La saxophoniste londonienne, figure de sa génération, vient de publier le superbe “Odyssey”, un troisième album qui s’impose comme son meilleur. Nous l’avons rencontrée pour parler du jazz anglais d’hier et d’aujourd’hui et de sa propre musique.

NUBYA GARCIA Quand vous le dites comme ça on dirait que c’est terminé mais j’espère que ça continue ! C’était une période très intéressante, personne ne l’avait prédite et on se sentait vraiment soutenus, ce qu’on attendait depuis longtemps. Ça nous a donné beaucoup d’opportunités et de latitude. Je pense que ça continue mais c’est un peu moins nouveau maintenant, on est plus installés, ce qui est très positif. En voyant tout ça de l’intérieur, et je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de préjugées et de plafonds de verre en place pour toutes sortes de genre musicaux et dans toutes sortes de domaines. Quand l’underground sort du bois, c’est surtout une opportunité de tisser des liens avec le public, et ce rassemblement était très beau et positif.

C’est en effet quelque chose qui a pu arriver. J’étais au cœur de tous ses événements, et parce qu’on a beaucoup tourné et eu plein d’opportunités – dont beaucoup pensaient qu’on ne les aurait jamais en tant qu’artistes de musique instrumentale formés à travers le jazz – j’étais plus déterminée encore à atteindre mon but, et je le suis toujours. Je sais que j’aime la musique et en faire avec les gens avec qui je joue, pour moi c’est déjà un succès et je me dis que les musiciens ne devraient pas se concentrer sur les opinions et perceptions externes, mais plutôt essayer d’être les meilleurs possible, de vivre dans l’instant. C’est un grand privilège de faire de la musique qui parle aux gens et c’est ça qui compte. Ça nous a tous demandé beaucoup de temps et de travail mais je suis très fière de ce qu’on a fait et de ce qu’on continue à réaliser.

Je l’ai beaucoup fait car j’adore jouer, et pas seulement quand c’est moi qui ai composé ou qui dirige. Être sidewoman est très différent qu’être leader, il faut relever d’autres défis et ça permet d’essayer d’autres choses. Je n’ai jamais voulu choisir entre les deux, et ça me permet de collaborer avec des gens merveilleux qui enrichissent ce que je fais. La collaboration est le ciment d’une communauté. Je crois aussi que les meilleures musiques proviennent d’une multitude de sources et j’ai donc collaboré à de nombreux groupes dès le début. C’est excitant, ça permet d’exister de plusieurs façons au sein d’une génération, et ça doit être très dur de ne jouer que dans sa propre formation ! Ce serait comme ne parler qu’une seule langue alors que je veux parler de plein de façons différentes.

Crédit : Courtney Campbell

Oui absolument. Je joue avec certaines personnes depuis que j’ai 17 ans, [elle en a aujourd’hui 33, NDLR]c’est presque la moitié de ma vie ! Si de jeunes musicien.nes nous lisent, je pense que c’est très important de se souvenir que les gens qu’on rencontre à chaque étape de sa vie peuvent, s’ils sont sur la même longueur d’onde, devenir ceux qui vous portent, vous encouragent, jouent et tournent avec vous, vous font découvrir de la musique… Au fond il s’agit d’amitié, de soutenir vos copains musiciens et de les aider à concrétiser leur vision, bien plus que de succès matériel, même s’il faut bien payer ses factures !

C’est difficile à dire car j’étais un bébé à cette époque ! Je sais qu’ils ont tourné à travers le monde et qu’aujourd’hui, à chaque fois que je vais aux Etats-Unis, les musiciens de cette génération me demandent des nouvelles de Courtney Pine par exemple. Son nom circule toujours à New York et c’était déjà le cas, il y a dix ou douze ans, quand j’y était allé pour la première fois, alors que j’étais encore étudiante. Notre génération a énormément bénéficié du travail de gens comme Courtney Pine, Steve Williamson, le groupe Jazz Jamaica et tant d’autres. Les Jazz Warriors ont directement permis aux programme éducatif Tomorrow’s Warriors [créé en 1991], dont j’ai fait partie, d’exister, et on n’aurait pas pu avoir un tel programme de formation musicale, gratuitement, à Londres, avec des gens qui nous ressemblent, ça n’aurait pas existé. Je ne dirais pas qu’ils ont vraiment la reconnaissance qu’ils méritent mais ils ont fait beaucoup pour faire connaître Londres et la Grande-Bretagne dans le monde du jazz, et ça n’a vraiment pas dû être facile du tout dans les années 1980 et 90.

Je dirais que je ne cherche pas à impressionner les gens et que j’essaye de me mettre au service de la musique. Il y a plein de façons de faire ça et je peux sonner très différemment d’un jour à l’autre, sur scène ou en studio. Mais j’essaye de ne pas “surjouer”. A quoi bon ? Non pas qu’on n’ait pas le droit d’être virtuose, mais chaque morceau se prête à une certaine façon de jouer, et je m’adapte en fonction de ça et de ce que je ressens ce jour-là. J’ai envie d’être en osmose avec mon instrument, pas de me battre contre lui où d’avoir l’impression que les gens vont mieux me considérer si je joue d’une certaine façon. Je doute que ça me rendrait très heureuse !

C’était un défi de réaliser ces arrangements, de trouver ma voix en tant que compositrice plus que d’intégrer les cordes à mon groupe d’ailleurs, car je n’avais jamais fait ça avant. Je ne voulais surtout pas plaquer des cordes sur des morceaux déjà écrits, et j’ai passé beaucoup de temps à peaufiner ces arrangements. J’ai beaucoup douté mais ça m’a permis de trouver ma propre façon d’écrire. Je ne suis pas très académique, j’ai besoin de créer pour apprendre plutôt que de lire des livres et j’ai justement évité de trop étudier des arrangements similaires chez d’autres, même s’il y a plein d’excellents exemples, avant d’avoir terminé mon travail, pour progresser encore la prochaine fois. J’ai vraiment l’impression que ces cordes sont les miennes, je m’en suis servi comme une sorte de texture, mais je ne savais pas que j’arriverais à un tel résultat quand j’ai commencé à travailler. J’ai débuté mon apprentissage musical par les cordes à 3 ou 4 ans, mais je n’y vais plus touché depuis très longtemps et j’avais vraiment envie de m’y remettre. J’ai hâte de continuer sur cette voie ! Au micro : Yazid Kouloughli / Photo : Danika Lawrence

Album « Odyssey » (Concord Jazz / Universal, 4 étoiles Jazz Magazine)

Concerts Le 14 février 2025 à Bordeaux (Rocher de Palmer), le 15 février à Paris (La Cigale).

Vendredi 4 octobre, 20h30, à la Maison de la radio et de la musique à Paris, un ensemble unique en son genre mettra à l’honneur les racines fondamentales de la musique noire.

Jazz Magazine est partenaire de cet événement réunissant 120 chanteurs lyriques du Chœur Philharmonique International (artiste de l’UNESCO pour la paix) dirigé par Yanis Benabdallah, un quintette de jazz et des comédiens pour un spectacle hors-norme en deux parties (Héritages : 200 ans de musiques africaines inspirées de l’Europe et Rhapsody in Black : 200 ans de poésie afro-descendante, sur une musique originale de la pianiste et compositrice Leïla Olivesi). Ensemble, ils rendront hommage, par-delà les styles et les époques, à deux siècles de musiques africaines inspirées de celles d’Europe et mettra en musique des poèmes d’auteurs afro-descendants comme David Diop, Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor. En somme, une célébration de cette valeur de résilience, indissociable des musiques noires, qui du gospel à la biguine en passant par le blues et le jazz seront toutes essentielles à cette soirée.

Avec Yete Queiroz (mezzo-soprano), Bernard Arrieta (baryton), Jacques Martial (lectures des poèmes) Marion Frère (violoncelle), Leïla Olivesi (piano), Donald Kontomanou (batterie), Sophie Alour (saxophone), Yoni Zelnik (contrebasse)et Marie-Claude Papion (piano).

Retrouvez le programme détaillé sur le site de La Maison de la Radio et de la Musique. Réservations ici

Le 16 septembre, rendez-vous sur Culturebox pour vivre comme si vous étiez la grande cérémonie des Victoires du jazz 2024, enregistrée il y a quelques jours, et dont voici le palmarès.

Notre partenaire Culturebox a minutieusement immortalisé ce grand moment de reconnaissance et de célébration de celles et ceux qui ont enchanté l’actualité du jazz l’année passée. Jeunes groupes tout juste révélés, vétérans toujours créatifs, voix inimitables : si vous souhaitez vous garder la surprise de la découverte du palmarès 2024 des Victoires du jazz, ne ratez pas la diffusion de la cérémonie en “prime time” à 21h lundi prochain, présentée par Manu Katché !

Si vous ne pouvez pas attendre, voici la liste des heureux élus :

Artiste instrumental(e)
Pierre de Bethmann

Artiste vocal(e)
Sandra Nkaké

Révélation
(Prix Frank Ténot)
Monsieur Mâlâ

Album jazz de l’année
« Let Them Cook » Émile Parisien Quartet (Act)

Concert
« Les Égarés » Sissoko, Segal, Parisien, Peirani (Anteprima Productions/Mad Minute/Yes Les Guyzz/Molpé Music)

Album de musiques du monde
« Bleu » Ann O’aro (Cobalt)

Grand fan de Prince, Ersin Leibowitch retrace dans Prince Xperience : dans la tête du génie la vie de cet artiste inclassable de ses débuts jusqu’à sa disparition brutale en avril 2016 à seulement 57 ans.

Plus qu’un récit ou une monographie au sens habituel, Prince Xperience (Ed. Hors Collection, 320 pages, 18€) est plutôt une enquête. Pour comprendre comment cet artiste total, dévoué corps et âme à la création (de nombreuses anecdotes de ses collaborateurs laissent penser qu’il ne consacrait pas beaucoup de temps au sommeil), réputé pour son sérieux à toute épreuve, a pu connaître une fin aussi sombre et brutale, Ersin Leibowitch remonte aux origines de la magnifique folie créatrice de Prince, dans son enfance, alors qu’il commence l’apprentissage d’une myriade d’instruments et de musiques qui lui permettront plus tard de briller à tous les postes, qu’il soit seul aux manettes comme sur son premier album “For You” ou qu’il s’entoure d’un groupe sur-mesure avec tout ce que l’Amérique compte de meilleurs choristes, batteurs, guitaristes ou claviéristes. Dès le départ, Ersin Leibowitch explore à la fois le côté très concret et technique de la création musicale, des techniques de studio aux instruments et jusqu’aux rouages du monde impitoyable de l’industrie musicale, et tout l’aspect intérieur, émotionnel voire psychologique, de sa Majesté Violette, mon tout avec un langage toujours simple et accessible, et sur le ton d’un vaste article de presse, méticuleux et érudit mais qui jamais ne laisse le lecteur non spécialiste sur le côté. Un ouvrage passionné et passionnant, comme on voudrait en lire sur tous les artistes qu’on aime. Yazid Kouloughli


Chaque jour jusqu’au 23 août, Fred Goaty & fredgoatylapepitedujour (le compte Instagram qui aime les mêmes musiques que vous) vous présentent un “Disquindispensable” à (re)découvrir d’urgence.


“Pandemonium”
The Time
Paisley Park / Reprise

1990

Notre premier Disquindispensable du week-end serait-il l’un des albums les plus outrageusement funky des nineties, voire des trente-quatre dernières années ? Il me semble que la réponse est oui. Comme dans les trois albums précédents du groupe – six ans s’étaient écoulés depuis “Ice Cream Castle”, une  éternité à cette époque –, Prince était très impliqué, mais il avait tout de même laissé cette fois  une place de choix aux membres du groupe : Morris Day (chaud comme la braise), Jesse Johnson (en feu), Monte Moir, Jellybean Johnson, Jerome Benton, Jimmy Jam et Terry Lewis (en mission).
Dans la musette princière, tout de même, cinq chansons : Chocolate, Jerk Out, My Summertime Thang, Data Bank et Donald Trump (Black Version) – l’Agent Orange l’a-t-il déjà écoutée ? Peu probable…
Prince, comme de coutume, n’est crédité nulle part, si ce n’est dans les special thanks, juste avant… son alter ego Jamie Starr !
Jerk Out, au passage, est à ce jour le plus gros succès de The Time dans les charts, et l’on se rua évidemment sur le CD single et ses Sexy Mix, Sexy Edit, A Cappella, Sexy Dub et Sexy Instrumental – quelques mois plus tard, ce fut le tour du CD single de Chocolate : fondait-il dans les oreilles et pas dans la main ? Hmm, rien, en l’occurrence, ne pouvait dépasser les versions album.
Passée l’intro drôlatique, Dreamland, l’enchaînement-déchaînement de Pandemonium, Sexy Socialites et Jerk Out est absolument irrésistible, une leçon de funk made in Minneapolis.
Plus loin, Skillet et sa saynète en intro (Cooking Class), permet encore à Jesse Johnson de casser la baraque – et tout le monde se souvient que cette chanson servit de générique à une émission vraiment Nuls ? J’adore, aussi, cette mention dans le livret : « Mixed in the skillet for more sizzle, pure hiss and true distorsion. »
Hey guys, how about a reunion of The Time ? Time flies, it’s time !

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“Synchronicity”
The Police
A&M Records

1983

Ainsi quarante années ont passé depuis “Synchronicity” est directement entré dans mon Panthéon Décousu, classique instantané d’un trio qui fut un peu, beaucoup, passionnément, à la folie nos Beatles à nous, enfants des années 1980. On ne le savait évidemment pas encore quand le disque a commencé de tourner et que la puissance tellurique de Synchronicity I nous fit tomber de notre chaise, mais deux ans plus tard Sting voguerait solo entouré des meilleurs jazzmen afro-américains du moment – parmi eux, le futur bassiste des Rolling Stones (celui qu’on ne verra jamais sur les photos du groupe).
Passé Synchronicity I, Walking In Your Footsteps nous emportait dans une jungle étrange (« Y font du Talking Heads Police maintenant ? » m’étais-je dis), Oh My God groovait sévèrement (Stewart Copeland était décidément un batteur fantastique), Mother, signé Andy Summers, fit d’emblée criser certains (petit malin, j’avais vite décelé la filiation avec King Crimson, vu que je m’étais offert peu de temps avant le disque de Summer avec Robert Fripp), Miss Gradenko était une friandise sympa, et la première face se terminait par une superbe variation de Synchronicity I, Synchronicity II.
Et puis l’on découvrit la seconde face.

Révélée dans sa géniale évidence. Dès la première écoute. Si, si.

Sting a ponctué ses albums solos de moult merveilles, mais l’enchaînement Every Breath You Take, King Of Pain, Wrapped Around Your Finger et Tea In Sahara nous avait laissé – et nous laisse toujours – pantois, chancelant, abasourdi, sidéré. Les mélodies et les paroles de Sting sont habitées, sa voix solaire, hyper-émotionnelle ; Andy Summers joue comme personne ; et Stewart Copeland n’a peut-être jamais aussi bien sonné sur disque, rivalisant d’invention à chaque mesure. Le mot “chef-d’œuvre” est à employer avec précaution, mais là, il me semble que…
PS : “Synchronicity” vient d’être réédité en version Super Deluxe.


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“Provision”
Scritti Politti
Virgin Records

1988

Trois ans après le formidable “Cupid & Psyche 85”, onze ans (!) avant le méconnu “Anomie & Bonhomie”, Green Gartside et David Gamson, alias Scritti Politti – aaah, les duos pop hyper créatifs des glorieuses années 1980 : Peter Cox + Richard Drummie = Go West, Roland Orzabal + Curt Smith = Tears For Fears… – avaient illuminé l’an de grâce 1988 avec “Provision”, sur lequel je m’étais précipité le jours de sa sortie parce que je savais qu’un certain Miles Davis jouait dessus, lui qui avait repris presque sans rien y changer Perfect Way dans “Tutu”, deux ans plus tôt (“Tutu” a d’ailleurs failli s’appeler “Perfect Way”).
Miles joue magnifiquement – comme d’habitude – sur Oh Patti (Don’t Feel Sorry For Loverboy), mais il y a évidemment moult autres chansons mémorables dans “Provision”, qui trente-six ans après passent toujours subtilement à travers les mailles du filet – à “Provision” bien sûr : ok je sors – stylistique, entre pop, soul et funk. Marcus Miller y fait généreusement claquer sa basse électrique (Bam Salute), ce qui n’est pas rien ; la production est une merveille d’équilibre sonore, les claviers sont en technicolor, les beats en ébullition : ça groove délicieusement, mais le songwriting n’est pas négligé pour autant.
À cette époque, G.G. & D.G. avaient c’est le moins qu’on puisse dire le vent en poupe. On lisait leur nom sur d’autres disques qu’on avait appris par cœur : “L Is For Lover” d’Al Jarreau et “Destiny” de Chaka Khan par exemple. (Plus tard, Gamson contribuera à deux chefs-d’œuvre de Meshell Ndgeocello, mais c’est une autre histoire.)

Et puis dis donc, il y a aussi l’incomparable Roger Troutman, qui fait groover sa talk box dans Boom ! There She Was et dans Sugar And Spice, et c’est aussi inoubliable que le solo de Miles Davis dans Oh Patti (Don’t Feel Sorry For Loverboy). On était gâté quand même…

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“Clube Da Esquina”
Milton Nascimento / Lô Borges
Odeon

1972

L’état du Minas Gerais, les “mines générales”, est riche en filons d’or – devrait-on plutôt dire “était” ? Il faudra que je me renseigne. On dit ses habitants moins extravertis que les Brésiliens de Rio de Janeiro ou de Bahia, plus « tranquilles, complexes et mystiques ». Quoiqu’il en soit, ils nous ont offert nombre de pépites avec, à leur tête, le génial Milton Nascimento, chanteur et compositeur hors norme. Les autres grands musiciens du cru ont pour nom Wagner Tiso, Toninho Horta, Fernando Brant ou encore Lô Borges ; c’est avec ce dernier que Milton Nascimento a enregistré notre Disquindispensable de ce matin, chef-d’œuvre absolu s’il en est, et bien sûr de nombreux amis, de Deodato à Robertinho Silva en passant par Paulo Moura.

Oserais-je l’avouer, j’ai souvent la gorge serrée quand j’écoute la fin de Cais, au moment où Milton Nascimento se met à jouer du piano en vocalisant : c’est, pour moi, et je ne suis forcément pas le seul à éprouver la même chose, l’un des moments de musique les plus poignants qui soient, lumineux et mélancolique à la fois, comme l’est souvent la musique de Milton Nascimento. (La coda de Um Gosto De Sol reprend ce thème sublime qui hantera tous ceux qui l’écouteront ne serait-ce qu’une fois.)
On dit que “Clube Da Esquina” est à la Musique Populaire Brésilienne ce que le double blanc des Beatles est à son pendant anglais. Nous sommes d’accord : comme ses compatriotes Caetano Veloso ou Giberto Gil, Milton Nascimento a grandi en écoutant à la radio la musique des Fab’ Four de Liverpool, et leur(s) influence(s) est grande. Mais il émane des vingt-et-une chansons de ce double album miraculeux (qui eut un tel succès que la presse brésilienne reprit son titre – en français, “le club du coin” – pour désigner Milton et sa bande) un telle sensualité évocatrice qu’on oublie vite toute forme de référence, pour se laisser posséder, à la vie à l’amour.

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“Belief”
Leon Parker
Columbia

1996

Une cymbale, un shaker, une conga, une cloche, des woodblocks, une grosse caisse, ensemble parfois, mais le plus souvent séparément, sollicités avec parcimonie, sensualité, amour, comme pour tirer le meilleur de chaque instrument, en extraire la sève vitale : Leon Parker incarne à merveille l’art du « less is more ».
Ce batteur pas comme les autres était dès 1994 entré dans notre univers via les premiers disques de Jacky Terrasson sur Blue Note, et plus encore, car il s’y révélait en vrai leader, dans “Above & Below”, son opus inaugural, supervisé par le grand producteur Joel Dorn, alias “The Masked Announcer” (visez son c.v. sur le net : il vous inspirera le respect), enregistré avec quelques jeunes qui montaient – Mark Turner, David Sanchez, Joshua Redman…
Mais son disque magique, inusable, intemporel, c’est bien “Belief”, toujours resté à portée de main depuis 1996, habité par les rythmes ancestraux de la Terre des femmes et des hommes, qui de l’Afrique aux Amériques n’ont jamais cessé de voyager, prenant possessions des corps et des esprits prompts à les magnifier.
Aux cotés (cœur) de Parker, le saxophoniste Steve Wilson, le trompettiste Tom Harrell (ah comme on l’aime lui) et les percussionnistes Natalie Cushman (qui chante aussi) et Adam Cruz, le tromboniste Steve Davis, la flûtiste Lisa Parker et le contrebassiste Ugonna Okegwo déploient moult trésors d’invention, font du bien nommé “Belief” une communauté, un village : tout un monde.

L’édition 2024 du festival, qui court du 10 au 22 septembre, concentre une rare diversité de styles, de formats et d’approche pour donner à l’actualité et de l’histoire du jazz les plus vives couleurs. Jazz Magazine est partenaire de l’événement.

Entre concerts, masterclasses, et événements immersifs, le festival s’ouvre avec un duo vibrant entre la trompettiste Airelle Besson et l’accordéoniste Lionel Suarez, suivi d’une soirée éclectique avec Musina Ebobissé et la flûtiste Naïssam Jalal, qui incarnera l’esprit du Jazz Off Colmar.

Le festival met à l’honneur la place des femmes dans le jazz avec une table ronde sur les inégalités de genre, suivie par la performance du Garance 4tet, puis un hommage au répertoire historique des Big Bands avec le Umlaut Big Band.

Le week-end est marqué par des événements originaux : une “murder party” (grand jeu d’énigme) en musique dédiée à Mary Lou Williams, et des performances de Marcel Loeffler, Julien Pinancier, Ballaké Sissoko et Vincent Segal qui naviguent entre swing, tango et musiques du monde.

La dernière semaine offre un panel de découvertes, du cinéma avec le formidable film Blue Giant (dont nous vous parlions il y a peu ici) à un hommage à Michel Hausser. Le festival se clôture sur une note inventive avec l’Orchestra Nazionale della Luna et des performances dansées et musicales dans le cadre des Journées du Patrimoine.

Les femmes sont au cœur du festival avec plusieurs moments dédiés, dont une performance improvisée par la danseuse Catherine Conreaux Feldmann et la contrebassiste Hélène Eschbach, ainsi qu’une soirée Jazz Migration mettant en lumière la créativité féminine avec Mamie Jotax.

Cette édition célèbre la diversité du jazz à travers des expériences artistiques variées, offrant un dialogue unique entre tradition et modernité, entre le passé et l’avenir du jazz.