Le trompettiste Fabrice Martinez rencontrait Bruno Chevillon et Paul Brousseau pour une série d’improvisations aussi passionnantes que tempêtueuses.

Fabrice Martinez (trompette, bugle), Bruno Chevillon (basse), Paul Brousseau (piano), Concert d’appartement chez Hélène-Caroline Bodet, 8 avril 2018

Je tiens Fabrice Martinez pour un des trompettistes les plus passionnants et les plus aventureux d’aujourd’hui. Avec ou sans sourdine, il travaille sans relâche à élargir sa palette sonore, toujours à l’affût de nouveaux timbres, de nouveaux effets, au service d’un funambulisme musical privilégiant le risque, l’intensité, l’aventure.

Dans le cadre feutré et intime de l’appartement d’hélène-Caroline Bodet, ce musicien qui fait volontiers rimer trompette avec tempête n’a pas dérogé à son esthétique. Il a joué fort, souvent dans les aigus, non pas pour montrer ses muscles, comme tant de trompettistes qui se prennent pour des haltérophiles,  mais pour extraire de ses cuivres des effets originaux, à caractère souvent vocal.

Face à un tel ouragan, ses deux partenaires ont plié sans rompre. Le pianiste Paul Brousseau a répondu par des petites vaguelettes qui semblaient filtrer les bourrasques déchaînées par le trompettiste, tandis que Bruno Chevillon, plein d’autorité, a enraciné la musique, l’empêchant de s’envoler.

 

Par la suite, les rapports entre les trois musiciens ont quelque peu évolué. Bruno Chevillon réplique au trompettiste en trouvant à l’archet des sonorités si mordantes, si agressives, que l’on s’étonne que les cordes aient résisté. Paul Brousseau a affiné le miroitement de ses vagues. Quant à Fabrice Martinez, obstinément, il continuait de tracer son sillon, chercheur inlassable de nouvelles sonorités et de nouveaux timbres (par exemple avec du papier aluminium dont il fait une sourdine), ou en jouant sans embouchure. C’est toujours intense,  jamais gratuit.  Musique à la fois subtile et sauvage, toujours passionnante.

texte: JF Mondot

Dessins : AC Alvoët

(autres dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com )

On peut acheter un des dessins figurant dans ce compte-rendu en s’adressant directement à l’artiste (annie_claire@hotmail.com)

Daniel Erdmann et Valentin Ceccaldi n’avaient encore jamais joué ensemble. C’est désormais chose faite grâce à Hélène-Caroline Bodet qui depuis deux ans a transformé son appartement en laboratoire de rencontres jazzistiques de haut vol.

Daniel Erdmann (sax tenor), Valentin Ceccaldi (violoncelle) , 14 janvier 2018

Je crois n’être pas tout seul à le penser: Daniel Erdmann possède un des plus beaux sons de sax ténor que l’on puisse entendre aujourd’hui: sombre, très timbré, un peu étouffé (on a parfois l’impression qu’il joue sous un oreiller, ce dont il tire de beaux effets de confidence poétique), rarement d’une grande intensité en termes de volume sonore, avec un halo de souffle omniprésent, une manière très personnelle de laisser dérailler son instrument dans l’aigu, bref un travail de pétrissage et de modelage du son d’une grande finesse, toujours au service de la logique narrative. (Pour donner un exemple, écoutez ce que fait Daniel Erdmann dans « Bandes originales » avec les formidables Vincent Courtois et Robin Ficker, dans un album qui est une des plus belles réussites de l’année passée à mon sens.) Et donc, ce grand saxophoniste allemand établi à Reims, rencontrait pour la première fois Valentin Ceccaldi, qui depuis trois ou quatre ans, souvent avec son frère Théo, est dans les projets les plus stimulants de la scène jazz, par exemple, au hasard, le trio In love with avec Sylvain Darrifourcq. On pouvait donc beaucoup attendre de cette rencontre.


Dès le premier morceau, on sent que ça colle, la musique respire, Valentin Ceccaldi laisse de grandes étendues vierges au saxophone de Daniel Erdmann. Le violoncelliste sait d’instinct s’il doit mettre des petits cailloux sur sa route ou au contraire lui barrer le chemin. Dans ses chorus ou ses introductions en solo, il est passionnant, avec un discours polyphonique, où aucune note n’est semblable aux autres, des contrastes dans l’attaque ou dans l’intensité, parfois on a l’impression d’avoir affaire à plusieurs violoncellistes en même temps. Puis tout s’ordonne, devient net, et les notes paraissent alors taillées dans le diamant…


Avec deux musiciens de ce calibre, capables de toutes les nuances sur leurs instruments, la musique ne stagne jamais, ne tourne jamais en rond, les ambiances se succèdent, les pages se déchirent plutôt qu’elles ne se tournent. Lors de la deuxième improvisation, cela commence par des ambiances tendues, âpres, nerveuses qui aboutissent à un passage merveilleusement mélodique, je suis à peu près sûr qu’il s’agit d’une mélodie de Hans Eisler (compositeur allemand que Erdmann révère, et auquel il a consacré un beau disque avec le groupe das Kapital, Ballads and barricades) mais sans pouvoir la nommer. Est-ce cet hymne allemand alternatif dont Bertold Brecht avait écrit les paroles ou un chant de prisonniers? je ne sais plus mais en tous cas c’est très beau. Ceccaldi l’accompagne magnifiquement à l’archet avant d’exposer la mélodie (au doigt) avec un goût et une émotion admirables. Daniel Erdmann ferme les yeux pour l’écouter. (il ferme souvent les yeux aussi quand il joue, avec une manière caractéristique de porter l’instrument à bouts de bras, au lieu de le plaquer contre lui comme la plupart des saxophonistes). A chaque morceau, Ceccaldi et Erdmann testent de nouvelles ambiances sonores, comme pour vérifier qu’ils se suivent, qu’ils sont bien ensemble. Mais oui, ils sont ensemble. Par exemple lors de la troisième séquence musicale, qui commence avec Valentin Ceccaldi à l’archet, qui répète une note qu’il fait lever comme une pâte, avant un nouveau moment très lyrique où Erdmann, me semble-t-il , semble tenté de jouer Everything happens to me qui intervient par bribes dans son discours, et puis non. Les musiciens, une fois encore sont parfaitement ensemble. les transitions d’un paysage musical à un l’autre sont si parfaites qu’on pourrait penser qu’ils répètent depuis une semaine. Mais non, ils se sont vus un quart d’heure avant le concert. Si cela marche c’est non seulement parce que les grands jazzmen s’apparentent à des funambules aux réflexes hors du commun (ainsi que le rappelait à Franck Bergerot le grand Martial Solal dans le numéro de Jazz magazine qui vient de paraître) mais aussi parce que Valentin Ceccaldi et Daniel Erdmann ont beaucoup en commun: le sens de l’espace et de la construction, le goût du lyrisme mais sans s’épancher, le goût aussi des chemins de traverses et des explorations bruitistes…Et cela donne un concert comme sur un nuage.

texte: JF Mondot
Dessins: Annie-Claire Alvoët (autres dessins , peintures , gravures consultables sur son site www.annie-claire.com
mais on peut aussi voir certaines de ses oeuvres récentes « en vrai » à l’occasion de l’exposition d’un collectif d’artistes dont elle fait partie et qui se tient à la Fabrique, 11 rue Paul vaillant-Couturier, 93170 Bagnolet (Métro gallieni).
Pour acquérir un des dessins qui figurent sur le site, s’adresser à l’artiste: annie_claire@hotmail.com

Lovano┬®AcAlvoet2017 7

La saison étant propice aux rétrospectives et aux cadeaux, voici une rétrospective des dessins réalisés en 2017 par Annie-Claire Alvoët pour Jazz magazine.
(Lawrence Fields, pianiste de Joe Lovano, New Morning, 15 mars 2017)

On le sait, le jazz est une musique de l’instant. Elle requiert des réflexes agiles. Un coup de cymbale un peu appuyé, une inflexion inattendue du contrebassiste, et voilà le musicien de jazz qui doit réagir en un quart de secondes. Pas pour montrer qu’il a compris, mais pour être en phase avec la direction que ses partenaires veulent imprimer à la musique. Il faut donc aller très vite. Une bonne idée, à un mauvais moment, c’est à dire un quart de seconde trop tard , n’est plus une bonne idée. Ce n’est même pas une mauvaise idée, d’ailleurs, en fait ce n’est plus rien. Tout ce que l’on peut espérer, c’est se raccrocher si l’on peut à l’idée suivante. Le jazzman ne doit pas regarder les trains qui passent, il doit les prendre. Duke Ellington le dit à sa façon dans un de ses traités d’esthétique compositionnelle les plus connus : « You must take the A train ». (et non pas, « you must watch the A train »). C’est parce que le jazz est une musique de l’instant qu’il est si difficile à jouer correctement, et si difficile aussi à représenter avec une plume, un pinceau, ou un crayon. La difficulté est de capter la ressemblance, mais d’attraper aussi la rapidité. Si certains dessins ou peintures de jazzmen ratent leur cible, c’est qu’ils ont saisi l’une sans l’autre. La ressemblance est là, mais figée, sans vie, avec des musiciens qui semblent échappés du Musée Grévin. Pour capter la ressemblance et la vie, certaines techniques sont bien entendu plus adaptées que d’autres. Celle utilisée ici, une plume, un pinceau, de l’encre, présente l’avantage de la légèreté. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi la rapidité du coup d’oeil et la compréhension intime de cette musique. Il faut, finalement, que l’artiste se mue lui-aussi en improvisateur. Tous les dessins présentés ici ont donc été exécutés sur le vif et sans retouches. C’est en marchant lui-aussi sur une corde tendue au-dessus du vide que l’artiste peut capter l’électricité de cette musique et ses frémissements. Et c’est précisément ce que l’on observe dans cette rétrospective des dessins d’Annie-Claire Alvoët réalisés pour jazz magazine en 2017.

JFM

PS: merci à ceux qui nous accueillent dans leurs colonnes (Fred Goaty et Franck bergerot) et dans leurs salles (Stéphane Portet, Catherine Farhi, Sébastien Vidal) et dans leurs appartements privés ( Helene-Caroline Bodet et Damien de Polignac, Yann Lorang)

trioMonk┬®AcAlvoet2017 1

Laurent de Wilde, Sunset, 17 février 2017

Lovano┬®AcAlvoet2017 13

Lawrence Fields (2) au New Morning, le 15 mars 2017

Lovano┬®AcAlvoet2017 9

Joe Lovano, New Morning, le 15 mars 2017

Huby&Ducret┬®AcAlvoet2017

Marc Ducret, concert d’appartement chez Helene-Caroline Bodet, 23 avril 2017

EnricoPieranunzi┬®AcAlvoet2017 3

Enrico Pieranunzi, concert d’appartement chez Helene-Caroline Bodet,17 juin 2017

HEKSELMAN5┬®AcAlvoet2017

Mark Turner , Sunset, 10 novembre 2017

Nardin┬®AcAlvoet2017 5

Or Bareket, bassiste de Fred Nardin, entouré d’admiratrices, Duc des Lombards, 13 octobre 2017

WRoney┬®AcAlvoet2017 9

Wallace Roney, New Morning, 17 octobre 2017

DaveDouglas_CarlaBley┬®AcAlvoet2017 11

Carla Bley et son batteurJim Doxas, New Morning, 20 novembre 2017

abhra┬®AcAlvoet2017 1

Julien Pontvianne et Alexandre Herer, du groupe Abhra, concert d’appartement, 3 décembre 2017

SanchezNisse 3AcAlvoet2017

Maxime Sanchez, 7 janvier 2017, concert d’appartement chez Yann Lorang

Terrones┬®AcAlvoet2017 5

Jacques Coursil, Sunside, 10 décembre 2017

Stéphane Payen Morgan the Pirate Ermita

Photo: Stéphanie Knibbe

Retour sur trois concerts formidables de cette fin d’année au Studio de l’Ermitage: le nouveau projet de Stéphane Payen autour de la musique de Lee Morgan (le disque s’intitule « Morgan the pirate ») , le groupe Kami, et enfin le trio Nouveaux siècles à l’occasion de la sortie de leur disque « A la manière de Chicago ».

Stephane Payen (saxophone), Sylvain Bardiau (trompette, bugle), matthias mahler (trombone), Gilles Coronado (guitare), Christophe Lavergne (batterie), 13 décembre, Studio de l’Ermitage, 13 décembre 2017

Je ne suis pas sûr d’avoir tout saisi de cette musique subtile, mais ce dont je suis sûr, c’est du plaisir que j’ai eu à l’écouter. Stéphane Payen et ses accolytes se sont donc attaqués au répertoire de Lee Morgan, pour le tordre, le déconstruire, le diluer, le condenser, le lire au premier degré ou ou trente-sixième, et en dernier ressort, par delà toutes les libertés prises, être quand même fidèle à l’énergie et à l’intensité animant tous ces grands disques, The Sidewinder, The Gigolo, Search for the New Land.
C’est donc cette musique charnelle, ruissellant de blues, qui sert de point de départ aux explorations tous azimuths (rythmiques, timbriques, harmoniques…) de Stéphane Payen et de ses musiciens. En ce qui concerne les explorations rythmiques, elles me passent un peu au-dessus de l’oreille. Je n’essaie même pas de m’accrocher, à la différence de mon ami Ludovic Florin qui a raconté dans une chronique récente ce qu’il avait perçu de la musique de Stéphane Payen, décrivant ce qu’il a joliment appelé ses « rythmes cubistes » pour en faire sentir les brisures et les superpositions.
Donc je ne comprends pas tout, et surtout pas ce qui se passe rythmiquement, mais je m’applique à ressentir cette musique, et j’apprécie cette sensation de tournoiement, de vertige, d’ivresse légère dans certains passages. Les arrangements élaborés pour la ligne des vents me fascinent par leur inventivité. Stéphane Payen semble avoir travaillé leur profondeur et leur densité à la manière d’un peintre: on a l’impression parfois de nuages transparents, légers et volatils comme des cirrus, ou au contraire de lourds cumulus chargés d’électricité. Et surtout, cela n’est jamais statique: cela tourne, mute, évolue, c’est une musique mouvante. Stéphane Payen joue sur les timbres, l’intensité, creuse l’art de rendre légèrement dissonante sa ligne de cuivres. Parmi ces soufflants, citons Sylvain Bardiau, à la trompette et au bugle, maître des suraigus miaulants, et Fred Gastard, au sax ténor, grondant et rageur, Matthias Mahler, et sa véhémence lyrique. La musique charnelle et vibrante de lee Morgan n’est donc jamais transformée en pâte incolore et abstraite, son intensité est préservée mais transposée. Ce qui préserve aussi l’intensité de cette musique c’est l’idée judicieuse d’avoir mis un corps étranger, la guitare distordue, frémissante, polyphonique de Gilles Coronado, au coeur de toutes ces constructions sonores. Elle crée une tension qui irrigue les escapades abstraites et atonales de Stéphane Payen et de ses accolytes. Formidable concert, et musique que l’on pourra réécouter sur disque, « Morgan the Pirate », paru sur le label Onze heures Onze.
Un mot de la première partie, le groupe The Khu, lui aussi sur label Onze heures onze. C’est une combinaison d’énergie guerrière et de recherches rythmiques. Cela donne une musique à angles aigus, à fleur de nerfs, où la répétition de certains motifs peut se transformer en hymne à tue-tête. Musique tendue, têtue, vibrante, énergique. C’est déjà plus que prometteur.

Download

Kami Octet, avec Pascal Charrier (guitare et compositions), Julien Soro (sax alto), Christine Bertocchi (voix), Yann le Collaire (clarinettes) Leo Pellet (trombone) paul Wacrenier (piano), Nicolas Pointard (batterie), 19 décembre 2017

Je ne connaissais pas le groupe Kami (qui existe pourant depuis une dizaine d’années, sous différentes configurations). Il n’est pas sans lien avec le groupe précédent puisque Stéphane Payen fait partie des références (nombreuses) de Pascal Charrier. C’est une musique narrative qui s’articule, pour ce projet-ci, autour du thème de la marche, pris dans un sens littéral et surtout métaphorique, celui de l’initiation. Ce thème n’apparaît pas explicitement dans les quelques phrases prononcées par la chanteuse Christine Bertocchi lors du premier morceau. Elle dit seulement: « Plus de saisons, plus de souvenirs, plus rien… » et ayant jeté ces phrases comme une poignée de petits cailoux, laisse ensuite aux instrumentistes le soin de creuser dans la direction qu’elle vient d’indiquer.
Puisqu’on parle de la voix, j’en profite pour souligner que le son très original de Kami tient beaucoup à cette voix qui se balade dans les aigus avec une facilité déconcertante (presque un violon par moments) et s’amalgame parfaitement avec les soufflants. Cette section de cuivres, augmentés de la chanteuse et de la guitare, délivre des phrases dramatiques, extraverties, lyriques. Julien Soro injecte dans ses solos son énergie habituelle, mais son rôle va bien au-delà puisqu’il apparaît aussi comme le chef de meute des autres soufflants. C’est une musique qui va très haut, très loin, et se confronte à la grandeur sans tomber dans l’emphase, ce qui est aussi rare que difficile.

Print-TNS-174

Photo: Nathalie Courau-Roudier

Trio Nouveaux Siècles avec Fred Couderc (saxophones), Julien Chirol (trombone), Michel Feugère (trompette), 18 décembre 2017

Le trio Nouveaux Siècles vient de faire paraître un beau disque « A la manière de Chicago », que j’ai beaucoup apprécié (au point d’ailleurs d’accepter d’en écrire le livret). Ce disque est une relecture très libre de l’histoire du jazz dont Chicago est un maillon essentiel (voire initial) puisque Jelly Roll Morton, Louis Armstrong, Bix Beiderbecke sont passés par cette ville en laissant dans leur sillage d’immortelles pépites.
Le Chicago des années 20 était donc une sorte de creuset rassemblant des communautés du monde entier (notamment de la vieille Europe) qui chacune avaient apporté leur musique. Julien Chirol, Michel feugère, Fred Couderc font sentir cette ébullition, cette richesse d’influences. Ils jouent Indiana, mais donnent à entendre des effluves de Satie, de Debussy, ou de klezmer, et finalement nous font ressentir l’atmosphère de l’époque, et tout cet humus primitif sur lequel le jazz a poussé.

Print-TNS-173

Photo: nathalie Courau-Roudier

j’avais donc écouté le disque, l’avais trouvé formidable, tout en me demandant s’il était possible de le rejouer sur scène. Il s’avère que oui. Julien Chirol, Michel Feugère, Fred Couderc ne sont que trois, mais jouent comme dix. Ils se démultiplient non seulement par leur énergie, mais grâce à tous leurs ustensiles: Julien Chirol et Michel Feugères ont disposé autour d’eux leur arsenal de sourdines, et Fred Couderc s’est entouré de quelques uns de ses saxophones préférés, le ténor, le sax basse, le C-Melody, et même le slide sax, saxophone à coulisse: autant d’instuments, précise-t-il, soucieux d’exactitude historique, qui étaient joués dans les années 20 et 30.
le magnifique et bouleversant « Pointe du sable » (dédié au fondateur métis de la ville) donne l’occasion à Fred Couderc de montrer ce que l’on peut faire au sax basse, avec un solo d’une explosive vitalité. Derrière l’énergie de cette musique se cache l’exil (des noirs, des Européens) et cette nostalgie est magnifiquement rendue par des morceaux comme Mémoires de Montparnasse, ou Pilsen Mood. L’usage des sourdines permet, au trombone et à la trompette de créer l’illusion de cordes. En plus des morceaux du disque, Fred Couderc joue au coudophone (un ténor droit fabriqué spécialement pour lui) Syrinx de Claude Debussy, et Mood Indigo de Duke Ellington, beau symbole d’un projet qui réussit à évoquer l’histoire d’une ville, Chicago, et l’histoire d’une musique, le jazz, en élargissant les perspectives et en refusant les cloisonnements.

Texte JF Mondot

Tony_Allen┬®AcAlvoet2017

La soirée TSF (quinzième édition) organisée par la radio du même nom et le duc des Lombards, a permis d’entendre une quinzaine de musiciens, soit un panorama du jazz mainstream d’aujourd’hui entre confirmations, révélations, et promesses.

BigBandBigre┬®AcAlvoet2017
Fred Nardin trio, China Moses, Tony Allen, Deva Mahal, Sons of kemet, Myles Sanko, Camille Bertault, André Manoukian, les doigts de l’homme, le grand orchestre Bigre, Remi Panossian trio, Jowee Onicil, Gaël Horellou, Laurent de Wilde trio, Arnaud Dolmen,
Le 12 décembre 2017, Salle Pleyel

Impossible de parler de tous et de toutes. Alors bornons-nous aux impressions sonores les plus marquantes (forcément subjectives) que je garde de cette soirée qui alternait musique et hommages sur grand écran (on a pu voir ainsi une belle version de Nuages par …Pierre Bouteiller, journaliste de France inter et France musique, décédé cette année).

Fred_Nardin┬®AcAlvoet2017
Je retiens le Fred Nardin trio qui a joué au tout début, après le grand orchestre Bigre, en se présentant dans une configuration différente de sa tournée d’automne. A la place de Rodney Green se trouvait Leon Parker dans le style janséniste qui le caractérise. Intéressant de constater à quel point la présence forte de ces deux batteurs infléchit la couleur du trio. Ce n’est pas mieux ou moins bien, mais c’est différent.
Tony_Allen┬®AcAlvoet2017

Je retiens aussi de cette soirée la prestation de Tony Allen venu pour son disque en hommage à Art Blakey. Il fait partie de ces batteurs qui ont non seulement un tempo et un son, mais un toucher. Il n’a pas besoin d’en faire beaucoup. J’ai encore dans l’oreille le son léger et un peu mutin de sa charley…

China_Moses┬®AcAlvoet2017
Quelques instants après China Moses et Luigi Grasso font entendre un duo complice sensuel, bien dans la tradition du jazz. Grasso me semble de plus en plus à l’aise au baryton, et surtout de plus en plus libre. Quant à China Moses, quel abattage…

Rhoda_Scott┬®AcAlvoet2017
Le groupe de Rhoda Scott a réalisé cette année un très beau disque cette année (« We free queens »). Rhoda Scott rappelle la synergie fatale entre le groove de l’orgue et la flamme des cuivres quand ils sont joués à ce niveau (aux saxophones, Lisa Cat-Berro et Sophie Alour).

Camille_Bertault┬®AcAlvoet2017
C’est dans la seconde partie de la soirée que, me semble-t-il, les pépites furent les plus nombreuses. La chanteuse Camille Bertault délivre en direct et sans trembler la toile de mots qu’elle a tissée autour de Giant Steps. Une vraie performance, mais plus que cela, car au-delà de cette virtuosité tout cela reste incroyablement musical. De surcroît, le texte qu’elle a imaginé sur le chef d’oeuvre de Coltrane est espiègle et fûté. Elle trouve même le moyen de citer une jolie phrase d’Alain Gerber: « Tout ce que tu sais tient dans ta tête, mais tout ce que tu ne sais pas déborde de ton coeur ». Brillant. C’est son complice Fady Farah qui l’accompagne au piano.

ShabakaHutchings&SonsOfKemet┬®AcAlvoet2017

La soirée, nous l’avons dit, est marqué par l’éclectisme. Après Camille Bertault, un groupe anglais explosif, Sons of Kemet, que je ne connaissais pas, propulsé très haut et très loin par les basses irrésistibles du tuba.
Je ne connaissais pas Sons of Kemet, mais j’avais écouté le disque de Julie Saury en hommage à son père Maxime. La qualité du disque est de redonner du neuf et du nerf à des vénérables saucissons (très belle version de Petite Fleur sur le disque ).

SauryJulieSextet┬®AcAlvoet2017
Ce soir sur scène, le groupe de Julie Saury joue à cache-cache avec le St Louis Women de WC Handy, dont le thème n’est révélé qu’à la fin. Admirables, foudroyantes interventions de Claude Egea, d’abord, puis de Fred Couderc au sax tenor et au soprano successivement puis simultanément: à l’instar de Roland Kirk auquel il a rendu hommage dans un disque remarqué, Fred Couderc embouche les deux en même temps. De même que pour Camille Bertault, la performance est au service de la musique. A la fin, le morceau bascule dans une sorte d’onirisme avec bruits d’oiseaux, de sauterelles.

Arnaud_Dolmen┬®AcAlvoet2017
Autre belle découverte: celle du groupe d’Arnaud Dolmen, avec Adrien sanchez au sax ténor, toujours passionnant dans tous les contextes où je l’ai entendu.
En fin de soirée, le trio de Laurent de Wilde affiche sa très grande forme avec un Round Midnight dont il a escamoté la ligne de basse originelle (il aime bien faire ça) pour la remplacer par une autre plus agressive et groovante.

LaurentdeWilde┬®AcAlvoet2017

Le thème perd sa valeur méditative mais devient une machine à danser, c’est un Round Midnight pour insomniaques dont laurent de Wilde explore avec gourmandise tous les recoins.

LesDoigtsdelHomme┬®AcAlvoet2017
La soirée se termine par les doigts de l’homme, du jazz manouche musclé, affûté, percutant (présence d’un batteur et d’un percussionniste) qui tourne à plein régime et délivre une musique d’une irrépressible énergie.
Texte : JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (autres dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com veux qui souhaiteraient acquérir un des dessins figurant sur ce compte-rendu peuvent s’adresser à l’artiste, annie_claire@hotmail.com)

Terrones┬®AcAlvoet2017 5
Dimanche dernier, une incroyable assemblée de musiciens s’est retrouvée au Sunset-Sunside pour un hommage musical au producteur Gérard Terronès

Franc╠ºois_Lemonnier┬®AcAlvoet2017 2

François Tusques, Manu Pekar, Gerard marais, Christian Lété, Françoise Franca Cuomo, Alain Jean-Marie, Cyril trochu, Jeff Sicard, Richad Bonnet, Irakli, Claude Barthélémy, Hélène Bass, Mirtha Pozzi, Joëlle Léandre, François Lemonnier, Raphaël Lemonnier, Paul Wacrenier, Xavier Bormon, Arnaud Sacase, Mario Quaresimin, Steve Potts, Caroline Faber, Alain Pinsolle, Dominique Collignon, Claire Gillet, Nelly Pouget, Julie Saury, danny Doriz, jacques Coursil, François Jeanneau, Harry Swift, John Betsch, Bobby Few, Jobic le Masson, Claudine François,Manuel Villarroel Borquez, Noel Mc Ghie, Eric Barret, Simon Goubert, sophia Domancich, Awa TimboGilles Naturel, laurent de Wilde, Gilles Naturel, David Beaussier, Nicolas Morinot, Aldridge Hansberry
Sunset-Sunside, 10 décembre 2017

Xavier Prévost a déjà rendu compte de ce concert ici-même, à sa manière chaleureuse et précise. Nous nous joignons à lui pour faire revivre cette soirée inoubliable en l’honneur du producteur Gérard Terronès, tout en renvoyant à un autre article, celui de Philippe Vincent, qui a retracé sur ce site la carrière du patron des mythiques labels Futura et Marge. Ce soir-là, au Sunside et Sunset, on put entendre des musiciens exceptionnels, bien trop rares dans les salles parisiennes, et qui ont prouvé qu’ils avaient encore beaucoup de musiques à offrir.

Franc╠ºois_Tusques┬®AcAlvoet2017 5
Ce fut le cas notamment de François Tusques. J’ai quelques disques récents de lui (notamment Le fond de l’air, avec Pablo Cueco et Mirtha Pozzi, où figure une merveilleuse version de Come Sunday). Mais je ne l’avais jamais entendu en direct. Pendant un quart d’heure, seul au piano, le voilà qui improvise avec une intensité rare. Il donne l’impression de penser devant nous, de penser avec ses doigts. Certaines idées sont fluides, d’autres exigent une mastication plus lente. Parfois les doigts de François Tusques attrappent des bribes de souvenirs, et tricotent des paragraphes autour de Bud Powell ou Thelonious Monk. On relève des obsessions et des associations d’idées. Quelques thèmes remontent à la surface de ces réflexions partagées: In my soliude, I got it bad, ou encore Salt Peanuts. C’est urgent, intense, personnel.

JeanMarie&Jeanneau┬®AcAlvoet2017
Peu de temps après lui, un autre « historique » de cette musique, François Jeanneau, lui-aussi en grande forme. Il est au saxophone soprano, en duo avec Alain Jean-Marie qui l’accompagne avec une souveraine délicatesse. François Jeanneau rappelle ce jour-là quel merveilleux joueur de ballades il peut être quand il le veut. Il joue une inoubliable version de Lush Life, en cabotant autour de la mélodie pendant qu’Alain Jean-Marie propulse dans ses voiles un vent porteur. Le son qui sort de son saxophone soprano est rond, souple, ferme, les traits rapides sont exécutés avec aisance. On se dit que ce serait formidable d’entendre à nouveau ce duo sur une soirée toute entière.
Franc╠ºois_Lemonnier@Raphael_Lemonnier┬®AcAlvoet2017
Dans cette soirée d’hommage, le tromboniste François Lemonnier joue un rôle particulier, à la fois organisateur et participant. Son duo avec son homonyme Raphaël au piano est un grand moment. François Lemonnier fait admirer au trombone sa virulence, sa maîtrise des doubles sons, et sa sensibilité écorchée dans une magnifique version du vieux Saint James Infirmary.

Terrones┬®AcAlvoet2017 5
Je garde aussi de cette soirée le souvenir de Jacques Coursil, un passage éclair et flamboyant, presque un rêve. Coursil joue a capella. C’est de la trompette nue. Mais quel son! Un vibrato rapide et très personnel, un voile épais qui parfois se déchire, une sorte de réverbération naturelle, quelque chose de très organique…On a l’impression qu’il fait tout seul et naturellement ce que d’autres trompettistes ne sauraient reproduire qu’avec les effets spéciaux des ingénieurs du son. Irrél, splendide.
Un autre musicien à se rappeler au bon souvenir des auditeurs: le grand Bobby Few, qui a joué avec Ayler, Jackie Mac Lean, Roland Kirk. Epais comme un filet de vinaigre mais vif, sautillant, espiègle, avec au piano un swing qui construit un pont entre hier et aujourd’hui. Avec John Betsch à la batterie et Harry Swift à la contrebasse, il joue magnifiquement un thème de Sun ra,Tapestry from an asteroïd</. A la fin du thème, letrompettiste Rasul Siddik vient ajouter son grain de sel, avec la poésie sifflante de sa trompette.
LeMasson&Naturel&Siddik&Betsch┬®AcAlvoet2017

Je termine par une dernière image sonore de cette soirée inoubliable, le saxophoniste Steve Potts (compagnon de route, entre autres de Steve Lacy) accompagné de manière vive et cinglante par Jobic le Masson au piano. Il souffle des phrases longues et inspirées. Raddul Siddik se joint à eux. Magnifique.
A la fin de la soirée, Laurent de Wilde, survolté, joue trois ou quatre morceaux de Monk avec Gilles Naturel à la contrebasse. Je n’ai pas connu Gerard Terronès. Mais en quittant le Sunset, je me dis qu’un homme qui a su inspirer l’amitié et la reconnaissance de tant de musiciens de style et d’univers différents était forcément un être exceptionnel.

Texte: JF Mondot
Dessins: Annie-Claire Alvoët (autres dessins, gravures, peintres à découvrir sur son site www.annie-claire.com )
(ceux qui voudraient acquérir l’un des dessins figurant sur cette chronique peuvent s’adresser à l’artiste: annie_claire@hotmail.fr)

abhra┬®AcAlvoet2017 3

Le groupe Abhra (en sanskrit: l’atmosphère, le vide) emmené par le saxophoniste Julien Pontvianne et la chanteuse lauren Kinsella, délivre une musique réunissant des caractéristiques souvent opposées, l’évidence et la complexité, la douceur et la profondeur.

Julien Pontvianne (sax ténor), Alexandre Herer (claviers), Lauren Kinsella (voix), Francesco Diodati (guitare), Matteo Bortone (contrebasse), Concert d’appartement chez Anh-Van Hoang, le 3 décembre 2017

abhra┬®AcAlvoet2017 5

Pour qualifier les constructions sonores de Julien Pontvianne et de ses amis, j’ai envie de parler de musique profonde. Pas planante, profonde. Quelle différence? Il me semble qu’une musique planante se donne toute entière dans le premier mouvement, tandis qu’une musique profonde ne dévoile d’abord qu’une partie de ses trésors, et sollicite votre concours (sinon de brancher votre intelligence, du moins d’allumer vos oreilles) pour vous permettre d’accéder au reste. Cette musique d’Abhra (que l’on peut retrouver sur un disque, paru sur le label du très actif et dynamique collectif Onze heures onze) se construit autour de la voix de Lauren Kinsella, voix mystérieuse, proche et lointaine en même temps, une voix qui chante un folk du fond des âges. Elle interprète avec intériorité des textes de Henry David Thoreau,chantre de l’écologie et de la décroissance avant la lettre, mais surtout poète et philosophe, auteur notamment de Walden (1854) où il raconte ses deux années de vie solitaire dans les bois.
Et donc, autour de cette voix de Lauren Kinsella, apparaissent et disparaissent des masses sonores. L’une des beautés de cette musique réside dans les relations mouvantes entre cette voix et son écrin sonore. Il se passe énormément de choses à l’arrière plan de cette voix: des tensions, des dissonances, des échos. Julien Pontvianne et ses copains, jardiniers malicieux et inventifs, font pousser des lianes ou des tapis de lichens. Cela bouge beaucoup mais dans une grande douceur, avec la voix qui ne cesse pas d’être au centre du jeu, un peu comme dans ces effets de studio des années 50-60, où le personnage reste immobile tandis que l’image autour de lui fait défiler des paysages variés.

abhra┬®AcAlvoet2017 1

Cet écrin sonore sans cesse renouvelé, est travaillé en finesse par des musiciens qui sont tous des maîtres de la nuance: Julien Pontvianne, qui semble jouer du souffle autant que du saxophone, Alexandre Herer, expert en textures saturées, dissonantes, répétitives, qui donne de la poésie à tout ce qu’il fait, Francesco Diodati, qui avec sa manière polyphonique de jouer semble être trois ou quatre guitaristes à la fois, Hannah Marshall, au violoncelle, qui apporte une dimension lyrique et vibrante aux constructions sonores de Abhra.

abhra┬®AcAlvoet2017 2

Le jeu sur les timbres est souvent sophistiqué sans que la musique ne perde de son apparente évidence. Comme dans le deuxième morceau, qui semble abolir les frontières entre saxophone, violoncelle, contrebasse. Cette musique profonde, envoûtante, intérieure ne vous abandonne pas après que la dernière note a été jouée, mais vous accompagne et semble vouloir prolonger ses échos et ses harmoniques dans votre mémoire.

texte : JF Mondot
Dessins: Annie-Claire Alvoët (autres dessins,peintures, gravures à découvrir sur le site www.annie-claire.com Ceux qui souhaiteraient acheter l’une des encres illustrant le texte peuvent s’adresser à l’artiste, annie_claire@homail.com tarifs modestes sauf pour les DRH et les taxidermistes)

23795533_10155808010537492_5115781661208702988_n

Post scriptum sur le Dexter Goldberg Trio: J’ai des ardoises. Des ardoises de musique. Des arriérés de comptes-rendu que je n’ai pas réglés rubis sur ongles et dont je m’acquitte le rouge au front avec un retard plus que coupable. Il y a une dizaine de jours, j’ai passé une excellente soirée au Sunside avec le Dexter Goldberg trio (batterie Kevin Lucchetti, contrebasse Bertrand Beruard). J’avais écouté ce trio au moment de sa formation, il y a deux ans. Il était plein de promesses. Il me semble que ces promesses se sont réalisées. Le trio a mûri. les trois musiciens possèdent à présent un vrai son de trio, c’est à dire qu’il y a un équilibre entre les membres du groupe, aucun n’écrase les autres, et les mouvements de la musique, les montées d’intensité, ou les retombées ne sont pas limitées à un seul instrument mais passent par tous les musiciens en même temps. En outre , les compositions de Dexter Goldberg ont du peps comme ce Tell me something new, qui me réjouit à chaque fois que je l’entends et le trio possède une manière très intéressante de détricoter les standards (belle version tout en allusion de I’ll remember April). Bref, un trio que l’on recommande sans réserve.