Le Salon de Muziq
Publié le 30 Sep 2025

Quand Foreigner se mettait en “4”

Le coffret “Deluxe” 4 CD + 1 blu-ray du quatrième album de Foreigner est à écouter sans attendre : vous avez dit Urgent ?
Par
Julien Ferté

New York, été 1976. Dans le panier “out” du secrétariat de Jerry Greenberg, le boss d’Atlantic, John Kalodner, ancien programmateur radio devenu A&R executive du label créé par les frères Erthegun repère la cassette de Trigger, un groupe qu’il venait de voir jouer dans un bar et qu’il n’avait pas vraiment apprécié. « Allez, donnons-leur une seconde chance… »
Peu après, il entre dans le bureau de Jerry Greenberg en s’exclamant : « Jerry, c’est quoi ce bazar ?! Tu avais une cassette de ce groupe, Trigger, et je suis sûr que leur chanson est un numéro 1 en puissance ! Mais ce n’est pas le même groupe que celui que j’ai vu l’autre soir… »

La chanson en question s’intitulait Feels Like The First Time. La démo avait été envoyée par le guitariste Mick Jones (ancien accompagnateur de Johnny Hallyday et de Sylvie Vartan dans les années 1960) et le chanteur Lou Gramm. Et Trigger n’allait pas tarder à changer de nom pour adopter celui de Foreigner. « And the rest is history » comme on dit : le 26 mars 1977, le premier album de Foreigner fait son apparition sur les facing des disquaires et, porté ses deux classiques instantanés, Feels Like The First Time et Cold As Ice, s’écoule par millions et devient quadruple platine en quelques mois. Les critiques sont dithyrambiques, qui saluent le rock mélodique de ce nouveau groupe anglo-américain, et leur première tournée est aussi un succès XXL.
En à peine deux ans d’existence – le groupe s’était formé début 1976 à New York –, Foreigner a déjà marqué son époque.
Dans la foulée, le pas moins succesful “Double Vision” sortit en juin 1978, suivi en septembre 1979 de “Head Games”, qui marquait un léger recul en termes d’inspiration, et surtout de ventes. Dès lors, Foreigner était attendu au tournant par ses fans, et plus encore sa maison de disques. Mais comme leurs confrères de Toto, grand nom de la maison d’en face (Columbia) qui se retrouvera aussi sur le fil du rasoir après leur troisième album, leur opus IV va les faire entrer dans une nouvelle dimension…

Plus de semaines à la première place du Billboard qu’AC/DC, Led Zeppelin ou les Rolling Stones, autres big names du catalogue Attantic… Plus de dix millions d’exemplaires écoulés dans le monde… Six fois disque de platine aux États-Unis… Pas encore de single numéro 1 – pour ça, il faudra attendre I Want To Know What Love Is en 1984 –, mais trois tubes instantanément entrés dans la mémoire collective : l’hymne hard-rock Juke Box Hero, la ballade soulful Waiting For A Girl Like You et le funky-célèbrissime Urgent. Quant à la tournée qui suivit, elle fut plus géante que celle qui avait suivi le premier album.
C’est peu dire qu’avec “4”, Foreigner atteint des sommets stratosphériques.

Avant de travailler dix mois durant sur ce classic album à l’Electric Lady Studio bâti par Jimi Hendrix, les deux claviéristes, Ian McDonald et Al Greenwood, avaient plié bagage, laissant leur place, en studio, à Larry Fast et Michael Fonfara, et surtout à un jeune claviériste anglais surdoué encore inconnu à l’époque, Thomas Dolby, futur collaborateur de George Clinton et producteur de Prefab Sprout dont la carrière solo débutera dans la foulée. C’est lui qui signe, entre autres, l’intro magique de Waiting For A Girl Like You.
Mick Jones fera également appel au fameux session man Hugh McCracken pour jouer la partie de slide guitar sur l’autre magnifique ballade du disque, Girl On The Moon.
Mais le plus célèbre outsider de Foreigner était un saxophoniste qui une quinzaine d’années plus tôt avait collectionné les hit records avec des singles instrumentaux publiés par Motown, dont le fameux Shotgun en 1965 : Junior Walker. C’est en feuilletant les pages concerts du Village Voice que vint à Mick Jones l’idée de faire appel à lui pour poser un solo sur Urgent. Junior Walker n’avait jamais entendu parler de Foreigner, mais son fils était fan… Le saxophoniste effectua huit prises, que Mick Jones et son producteur Robert “Mutt” Lange montèrent habilement pour créer ce flamboyant solo R&B que tout le monde connaît désormais par cœur.
Aux trois tubes cités plus haut s’ajoutaient des morceaux non moins excellents : Night Life (que Tina Turner elle-même chantera souvent sur scène), Break It Up, Luanne, Woman In Black ou encore Don’t Let Go.



Des anecdotes comme celles-ci, le livret de 60 pages de l’“Audio Deluxe Edition” de “4” en contient beaucoup : les quatre membres du groupe – Mick Jones, Lou Gramm, le bassiste Rick Wills et le batteur Dennis Elliott –, mais aussi Thomas Dolby racontent en détail et en profondeur la génèse de ce disque entré au panthéon de ce qu’on appelle de l’autre côté de l’Atlantique l’AOR (Adult, ou Album Oriented Rock).
Ce coffret au look étonnament très nineties devrait ravir les admirateurs de Foreigner. Le premier CD contient l’album original superbement – et respectueusement – remixé, le second et le troisième regorgent d’inédits : aux quatre chansons jamais entendues (Fool If You Love Him, Love So Much Better,  Knockout Power et Jealous Lover) s’ajoutent un nombre impressionnant de early versions, d’a cappella versions et d’instrumental rough mixes de quasiment tous les titres de l’album original.
Le quatrième CD contient quinze extraits des quatre tournées effectuées entre 1981 et 1982, et c’est un ravissement : la qualité de ces versions live n’a d’égale que celle du son.  « Gimme some R&B ! », lance Lou Gramm avant que ses compère ne jouent l’into d’Urgent.
Quant au blu-ray, il propose les désormais rituels mixes Atmos et HD de tout coffret Deluxe qui se respecte.

COFFRET Foreigner : “4 Deluxe Edition” (4 CD + 1 blu-ray Atlantic Rhino / Warner Music, déjà dans les bacs).
Photo d’ouverture : Foreigner backstage au Broome County Arena de Binghamton, New York, le 12 september 1981. © Ebet Roberts