Pau Jazz : Kareen Guiock Thuram loue Nina

Kareen Guiock Thuram (voc), Kevin Jubert (p, clav), Rody Carayon (elb), Gregory Louis (dm)
Jazz à Pau, Le Foirail, Pau (64000), 23 mai
Un concert de notes, de mélodies sculptées dans un souvenir réactivé avec tact, de feeling.extériorisé. Le concert d’une voix. Un concert de mots également pour autant de marqueurs à propos d’une vie égrenée aux vents forts, aux vents mauvais piquée de noir plus que de blanc « C’est un honneur pour moi de célébrer Nina Simone » avoue Kareen Guiock Thuram d’un ton de douceur. D’émotion exhumée sans doute aussi.

Et le concert débute sur un titre poème qui dit déjà des choses, phrases senties sur une « Leçon d’être » « Il y avait chez Nina une élégance infinie dans sa rébellion » La voix. On la sent tout de suite, dans l’air qui vibre à dessein. Donner du sens à une juste restitution, c’est patent, Kareen a la voix pour. Une voix bien épicée. On la sent libre de dire et de faire « How it feel to be free » Les notes bleuissent histoire -c’est le cas de le dire à propos de Nina Simone qui y est inscrite dans l’Histoire de la black music– de mieux sonner juste « Backlash Blues » Les attaques sur les mots forts renforcent l’expression directe. Le sens des phrases comme matière brute, on y revient. La chanteuse guadeloupéenne pourtant ne manque pas de laisser de la place à ses musiciens. Autre version complémentaire d’un mode d’expression forte. Témoin ce « Mississipi Goddam », précédé d’un court éloge poétique, paroles chargées d’histoire et gorgées d’âme en introduction. Le morceau rebondit avec réponse du chœur improvisé par ses musiciens. Le piano y prend sa place, prégnante, centrale. Toute sa place telle celle, conquérante imprimée en accords clairs sur l’introduction d’un « I put a spell on you » inusable. Ici présentement, la version donnée demeure plutôt fidèle à celle de Nina Simone dans le ton lourd, le climat pesant instaurés. Kareen Guioc Thuram dans cette célébration prend soin de rajouter des mots aux aveux de maux de Nina Simone. En guise d’introduction les phrases d’éloge libèrent alors des phrases chargées d’histoire et de faits d’âmes. Le choeur improvisé des musiciens fournit une offrande supplémentaire en réponse au chant. « Mississipi Goddam »: le piano directement sollicité pour sa gamme d’accords couleurs prend dés lors une place centrale.

Chant de contenu certes. Pourtant la chanteuse toute de mouvement sollicite aussi la danse. Celle ci l’appelle, l’interpelle directement et vice versa.. Des pas de danse d’inspiration vaudou: la cloche – la dite « campana »- de la batterie s’avance en motif de base tandis que le piano sonne en notes percutées aiguës, toutes calquées sur le mouvement du corps mû en reliefs suggestifs. Il y est question de « démon » et/ou de « tentation » ‘ (« Sinnerman ») Et dans la bouche de la chanteuse citant « Nina » une part de plaisir se trouve convoqué malgré tout : « Feeling good » De quoi prolonger l’action du piano via un chorus en placement libre « My baby just cares » Batterie, basse : précis, toujours à bon escient, le soutien rythmique est permanent. Vient alors le vrai moment de la célébration « Ne me quitte pas » monument dans l’œuvre de Brel monte dans la salle paloise comme un hymne entonné avec la juste part de pathos qui convient. Dans une certaine retenue, une distanciation toute brechtienne, teinté d’un rouge et d’un noir non forcés. Une tranche de trois secondes de silence absolu tombe au dernier mot, à la dernière note de la chanson mythique. En mode de communion totale partagée par l’ensemble du public avant une très longue séance d’applaudissements nourris.


En post scriptum à pareil sommet viendra comme en apaisement, en moment de respiration un délicat duo clavier/voix posé sur des mots sentis en forme de scansion douce. Paroles en forme de dessin couleur dites à propos de Nina Suit un « I love you Porgy », écho de l’opéra de Gershwin répercuté en une balade, tout feeling ouvert. Moment venu de signaler -ce n’est pas toujours le cas question concerts de jazz- que l’on bénéficie ce soir là au Foirail d’un son épatant. Pour conclure sur un exercice de pur gwo ka, rythme du tambour traditionnel de Guadeloupe du même nom, morceau choisi chanté en langue créole que Nina Simone avait découvert et aimé à l’occasion d’une prestation du groupe Akiyo lors d’un festival de jazz à Point à Pitre en 1993 auquel elle avait participé. Et resté dans les annales de l’île antillaise de l’arc caraibe.(nous y étions…) Kembé red Kareen !
Robert Latxague