La nouvelle réédition “Super Deluxe” de “Close To The Edge” de Yes est-elle vraiment “la version définitive” de ce chef-d’œuvre enregistré en 1972 ? La réponse est oui.
Par Fred Goaty
Après “The Yes Album” et “Fragile”, la belle série de rééditions “Super Deluxe” des classic albums de Yes continue avec “Close To The Edge”, que d’aucuns considèrent à juste titre comme l’acmé de leur foisonnante discographie inaugurée en 1969.
Comme de coutume, le superbe coffret format 30cm contient un 33-tours histoire de retrouver les frissons d’antan (si vous êtes toujours équipé.e d’une platine vinyle), cinq CD et un blu-ray, sans oublier le non moins rituel livret de douze pages richement illustré avec ses liner notes signées Sid Schwartz. Apporté en mains propres par une fée (une amie de Jon Anderson sans doute) aux bureaux de l’Académie Tangentielle, cet objet-disque continue de nous faire croire, sinon à l’avenir, du moins au présent des disques dits “physiques”, qui restent qu’on le veuille ou non le support idéal pour se replonger dans les règles de l’art dans une œuvre majeure comme “Close To The Edge”.
Pour le “making of” de cet album emblématique du prog rock et qui a marqué plusieurs générations, on se reportera à la (passionnante) story détaillée de notre vieil ami Julien Ferté figurant dans le nouveau numéro de Jazz Magazine, actuellement en vente chez vos marchands de journaux (ou vos kiosques) préférés. Vous en apprendrez de belles sur Jon Anderson, Steve Howe, Rick Wakeman, Chris Squire, Bill Bruford et Alan White.
De notre côté, ouvrons donc ce coffret, pour tomber sur le dessin original de Roger Dean qui illustrait la “pochette qui s’ouvre” du 33-tours original, et sur lequel sont fichés grâce à de petites encoches les cinq CD et le blu-ray. « On en mangerait ! », oserait-on dire. Au gré du LP, des cinq CD ou du blu-ray, on découvre ou redécouvre l’album original remasterisé, les remixes 2025 de Steven Wilson (il s’y était déjà collé en 2013 pour la réédition Panegyric et a travaillé tranquillement puisqu’aucun mmbre de Yes ne s’est investi dans cette réédition), qui nous offre cette fois une version instrumentale de l’album (et c’est tout à fait passionnant à écouter pour saisir les moindres détails de la maestria des quatre instrumentistes du groupe – no offense Jon…), moult rarities (versioxxns single, rough, dry… notre préféré étant la studio run-through de Siberia), un “Live At The Rainbow, London, England” gravé le 16 décembre 1972 et, last but not least, les délices pour audiophiles : les mixes Atmos et 5.1 DTS-HD MA figurant sur le blu-ray – j’avoue cependant que les bons vieux mixes stéréo ont toujours un effet magique sur mes oreilles vintages…
Alors, faut-il investir dans cette nouvelle réédition “définitive” si vous avez déjà celle de 2013 ? Si vous êtes un hardcore fanatic, oui. Car un tel album mérite vraiment qu’on s’y abandonne avec tout le confort moderne.
PS : Le prochain magnum opus de Yes à bénéficier du traitement “Super Deluxe” sera-t-il “Tales Fom Topographic Ocean”, “Relayer” ou “90125” ? Restez branchés.
Coffret Yes : “Close To The Edge” (Atlantic / Rhino, déjà dans les bacs).
Photo ouverture : © Barry Plumer (Atlantic / Rhino).
Bill Bruford (bientôt sur le départ), Rick Wakeman (chapeau Rick !), Jon Anderson, Chris Squire et Steve Howe : les Yesmen. Photo : Neal Preston (Atlantic / Rhino).
Londres, décembre 2006. Avant de donner un concert au Jazz Café le jour où James Brown venait de tirer sa révérence, Fred Goaty avait interviewé Roy Ayers, qui vient de rejoindre le paradis des jazzmen. Un article à (re)découvrir en ce jour bien triste.
Par Fred Goaty
Votre mensuel favori l’avait prédit dès mars 1969 : ce Roy Ayers à peine trentenaire qui était venu dans nos locaux pour s’entretenir avec notre rédac’ chef d’alors, Jean-Louis Ginibre, était « en route pour le sommet ». Il venait de se produire trois soirs de suite dans un club parisien dont le nom allait résumer parfaitement la suite de sa carrière : le Caméléon [NDLR : 57, rue Saint-André-des-Arts, Paris : inutile d’y aller en pèlerinage, il a fermé depuis longtemps]. Un an plus tard, ce vibraphoniste qui faisait alors partie « des jeunes musiciens qui font parler d’eux, l’un des mieux armés pour affronter l’avenir, et qui possède une gamme de qualités dont l’étendue étonne » (dixit J.-L.G.) allait former le groupe Ubiquity. « Ubiquity, bien sûr, cela signifie “être partout en même temps”, et surtout au temps présent », nous confiait-il récemment à Londres, où nous l’avons rencontré, juste avant qu’il ne se produise pour six soirs de suite au Jazz Café – quarante ans après, Roy Ayers attire toujours les foules…
« Être partout en même temps » donc, à la manière de Joe Zawinul et de Wayne Shorter qui avaient choisi le nom de leur groupe – Weather Report : “Bulletin Météo” – pour signifier eux aussi leur envie de changement permanent, leur volonté de faire la pluie et le beau temps dans la jazzosphère ? « Je voulais avoir un son complètement différent. Vous savez, je ne me suis jamais limité au jazz. Même dans mes disque Atlantic, ceux de la fin des années 1960, on entend l’influence du rhythm’n’blues, de la pop et de la soul. Écoutez-les bien… Dans les années 1970, mes disques ont été classés dans les charts jazz, r’n’b et jazz, et même disco ! Ah ah ah ! »
Mais avant de s’installer à New York et de promener ses mailloches dans tous les sillons de la Grande Musique Noire, Roy Ayers a fait ses classes à Los Angeles. En s’inscrivant d’abord, en 1958, au Los Angeles City College pour y étudier sérieusement la théorie musicale. Un an plus tôt, ses parents avaient cassé leur tirelire pour lui offrir son premier vibraphone. Le jeune Roy entretint vite un rapport quasi fusionnel avec l’instrument, n’en dormant plus, passant des nuits entières à jouer. Il voue une admiration sans bornes à Cal Tjader.
Dans East L.A., à quelques pâtés de maison de chez lui, un autre gars de son âge, un certain Bobby Hutcherson, joue aussi du vibraphone et rêve de devenir aussi bon que son modèle, Milt Jackson, star du bebop et pièce maîtresse du fameux Modern Jazz Quartet. Roy et Bobby font rapidement connaissance et s’influencent mutellement – Hutcherson prend rapidement des cours avec Dave Pike [NDLR : un vibraphoniste de Detroit installé en Californie qui se fera connaître dans le monde entier en jouant avec le flûtiste Herbie Mann, qu’il quittera en 1964, remplacé par… Roy Ayers]. Roy et Bobby écument les clubs locaux, et finissent par jammer régulièrement avec les pointures de la scène jazz locale : les pianistes Hampton Hawes, Phineas Newborn, Jr. et Jack Wilson, le saxophoniste Harold Land, le contrebassiste Leroy Vinnegar ou le batteur Chico Hamilton.
En 1962, Ayers remplace Hutcherson dans le big band de Gerald Wilson. Il joue ensuite avec Curtis Amy, puis Vi Redd. C’est lors de l’un de ses gigs avec la saxophoniste qu’il fait la connaissance de Leonard Feather, le célèbre critique, pianiste et compositeur anglais, qui décide de produire son premier album pour United Artists, “West Coast Vibes”. Son deuxième album, “Virgo Vibes”, ne paraîtra que quatre plus tard, en 1967. Entre-temps, il a fait la connaissance d’Herbie Mann. « C’est Reggie Workman qui m’a présenté à Herbie Mann, racontait-il à Jean-Louis Ginibre en 1969. Lorsque Dave Pike a quitté Herbie, le trombone Jack Hitchcock, qui jouait dans l’orchestre, l’a remplacé provisoirement au vibraphone. Il jouait simplement les accords. C’est un merveilleux tromboniste, mais un vibraphoniste moyen. Il le sait, Herbie aussi. C’est pourquoi ils cherchaient tous deux un vrai vibraphoniste. Un soir, l’orchestre était au Hermosa Beach ; je suis allé faire le bœuf. Ce que j’ai fait a plu et Herbie m’a demandé de me joindre à son groupe. Nous sommes allés à Chicago pour jouer pendant deux semaines au Plugged Nickel, puis à New York. Depuis, je n’ai pas quitté l’orchestre. » Il semble donc bien qu’après sa mère et Lionel Hampton, le défunt flûtiste new-yorkais soit la personne qui ait eu le plus d’influence sur Roy. Impossible, cependant, de ne pas revenir sur son enfance avant de parler d’Herbie Mann.
« Ma première émotion musicale ? Elle est double : je la dois à ma mère et à Lionel Hampton. Ma mère était professeur de piano, elle recevait ses élèves à la maison. Mes parents passaient tout le temps des disques de Lionel Hampton. À force, j’avais l’impression d’être Lionel Hampton : il était en moi, vous comprenez ? Je l’ai vu en concert quand j’avais cinq ans, il m’a donné une paire de mailloches, vous connaissez cette histoire, n’est-ce pas ? Si je les ai encore ? Non… Mais j’aimerais bien ! J’ai dû les perdre en jouant avec, je n’étais qu’un môme… Ma mère a toujours été persuadée que Lionel avait exercé une influence spirituelle sur moi, parce que douze ans plus tard je commençais moi-même à jouer du vibraphone. Lionel était très populaire à cette époque. Tout le monde le respectait – TOUT LE MONDE ! Bird, Miles, Max Roach, Horace Silver, Donald Byrd, même Trane… À la maison, on écoutait aussi des disques de Dinah Washington, que ma mère adorait, et des bluesmen aussi, Lowell Fulson, B.B. King… Mais surtout Lionel Hampton en fait ! »
Entre Superman Lionel, l’idôle éternelle (avec qui il finira par donner un concert exceptionnel dans les années 1970), et Herbie Mann l’homme providentiel « qui a changé [sa] vie », il n’y eut donc que quelques années d’apprentissage – sept précisément, entre le jour où ses parents lui offrirent son vibraphone (on imagine que ce devait être le 9 septembre 1957, jour de ses 17 ans) et celui où Mann lui demanda de devenir son vibraphoniste attitré.
Dès 1964, Ayers va tourner intensément avec le flûtiste : « C’est grâce à lui que j’ai été reconnu internationalement. » En 1969, Mann, Ayers et un groupe de musiciens de Memphis entrent en studio. L’ambiance est très “soul jazz”. Ils gravent notamment une reprise du Chain Of Fools d’Aretha Franklin. Larry Coryell et Sonny Sharrock sont à la guitare. Sur Hold On, I’m Comin’ (un tube de Sam & Dave), Sharrock, qui enregistrera un an plus tard avec Miles Davis, lâche un solo blues-free-rock-vitriol d’anthologie. « “Memphis Underground” ? C’était un disque très spontané. Larry et Sonny Sharrock étaient là. Et Miroslav Vitous jouait de la basse sur Hold On I’m Comin’. Incroyable ! Larry n’en revenait pas : voir un guitariste jouer aussi “out”, aussi free que Sonny ! Sonny était totalement… comment dire ? Disons que les changements d’accords, ce n’était pas son truc ! Il était complètement free, il ne se souciait pas du tout de la structure, de la forme. La vraie liberté ! Vous savez, il y a un cercle où la plupart des gens se tiennent. Certains sont en dehors de ce cercle… Mon saxophoniste, Redford Gaskins, continue de jouer “out”, hors des structures, c’est très créatif… C’est Herbie qui avait eu l’idée d’engager Sonny. Herbie était vraiment un type formidable, un novateur, très ouvert d’esprit. Il a produit un album de Sonny Sharrock, “Black Woman” [Vortex/Atlantic, 1969]. Je me rappelle qu’à l’époque où il est sorti, nous avons donné un concert spécial pour le maire de Cincinatti. Après avoir été calmement annoncée par Herbie, Linda Sharrock, la femme de Sonny, est montée sur scène et s’est mise à hurler ! Larry [Coryell] n’en croyait pas ses oreilles, il ne savait plus où se mettre ! Avec Herbie, j’ai appris le business de la musique, mieux qu’avec quiconque. Herbie aussi était un type si cool, si créatif… Nous avons même enregistré un disque pour Columbia Japon – il est très dur à trouver aujourd’hui ! – avec Sonny Sharrock et Miroslav Vitous. Il y a une version de I’m Comin’ Home Baby et du All Blues de Miles Davis. »
Miles Davis justement. Encore un sujet d’enthousiasme pour Roy Ayers, l’homme qui n’aime rien tant que les vibrations positives : « Herbie Mann a-do-rait Miles Davis. On a souvent joué dans les mêmes festivals. À la même affiche, il y avait Thelonious Monk, Cannonball Adderley, Nina Simone, Marvin Gaye parfois… Wow ! Quelle époque merveilleuse ! Non, je ne suis pas nostalgique, je suis juste heureux d’avoir vécu ça, d’être toujours sur terre, vivant… Ce que je pensais, moi, de Miles ? C’est mon musicien favori de tous les temps. Pourquoi ? Parce qu’il est cool. Parce qu’il avait la classe, et parmi les gens que j’ai connu ou que je connais, il y en a très peu, croyez-moi, qui avaient VRAIMENT la classe : Miles, Duke Ellington, James Baldwin et, à un degré moindre, Quincy Jones. Avant que je ne rencontre Miles pour la première fois, en 1974 je crois, Herbie Hancock m’avait dit : “Tu vas voir, Miles va essayer de te frapper dans l’estomac pour voir si tu es en forme !” Chez lui, on s’est mis très vite à parler boxe. C’était l’époque où Mohamed Ali allait rencontrer George Foreman, et Miles était persuadé qu’Ali allait être mis k.o. par Foreman ! [NDLR : c’est Ali qui a gagné…] Et, effectivement, en plein milieu de la conversation, il a essayé de me frapper dans l’estomac. Mais je n’avais pas oublié ce que Herbie m’avait dit, et je m’y attendais depuis la minute où j’étais entré dans son salon ! Je l’ai laissé faire, j’avais les abdos bien tendus, et j’ai fait “Oooouuh…”. Miles a été impressionné : “Hey man, tu as l’air en forme…” Quel honneur d’avoir été frappé dans l’estomac par Miles ! »
À l’époque où le trompettiste faisait le coup de poing amical avec notre vibraphoniste, ce dernier était au sommet de sa popularité, qui allait durer jusqu’au début des années 1980, jusqu’à la fin de son contrat avec Polydor (label pour lequel enregistraient aussi James Brown et Mandrill). Ayers enchaîne alors à un rythme effréné les 33-tours à succès avec Ubiquity, dont le personnel ne cesse d’évoluer. La simple énumération de ceux qui ont participé à son épopée discographique seventies laisse rêveur : les batteurs Billy Cobham (avant qu’il ne rejoigne le Mahavishnu Orchestra de John McLauhglin), Alponze Mouzon (du Weather Report première manière), Dennis Davis, Ricky Lawson (futur Yellow Jackets), Bernard “Pretty” Purdie et James Gadson, le saxophoniste de Sonny Fortune (que Miles embauchera en 1975), le tromboniste Wayne Henderson (ex-Crusaders, qui a produit plusieurs disques d’Ayers), les claviéristes Harry Whitaker et Philip Woo, le guitariste James Mason, le contrebassiste Ron Carter, le trompettiste Charles Tolliver, le percussionniste Dom Um Romao, sans oublier Fela Kuti, avec qui Ayers effectuera une tournée africaine qui le marquera à vie. L’album dont il est le plus fier, “Africa, Center Of The World”, a été enregistré peu après sa collaboration avec le génial Nigérien.
Dans les années 1980, son séduisant jazz-funk aux atours disco (à partir de “No Stranger To Love”, 1979), aux mélodies accrocheuses et aux harmonies suaves passera un peu de mode. Mais grâce à la vague “acid jazz” du début des années 1990 qui remit au goût du jour les sonorités “seventies”, il reviendra sur le devant de la scène. Depuis, ses concerts ne désemplissent pas, même si ses disques récents marquent moins les esprits qu’auparavant. Ce regain de popularité, il le doit aussi aux rappeurs-sampleurs, dont il est l’heureuse “victime” depuis la fin des années 1980 : « Je me souviens parfaitement de la première fois où j’ai entendu un sample de ma musique. C’était un groupe de Brooklyn, le X Clan. Ils m’avaient “emprunté” Red, Black And Green. J’ai aimé, mais ce qui m’a contrarié c’est qu’ils ne m’avaient pas demandé la permission. Après tout, c’est ma musique ! Je ne connaissais pas encore toutes ces techniques d’enregistrement, je savais que pleins de types samplaient James Brown, c’est tout. Mon avocat les a contactés, et tout s’est bien passé. Je dois admettre que ça m’a rapporté pas mal d’argent, je n’ai pas à me plaindre. » Message personnel au petit monde du hip hop : « La plupart ne savent pas vraiment jouer d’un instrument, mais certains d’entre eux, comme The Roots, ont fait d’énormes progrès. J’espère pour eux qu’ils vont continuer dans cette voix, travailler, composer. Il faut qu’ils s’investissent sérieusement. Mon style a souvent été copié, et il faut qu’ils comprennent que je ne l’ai pas CRÉÉ : il provient avant tout de mes collaborations avec d’autres musiciens. »
Hey Monsieur Ayers, avant qu’on se quitte, je voulais vous demander : ça ne vous contrarie pas trop que Polydor n’ait jamais réédité sérieusement tous vos disques ? « Je crois qu’ils attendent que je meure… » Ok, Roy, rien ne presse.
Alors que la grande soulwoman vient de tirer sa révérence, nous republions l’article qui lui avait été consacré dans notre n°737. Fin 1969, Roberta Flack sortait son somptueux premier album, “First Take”, qui se situait à la croisée des chemins qui mènent à la soul music, au gospel, au folk et au jazz. À ses côtés, Ron Carter et Donny Hathaway, entre autres…
par Fred Goaty
Si aujourd’hui Roberta Flack ne se produit plus guère sur scène et n’a pas sorti de vrai nouveau disque depuis des lustres, elle n’en reste pas moins une artiste majeure de la soul music, qui a toujours su s’entourer des meilleurs auteurs-compositeurs et musiciens – souvent de jazz. Dès le milieu des années 1940, attirée par le piano, elle se met, comme beaucoup de jeunes filles afroaméricaines, à jouer dans les églises, à accompagner des chœurs gospel et interpréter des hymnes et des spirituals. En 1952, elle obtient à 15 ans une bourse pour étudier à la prestigieuse Howard University de Washington, DC. Elle y parfait sa culture musicale, notamment classique, et quatre ans plus tard devient enseignante, après avoir été la plus jeune étudiante de l’université ! Mais la mort de son père l’oblige à retourner en Caroline du Nord pour enseigner l’anglais. Et la musique, tout de même. Puis elle retourne à Washington pour accompagner cette fois des chanteurs d’opéra. Sa vie prend un autre tournant quand elle obtient en engagement régulier dans un club-restaurant, Mr. Henry. Entre temps, l’un de ses professeurs de chant lui avait suggéré que ses qualités vocales pourraient lui assurer plus d’avenir dans la pop que dans la musique classique… Message reçu.
Une voix envoûtante
Chez Mr. Henry, Roberta Flack fait sensation. Le restaurant ne désemplit pas. Sa voix tout en retenue, manière d’éloge de la lenteur et de la douceur mêlées, et pour tout dire envoûtante, fascine le public. Un soir, le pianiste Les McCann, de passage à Washington, tombe instantanément sous le charme. Coup de fil à son producteur Joel Dorn, qui travaille pour le label Atlantic. Dorn est conquis à son tour, mais avant d’entrer en studio pour enregistrer son bien nommé premier 33-tours, “First Take”, Roberta Flack travaille sur une trentaine de démos, à Manhattan, en novembre 1968. Parmi les chansons couchées sur bande, Afro Blue, le fameux thème de Mongo Santamaria, mis en paroles par Oscar Brown, Jr. (enregistré pour la première fois en 1959 par Abbey Lincoln), Ain’t No Mountain High Enough, le tube de Marvin Gaye et Tami Terrell, ou encore la ballade Frankie And Johnny, dont l’arrangement évoque clairement All Blues de Miles Davis. [Ces démos figurent dans la “50th Anniversary Deluxe Edition” de “First Take” parue en 2020, NDLR.] Mais le meilleur reste à venir : trois mois plus tard, elle se retrouve devant le grand piano du studio Atlantic, au n° 1841 de Broadway. John Pizzarelli est à la guitare, Ron Carter à la contrebasse et Ray Lucas à la batterie. En trois jours, elle grave les huit chansons de “First Take”, l’un des meilleurs premiers albums de tous les temps, si riche et si varié qu’il ressemble presque à un “best of” !

Grandeur d’âme
Quelques semaines avant l’album, le 45-tours de Compared To What avait donné le ton : une ligne de basse inoubliable de Ron Carter, le chant comme hanté par ses racines gospel de Roberta Flack, les arrangements de cuivre de William Fischer. Voilà ce qu’on appelle un classique instantané, alors que son “découvreur”, Les Mc Cann, avait déjà enregistré cette chanson d’Eugene McDaniels en 1966, et qu’il en donnera une autre version dans son légendaire live de 1969 avec Eddie Harris, “Swiss Movement – Recorded Live At The Montreux Jazz Festival, Switzerland”. Autre grand moment, Tryin’ Times, signé par deux autres anciens de la Howard University, Donny Hathaway et Leroy Hutson. Une chanson sur les injustices et les inégalités sociales qui démarre par une intro d’une longueur qui, aujourd’hui, laisse rêveur… (Donny Hathaway lui-même l’enregistrera sur son premier album, un an plus tard.)
Play roberta for me
Puis un certain Clint Eastwood entre dans la danse en choisissant d’inclure The First Time Ever I Saw Your Face dans son premier film, Play Misty For Me (Un frisson dans la nuit). Résultat : trois ans après son enregistrement, cette touchante ballade sortit à son tour en 45-tours pour atteindre les sommets des charts et obtenir deux Grammy Awards. Jusqu’au milieu des années 1980, Roberta Flack restera fidèle à Atlantic, enrichissant régulièrement sa discographie d’autres splendeurs : “Chapter Two”, son album en duo avec Donny Hathaway, “Quiet Fire”, “Killing Me Softly”, “Feel Like Makin’ Love”… Avec Nina Simone, Roberta Flack est la plus grande porte-voix de la condition féminine de sa génération, une grande dame à la grandeur d’âme inégalée. Citons, sans le traduire car il “sonne” bien mieux ainsi, un passage d’un poème de Jeffrey W. Kimmel dédié à Roberta Flack : « She is a woman of mirrors / Mirrors are superficial, usually distorded and they reverse you / Left is right and what appears right may be wrong / So you see, Roberta doesn’t sing at all / Her songs are not songs, they areparyerful tales / Her songs are not just sung, they are mournful wails / For love, for love, for love. »
Photo © Russ Cain
L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme.
François Todibert (de Paris) avait choisi :
Trouble In Paradise
Randy Newman
Warner Bros. Records
1982
« Je vous parle certes d’un temps que les moins de cinquante ans, etc., mais tant pis : je tenais vraiment à défendre ce disque d’un artiste génial, dont je me souviens avoir lu des critiques mitigées en France, parce que trois musiciens de Toto (Steve Lukather, David Paich et Jeff Porcaro, des ringards), mais aussi Neil Larsen, Michael Boddicker ou Dean Parks (idem) jouaient dessus, soit, en vérité, la crème de la crème des meilleurs musiciens de studio de L.A. Aah, Los Angeles, parlons-en : dans la mémorable I Love L.A., le toujours (génialement) sarcastique Randy Newman jouait encore avec nos nerfs : était-il sérieux ou bien ? Laissait-il vraiment Chicago aux Esquimaux ? Trouvait-il réellement que les New-Yorkais étaient habillés comme des singes ? Mais au-delà de l’apparente légèreté de ce presque-tube qu’on entendait souvent sur RFM en son temps, cet auteur-compositeur de génie abordait des sujets graves de manière bouleversante, comme dans les déchirants Christmas In Capetown ou Song For The Dead. Comme ne pas aimer passionnément, aussi, My Life Is Good, qui ressemble à un court-métrage où l’on croise Bruce Springsteen, prêt à offrir son titre de “Boss” à son pote Rand’. PS : J’imagine que vous vous souvenez du passage de Randy Newman dans Les Enfants du Rock fin 1982… »
#fredgoatylapepitedujour #lapepitedujour #comingaoût #25disquessortentdubois #randynewman
L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme.
Patrick Bois (de Charolles) avait choisi :
Scenario
Al Di Meola
Columbia
1983
« Un an après “Tour De Force – Live”, qui marquait un peu la fin d’une époque, et l’année où était aussi sorti le premier album studio de son légendaire trio avec Paco De Lucia et John McLaughlin, “Passion, Grace & Fire”, Al Di Meola nous avait offert un “Scenario” dont les rebondissements avaient surpris plus d’un fan du guitariste, tant il se réinventait au gré de ces neuf morceaux qui sentaient le neuf. Finies les prouesses ouvertement virtuoses – ce qui nous avait certes procurés un immense plaisir depuis ses débuts en solo en 1976 –, place aux nouvelles sonorités de cette nouvelle décennie, qu’il abordait avec la volonté de ne surtout pas se répéter. Ce fut chose faite, toujours en compagnie du fidèle Jan Hammer, mais du Jan Hammer “post-Miami Vice”, capable de composer ou cocomposer des instrumentaux bien dans leur époque, portant sa griffe – tel le bien nommé Sequencer –, fort d’un arsenal de claviers lui aussi renouvelé (le fameux Fairlight faisait son apparition). Chaque morceau avait sa propre personnalité. Celui qui donnait son titre à l’album était un duo exceptionnel entre Di Meola et Hammer. Et quelle surprise, enfin, de retrouver Phil Collins dans Island Dreamer, et la section rythmique de King Crimson – Tony Levin et Bill Bruford – dans Calliope. Un grand disque à redécouvrir sans attendre. »
#fredgoatylapepitedujour #lapepitedujour #comingaoût #25disquessortentdubois
L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme.
Jean-Philippe Martin (de Toulouse) avait choisi :
Apasionado
Stan Getz
A&M Records
1990
« Avant de rencontrer le producteur français Jean-Philippe Allard au début des années 1990 et d’aligner quelques classiques avec le pianiste Kenny Barron, le grand Stan Getz avait enregistré sous la supervision d’Herb Alpert cet album au son soft et séduisant, “radio friendly” comme on dit aux États-Unis. D’aucuns l’avaient trouvé trop poli pour être honnête, mais c’était oublier que l’impressionnante discographie était jalonnée de disques tel que celui-ci, certes faciles d’accès mais pas moins ambitieux dans leur conception. Dès le premier morceau, qui donne son titre au disque – tout est coécrit par Herb Alpert, le claviériste Eddie Del Barrio et Getz, sauf la Waltz For Stan, signée par Del Barrio, et Lonely Lady, de Mike Lang –, la sonorité du saxophoniste fait merveille, et les premières notes qu’il joue m’ont toujours fait craquer. Plus loin, dans Madrugada, sa complicité avec Kenny Barron – on oublie parfois qu’il joue aussi sur ce disque ! – est un pur bonheur. Et que dire des accompagnateurs conviés par Herb Alpert : le percussionniste Paulinho Da Costa, le bassiste Jimmy Johnson ou encore le batteur Jeff Porcaro. Tous contribuent à faire de ce disque ensoleillé un modèle de softitude, un concentré de bonheur musical. »
#fredgoatylapepitedujour #lapepitedujour #comingaoût #25disquessortentdubois #stangetz
L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme.
Claude Aroussia (de Quimper) avait choisi :
The Camera Never Lies
Michael Franks
Warner Bros. Records
1987
« Deux ans plus tôt, il y avait eu “Skin Dive”, où affleuraient déjà les sonorités “eighties”, parce que mine de rien, le génial Michael Franks a toujours vécu avec son temps, épousé les avancées technologiques avec la coolitude qu’on lui connaît depuis toujours. (Seuls les demi-sourds qui croient avoir bon goût condamnent d’avance ce genre de disque, sans se rendre compte que “The Camera Never Lies” commençait très fort, avec l’une de ces chansons au refrain magique dont il a le secret, Face To Face, avec, s’il vous plaît, Dave Weckl à la batterie et Steve Khan à la guitare. Tout au long du disque, le mésestimé claviériste et arrangeur Rob Mounsey fait un superbe travail. I Surrender (avec un solo de guitare d’Hiram Bullock), The Camera Never Lies (avec la basse de Marcus Miller qui gronde et, une fois de plus, un Steve Khan étincelant), le minimalisme sensuel de When I Think Of Us, cette voix toute de langueurs héritées de chanteurs bossa… Un vrai défilé de pop songs inspirées, jusqu’à cette folie humoristique et funky, Doctor Sax, avec sa légendaire intro signée Michael Brecker. Ah !, ces paroles : “At night he’s Doctor Sax / He’s Mister Tenor Virtuoso / He plays to rhythm tracks on tape / No one like Doctor Sax / Not even Trane or Bird could blow so / The girls have heart attacks, they say (he’ll put it all on wax one day).” Un régal ! PS : Quelqu’un a-t-il des nouvelles de ce super vendeur de la Fnac Montparnasse qui était le sosie de Michael Franks ? Quand je montais à Paris dans les années 1980, il me donnait toujours des super conseils… »
L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme.
Julien Bétiolle (de Saint-Denis) avait choisi :
Through Any Window
Neil Larsen
MCA Records
1987
« Quelle surprise ! Laquelle me direz-vous ? Mais celle d’entendre Carnival sur ce disque du claviériste Neil Larsen, marqué par un solo décoiffant de Michael Brecker au saxophone ténor. Pourquoi connaissait-on déjà ce morceau ? Parce que le grand Miles Davis lui-même le jouait sur scène depuis 1986. Il l’avait renommé Carnival Time parce que Randy Hall et Zane Giles avaient ajouté un pont, et c’était l’un des meilleurs moments de ses concerts (qui en comptaient certes beaucoup). Il me fallait donc écouter ce disque (à l’époque, il y avait souvent un service d’écoute chez les disquaires), car tout ce qui touchait de près ou de loin à Miles le Grand importait – et importe toujours – énormément pour moi. L’autre belle surprise, c’était que “Through Any Window” était un excellent disque de jazz en fusion, enregistré par un artiste dont on avait appris par cœur, quelques années plus tôt, les deux 33-tours pour Horizon Records / A&M Records (“Jungle Fever” en 1978 et “High Gear” en 1979), ainsi que les albums avec son compère Buzz Feiten, sommets de la pop West Coast. Quel bonheur de goûter ce jazz mélodique, servi par des “top players” (Nathan East, Steve Ferrone, Lenny Castro, son pote Buzz) et quelques solistes invités comme David Sanborn au sax alto (dans Tonar) ou Steve “Luke” Lukather, qui met le feu dans Blind Spot. Quant à Hip-Hug Her, c’est une belle fin rhythm’n’blues. J’en profite au passage pour vous recommander son successeur de 1989, “Smooth Talk”, enregistré avec la même équipe. »
#fredgoatylapepitedujour #lapepitedujour #comingaoût #25disquessortentdubois #neillarsen
L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme.
Gilles Loupo (de La Ferté-Milon) avait choisi :
Flash
Jeff Beck
Epic
1985
« Cinq ans plus tôt, Jeff Beck avait conclu sa légendaire trilogie jazz-rock avec “There And Back”, qui faisait suite à “Blow By Blow” et “Wired”. Et je dois avouer que le simple fait de lire les noms d’Arthur Baker, Nile Rodgers et Rod Stewart au verso de la pochette m’a tout de suite fait comprendre, avant même d’écouter le disque, que Mister Beck en avait fini avec la musique instrumentale “en fusion”. L’heure était donc à la pop, au funk et à la soul, principalement chantée (par Jimmy Hall, son vieux pote Rod, et même lui, comme au temps de Hi Ho Silver Lining !), avec moult boîtes à rythmes et synthétiseurs dernier cri. Seules exceptions les instrumentaux Escape de Jan Hammer, très “Miami Vice”, et You Know, We Know de Tony Hymas – unique lien avec les années jazz-rock. À la première écoute, j’étais totalement désorienté ! Certes, Mister Beck était en pleine phase pop rock (la même année, il avait posé plusieurs solos sur premier album de Mick Jagger et, en 1984, sur Private Dancer de Tina Turner), mais les morceaux produits par Nile Rodgers, par exemple, avaient embarrassé plus d’un vieux fan, très proches qu’ils étaient du son des deux premiers albums en solo de leader de Chic. Mais, après plusieurs écoutes, j’avais fini par m’habituer à ce joyeux bazar où, semble-t-il, Mister Beck s’était bien amusé. Get Workin’ est un morceau très fun, presque second degré. Quant au seul morceau produit par le guitariste, la reprise de People Get Ready de Curtis Mayfield, c’est un concentré d’émotion : Rod Stewart chante magnifiquement, et Mister Beck est touché par la grâce de début à la fin. Non, “ Flash” n’est pas un chef-d’œuvre mais j’y suis profondément attaché. Et puis, trois ans plus tard, Mister Beck revint avec le grandiose “Guitar Shop”, alors… »
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L’été dernier, au mois d’août, un(e) fidèle de la Pépite du jour nous avait parlé chaque matin d’un disque incompris, mésestimé ou oublié qui lui tenait à cœur. Retrouvez jusqu’au 3 janvier cette sélection d’un réjouissant éclectisme.
Michel Lonfleur (de Rivière-Pilote) avait choisi :
Hughes & Thrall
Hughes & Thrall
Portrait
1982
« Ces dernières années, la notion de “disque culte” a, me semble-t-il, été trop souvent sollicitée. Mais qu’on me permette de marquer de ce sceau le seul et unique album de Glenn Hughes et de Pat Thrall, car s’il est un disque vraiment culte, c’est bien celui-là. Avant d’unir ses talents de chanteur et de bassiste à ceux de Pat Thrall, guitariste qu’on avait découvert aux côtés d’un autre Pat (Travers) et avec Stomu Yamashta pour le projet fusion “Go”, Glenn Hughes, je n’apprends rien aux habitués de la Pépite du jour, avait fait partie de Trapeze, puis, bien sûr, de Deep Purple. Après son premier album solo, “Play Or Die”, paru en 1977 (qui avait failli être produit par David Bowie…), il avait disparu des radars pendant plusieurs années. Un projet de Supergroup avec le guitariste Ray Gomez et le batteur Narada Michael Walden, pourtant signé sur Atlantic, ne vit finalement jamais le jour (dommage !), contrairement à son duo avec Pat Thrall, monument de hard-rock mélodique et funky avec des touches pop évoquant un peu un Police survitaminé. Le riff de Muscle And Blood est phénoménal, le groove de Hold Out Your Life très impressionnant, et vocalement parlant, Glenn Huges est au sommet de son art : sa culture soul, son amour pour Stevie Wonder et sa puissance vocale hors du commun faisaient alors de lui un chanteur qui méritait son surnom, “The Voice Of Rock”. Cet album a été réédité en 2006 par le label Rock Candy. Et je souviens avoir lu une interview de Mister Hughes dans Muziq à l’époque ! »
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