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Le Salon de Muziq
Publié le 14 Oct 2025

D’Angelo par Michael League : souvenirs d’un fan

Fin janvier 2000, l’impact du deuxième album de d’Angelo, “Voodoo”, fut immédiat. Sur les amateurs de musique comme sur les musiciens. Pour preuve, ce témoignage du fondateur, leader et bassiste de Snarky Puppy Michael League.
Par Fred Goaty

Vous aviez 15 ans quand “Voodoo” est sorti. Êtes-vous immédiatement tombé sous le charme de ce disque ?
Je suis tombé amoureux de cette musique, mais d’une façon étrange. Je l’ai aimée instantanément, mais je ne l’ai pas tout de suite comprise. C’était si frais, si différent du R&B surproduit, clinquant (et souvent ringard) des années 1990. J’avais le sentiment que mon jugement sur ce disque changerait au fur et à mesure que je l’écouterais, et c’est exactement ce qui est arrivé. Je l’ai découvert dans la voiture d’un de mes amis – j’allais jouer avec son groupe, dans une église, et à enjuger comment lui et les autres membres de son groupe parlaient de “Voodoo”, j’ai vite compris que cet album allait causer une révolution dans la communauté musicale noire américaine.

Et vous, de prime abord, qu’avez-vous aimé le plus dans “Voodoo” ?
Je ne peux pas vraiment pointer ce que j’ai aimé le plus : en ce qui me concerne tout marchait à pleins tubes dans ce disque. Super songwriting, super paroles, super production (principalement minimaliste), super arrangements, super performances musicales, super musiciens, super enregistrement, super mixage, super mastering : on avait le sentiment d’avoir un pied dans la passé (la tradition) et un autre dans le futur. Ça semblait être une suite radicale à “Brown Sugar”, son album précédent, mais ceux qui l’avaient vraiment écouté savaient que D’Angelo avait en lui quelque chose de spécial en train de se développer.

Cette manière de jouer “en arrière du temps”, cette “attitude rythmique” si caratéristique de “Voodoo”, comment la définiriez-vous ?
J’ai appris de Charlie Hunter, qui a coécrit et qui joue sur trois chansons dans “Voodoo” [The Root, Spanish Joint et Greatdayndamornin’/Booty, NDLR], qu’une grande partie de ce jeu “en arrière du temps” a été affinée au moment de l’editing, dans la salle de contrôle, après l’enregistrement. Ça n’avait pas été enregistré de cette manière. Charlie m’avait dit que D’Angelo avait ce son en tête, mais que le groupe ne pouvait pas jouer exactement ce qu’il voulait. En blaguant à moitié, Charlie m’avait avoué : “Je suis d’Oakland, et si une chanson ne se termine pas plus vite qu’elle n’a commencé d’au moins 10 BPM, c’est qu’il y a un problème !” Donc je pense que D’Angelo a probablement dû dire : “Faites du mieux que vous pouvez, et la technologie fera le reste.” Certaines personnes pourront être déçues en entendant ça, mais pour moi – et si ça c’est vraiment passé comme ça –, c’est encore plus impressionnant. Cela prouve qu’il avait un son en tête, et qu’il était si précis et si nouveau que même les meilleurs musiciens du monde ne pouvaient pas complètement le matérialiser. Quand le disque est sorti et qu’on l’a écouté en boucle des centaines de ois, il est vraiment entré dans la tête de TOUT LE MONDE. Il a défini la manière dont on a joué de la musique orientée groove depuis. Et de toute façon, ce n’était pas la première fois que la technologie influençait, infléchissait une performance humaine. Pensez aux origines de la drum & bass ou du hip-hop… Tout cela est vraiment fascinant. Et je ne parle pas seulement de jouer en arrière du temps. Tout le monde peut jouer en arrière du temps. Mais très souvent, quand vous entendez des musiciens le faire, ça ne marche pas. C’est comme pour tout : vous devez le comprendre, le sentir pour le faire avec authenticité. 

Son nom n’apparaît pas sur le disque, mais on a souvent dit que sans J Dilla, “Voodoo” n’aurait pas sonné de la même manière : mythe ou réalité ?
Je ne peux pas répondre vraiment, car je n’ai pas tous les éléments en main, mais mon instinct me dicte que l’héritage de J Dilla et son utilisation unique des samples pour créer des rythmes irréguliers (et indéniablement groovy) ont joué un rôle dans la conception de cet album.

Comment résumeriez-vous la contribution de votre confrère Pino Palladino à la basse ?
Je ne pourrai jamais dire autant de choses que je le souhaite sur Pino. C’est un de mes bassistes favoris de tous les temps. Et sur ce disque, il est si sobre, si mesuré, si cohérent… Et il groove à un tel point… Et son son est si rond ! C’est presque comme si les notes ne comptaient pas. Il joue comme il le sent.

Avez-vous déjà rencontré D’Angelo, et aimeriez-vous travailler avec lui ?
Je ne l’ai jamais rencontré, non, mais plusieurs membres de Snarky Puppy ont joué avec lui. Ce serait définitivement un honneur de travailler avec lui, mais pour être tout à fait honnête, je lui suis surtout reconnaissant qu’il existe et de sa contribution à la musique.