Entretien
Événement
Publié le 20 Juin 2025

Rencontre avec Graig Monetti du Nice Jazz Fest

Greg Monetti, adjoint au maire et délégué à l’Evénementiel, à la Jeunesse et à l'Egalité des chances

A quelques semaines de l’édition 2025 du plus ancien festival de jazz au monde, qui aura lieu à Nice du 24 au 27 juillet, l’adjoint au maire, délégué à l’Evénementiel, à la Jeunesse et à l’Egalité des chances a répondu à nos questions sur cet événement majeur qui revendique sa riche histoire tout en regardant vers l’avenir.

Votre festival fut le premier au monde à se consacrer à cette musique pourtant venue des États-Unis. Comment cela s’est-il produit ?
C’est une histoire incroyable, l’un des rares héritages heureux de la Seconde Guerre mondiale. Les troupes américaines ont aidé à libérer la ville devenue un lieu de vacances pour beaucoup d’entre eux. Ils nous ont laissé le chewing-gum, la cigarette, et le jazz ! En 1948, pour les remercier est organisé un concert extraordinaire de Louis Armstrong, au magnifique Opera de Nice, conçu par Garnier, entré depuis dans la légende. Louis Armstrong, en formidable ambassadeur, a parlé de Nice à beaucoup de ses collègues de La Nouvelle-Orléans. Bien plus tard, ça nous a permis d’accueillir des têtes d’affiche comme Nina Simone, Herbie Hancock et bien d’autres, et de vivre cette aventure géniale. C’était la première fois que le jazz était démocratisé et positionné comme le divertissement qu’il est devenu en France et en Europe.

Depuis, les lieux de votre festival ont souvent évolué et vous avez beaucoup travaillé sur l’expérience festivalière. Est-ce que le cadre est aussi important que la programmation ?
Aujourd’hui cette dimension est très importante, et certains festivals vont parfois jusqu’à reléguer leur programmation au second plan par rapport à ça. Ma vision, c’est que l’expérience est à égalité avec la dimension artistique et esthétique du festival, mais il y a aussi beaucoup d’autres choses qui comptent : s’assurer que les festivaliers ne fassent pas la queue pendant 25 minutes à la buvette, penser une décoration avec des thèmes et des couleurs, installer des sanitaires propres et accessibles… Un festival réussi, du moment où vous arrivez jusqu’à votre départ, c’est une addition de bonnes nouvelles. Si tout est compliqué et que la scénographie et la thématique ne sont pas abouties, même si vous assistez au concert d’un artiste que vous adorez, l’expérience sera contrastée voire négative !

Quelle est la philosophie de votre programmation, et est-ce que l’attractivité touristique de la région niçoise joue un rôle dans ce que vous proposez ?
Le Nice Jazz Fest, comme le festival de Montreux ou d’autres, est une institution. Les habitués représentent une grande part de notre public, et il m’arrive de croiser des gens dont c’est la 20 ou 25ème édition. La part de spectateurs venus principalement pour faire du tourisme doit être de 10 à 15%.
Notre philosophie, c’est d’abord de proposer souvent des choses avant les autres, et de trancher par certains choix avec ce qu’il se fait ailleurs. On a souvent fait des paris sur l’avenir, par exemple en faisant jouer très tôt Gregory Porter. Cette année, on sera un des rares festivals à programmer, dans un tel cadre, Freddie Gibbs & El Michels Affair, ou Raye qui ne tourne pas beaucoup cet été en Europe, et en qui on croit beaucoup. Je pourrais aussi citer Mustard, qui a produit pour Kendrick Lamar. On a l’exigence de ne faire que des artistes live et pas d’electro ou de DJ set c’est qui est devenu très rare. Et quand on invite des artistes qui vont aussi se produire dans d’autres festivals, c’est avec un spectacle qu’on ne verra pas ailleurs. Avec des artistes comme Daoud ou Monsieur Mâlâ, on va chercher une scène qui incarne une nouvelle tendance. Enfin, on monte des concerts sur-mesure, comme le Jazz Celebration avec China Moses, Hugh Coltman ou Pablo Campos, un autre pour le centenaire d’Oscar Peterson au théâtre de Verdure avec le trio de Sullivan Fortner. Tout ça participe d’une offre inédite.

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Les exigences du public ont-elles évolué avec l’accessibilité grandissante de la musique en ligne, et ressentez-vous également un besoin d’être accompagné dans leurs découvertes ?
On sent une envie culturelle forte et un besoin de passer du temps ensemble, de se retrouver. Sur l’ensemble des événements que j’organise, j’observe des taux de remplissage excellents alors que c’était beaucoup plus dur il y a quelques années. En même temps, il y a une exigence qui n’existait pas hier, notamment sur le soin apporté à l’esthétique du festival et la qualité du son. C’est aussi dû à la richesse de l’offre de spectacle vivant, les gens comparent. C’est pour ça que l’enjeu est de proposer quelque chose d’unique. Le Nice Jazz Fest à une histoire, une âme, une signature. A l’inverse, la standardisation des festivals n’est pas la voie à suivre, notamment parce que ça encourage la surenchère sur les cachets des artistes.

Comment envisagez-vous l’avenir du festival, notamment compte tenu des menaces qui pèsent sur la culture aujourd’hui ?
Je suis résolument optimiste : le jazz, mais aussi la soul et même le funk qui se font aujourd’hui sont d’un très haut niveau. Il faut garder l’esprit ouvert, car même quand on produit du hip-hop, dès lors qu’il y a un groupe live, c’est compatible avec le jazz. Le public nous a souvent surpris par son envie d’écouter aussi des choses assez pointues, de découvrir. Ces derniers temps, je vois se mélanger des publics sénior avec des gens beaucoup plus jeunes sur certains concerts.
Pour organiser un festival, il faut être passionné et avoir une bonne équipe mais aussi être un peu business(wo)man. Il y a des modèles à penser et des paris à faire. On a l’ambition de faire du Nice Jazz Fest l’un des 5 plus gros festivals de jazz au monde à moyen terme, passant On compte passer des 40-50 000 spectateurs actuels à 90, 100 ou 110 000. On veut enrichir l’offre artistique – cette année, on passe de 3 à 4 artistes par soir au Théâtre de Verdure –, j’ai créé un nouvel espace expérience, La Merenda (le casse-croûte en niçois) que j’ai confié à Joey Starr et les Live Soldiers, j’ai créé une scénographie autour de La Nouvelle Orléans et les Caraïbes, mais aussi un espace de garderie pour les festivaliers qui ont des enfants. Nous avons une très grande offre de restauration, une plage horaire qui va de 17h à 4h du matin, des jams ouvertes au public où les artistes se retrouvent après les concerts. Actuellement, les partenariats public-privé sont très rares dans les festivals et c’est une vraie piste. Il faut aussi décloisonner et à s’associer à d’autres, et je pourrais très bien travailler avec un autre producteur ou un autre festival par exemple. On va entrer dans une phase de consolidation des festivals où il faudra structurer une offre encore plus forte. Si la France est ambitieuse et bien organisée sur le jazz, les artistes du monde entier voudront y venir en tournée et les amoureux de musique ont tout à y gagner. Au micro : Yazid Kouloughli. Photo : X/DR