Le Jazz est centenaire : il y a 100 ans le Hot Five de Louis Armstrong
Certes, cette série aurait pu commencer il y a deux ans, cinq ans, huit ans et plus encore. Mais la première séance du Hot Five, c’était le 12 novembre 1925.
On a fêté le centenaire du premier disque de l’Original Dixieland Jazz Band le 26 février 1917. On a probablement dû fêter “la” photo de l’orchestre de Buddy Bolden en 1905 (que ceux qui n’ont jamais tenu une clarinette dans leurs mains s’escrime à retourner sous prétexte que le guitariste et le contrebassiste tiennent leurs instruments comme des gauchers, peut-être parce qu’ils l’étaient, ou peut-être à la demande du photographe). On a oublié, comme quasiment tout le monde, de rappeler les succès de la tournée de l’Originale Creole Band emmené par Freddie Keppard en 1915, le premier Carolina Shout de James P. Johnson en 1918, les premières faces du Creole Jazz Band avec Louis Armstrong en 1923, puis les premières faces new-yorkaises de ce dernier au sein du Fletcher Henderson Orchestra en octobre 1924 et l’inaugural Choo Choo de Duke Ellington à la tête de ses Washingtonians le mois suivant. Ne loupons par ce centième anniversaire du Hot Five.
Louis Armstrong dont la réputation commence alors à déborder des seuls rangs de son employeur (Fletcher) a commencé à prêter son cornet aux stars montantes du blues (Ma Rainey, Virginia Liston, Alberta Hunter, Sippie Wallace, Maggie Jones, sans oublier les Smith : Clara, Trixie et Bessie). Au sein des Blue Five de Clarence Williams, Satchmo a croisé le fer à plusieurs reprises avec Sidney Bechet (voilà encore un anniversaire que l’on a loupé : le 10 novembre 1923… si l’on se range à l’avis de Davis Liebman, Bechet dans Old Fashion Blues, en terme de liberté rythmique, c’est Coltrane avec trois décennies d’avance).
Louis Armstrong vient d’épouser Lilian “Lil” Hardin, son meilleur agent, sa conseillère en musique, communication et tenue vestimentaire. Après l’avoir encouragé à quitter Chicago et le Creole Jazz Band de King Oliver pour rejoindre Fletcher Henderson à New York, elle est déçue par le peu de place qui est octroyé chez ce dernier à son époux (troisième trompette et jamais invité à chanter). Aussi l’invite-t-elle à la rejoindre à Chicago. Le 21 octobre 1925, Louis a enregistré deux dernières faces avec Fletcher : T.N.T. et Carolina Stomp qui témoignent des leçons définitives prises au contact d’Armstront par l’arrangeur Don Redman en matière de swing, de fluidité et d’interaction entre improvisation et orchestration. Célébrés au Small’s Paradise, les adieux à l’orchestre ont été tellement arrosé qu’au moment de prendre congé, totalement ému, Louis a vomi toutes ses boissons sur le plastron de son ex-patron.
Au Dreamland de Chicago, Louis Armstrong est accueilli le 6 novembre par “Madame Lil Armstrong and his Dreamland Syncopators, featuring The World’s Greatest Cornet Player”. En outre, Louis Armstrong est désormais sous contrat chez Okeh Records. Dès le 2 novembre, il est en studio pour Blanche Calloway et pour Bertha Chippie Hill. Le 11, à la tête des Louis Armstrong’s Jazz Four, il accompagne le chanteur Hociel Thomas et, le 12 novembre, il dirige la première séance du Hot Five, l’orchestre qui le fait entrer dans l’histoire… ou plus exactement qui fait sortir le jazz de sa préhistoire, ou tout du moins, de son antiquité.
À ses côtés, le tromboniste Kid Ory, le clarinettiste Johnny Dodds, le banjoïste Johnny St. Cyr, trois néo-orléanais, plus Madame Armstrong au piano. Louis est encore au cornet (d’après ce que je conclue des nombreux débats pour savoir à quel moment précis il l’abandonne pour la trompette). L’enregistrement est encore acoustique, sans micro, et donc encore un peu rugueux aux oreilles de l’ère digitale (par pire qu’un concert de jazz sonorisé à la Salle Pierre Boulez).
Le premier titre de la séance My Heart, nous replace dans la tradition de l’improvisation collective néo-orléanaise telle qu’il l’a pratiquée en 1923 auprès de King Oliver. Sur Yes, I’m in the Barrell, outre la formidable introduction de cornet précisément ponctuée, la collective est nettement dominée par la mélodie signée Armstrong et Johnny Dodds s’octroie un admirable solo sur deux grilles de blues. Le chef d’œuvre du jour, Gut Bucket Blues, aurait été mis au point et répété rapidement en studio après que le producteur de la séance ait demandé un blues. Mais c’est d’emblée un premier petit chef d’œuvre d’organisation orchestrale où l’on entend enfin la voix d’Armstrong, pas encore dans un rôle de chanteur mais dans celui d’une sorte de MC présentant et encourageant les musiciens de son nouveau groupe à prendre chacun son solo, et ce dès l’introduction de banjo.
C’est ce Gut Bucket Blues qui fut publié le premier en mars 1926, en face A de I’m in the Barrell, My Heart paraissant en juin en face B de l’un des chefs d’œuvre de la grande séance suivante du 26 février 1926, Cornet Shop Suey.
Fletcher : T.N.T. et Carolina Stomp Clarence Williams Blue Five avec Bechet dès 1924
Dernière séance New Yorkaise du Blue Five, avec Charlie Irvis, Don Redman, Coleman Hawkins, Clarence Williams, Buddy Christian, Eva Taylor
Le 11 novembre Armstrong est à Chicago et il accompagne chez Okeh à la tête de son Jazz Four (Johnny Dodds, Hersal Thomas et Johnny St.Cyr)
Le 12 Les Hot Five