Le coffret “Anno Domini 1989-1995” qui vient de paraître remet à l’honneur quatre albums du groupe de Tony Iommi.
Par Julien Ferté
« I’ve never had trouble coming up with riffs. »
Tony Iommi
Il arrive presque toujours un temps où après avoir aimé un groupe passionnément, on finit parfois par s’en éloigner. Lassitude, rejet, intérêt grandissant pour d’autres genres : les raisons d’un désamour passager ou définitif sont nombreuses.
Prenons Black Sabbath par exemple.
En 1980, la sortie de “Heaven And Hell” fut pour beaucoup l’occasion de se rapprocher d’un groupe dont, ado, on avait appris par cœur les albums enregistrés entre 1970 et 1975 – malgré leur impressionnantes pochettes signées Hipgnosis, “Technical Ecstasy” (1976) et “Never Say Die” (1978) n’ont jamais été très populaires. L’arrivée d’un chanteur du “camp adverse”, celui de la Deep Purple Family et plus précisément de Rainbow, fut une nouvelle d’importance. Appartenir à tel ou tel groupe avait quelque chose d’un peu sacré pour les (jeunes) fans que nous étions encore, et qu’une figure aussi importante que celle de Ronnie James Dio passe, comme ça, de Rainbow à Black Sabbath nous avait un rien perturbés. Mais dès les premières mesures de Neon Knights, l’affaire était pliée : le Sab’ était de retour, et leur nouveau 33-tours était puissant. Et grand.
Nous ne sommes certes pas ici pour vous raconter la saga à mille rebondissements de Ronnie James Dio avec Black Sabbath, mais il nous semblait utile de rappeler que c’est à l’orée de ces années 1980 que les Cassandre prédisaient maudites pour Black Sabbath et tous les groupes de hard-rock qui régnaient sur la décennie précédente que commença le grand bal des allers-retours incessants de tous les titulaires de poste.
Ainsi, après le départ de Dio et avant la sortie, en 1989, de “Headless Cross”, premier album que l’on retrouve dans le coffret qui nous intéresse aujourd’hui (patience, on y vient), deux autres membres de la Deep Purple Family – Ian Gillan et Glenn Hughes – s’étaient succédés au micro puis, encore plus brièvement, Ray Gillen. Et, la faute à cette trop rapide succession de chanteurs, Tony Iommi et son vaisseau amiral se retrouvèrent à peu près là où ils étaient à la fin des années 1970 : loin des yeux, des oreilles et du cœur.
Mais l’arrivée de Tony Martin, pour remplacer au pied levé Ray Gillen dans “The Ertenal Idol” en 1987, puis s’installer durablement jusqu’en 1995 – hormis la parenthèse “Dehumanizer” en 1992, qui marqua le retour de Dio… –, changea à nouveau la donne. Le Sab’ ne revint au sommet des sommets en termes de popularité – la concurrence des nouveau groupes d’alors était sans doute trop forte –, mais retrouva une certaine cohésion musicale, une énergie créative que l’on pensait perdue à jamais.
Le coffret “Anno Domini 1989-1995” qui vient de sortir regroupe donc “Headless Cross”, “Tyr” (1990), “Cross Purposes” (1994) et “Forbidden” (1995), et Tony Martin en est en quelque sorte la révélation. Car il faut bien avouer une chose : on avait un peu oublié ces quatre albums du Sab’, mal distribués en leur temps, rapidement devenus introuvables, absents des plateformes de streaming…
Mais les revoilà, et avec eux leur cortège de riffs mémorables dont Tony Iommi n’avait certainement pas perdu le secret (Anno Mundi, Get A Grip, Headless Cross, Shaking Off The Chains, Evil Eye, Illusion Of Power…), leurs fresques épiques et métalliques, leurs grooves et leurs breaks de batterie incomparables – derrière les fûts dans trois albums sur quatre, le formidable et regretté Cozy Powell, également très impliqué dans la production et le songwriting, faisait trembler le sol –, leurs lignes de basse bourdonnantes (Laurence Cottle, entendu par aillerus sur des disques du label Nato, Neil Murray, ex de National Health et Whitesnake, entre autres).
“Headless Cross” et “Tyr”, classiques oubliés s’il en est, sont à (re)découvrir d’urgence, et sonnent mieux que jamais – on applaudit les personnes responsables du remastering. (Et oui, Feels Good To Me, dans “Tyr”, est un “plaisirs coupables”, au même que No Stranger To Love dans “Seventh Star”, le vrai-faux album du Sab’ avec Glenn Hughes.) “Cross Purposes” et “Forbidden” fautent un peu parfois, mais “Forbidden” en étonnera plus d’un.e grâce au remix de Tony Iommi – produit et mixé à l’origine par Ernie C, le producteur de Body Count (d’où la présence du rappeur Ice T dans Illusion Of Power… rappelez-vous, le nu metal et ses fortes influences hip hop était à la mode…), cet album presque maudit sonnait terriblement mal.
“Anno Domini 1989-1995”, que vous pourrez ranger à côté des précédents coffrets Super Deluxe du Sab’ puisqu’il est au même format (façon petite boîte à chaussure) contient un chouette livret, un poster de “Headless Cross” (pour votre chambre d’ado et la chambe de votre ado) et un fac similé du tour book de 1989 ; assez peu de bonus tracks, pas de live, mais l’idée était avant tout de remettre en valeur les quatre albums originaux qu’il contient (qu’il serait élégant de finir par publier un par un pour les moins fortunés). Mission accomplie !
Et maintenant, cher Tony Iommi, on attend avec impatience la version Super Deluxe de “Born Again”, car il est temps, aussi, de remixer cet album culte et zinzin, lesté du poids d’un de vos riffs les plus envoûtants, celui de Zero The Hero. À très vite.
COFFRET “Anno Domini 1989-1995” (BMG).
Photos : X/DR, Pete Cronin / IconicPix (BMG).