrai piano transportable, électrifié, permettant de jouer avec un son acoustique dans un environnement amplifié. Séduisant, mais au final pas très convaincant et à la sonorité finalement plus typée CP 70 que grand queue. Et je dois à Lumière un de mes premiers comptes rendus de concert, dans Jazz Hot. Pierre-Olivier Govin était déjà de la partie et Bruno Tocanne se partageait le double-pupitre de batteur avec Olivier Colé qui serait l’un des premiers adhérents de la discothèque de Montrouge dont j’assure l’ouverture l’année suivante. Colé, Denfert et Tocanne ne tardèrent pas à claquer la porte de Lumière en guise de protestation à l’un de ces douloureux remaniements que peut connaître une grande formation naissante, d’autant plus douloureusement vécue que chacun a contribué bénévolement à l’essor de l’orchestre.

Je passe sur le souvenir d’une fête, dans une ferme d’Île de France dont il ne me reste que trois visages connus surgissant de la demie pénombre d’une grange abriant les festivités : Cugny, Tocanne et… Sophia Domancich encore toute jeune et d’une timidité farouche qui m’avait semblé avoir pour cause une sorte de colère intérieure. Et nous en arrivons à ce concert du 18 janvier 1981 avec le saxophoniste Jean-François Lauriol, le contrebassiste et Bruno Tocanne. Je ne saurais rien dire de cet éphémère quartette, sinon que l’on retrouvera à plusieurs reprises Bruno dans mes archives photo… qui ne diront rien des rencontres privées. Cette anecdote néanmoins. Été 1993, avec ma future épouse et nous nous sommes fait prêter une ferme dans le Beaujolais. Des vignes à perte de vue et au loin, un kilomètre à vol d’oiseau, une ferme isolée dont je découvre par hasard qu’y vit Bruno Tocanne et sa petite famille depuis qu’ils ont quitté la banlieue Ouest-parisienne. J’arrose ainsi ma quarantième année en sa compagnie et celle d’Erik Truffaz avec qui j’ai sympathisé, au Concours national de jazz de la Défense qu’il vient de remporter, venu du Jura me rendre visite.

Allemand installé en France, Hubertus Biermann fit ensuite carrière dans le théâtre où il reprit, avec toutes ses compétences de contrebassiste, le rôle créé par Jacques Villeret dans la La Contrebasse de Patrick Süskind, performance – celle de Hubertus – saluée par Francis Marmande dans Le Monde du 17 octobre 2008.

Quant à Jean-François Lauriol, son œuvre n’apparaît qu’en pointillés au fil d’une carrière principalement consacrée à l’enseignement notamment auprès de Manuel Villaroel lorsque ce dernier créa en 1994 le Département jazz de l’École de musique de Yerres. Franck Bergerot