Extrait du N° 406 de Jazz Magazine, juillet 1991

En un « déchiffrage percussif de la partition nuancée du pianiste », Aldo Romano et Michel prolongeaient un dialogue amorcé dix ans plus tôt et actualisé dans “Playground”, auquel le batteur avait participé. Deuxième épisode.

Aldo Romano Es-tu nostalgique ?

Michel Petrucciani Non, pas tellement. Je n’ai pas de regrets. Je dirais plutôt que j’ai de bons souvenirs. Je me souviens de tout ce que nous avons fait ensemble, quand nous nous sommes rencontrés, quand on écoutait des choses ensemble, tout ce que j’ai vraiment découvert… Avec mon père, j’avais appris… Il disait toujours : « Quand tu fais quelque chose, tu dois être le meilleur, sinon ce n’est pas la peine, tu vas te coucher. » C’est probablement à cause de lui que j’ai ce besoin de toujours faire mieux. Mais avec toi j’ai appris la musique, j’ai appris à écouter beaucoup de gens, beaucoup de styles, des choses différentes, j’ai appris à ressentir la musique, à la vivre. Avec mon père, c’était le côté intellectuel : lui, il explique tout, et il a raison. Il peut expliquer le phénomène Keith Jarrett, il peut expliquer Oscar Peterson… et il ne se plante jamais ! Pour moi il reste le critique absolu. S’il me dit : « mon fils, tu as fait un bon disque » je suis sauvé, même si dans les journaux on dit que c’est le disque le plus pourri du siècle : Il me suffit qu’il ait mis, lui, son tampon “lu et approuvé”… Il est vrai qu’on a eu de la chance : que j’aime, comme mon père, la musique. Je dirais même qu’il est plus passionné de musique que moi – il travaille beaucoup plus que moi ! Je suis un feignant, souvent j’en ai assez de la musique. Mon père, dès qu’il tombe du lit, il est à la guitare ! Treize, quatorze heures par jour ! Moi je préfère regarder la télé, jouer aux échecs… Toi, je crois que tu penses sans cesse à la musique… Mais quand je suis dans la musique, j’y suis vraiment, je vais au bout des choses… Quand je vais au supermarché, je n’en peux plus : je suis imprégné par les chansons qui sont diffusées sans interruption. Entre “deux bananes” et “trois yaourts”, j’entends tout, les basses, l’accompagnement… Je n’arrive pas à m’isoler de la musique quand elle est là. Et souvent tellement mauvaise !

Si des gens comme moi ont davantage besoin de se plonger constamment dans la musique, c’est peut-être aussi que pour eux ça n’est pas inné. Autodidactes, ils ont encore besoin d’apprendre…

Il faut dire que la batterie, quand on travaille seul, ça n’est ni facile ni gratifiant…

Ah, il n’y a pas de satisfaction immédiate. Ce sont des bruits de ferraille qui tombe, des poubelles… C’est pour ça qu’il y a peu de batteurs “mélodiques”. Quel boulot de sublimer ces bruits de casserole ! Voilà pourquoi je suis toujours affamé d’harmonies. Alors que le plus souvent on ne demande aux batteurs que d’être et de rester des batteurs…

Toi tu es un des rares batteurs à composer des choses intéressantes. Souvent, quand des batteurs essaient de composer, c’est à mourir d’ennui. Trois notes organisées comme un paradiddle… Art Blakey a eu l’intelligence de faire composer les autres.

Et toi, comment composes-tu ? Tu écris dans l’urgence, me semble-t-il…

C’est exact. Je ne compose que si j’ai une raison, un disque à faire. Comme je prends toujours mon pied à jouer All the Things You Are, je n’ai pas besoin de pondre “mon” truc. En général, j’ai une idée de style, de couleur, et de tempo – je sais que ça va être jazz-jazz, funky, plutôt brésilien, trois ou quatre temps… Je n’ai jamais écrit de cinq temps, ça ne me vient pas naturellement. Et puis quand j’écris, je pense toujours à quelqu’un. Je n’écris pas pour écrire, j’écris pour quelqu’un… Brazilian Suite n° 3 – le titre c’est pour me moquer des Américains avec leurs Rambo III et autres Rocky II – succède au n° 1 avec Roy Haynes et Gary Peacock et au n°2 dans “Music”, et je l’ai écrit en pensant à toi, à cause d’une couleur harmonique qui ressemble à quelque chose que tu aurais pu faire : mi bémol la bémol septième ré bémol sol septième, puis do septième et fa majeur… beaucoup plus espacé harmoniquement que ce que je fais habituellement…

Toi, ce serait plutôt un accord tous les deux temps ! C’est tout noir ! Dans ton disque, il y a deux ou trois morceaux de ce genre, mais ça a l’air facile parce que ça reste très mélodique, avec un paquet d’harmonies…

…et des tonalités à coucher dehors !

C’est précisément ce qui te distingue des autres pianistes, ces tonalités qui font de toi un instrumentiste qui “chante”.

Ça c’est l’influence de la guitare, de tous les guitaristes que j’ai écoutés étant enfant, mon père encore, [Tal] Farlow, [Barney] Kessel… Wes Montgomery vers la fin, quand il commençait à jouer des trucs des Beatles… Mon frère Philippe aussi, qui m’a fait découvrir des guitaristes de rock, Jeff Beck, Allan Holdsworth… Beck, pour moi, c’est le Wes Montgomery du rock and roll. Il chante. Il y a dans un de ses disques, “Blow By Blow”, un morceau, un cinq temps, que j’aimerais refaire, avec le même arrangement… Et puis aussi, quand je compose, je chante, je cherche la tonalité vocalement, avant de passer au piano… et c’est toujours la, ré, sol, si … Ce qui conditionne même mon improvisation. Or tu ne peux pas improviser en si, tu ne peux pas entrer dans les stéréotypes des pianistes de jazz dès que tu attaques ré bémol, sol, la, mi, si … Ce sont donc d’autres phrases qui viennent. Keith [Jarrett] va un peu dans ce sens…

D’ailleurs il joue de la guitare. Ça donne une couleur plus “populaire”, plus facile pour les gens, mais beaucoup plus difficile pour un pianiste…

D’autant que j’essaie d’écrire comme un standard. Pour les accords de passage, ça passe par des trucs pas possibles, do dièse, la bémol septième… si majeur… fa dièse mineur septième… Et puis j’aime beaucoup la quinte bémol parce que ça fait pleurer, c’est mon côté italien, j’en mets partout, même un peu trop.

Depuis combien de temps joues-tu avec ton orchestre actuel ?

Avec Andy [McKee], ça fait cinq ans, avec Victor [Lewis] deux ans et demi et avec Adam [Holzmann] un an… Avant j’avais joué avec Palle [Danielsson] et Elliott [Zigmund] pendant quatre ans. J’étais resté quatre ans aussi avec Charles Lloyd… J’essaie d’aller jusqu’au bout, d’approfondir chaque formule… Avec Charles Lloyd, c’était le pied, il y avait un côté “énergie”.

Le fait qu’il soit toujours très mal accordé ne te gênait pas ?

Ça ne me dérangeait pas. Et puis ça ne dure pas – il a quand même des oreilles. Ce qu’il a de formidable, c’est une façon de faire jouer les autres, de leur faire donner le meilleur d’eux-mêmes, physiquement même… Ce qui est marrant, c’est qu’il a écrit deux ou trois choses mais il n’a jamais composé tout seul, il s’est fait aider, par moi par exemple. Savoir se faire aider, c’est un talent… Jarrett pourrait en dire autant – il a lui aussi aidé Lloyd à composer… Mais je crois que Lloyd l’a aidé à “sortir” son style.

Qui d’autre a eu pour toi une telle importance ? Wayne Shorter ?

Non… Jim Hall surtout ! Un génie de l’harmonie ! Il m’a appris à écouter aussi. Jouer avec un guitariste, c’est presque aussi difficile que jouer avec un autre pianiste : tout d’un coup, tu as des doigts partout ! Il est facile de se rencontrer harmoniquement mais une note peut faire tout casser. Si le guitariste sort un fa majeur, suit une quinte bémol, et tu mets une quinte naturelle, ça va tout gâcher. C’est de la jonglerie, ou un jeu d’anagrammes… C’est un autre plaisir, moins basé sur l’énergie. Avec Lloyd, c’était plutôt de la boxe, et avec Jim une partie d’échecs… Et puis il y a toi, qui m’as fait découvrir les vraies joies de la musique… Le problème avec des gens comme Wayne Shorter, c’est qu’ils ne s’investissent pas : ils font un boulot. Ils jouent formidablement bien, mais avec une sorte de distance, ça n’est pas leur groupe, ça n’est pas “leur” disque. Et puis Wayne est devenu de plus en plus compositeur, ça se sent même dans son jeu… Avec Roy Haynes, ç’a été formidable. Il y a eu une grande amitié. Avec lui je me suis vraiment amusé…Dans la piscine de l’hôtel, après le concert, alors qu’on ne savait nager ni l’un ni l’autre… Et il était toujours dans une forme éblouissante… Comme il connaît les paroles de toutes les chansons, il en glisse sans cesse des extraits dans la conversation. Il m’avait d’ailleurs conseillé d’apprendre les paroles des standards, disant que ça m’aiderait. Je me souviens, dans le bus, entre deux festivals, je fredonnais I Love You … Il a hurlé : « Non ! Si tu connaissais les paroles, tu ne ferais pas do deux fois ! » Maintenant je fais attention. Je me suis fait envoyer les paroles de Lush Life et These Foolish Things … Un qui m’a beaucoup impressionné, c’est Stanley Clarke à l’occasion du Manhattan Project, avec Lenny White, Gil Goldstein, Pete Levin, en décembre 1989. Il me faisait tellement plaisir que je m’arrêtais de jouer pour l’écouter. C’était beau, et curieusement ça ne m’a pas fait le même effet quand j’ai écouté le disque. Mais jouer avec, être au milieu de ça, c’est formidable ! De plus, là j’ai pu constater l’aspect positif des États-Unis : l’efficacité. Pour ce “projet”, tout était merveilleusement organisé. Ils sont venus me chercher à l’aéroport : direction le studio. Là, pendant quatre heures, ils m’ont fait écouter les bandes, m’ont passé les partitions. Donc je savais déjà tout le lendemain quand on a commencé de répéter, quatorze heures sur cinq ou six morceaux ! On n’en pouvait plus. Le troisième jour, on a fait le concert qui a été enregistré. Quand ç’a été fini, ils nous ont dit : « Venez écouter, c’est super ! » On a répondu : « Non, merci, on se souvient de ce qu’on a joué. Envoyez-nous la cassette dans six mois. » On a dû les vexer…

A propos du disque que tu viens de terminer, je dois t’avouer qu’au moment de faire ce morceau [Rachid] j’ai eu un trac monstrueux. Depuis trois jours, j’avais entendu tout ce qui s’était fait, et qui était très bien. Je me suis demandé : qu’est-ce que je vais pouvoir apporter ? Et avec ma personnalité… Sans ma batterie, sans mes cymbales, j’aurais pu me planter complètement…

Il faut dire aussi que la production ne voyait pas très bien pourquoi j’avais souhaité ta présence pendant tout l’enregistrement. C’est que je voulais que tu me prêtes tes oreilles, je voulais quelqu’un qui connaisse ma musique, qui me connaisse moi, et qui soit très musicien, qui connaisse mon amour des standards, mon goût du chant… parce que c’était un projet très nouveau, j’avais un peu peur… Et je voulais aussi que tu joues, dans ce style qui est le tien, plus ternaire, et qui me convient bien, un style qui n’est pas anonyme, interchangeable…

C’était un peu notre anniversaire discographique, puisqu’à deux mois près ça fait dix ans qu’on a enregistré pour la première fois ensemble…

Extrait du N° 406 de Jazz Magazine, juillet 1991

En un « déchiffrage percussif de la partition nuancée du pianiste », Aldo Romano et Michel prolongeaient un dialogue amorcé dix ans plus tôt et actualisé dans “Playground”, auquel le batteur avait participé. Premier épisode.

Aldo Romano Le disque que tu viens d’enregistrer, “Playground”, est le deuxième où tu illustres – au sens large – une sorte de “world music”, c’est-à-dire sans t’enfermer ou te limiter dans un genre. D’où une musique “jazzée” plutôt que strictement “jazz”. Certaines choses qu’annonçait “Music”, là tu les affirmes….

Michel Petrucciani En fait, d’être allé plus loin dans ce style, avec plus de rythme, plus de percussions, plus de synthétiseur, et des mélodies assez suggestives, ça m’a fait redécouvrir l’amour que j’ai du jazz, de la belle ballade harmoniquement complexe… Mais j’avais envie de faire un tel disque. Il est possible que je continue dans cette voie, mais avec une dimension plus acide, plus hard dans les sonorités. Ou alors je ferai un disque en solo, ou en trio, quelque chose de très naturel, avec des standards… Le problème aujourd’hui pour les jeunes pianistes, c’est que Keith Jarrett a un peu pris un monopole. Si demain tu fais un disque de standards, on risque de dire : Jarrett a déjà fait ça…

Avant Keith, nombre de pianistes avaient joué en trio, et des standards ! Ce n’est pas parce qu’il le fait aussi que ça doit t’arrêter…

Avec cette nuance que pour les pianistes dont tu parles, jouer des standards en trio faisait partie de leur style, de leur époque. Tandis que Keith a renouvelé une formule, ancienne, qui ne lui appartenait pas. Du coup il se l’est un peu appropriée. Il y a donc le risque pour un pianiste jeune d’être accusé de copier… D’autant que – depuis que tu viens régulièrement aux Etats-Unis, tu as dû t’en rendre compte – contrairement à ce qu’on croit en Europe, il ne se passe pas grand-chose ici, musicalement. Or ce qui m’intéresse, c’est de trouver un son nouveau, d’en finir avec les formules rabâchées – ce qu’on entend partout ici. Hier on a regardé à la télé la remise des Grammy Awards, et tu as vu le jeune chanteur qui a été récompensé…

un très minable imitateur de Frank Sinatra !

…et il a une vingtaine d’années ! Quant au jazz, on donne un prix à Oscar Peterson, un très très grand musicien mais on ne peut pas dire qu’un tel palmarès rende compte de ce qui se passe vraiment. Il y a pourtant des choses qui se passent, mais underground…

L’autre soir, j’ai entendu, en duo avec un bassiste, un pianiste qui avait joué chez Art Blakey. Ils doivent avoir l’un et l’autre une vingtaine d’années, et ils jouaient de la vieille musique…

C’est vrai qu’ici en ce moment on a l’impression que le “renouveau” du jazz, c’est de jouer comme les vieux. C’est la tendance Wynton Marsalis, qui est pourtant un formidable musicien. Mais si j’ai envie d’écouter ce style de trompette, j’irai plutôt m’acheter “Miles à Antibes” ou l’enregistrement du dernier concert de Miles avec Coltrane.

C’est peut-être aussi pour des raisons commerciales : dans le jazz, c’est apparemment ce style qui se vend le mieux en ce moment… Mais toi qui parles souvent de la musique en termes de plaisir, d’envie, de désir, t’arrive-t-il aussi de considérer ce que tu joues d’un point de vue philosophique, éthique ? Te demandes-tu si tu as le droit ou non de faire certaines choses, dans la mesure où faire de la musique peut être également une “mission”, et qui ne fait pas forcément plaisir ?

La musique pour moi c’est presque un Dieu, tu sais, un Dieu avec lequel il ne faut pas tricher. Il faut être très clair dans son âme, être sûr que ce qu’on fait c’est ce qu’on avait vraiment envie de faire…

Et puis l’artiste, surtout s’il commence d’être un peu connu, a une “responsabilité” vis-à-vis des gens qui l’écoutent, il indique une direction…

Je ne pense même pas à ça, je pense par rapport à moi : est-ce que je suis heureux, content de ce que j’ai fait, profondément en accord avec moi-même ? Est-ce ce solo que je voulais faire ! Sinon, j’ai l’impression de m’être menti. Car plus on grandit musicalement, plus on a de responsabilité par rapport à soi-même. Une erreur pianistique, une erreur de tempo, ça n’est pas grave, nous sommes humains : ce qui est grave c’est de faire une faute profonde dans le choix des couleurs. En ce moment, par exemple, je ne suis pas parfaitement content de ce que j’ai fait dans la continuité de “Music” – c’est pourquoi il y aura peut-être encore un autre disque, pour un autre disque, pour fermer la boucle…

Dans ce genre de musique, on devrait pouvoir trouver certaine liberté de forme – ce qu’on trouve dans le jazz… Moi qui sais, pour l’avoir vu souvent, comment tu travailles, de façon plutôt “aérée”, j’ai l’impression, là, qu’il t’a fallu vraiment “aller au charbon”, que ç’a été un gros boulot…

C’est vrai, et c’est une bonne chose ! Finalement c’est assez facile de se laisser aller, d’être beau et généreux. J’ai toujours joué du piano, à neuf ans je jouais le blues… Depuis une dizaine d’années j’ai beaucoup donné. J’arrive maintenant à la trentaine, je ne suis plus “le jeune génie” ou “la découverte de l’année”. Il faut concentrer tout ça, ne plus se disperser, c’est plus difficile… Alors qu’on dit toujours que le plus dur, les années de “galère”, ça correspond aux débuts. En fait, ce sont les meilleures années ! Parce qu’il n’y a pas que ça une fois qu’on est plus “installé”, plus reconnu, il y a tout le reste, l’aspect business – “Music” a bien marché, environ trente-cinq mille exemplaires vendus, ça veut dire que le prochain doit faire mieux… C’est très angoissant, parce que je veux chaque fois faire mieux – c’est une envie que j’ai toujours eue. En un sens, je suis content de n’avoir pas eu un succès tel que celui de Bobby McFerrin, qui a vendu des millions de disques et qui aura beaucoup de mal à faire mieux…

Lors de précédentes interviews, avec des musiciens américains, j’ai eu beaucoup de mal à obtenir des commentaires sur les Etats-Unis, sur la situation sociale, sur des choses qui malgré tout ont une incidence sur la musique… Par rapport à ce qui se passait il y a quelques années, par exemple, il me semble qu’à New York – la ville du jazz ! – il y a moins de créativité, moins de “pêche”…

A mon avis, comme ils ne connaissent pas autre chose, pour eux tout va bien, ce qui se passe est normal… D’autre part je crois, mais je me trompe peut-être, que les Américains ont un peu perdu le goût du pari, du risque. Dans le domaine artistique, ils ne jouent que sur les numéros sûrs. Des clubs comme le Blue Note n’engagent que des vedettes bien établies… Rien de nouveau, rien de frais… Mais en tant que père de famille j’ai maintenant un autre regard sur New York et les Etats-Unis, je suis confronté à d’autres problèmes. L’éducation, par exemple, est catastrophique. Pour préserver ses enfants de la drogue, de la violence, d’un enseignement insuffisant, il faut gagner beaucoup d’argent. Et ne parlons pas du médical ! L’autre jour, je me suis cassé le bras : je suis allé me faire soigner à Paris. S’il arrive quelque chose de grave à ma femme, à mes enfants ou à moi, on ne se fera jamais soigner ici… En fait, il va y avoir encore plus de clochards, plus de crack, plus de sida… La drogue aujourd’hui, on dirait que ça fait partie de la vie américaine… Au début ce climat ne me déplaisait pas, c’était nouveau. Mais quand tu deviens père de famille, et si tu décides d’être un père responsable, ta vie change. Et c’est ce que je veux être, tout en continuant de faire ce que j’aime, en gardant la folie. Mon travail sur moi-même c’est de trouver cet équilibre, de pouvoir délirer à certains moments et d’être sage, même un peu square, avec mes enfants. Car tout le monde est un peu fou, tout le monde est capable de délirer. Donc c’est le contraire qu’il faut enseigner aux enfants. Le reste, ils pourront l’apprendre sans moi… Moi j’ai eu un père plutôt sévère, ça ne m’a pas empêché de faire des bêtises quand j’ai eu 18 ans. J’aime me lancer, essayer des choses nouvelles, prendre des risques…