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Publié le 13 Jan 2024

Michel par Petrucciani, épisode 8

Michel Petrucciani nous a quittés le 6 janvier 1999. Chaque jour jusqu’au 25 janvier, date de la sortie du nouveau numéro de Jazz Magazine dont il fera la Une, retrouvez en vingt épisodes la vie incroyable de ce pianiste hors norme, telle qu’il l’avait racontée à Fred Goaty à l’été 1998.

« J’avais un copain, Trox Drohart, qui habitait l’Ardèche, près de Montélimar. Il nous avait entendus lors du concert de 1977 avec Kenny Clarke. Le batteur que nous avions était si mauvais qu’il s’est proposé pour venir jouer avec nous. Il nous avait envoyé une lettre : « Monsieur Petrucciani, je m’appelle Trox Drohart, j’habite dans le coin, j’ai joué avec untel et untel [untel et untel c’était Tal Farlow Lee Konitz, etc.]… » Il ne jouait pas mal, et nous sommes devenus copains. On faisait des fêtes, c’était un vrai hippie. Puis il est retourné aux Etats-Unis, je ne sais plus pourquoi. De là-bas, il m’envoyait des cartes postales : « Il faut que tu viennes ici, y’a des bonnes pâtes… » Alors j’y suis allé ! Mon père ne voulait pas, mais je suis parti quand même. Mais avant de démarrer ma vie en Californie, j’ai enregistré en piano solo pour OWL, en décembre 1981 : “Date With Time”. Quand j’écoute ce disque, dont je ne me souvenais plus le lendemain de la séance, je me dis que je devrais le refaire. [“Date With Time” a été enregistré en 1981 mais n’a été publié que dix ans plus tard, NDLR] Aux Etats-Unis, mon pote Trox faisait un peu de tout pour survivre. Juste avant mon arrivée, il était en train de refaire le toit de la maison du saxophoniste Charles Lloyd. Ce côté prêt à tout, il faut le remettre dans le contexte hippie californien de l’époque… Je me suis installé à Big Sur, à côté de Monterey, dans la campagne. Trox a tout de suite dit à Charles Lloyd : « Tu devrais rencontrer Michel, il est sympa, et il joue bien du piano… » Charles voulait surtout que Trox finisse son boulot : « Occupe-toi de mon toit, et tes copains de France, pas chez moi… » À cette époque, Charles Lloyd, que je ne connaissais pas du tout, ne jouait plus. Il travaillait dans l’immobilier (il possède des terres, des maisons, beaucoup d’argent). Moi, je me suis vite retrouvé à Esalen, un institut de thérapie à Big Sur, pour gens très riches et businessmen stressés, un truc moderne où ils tapent dans des coussins en hurlant « Je te hais ! Je te hais ! » pour faire sortir la violence, la haine, l’angoisse, le stress. Ça coûte vingt ou trente mille dollars… Trox y connaissait des gens et leur a dit : « Michel va vous jouer une heure de piano pour les cours de danse et en échange vous l’hébergerez. » Bon plan ! Je me réveille le matin, après ma première nuit à l’Institut, et je vois une nana à poil devant la fenêtre. Ça faisait partie d’une thérapie. Je me dis : « Oh putain, je sens qu’on va s’amuser ! » Et je me suis bien amusé ! Trip baba cool, feux de camp, grillades… Musicalement, ce n’était pas sérieux du tout. Au bout d’une quinzaine de jours, une femme est venue me voir lors du cours de danse. Une blonde assez jolie, qui parlait bien français : « Je suis Dorothy Darr, l’épouse de Charles Lloyd, j’aime beaucoup le France… » On a commencé à sympathiser… Elle a dû dire à son mari que j’étais un mec cool, pas comme les amis habituels de Trox, pas un fou furieux avec la seringue dans le bras. Et Charles a dû répondre : “Ok, invite-le à la maison…” » (À suivre.)