Années 1980 Choses vues sur la scène du jazz français et alentours… / Film #3-3 - Jazz Magazine
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Publié le 16 Déc 2025

Années 1980 Choses vues sur la scène du jazz français et alentours… / Film #3-3

Au Cim, le 31 janvier 1981, la faconde de Maurice Magnoni, le saxophoniste qui parlait avec ses mains (et Denis Badault surpris en coulisse)

Cette après-midi là, Alain Guerrini m’avait accueilli réjoui : « Tu vas voir, c’est un saxophoniste formidable, tout fou, très excité, bavard… c’est un Suisse, mais italien tu sais… il parle comme ça, avec ses mains. » J’étais mis dans le bain. En voici les photos, ou plus exactement une photo sauvée parmi d’autres semblables ou trop médiocres. Probablement étais-je trop captivé par ce que j’entendais. Dans mon carnet de négatifs, j’ai noté Maurice Magnoni Trio, mais pas le personnel. Pourtant les noms des musiciens qui entouraient ce saxophoniste de 33 ans me reviennent : Olivier Magnenat (contrebasse) et  Olivier Clerc (batterie). Je retrouverai, ce dernier, avec le BBFC (comme Jean-François Bovard, le tromboniste ; Daniel Bourquin, le saxophoniste ; Leon Francioli, le contrebassiste ; et Olivier Clerc).

Maurice Magnoni au Cim, le 31 janvier 1981. À droite, appuyé sur le piano, le nez dans son verre, ne serait-ce pas le saxophoniste Charles Schneider alors étudiant au Cim?

Parenthèse en passant : ce BBFC, je m’en souviens comme des Quatre Mousquetaires – Bourquin et Bovard en Athos et Porthos que j’ai reçus un jour, plus tard, sur mon lieu de travail, dans l’auditorium de la discothèque municipale de Montrouge, mes collègues très impressionnés par l’espace qu’occupaient ces deux imposants personnages. Je leur avais donné rendez-vous pour un blindfold test destiné à je ne sais plus quel support. Je me souviens leur avoir fait entendre entre autres – mais pourquoi donc ? – un morceau de Pete Townshend, Ascension Two tiré de la compilation “Music and Rhythm” produite par Peter Gabriel (ça devait donc être après 1982). Ils avaient adoré… ou avait fait semblant.« C’est du Verdi ! » s’était écrié Francioli à qui j’avais sûrement du faire également réentendre son duo avec Pierre Favre “Le Bruit court” (label : L’Escargot). Parenthèse dans la parenthèse : il y a quelques quarante ans, j’ai égaré ce disque dans le métro, avec “Chateauvallon 76” de Michel Portal (également avec Francioli, encore L’Escargot) et deux vieux disques du Workshop de Lyon (“Tiens ! Les Bourgeons éclatent…” et “La Chasse de Shirah Sharibad”). Si quelqu’un se souvient les avoir trouvés (probablement dans un sac Fnac), il serait bien aimable de se signaler auprès de la rédaction.

Mais revenons à Magnoni-Magnenat-Clerc : pourquoi avaient-ils intitulé leur album “M.G.M.” chez V.D.E. Gallo ? Je revois la pochette, noire avec une photo de paysage, un ciel bleu, un liseré ocre, peut-être une étendue sable, mordu par une transversale comme une portion de route ou le cadre inférieur d’une fenêtre de train. Après avoir retrouvé les négatifs de ce concert au Cim, j’espérais trouver le vinyle dans ma discothèque. Déception ! Je l’avais bien eu entre les mains, mais probablement en avais-je fait plutôt l’acquisition pour la Discothèque de Montrouge que je venais d’ouvrir. Par bonheur, on peut encore l’entendre sur les plateformes et en écrivant ces lignes je tombe justement sur le thème-titre M.G.M. où Magnoni est au ténor (au soprano sur d’autres titres). C’est exactement ça. Ça que j’ai entendu au Cim ce soir-là : ce mec dont Alain Guerrini me disait : « Suisse, italien tu sais… il parle comme ça, avec ses mains. » Une faconde, un homme qui parle, qui parle, mais qui sait exactement où il va, où il vous emmène, qui vous emmène dans son histoire, sa rythmique et vous avec.

J’ai aimé le retrouver ici et là, sur des disques que je serre encore dans mes tiroirs CD, le genre de disque dont on sait qu’ils sont là même si on ne les écoute pas souvent. Mais quand on a 15 ou 25 000 disques, quels disques écoute-t-on souvent ? C’est pourquoi je privilégie le concert.

J’ai donc là notamment son “grand œuvre” de 1992, la “New York Suite” en grande formation, avec Matthieu Michel à la tête du pupitre de trompettes où figurait Erik Truffaz et quelques autres personnages de la scène hélvétique ; deux quartettes que j’ai un peu oublié avec notamment la batterie de Marc Erbetta, qui se fera bientôt connaître auprès d’Erik Truffaz ; Sur “Duets” de 1993 où il déballe tous ses saxes du baryton au sopranino plus flûte et clarinette basse face à des invités successifs (Olivier Magnenat, le percussionniste Claude Tabarini et le pianiste Jacques Demierre), je retrouve le morceau M.G.M. et sa faconde, cette fois-ci plus rageuse ; “SskieS” (vers 2000) avec le formidable guitariste Christy Doran, Claude Jordan à la flûte et à l’électronique, Hervé Provini… magnifique ! ; “Facing The Wall” de 2001 que je laisse sorti pour le réécouter, avec Nicolas Sordet (ordinateur) et Fredy Studer (batterie). Oh ! Et puis – j’allais l’oublier – ce merveilleux disque de Serge Lazarévitch (il y en eut d’autres les réunissant) où il l’invite à se joindre à Matthieu Michel, Philippe Aerts et Joël Allouche sur l’album “A Few Years Later” (Igloo, 1997). Et beaucoup d’autres !

Et je garde un souvenir ému: peut-être la semaine où Erik Truffaz remporte le Concours de la Défense. Un soir tard, je pousse la porte du New Moring et je tombe sur une fin de concert du quintette d’Erik Truffaz avec Marc Erbetta, Marcello Giuliani, Jean-Luc Vallet et Maurice Magnoni… et ça barde grave, comme on dit quand on ne sait plus quoi dire. C’est un de mes grands regrets de n’avoir entendu que le dernier morceau où semblait s’être amassée toute l’intensité d’un concert d’exception qui était en train de se terminer. Franck Bergerot

PS : ce même jour, dans les locaux du Cim, je surprenais Denis Badault, à la lueur de cette lampe de bureau… Hélas, la fin de mon film est introuvable. Reste la planche contact et les deux clichés le concernant. On retrouvera Badault plus tard dans mes films.