Réédité pour la première fois, ce reportage paru dans le n° 52 de Jazz Magazine en octobre 1959 nous fait revivre l’aventure new-yorkaise de l’enregistrement de la BO du film de Roger Vadim, les Liaisons Dangereuses. Avec le grand producteur Marcel Romano, et Thelonious Monk, Art Blakey, Barney Wilen…

Quand Roger Vadim commença à préparer la réalisation du film Les Liaisons dangereuses, il pensa en illustrer les séquences au moyen de musique symphonique. Plusieurs amateurs de jazz connaissaient son projet et regrettaient qu’il ne pensât pas à faire appel, pour la bande sonore, à des musiciens de jazz. Il leur semblait que le jazz s’imposait, d’autant que le film était une transposition, à notre époque, de l’action du célèbre roman de Choderlos de Laclos. Certes, Vadim n’avait aucune prévention contre cette musique, bien au contraire ; il l’avait, du reste, brillamment prouvé avec le fameux Sait-on jamais. Plusieurs de ses amis lui dirent combien des musiciens comme [Thelonious] Monk, par exemple, pouvaient fournir, en marge de la mise en scène, une musique riche et fascinante.

Un jour, Vadim arriva chez Marcel Romano, au moment où celui-ci écoutait des disques de Monk. Roger connaissait assez peu ce pianiste, mais dès le premier disque qu’il entendit, ses oreilles découvrirent un univers musical nouveau. Quand tous les disques de Monk furent entendus (certains même plusieurs fois consécutives), Vadim déclara qu’il ne saurait plus concevoir une autre base musicale à son film que des mains de Thelonious. Le tournage commençait en février et devait s’achever vers le début du mois de mai. Comme il était question de faire venir Monk justement à cette époque pour une tournée européenne, tout semblait donc s’accorder à merveille.

Vers la fin du mois de mars, Romano eut d’ailleurs l’occasion de faire un voyage éclair à New York dans le dessein de ramener à Paris Kenny Dorham et Duke Jordan dont Edouard Molinaro avait besoin pour son film Un témoin dans la ville. Il profita du voyage pour rendre visite à Monk et à son imprésario Harry Colomby. Il leur raconta le scénario des Liaisons et comprit rapidement que si, dans le principe, Thelonious accepterait de collaborer avec plaisir à cette production, en revanche serait-il très difficile de lui faire signer le contrat relatif à cette affaire. Pour bien comprendre la terrible inhibition que subit Monk à la vue d’un contrat, il faut se souvenir qu’il avait été frustré voici une quinzaine d’années, de ses droits sur l’une de ses compositions les plus fameuses, par les suites d’une signature hâtive au bas d’un perfide engagement. Cette imprudence et ses conséquences fâcheuses l’ont marqué au point qu’un stylo qu’on lui tend est devenu pour lui un objet de crainte douloureuse. De plus, il semblait que Monk ait déjà un emploi du temps assez chargé dans les premiers jours de mai.

Art Blakey, Barney Wilen et Marcel Romano en studio. (Photo © X/DR)

Rentrant à Paris, Romano expliqua à Vadim qu’on ne pouvait compter, en toute sécurité, sur la venue de ce musicien, et qu’il serait plus sage d’aller l’enregistrer à New York. Mais comme Duke Jordan et Kenny Dorham étaient à Paris, et que le tournage des Liaisons comportait des scènes de surprise-party avec un orchestre visible, on tourna les plans en question avec Duke Jordan, Kenny Dorham, Paul Rovère, Barney Wilen et Kenny Clarke. Le rôle de ces musiciens devait rester purement figuratif, puisque la séquence n’est pas essentiellement musicale et sert surtout le dialogue. Le tournage du film se poursuivit en mars et avril et s’acheva le 15 mai. Il restait donc, et c’est là que les difficultés commencèrent, à partir de nouveau pour New York avec un découpage précis du film, c’est-à-dire l’indication exacte des minutages des diverses scènes, et à décider Thelonious Monk à commencer le travail.

Monk est l’homme le plus déroutant d’entre tous les jazzmen. Il semble toujours vivre dans un univers qui n’appartient qu’à lui, et dont les voies d’accès semblent impénétrables au commun. Lui-même ne fait que de rares incursions dans le monde extérieur, et toujours de manière imprévisible. Profondément timide, méfiant aussi, il semble se placer dans une position constante de défense, dont le silence et l’apparente indifférence sont les formes les plus fréquentes. Extrêmement intelligent, il reste paradoxalement fermé à la conversation, et seuls ses intimes peuvent avoir avec lui des dialogues cohérents. Pour ce motif, ce n’est pas lui, mais son ami Harry Colomby, qui annonça les excellentes dispositions de Thelonious pour l’enregistrement, et aussi ses craintes d’avoir à signer une cession de droits sur sa musique. Pour aggraver la situation, sa femme Nelly annonça que Thelonious devait partir sous peu à Chicago pour trois semaines. C’est ce qui se produisit au moment où arrivaient des télégrammes inquiets du producteur et de Vadim. Sachant que Monk désirait voir le film avant d’en composer la musique, Romano répondit à Paris que le plus urgent était d’obtenir les autorisations nécessaires pour qu’une copie de travail puisse lui être expédiée. Il mit à profit l’absence de Monk (qui se prolongeait anormalement) pour aller à Newport ou il le retrouva, a son grand étonnement, le 3 juillet. Le travail n’avait pas avancé depuis un mois, et les télégrammes de Paris trahissaient une fièvre bien compréhensible. Il ne fallait donc plus lâcher Monk d’une semelle. La bande de travail étant enfin arrivée, on fixa rendez-vous à l’insaisissable pianiste dans un studio de projection. Il ne vint pas. Une deuxième tentative, le surlendemain, eut plus de succès. Monk vint voir le film en compagnie de sa femme, de son manager et de celle qui devait être la plus efficace des médiatrices : la baronne Nica de Kœnigswarter. Le film eut le bonheur de plaire à tous, d’autant que, par une attention à laquelle Monk fut sensible, les passages ou il devait jouer comportaient déjà des musiques (provisoires) de sa composition, prises sur des disques. Il parut à tous que l’enregistrement ne tarderait plus. En fait, Monk allait faire vivre à son entourage la nuit la plus hallucinante qui se puisse imaginer. Nica avait invité Monk dans sa superbe propriété de Wee Hawken, près de New York, pour s’entendre avec lui sur les compositions qu’il devait préparer.

Barney Wilen et Thelonious Monk (Photo © X/DR)

Ce soir-là, vers dix heures, pour Thelonious, sa femme et ses enfants, la journée venait à peine de commencer. Ils ont choisi de vivre en effet selon une règle à la fois simple et surprenante : les besoins vitaux, tels que le sommeil, l’alimentation, la musique, les jeux, sont satisfaits au fur et à mesure qu’ils se font sentir, sans considération d’horaire. Les deux enfants de Monk, un garçon et une fille ravissants, fort bien accoutumés à ce régime, étaient de la partie. Nica avait décidé de faire accepter le fameux contrat à Thelonious coûte que coûte, et toute la soirée elle ne se sépara plus des documents, pour pouvoir les lui présenter à la seconde où il semblerait disposé à les signer. C’est alors que commença une ronde infernale, qui correspond à l’accomplissement de la vie idéale et libre telle que Monk la conçoit. La maison de Nica comprend, entre autres pièces, une salle de ping-pong au rez-de-chaussée, une salle de musique au premier étage et un salon de télévision au second. A peine arrivé, Monk, qui est passionné de ping-pong, commence avec son hôtesse une partie acharnée. Soudain, il interrompt la partie, monte jusqu’au premier, s’installe au piano, improvise. Nica lui tend timidement le contrat.Il s’enfuit alors vers le salon, mais ne reste qu’une minute devant la T.V. Les enfants ont faim, le disent, et en père prévenant qu’il est, il redescend à la cuisine, pour leur préparer un dîner. A ce sujet, il faut dire que le dîner-type de l’amateur de télévision est, en Amérique, conçu scientifiquement : le repas complet, qu’on achète tout prêt, est fixé entre deux feuilles métalliques serties, qu’il suffit de passer au four pendant quelques instants. On arrache ensuite la feuille supérieure, l’autre servant de plateau. Les aliments contenus dans des alvéoles sont alors prêts pour la consommation et sont choisis de telle sorte qu’il n’est pas besoin de s’aider du regard pour les manger. Thelonious, donc, surveille le dîner des enfants, puis joue à nouveau au ping-pong, puis encore piano, T.V., ping-pong… Nica n’osait même plus sortir la liasse des contrats.

A l’aube, la signature tant espérée n’y figurait toujours pas. Dans l’après-midi, rendez-vous au studio, mais en vain. Certes, Thelonious s’y rendit, mais ne se montra toujours pas disposé à signer. Le surlendemain, nouvelle soirée chez Nica, dans le même style que la précédente. Et enfin, à l’aube, réfugié dans sa voiture mais cerné par tous ses amis, voyant qu’il ne pouvait plus reculer, Monk signa les neuf exemplaires du contrat à la lueur d’une lampe de poche. La détente qui s’ensuivit fut délicieuse ; les embrassades durèrent un bon quart d’heure. Ceci se passait à l’aube du 26 juillet et la musique était attendue à Paris avec anxiété pour le 31.

L’enregistrement eut lieu dans les nuits des 27 et 28 juillet ; au studio, les techniciens avaient pris le parti de laisser tourner constamment une bande magnétique sur les appareils, de façon à ne pas manquer les départs de Monk, rigoureusement imprévisibles. Dans le film, la musique qu’on entendra “en commentaire” de l’image provient de ces deux séances. Celle que l’on entendra “en situation” est jouée par les Jazz Messengers, notamment dans les scènes de cabaret et de surprise-party. C’est Bobby Timmons qui joue (avec des rythmes afro-cubains) dans la séquence de L’Esquinade. Roger Vadim, heureux de voir revenir Romano avec l’enregistrement dans sa valise, l’a été encore plus d’entendre la musique merveilleuse qu’il avait tant attendue.

Cet article est l’un des bonus de notre dossier consacré à la plus grande année du jazz, 1959. Notre n°772 est en kiosque dès aujourd’hui ! Découvrez le nouveau projet de Pierrick Pédron autour de la musique d’Ornette Coleman, l’aventure de Wayne Shorter avec les Jazz Messengers, l’ultime séance de Lester Young, le dernier album de Billie Holiday, et bien d’autres choses encore !

Habituellement peu prompts à s’emparer des compositions du jazz moderne, les chanteurs se jetèrent rapidement sur Take Five, puis, à leur tour, les instrumentistes. D’autres morceaux de “Time Out” furent aussi adaptés. Tour d’horizon.

Par Franck Bergerot

Carmen McRae fut la première à l’enregistrer au Basin Street avec le quartette de Dave Brubeck, sur les paroles de son épouse, Iola (“Take Five”, 1961, Columbia/Sony Japon). Dès 1962, on le retrouve chanté en Tchécoslovaquie par une certaine Gerry Brown au sein du big band de Gustav Brown, et Monica Zetterlund l’interprète en suédois sous le titre I New York. Quant à Richard Anthony, il lui donne desparoles françaises avec Ne boude pas – repris par Jacqueline François, Oliver Twist et ses Twisters, ainsi qu’en sous-titre de la version instrumentale d’Elek Bacsik (“The Electric Guitar Of The Eclectic”, 1962, Fontana / Universal).

Puis, les chanteurs laissent la place à Milt Buckner (“The New World”, 1962, Bethlehem), Quincy Jones (“Strike Up The Band”, Mercury, 1963). À l’heure de la fusion, George Benson y revient encore (“Bad Benson”, 1974, CTI) et la version d’Al Jarreau crée la surprise quatre ans plus tard (“Look To The Rainbow”, 1977, Warner Bros.). Le comble de l’exostisme revient au tromboniste de ska Rico (“Roots To The Bone”, Universal) et au Sachal Studios Orchestra de Lahore (sitar, sarod, guitares, tabla et cordes symphoniques, “Take Five”, 2000, Sachal Music/Socadisc).

Blue Rondo a la Turk connut un moindre succès, mais, en 1965, Claude Nougaro en tira une formidable course poursuite avec À bout de souffle, après avoir chanté en 1962 Le Jazz et la java sur l’air de Three to Get Ready, également emprunté à l’album “Time Out”(“Sa Majesté le jazz”, compilation Universal). Mais Blue Rondo fut aussi repris par Al Jarreau sous le titre Round, Round, Round (“Breakin’ Away”, 1981, Warner Bros.). Et n’oublions pas les Blue Rondo et Take Five d’Anthony Braxton qui rend hommage aux ambitions expérimentales du compositeur Brubeck (“20 Standards (Quartet) 2003” Leo Records).

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« Je suis fier de Take Five »

Vers la fin de sa vie, Joe Morello avouait ne pas avoir écouté “Time Out” depuis des lustres. Le disque d’or est bien à l’abri dans son cadre, accroché au mur par sa bienveillante épouse, Jane. Interview téléphonique avec un truculent personnage.

Par Christophe Rossi

« Je me souviens de la première fois où j’ai vu jouer Dave Brubeck : il se produisait au Birdland. J’ai été surpris que sa section rythmique reste dans l’ombre. Les projecteurs étaient seulement braqués sur Brubeck et Paul Desmond. Le batteur se contentait de tenir le tempo, le plus sobrement possible, ne jouant qu’aux balais. Lorsque Dave m’a demandé de rejoindre son quartette pour une tournée, je l’ai prévenu : pas question de jouer comme ça, de manière mécanique. Je voulais pouvoir m’exprimer. Il m’a rassuré en me disant que je pourrais jouer comme je l’entendais. Il a tenu promesse et m’a toujours laissé une totale liberté. Ce qui a fini de me convaincre de rejoindre Brubeck, c’est lorsqu’il m’a demandé : “Joe, crois-tu que l’on puisse jouer du jazz avec d’autres rythmes que le 4/4 ?” Je lui ai répondu : “Bien sûr ! Avec des rythmes en 5/4, 6/4, 7/4, 7/8, tout ce que tu veux !”. Plus jeune, j’avais expérimenté avec toutes ces métriques, et j’avais eu un mal fou à trouver des musiciens à l’aise avec ce type de rythmes. Ce qu’il m’a demandé rejoignait mes concepts et c’était finalement très simple pour moi.

“mon solo de batterie était quelque chose de nouveau. Il se développait tout en restant sur un rythme en 5/4, et personne ne l’avait fait auparavant. Je me suis beaucoup amusé en jouant ça, mais pour moi c’était naturel.”

Notre premier gig était pour une émission de télé. Dave était étonné que je n’utilise pas de partitions. Nous avons donné ensuite une série de concerts au Blue Note, et il m’a proposé de prendre un solo. Le public est devenu complètement dingue, une standing ovation, ce qui n’était jamais arrivé avec ce quartette ! Mais ça a profondément déplu à Paul Desmond. Il a alors fait du chantage à Dave : “C’est lui ou moi, s’il s’avise de reprendre un solo, je m’en vais.” Les choses se sont finalement arrangées, et nous avons joué ensemble pendant une douzaine d’années. 

Nous avons fait tellement de disques ensemble qu’il m’est difficile de me souvenir du titre de certains morceaux… Je ne les écoute plus. “Time Out”, je me souviens que Columbia ne voulait pas le sortir. Ils prétendaient que ça ne se vendrait jamais, avec ces rythmes inhabituels, et qu’il n’y avait aucun swing là-dedans. Je suis fier de Take Five, parce que mon solo de batterie était quelque chose de nouveau. Il se développait tout en restant sur un rythme en 5/4, et personne ne l’avait fait auparavant. Je me suis beaucoup amusé en jouant ça, mais pour moi c’était naturel. Lorsque les gens parlent de technique, ils confondent souvent avec la vitesse. Mon solo dans Take Five n’a rien à voir avec la vitesse, j’utilise plutôt l’espace et une certaine façon de jouer, au-delà de la mesure. Je voulais simplement faire des choses inédites. »

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« Ce n’est pas dansable ! »

À sa sortie, personne, ou presque, ne croyait à “Time Out” : trop expérimental selon Columbia. Mais quelques mois plus tard, un 45-tours en fut extrait, qui grimpa dans les charts : Take Five, puis Blue Rondo à la Turk étaient sur toutes les lèvres. Dave Brubeck raconte.

« Ce rythme à cinq temps, je l’ai d’abord entendu joué par Joe Morello. Je souhaitais faire un album expérimental avec des signatures rythmiques inhabituelles en jazz. Lorsque j’ai parlé de ce projet aux membres de mon quartette, Joe s’est immédiatement montré ravi. Paul Desmond, qui considérait chaque innovation avec scepticisme, n’était pas très emballé. Eugene Wright, qui était la clé de voute faisant tenir le groupe, se demandait comment concilier tout ça. Mais tout l’art d’un leader est de savoir faire passer ses idées en douceur. Ainsi, j’ai dit à Paul : “Pour la prochaine répétition, tu écriras un morceau en 5/4.” Lorsqu’il est venu chez moi, il m’a dit : “Je ne peux rien écrire en 5/4 – Paul, lui ai-je répondu, je t’ai entendu jouer avec Joe en 5/4 ! ” Lorque Joe jouait son 5/4 en coulisse, Paul improvisait pardessus. Je lui ai demandé s’il avait noté quelques idées. Tout ce que je voulais, c’était un début de morceau et un solo de batterie pour que Joe joue un solo en 5/4. Paul m’a dit qu’il avait écrit deux thèmes. Il me les a joués sur ce piano [il montre son Baldwin] qui a été le premier à entendre Take Five. Alors, j’ai dit à Paul : “Si on combine ces deux thèmes, on obtient un morceau classique de jazz [avec un thème qui se répète trois fois et un pont entre les deuxième et le troisième thèmes], sauf qu’il est en 5/4.” Même Paul l’a aimé. On a donc commencé à le répéter dans mon salon et j’ai proposé de l’appeler Take Five. Et Paul s’est étonné : “Take Five ? Pourquoi l’appellerait-on ainsi ? — Parce que c’est en 5/4. Et parce que l’on dit souvent ça.” [« To take five » peut vouloir dire : prendre une pause de 5 minutes ou prendre 5 mesures de solo, NDLR.] Il a répondu : “Je n’ai jamais entendu personne dire “take five” ‑ Tu es bien la seule personne au monde qui ne connaisse pas cette expression !” Quoiqu’il en soit, Take Five est devenu le titre de ce fameux morceau où je garde le rythme à cinq temps du début de l’introduction à la fin. En concert, c’est le morceau que j’attends avec impatience tout au long de la soirée, en me demandant jusqu’où on parviendra à improviser sur un seul accord.

BATAILLES D’AIRS

Le rythme de Blue Rondo à la Turk, je l’ai entendu par des musiciens de rue à Istanbul. C’était fascinant. L’un des musiciens – il s’appelait June Eight, parce qu’il était né le 8 juin – m’a expliqué : “C’est notre blues à nous. On grandit en improvisant sur ce rythme.” J’ai décidé de composer un morceau sur ce rythme et je l’ai appelé Blue Rondo à la Turk. Nous avons aussi été en Inde, où les musiciens que nous avons rencontrés nous ont dit que Joe était le premier grand batteur venu d’Occident qu’ils entendaient. Joe était vraiment un batteur à part à l’époque, capable de jouer des morceaux très compliqués et aussi des choses très mélodiques. Ainsi, dans Everybody’s Jump, qui comporte un solo de batterie, l’on peut vraiment reconnaître la mélodie du morceau dans son jeu sur les différentes éléments de la batterie. Pick Up Sticks est une référence aux baguettes. Paul ne voulait pas que Joe joue avec des baguettes. Il préférait le jeu plus doux des balais et c’était un sujet de débat entre nous à l’époque. On était très dépendants les uns des autres et on s’écoutait beaucoup. Paul me parlait souvent avec son saxophone en jouant la mélodie d’un autre air que celui que nous étions en train d’interpréter. Par exemple, il me disait : “Arrête de jouer dans trois tonalités à la fois.” Et si, dans le morceau suivant, je continuais à jouer des combinaisons harmoniques extravagantes, il se mettait à jouer au milieu de son solo : “Tu me rends dingue. Qu’est que je t’ai fait ?” [“You’re driving me crazy. What did I do to you” : soit les paroles du standard You’re Driving Me Crazy]. Ou alors, si je jouais un accord qui l’empêchait d’aller dans la direction qu’il souhaitait, il me jouait : “Donne-moi de l’espace, beaucoup d’espace dans le ciel étoilé, ne me retient pas enfermé” [“Give me Land, lots of land under starry skies above, don’t fence me in”, paroles de la chanson Don’t Fence Me”]. Parfois, Joe lui répondait à la batterie de la même façon. On se livrait des bataille d’airs au sein du quartette.

“Chez Columbia, personne n’a été convaincu par l’album “ Time Out ”. ‘Il n’y a que des originaux. Ce n’est pas dansable. Vous voulez un tableau sur la pochette. On n’a jamais fait ça auparavant.’”

GRANDES OREILLES

En tant que musiciens, nous avons conscience de choses qui échappent aux autres. Ainsi, lorsque l’on fait de longues promenades solitaires à cheval et que ce dernier adopte une allure régulière, on est bercé par le bruit des sabots qui vous inspire des rythmes. J’y superposais mentalement des rythmes différents – cinq sur trois ou cinq sur deux – et c’est ainsi que s’est construite ma conception du rythme. Où que j’aille, mes oreilles sont attentives aux sons qui m’entourent. Ce sont parfois des grillons, parfois le murmure de l’eau d’un ruisseau. Strange Meadow Lark est mon imitation de l’alouette, que j’ai entendue en Californie du Nord. D’autres fois, c’est juste le vent. Je me souviens d’un soir où le vent a soufflé au son d’une quinte diminuée toute la nuit. C’était un son très bruyant. Et je me suis dit qu’un jour je l’utiliserai dans un morceau. Je me souviens aussi d’un moteur à essence qui produisait les rythmes les plus fous. Ils n’étaient pas aussi réguliers que ceux des sabots d’un cheval, et j’essayais d’associer un rythme régulier à ce rythme étrange et fou de pompe à essence.

LES OISEAUX

Chez Columbia, personne n’a été convaincu par l’album “ Time Out ”. “Il n’y a que des originaux. Ce n’est pas dansable. Vous voulez un tableau sur la pochette. On n’a jamais fait ça auparavant.” Une seule personne a aimé l’album. C’était le président de la Columbia, Goddard Lieberson qui était également compositeur et arrangeur. Il m’a dit : “Dave, j’en ai assez d’entendre Stardust et Body And Soul. Ça, c’est vraiment original. Donne moi une copie de Blue Rondo à la Turk et de Take Five. Demain, je vais sur la Côte Ouest pour rencontrer les représentants de Columbia : je veux leur faire écouter cette nouveauté.” Mais ils n’ont pas aimé non plus. Au début, l’album est passé presque inaperçu. Personne n’en faisait la promotion. Mais deux disc-Jockeys, l’un à Cleveland et l’autre à Chicago, ont commencé à le passer. Le public en redemandait. De retour d’Europe, on s’est rendu compte que Take Five était devenu un tube. Sur les campus où nous allions jouer, on entendait “Time Out”. Et partout dans le monde, en concert, devant les juke-box ou la radio, on dansait sur cette musique qui avait été jugée indansable. Sur Take Five notamment, le public se déchaînait ! C’était fabuleux de voir le succès mondial de ce disque qui se voulait expérimental. Pourtant, je n’avais pas recherché le succès. Je voulais juste proposer une musique innovante et créative en me démarquant de ce jazz uniforme en 4/4. Et j’ai ainsi ouvert la voie à de jeunes musiciens talentueux qui ont repris le flambeau pour composer une musique encore plus complexe, beaucoup plus recherchée. Un jour, j’ai entendu une immense volée d’oiseaux chanter Blue Rondo. [Il chante la première mesure en boucle.] Je appelé ma femme, Viola, et les enfants : “Il faut absolument que vous entendiez ça. Soit je suis en train de rêver, soit les oiseaux chantent Blue Rondo à la Turk.” Ils sont sortis et ils m’ont dit : “C’est vrai, ils le chantent !”

D’après une interview recueillie par Russell Gloyd, filmée par Chris Lenz en 2003 (Disponible dans la réédition Jazz Legacy de “Time Out”.).

Cet article est l’un des bonus de notre dossier consacré à la plus grande année du jazz, 1959. Notre n°772 est en kiosque dès aujourd’hui ! Découvrez le nouveau projet de Pierrick Pédron autour de la musique d’Ornette Coleman, l’aventure de Wayne Shorter avec les Jazz Messengers, l’ultime séance de Lester Young, le dernier album de Billie Holiday, et bien d’autres choses encore !

« L’amour planait sur ce groupe »

“Time Out” a aujourd’hui soixante-cinq ans. En 2009, qu’est-ce qui faisait encore courir Dave Brubeck ? Retour sur une carrière entamée… en 1942 !

Par Jean Levin

Il semble que, comme pour Thelonious Monk, la pensée musicale et la force des compositions l’emportent chez vous sur les canons traditionnels du toucher de piano.

Il a une grande similitude entre improvisation et composition. Les opposer est artificiel. Cela tient à la manière dont fonctionne la pensée créatrice. La manière d’avancer, le processus, le “work in progress” sont aussi importants que le résultat final.

Est-ce pour cette raison que vous donnez toujours autant de concerts et vos enregistrements live sont nettement plus nombreux que les séances en studio ?

C’est l’une des raisons. On ne sait jamais à quel instant de l’improvisation le profil d’une nouvelle composition va surgir, une idée de développement à laquelle je n’avais jamais pensé jusque-là, ou une solution inédite pour résoudre une question harmonique ou rythmique. C’est d’ailleurs pourquoi je prends souvent comme titre de mes albums le lieu du concert, celui de “l’expérience”. À commencer par “Jazz At The College Of Pacific” en 1953. Il y a eu “ Carnegie Hall ”, “ Berlin Philharmonie ” et des dizaines d’autres. Ce moment-là et cet endroit-là sont totalement spécifiques. À condition d’être intensément “présent”.

Vous avez étudié avec Darius Milhaud au Mills College d’Oakland. Qui d’autre vous a marqué aussi profondément ?

Je me sens redevable à Jean-Sébastien Bach. Et au chant grégorien qui l’avait précédé. Mais sur le plan du développement personnel, l’influence la plus forte est celle de Milhaud.

Vous avez publié un texte dans DownBeat en 1950 qui apparait singulièrement visionnaire aujourd’hui. Vous y annonciez l’émergence de la world music et espériez que le jazz sache y puiser une inspiration… Le fait d’avoir grandi dans une ferme, où votre père élevait des chevaux, vous a-t-il aidé à ressentir cette universalité ?

Les philosophes prétendent que l’on ne peut connaître le monde que si l’on sait explorer un mètre carré de terre près de chez soi. En ayant grandi dans un ranch, j’étais dans une totale proximité avec la nature et les animaux, mais aussi avec ceux qui venaient travailler là avec des cultures et des trajectoires différentes. C’est comme ça que j’ai pu tomber amoureux d’un classique du Far West comme The Red River Valley et reprendre des chansons mexicaines, portugaises ou des Indiens d’Amérique que chantaient les cow-boys de mon enfance.

L’importance donnée à l’élément rythmique de votre musique est-il la clé de votre reconnaissance par la communauté afro-américaine ?

L’une des influences les plus déterminantes de ma jeunesse a été l’écoute des enregistrements réalisés au Congo Belge lors de l’expédition de Dennis Roosevelt. J’ai tout de suite compris que le jazz avait beaucoup à apprendre de la complexité des rythmes africains.

Pourrait-on dire que vous appartenez à la même famille pianistique que Duke Ellington ou Thelonious Monk ? Ceux qui n’oublient jamais qu’il s’agit d’un instrument de percussion…

Je le revendique totalement !

Un mot s’impose lorsque l’on considère l’ensemble de votre carrière, c’est celui de fidélité : Paul Desmond, le clarinette Bill Smith, le quartette actuel, la formation avec vos fils, votre épouse Iola rencontrée au College… Il y a là un sens de la famille, au sens large.

Je ressens une profonde fraternité avec les jazzmen que j’ai pu admirer. Je me suis toujours senti humainement très proche des musiciens de mon orchestre. Tenez, aujourd’hui par exemple, je suis impatient de retrouver Bill Smith à Seattle où le quartette va bientôt aller jouer. Je sais que je vais lui demander de jouer avec nous. Je l’ai rencontré en 1946 au Mills College d’Oakland. Nous sommes toujours restés très proche. Quant aux membres de mon quartette ou à mes fils, j’éprouve à leur égar un profond mélange de respect, d’admiration et d’amour. Et je sais que c’est réciproque…

Les dix premières années de votre carrière ont été particulièrement difficiles. Est-ce dans cette adversité que vous avez bâti une inébranlable détermination et confiance en vous ?

Beaucoup d’autres amis musiciens de San Francisco étaient tout autant dans la panade et nous étions toujours prêts à partager une boîte de haricots. Ce sont des circonstances qui vous forgent le caractère ou vous brisent à jamais. Mais c’est l’occasion d’affirmer votre identité et cette lutte apporte une profondeur à ce que vous créez.

Photo © X/DR

“Ce fut difficile de trouver une rythmique qui comprenne ma démarche. Le jour béni où j’ai pu assembler Joe Morello et Eugene Wright, tout est devenu possible”

Deux autres mots semblent vous avoir servi de fil conducteur : “innovation” et “créativité”. Après plus de soixante ans de carrière, comment garder la fraîcheur ?

C’est une discipline intellectuelle permanente. J’essaie de ne pas me défiler quand je suis confronté à un problème au quotidien, qu’il s’agisse de musique ou des choses de la vie. Le prendre à bras le corps et le résoudre. Autant que possible…

Dès l’Octet de vos débuts, vous avez familiarisé le jazz à “l’art de la fugue” hérité de J.S. Bach. Était-ce plus facile d’“oser” sur la West Coast, où l’expérimentation musicale était une constante quasi philosophique ?

Dans l’Octet, nous étions plusieurs élèves de Darius Milhaud. Nous avions énormément appris de lui sur le plan de l’intégration des éléments classiques. Il nous encourageait à développer notre créativité tous azymuths. Qu’il s’agisse d’oratorios, d’opéra, de musique pour ballet, etc. On s’en inspirait pour appliquer ensuite ces idées dans un contexte de jazz. Nous adorions improviser en contrepoint, par exemple. Milhaud nous encourageait à étudier les chorals de Bach et son utilisation du contrepoint. Et il nous faisait écrire des fugues.

Vous avez mis du temps à trouver une rythmique régulière.

Mon premier batteur, celui du Trio, Cal Tjader, était extrêmement doué. Herb Barman et Bull Ruther ont amené un vrai sens du swing comme dans l’album “Look for the Silver Lining”.  Lloyd Davis aussi a apporté sa marque, comme en témoigne “Jazz at Oberlin”.  Et j’ai pris du plaisir avec la paire que constituaient Norman ou Bob Bates avec Joe Dodge. Mais ce fut difficile de trouver une rythmique qui comprenne ma démarche. Jusqu’au jour béni où j’ai pu assembler Joe Morello et Eugene Wright. À partir de là, tout est devenu possible. Pour pouvoir enregistrer “ Time Out ”, il me fallait un Joe Morello !

Paul Desmond, Gene Wright, Joe Morello et vous : dix-sept ans de vie commune ! Parvenez-vous à analyser cette alchimie ?

L’amour planait sur ce groupe. D’ailleurs ma collaboration avec Paul n’a pas cessé lorsque le quartette s’est dissous. Nous avons joué notre premier concert commun dans les années quarante et j’étais à ses côtés pour sa dernière apparition sur scène, au Lincoln Center de New York, quelques semaines avant sa mort, lorsqu’il se savait condamné.

Paul Desmond a utilisé le concept d’Extra Sensorial Perception pour définir votre relation. Le duo n’était-ce pas le format idéal pour vos échanges ? 

Enregistrer en duo était une idée de Paul. Il était convaincu que nous n’avions pas besoin d’une section rythmique. Par instant cette ESP était d’une telle intensité que chacun de nous était dans un état second.

Vous avez joué devant huit Présidents des États-Unis, dans les plus grandes salles des cinq continents, pour toutes les télévisions…

La chance y est pour beaucoup. Je n’aurais jamais joué pour John Kennedy s’il n’avait pas eu Pierre Salinger comme attaché de presse : il venait souvent m’écouter au Geary Cellar de San Francisco quand il était journaliste au S.F. Chronicle. Salinger était un excellent pianiste classique et, du coup, ma démarche l’intéressait. Barack Obama raconte dans son autobiographie que le premier concert de jazz auquel il assista, lorsqu’il avait dix ans, fut celui du groupe que j’avais avec mes fils lorsque nous sommes allés jouer à Hawaii.

Les nombreux prix et décorations que vous avez reçus à travers le monde n’ont-ils pas altéré votre goût de l’innovation ?

Ma plus récente composition, Ansel Adams: America, devrait vous rassurer… Il s’agit d’une commande pour orchestre symphonique destinée à accompagner la projection des photographies d’Ansel Adams. J’ai eu à penser en termes visuels. Juste avant, j’ai écrit un mini opéra pour le festival de Monterey à partir du roman de John Steinbeck, Cannery Row. Il fallait se projeter dans des époques et des contextes différents. Les récompenses dont vous parlez saluent une œuvre passée, mais je continue à me projeter sur les futures !

En 1974, votre discographie comporte une curiosité, votre association avec Lee  Konitz et Anthony Braxton.

C’était Michael Cuscuna eut envie de voir ce qui pourrait naître d’un tel assemblage. Anthony Braxton m’avait manifesté son amitié et m’avait vigoureusement défendu à un moment où je faisais l’objet de violentes critiques. Y compris à Paris…

Pourquoi avoir choisi Gerry Mulligan lorsque vous avez dissous le quartette avec Paul Desmond ?

Entre Gerry et moi, c’est une longue histoire. J’avais trouvé son tout premier engagement professionnel et je lui avais permis d’enregistrer dans la foulée pour Fantasy. Nous avions toujours eu une profonde estime réciproque et il s’est imposé naturellement après le départ de Paul : George Wein voulait organiser une tournée au Mexique avec moi. Gerry était dans mes bagages. Wein a suggéré Alan Dawson comme batteur et j’avais déjà joué avec Jack Six. On est parti comme ça pour le Mexique et le groupe a duré sept ans ! Un quartette formidable : réécoutez l’enregistrement de la “Berlin Philharmonie”.

Avec Jerry Bergonzi, en 1979, l’expérience fut plus courte…

Certes, mais il m’a emmené dans un feeling plus contemporain. Soir après soir, l’aisance et l’inspiration d’un musicien aussi jeune m’éblouissaient. Dans les choses qui comptent, il y a eu également par la suite une section rythmique sur laquelle je me suis rarement exprimé, celle qui réunissait mon fils Dave à la basse électrique et Randy Jones à la batterie. Bill Smith était le clarinettiste. Écoutez la complexité de Tritonis, enregistré en concert à Moscou. J’ai dû le retirer du répertoire, car Chris est le seul bassiste qui arrivait à se sortir de ce cinq temps…

Votre quartette actuel comprend le saxophoniste Bob Militello, le bassiste Michael Moore et le batteur Randy Jones. Comment expliquer le peu de reconnaissance dont ils bénéficient encore à titre individuel au regard de leur talent ? 

C’est une vraie question. Ça fait trente ans que je joue avec Randy et Bobby. À chaque concert ils font un triomphe. Mais peut-être n’ont-ils pas le loisir – ou l’envie – de développer une carrière personnelle. En tout cas, je mesure ma chance de les avoir à mes côtés.

Cet article est l’un des bonus de notre dossier consacré à la plus grande année du jazz, 1959. Notre n°772 est en kiosque dès aujourd’hui ! Découvrez le nouveau projet de Pierrick Pédron autour de la musique d’Ornette Coleman, l’aventure de Wayne Shorter avec les Jazz Messengers, l’ultime séance de Lester Young, le dernier album de Billie Holiday, et bien d’autres choses encore !

Comme promis dans notre grand dossier consacré aux plus grands trompettistes de l’histoire du jazz du n°768 de Jazz Magazine actuellement en kiosque, voici 27 trompettistes essentiels à (ré)écouter d’urgence commentés par les fines plumes de la rédaction.

Par Yvan Amar (YA), Franck Bergerot (FB), Etienne Dorsay (ED), Paul Jaillet (PJ), Yazid Kouloughli (YK), François Marinot (FM), Stéphane Ollivier (SO), Pascal Rozat (PR), Jean-Pierre Vidal (JPV) et Philippe Vincent (PV).

Bubber Miley

Bubber Miley
1903-1932
Roi de la Jungle, « élevé à la soul, saturé de soul, mariné dans la soul » comme disait Duke Ellington, ce musicien né en Caroline du Sud, élevé à New York, est l’un des premiers à s’écarter de la merveilleuse lignée de Joe Oliver et Armstrong. Il utilise avec maestria la trompette bouchée, avec sourdine plunger, un débouche-évier en caoutchouc qui occulte plus ou moins la pavillon de l’instrument. Il propose ainsi une série de growls,feulements, grommellements, grondements : la technique wah-wah est née, et avec elle le style jungle qui sera l’une des marques du premier orchestre d’Ellington, et qu’il invente avec le tromboniste Tricky Sam Nanton : tragique ou gouailleur, il incarne la trompette qui parle et qui commente ! Après un début de carrière extrêmement précoce, (il accompagne la chanteuse de blues Mamie Smith), il reste avec le Duke de 1924 à 1929, puis il tourne en France ou aux États-Unis dans différentes revues jusqu’à ce que la tuberculose le tue à 29 ans. YA
3 disques essentiels

Duke Ellington’s Washingtonians : Choo Choo (Blue Disc, 1926)
Duke Ellington And His Orchestra : Creole Love Call (Victor, 1927)
Duke Ellington And His Famous Orchestra : Tiger Rag (Brunswick,1929)
2 solos cultes

Black And Tan Fantasy

Duke Ellington : The Complete Brunswick And Vocalion Recordings Of Duke Ellington (Decca, 1994)
East Saint Louis Toodle-Oo

Duke Ellington : The Complete Brunswick And Vocalion Recordings Of Duke Ellington (Decca, 1994)

Red Allen

Red Allen
1908-1967
Fils d’un chef d’orchestre d’Algiers, sur la rive opposée à La Nouvelle-Orléans, Henry James Allen, dit Red, étudie et pratique avec les meilleurs trompettistes et orchestres de la Cité du Croissant. En 1927, il rejoint King Oliver à Chicago puis gagne New York en 1929 où il participe à de nombreux orchestres et séances de noms les plus prestigieux : Luis Russell (chez qui lui arrivera de prendre sa part de solos auprès de Louis Armstrong), Don Redman, Fletcher Henderson. Également chanteur fougueux, il enregistre sous son nom dès 1929 et en cosignature avec Coleman Hawkins en 1930. Si l’on a fait souvent de Roy Eldridge le chaînon manquant entre Louis Armstrong et Dizzy Gillespie, on oublie qu’avant eux Red Allen (quoiqu’encore adepte de la collective néo-orléanaise) amena le phrasé de la trompette vers une prolixité plus grande, un phrasé plus coulé que celui de Louis. FB
2 disques essentiels
Red Allen : The Golden Years Vol.1 1930-1935 (Upbeat, 2019)
Red Allen : World On A String (Bluebird-RCA,1957)
3 solos cultes

Lookin’ Good But Feelin’ Bad

Fats Waller : The Complete Recorded Works, Volume 2 1929 (JSP, 2006)
Queer Notions
(2ème Version)
Coleman Hawkins : The Quintessence (Frémeaux, 1995)
Shim Me Sha Wabble 

Henry “Red” Allen : In Chronology 1937-1941 (Classics, 1992)

Cat Anderson

Cat Anderson
1916-1981
Excellent musicien de pupitre, Cat Anderson trouva sa place au début des années 1940 dans les orchestres de Lucky Millinder, d’Erskine Hawkins et de Lionel Hampton avant de rejoindre celui de Duke Ellington qui fut vite un écrin sur mesure pour ses prouesses dans le suraigu. Il fera deux autres séjours dans l’orchestre du Duke dans les années 1950 avant de se consacrer à ses propres formations. Héritier de LouisArmstrong mais aussi influencé par des musiciens comme Roy Eldridge ou Charlie Shavers, sa technique éblouissante et unique dans le suraigu lui permettait de jaillir de l’orchestre tel un diable de sa boîte. Parfois imité, rarement égalé ! PV
2 disques essentiels

Duke Ellington : Newport 1958 (CBS, 1958)
Duke Ellington : Afro Bossa (Reprise, 1962)
2 solos cultes

El Gato

Duke Ellington : Newport 1958 (CBS, 1958)
June Bug

Cat Anderson : Cat On A Hot Tin Horn (Mercury, 1958)

Thad Jones


Thad Jones
1923-1986
Débuts chez Jack Teagarden, séjours et enregistrements avec grand orchestre de Count Basie dès le milieu des années 1950, idem avec Charles Mingus (c’est sur le label de ce dernier, Debut Records, qu’il fait ses débuts phonographiques), signature sur Blue Note en 1956… : au-delà de ses incontestables qualités de trompettiste, bugliste et cornettiste (il maîtrisait tout autant les trois instruments), Thaddeus Joseph “Thad” Jones, enfant du bebop, cadet d’une des plus fabuleuses fratries de l’Histoire du jazz, celle des Jones – Hank était l’aîné, Elvin le benjamin –, a surtout marqué les esprits via l’orchestre imaginé dès 1956 et fondé dix ans plus tard avec le batteur Mel Lewis, véritable laboratoire qui avait élu domicile au Village Vanguard de New York où sont passés moult grands solistes en devenir pendant plusieurs décennies. Son travail avec cet orchestre, comme ses opus Blue Note, nous rappellent à quel point cet homme avait du style. Comme trompettiste et arrangeur. ED
3 disques essentiels
Thad Jones : Detroit-New York Junction (Blue Note, 1956)
Thad Jones : The Magnificent Thad Jones (Blue Note, 1956)
Thad Jones / Mel Lewis Orchestra : All My Yesterdays – The Debut Recordings At The Village Vanguard (Resonance Records, 2016)
3 solos cultes
Scratch
Thad Jones : Detroit-New York Junction (Blue Note, 1956)
April In Paris
Thad Jones : The Magnificent Thad Jones (Blue Note, 1956)
St. Louis Blues
ThadJones / Mel Lewis Orchestra : Monday Night – Recorded At The Village Vanguard (Solid State Records, 1969)

Shorty Rogers


Shorty Rogers
1924-1994
On est en droit de penser qu’en 2024 rares sont celles et ceux, hélas, qui écoutent souvent les disques de Milton Michael Rajonsky, alias Shorty Rogers… Il nous semble pourtant urgent de (re)découvrir ce trompettiste à la sonorité douce et chaleureuse, figure du jazz West Coast, dont il fut l’un des acteurs essentiels dès le milieu des années 1940 – il a commencé d’enregistrer avec le tromboniste Kai Winding en 1945. Forts de ses divers séjours au sein des orchestres de Woody Herman et de Stan Kenton, il développa vite des talents de compositeur et d’arrangeur – il a de nombreuses musiques de films à son actif, dont celle de L’Homme au bras d’or, avec Frank Sinatra –, sans jamais se départir de sa passion pour le dialogue et l’interplay, comme en témoigne “The Three”, chef-d’œuvre gravé en 1954 en trio avec Jimmy Giuffre et Shelly Manne. ED
3 disques essentiels
Shorty Rogers André Prévin : Collaboration (RCA Victor, 1955)
Shorty Rogers Quintet : Wherever The Five Winds Blow (RCA Victor, 1956)
Shelly Manne : Shelly Manne’s “The Three” & “The Two” (Contemporary Records, 1960)
3 solos cultes
Flip
Shelly Manne : “The Three” (Contemporary Records, 1954)
Porterhouse
Shorty Rogers André Prévin : Collaboration (RCA Victor, 1955)
Lotus Bud
Shorty Rogers & His Giants : Martians Come Back ! (Atlantic, 1956)

Sonny Grey

Sonny Grey
1925-1987
Né à Kingston en Jamaïque, arrivé à Londres en 1948 avec Joe Harriott au sein des Jamaica All Stars, il s’installe à Paris en 1953 où il mène une carrière free lance dans les clubs parisiens parallèlement à un travail en pupitre chez Jacques Hélian et Aimé Barelli mais aussi au sein du Kenny Clarke-Francy Bolland Big Band ou du NDR Big Band, tout en dirigeant son propre grand orchestre qui sera enregistré en 1967 au festival de jazz de Barcelone. Disciple de Dizzy Gillespie aux idées intarissables servies par une belle souplesse de phrasé sur toute la tessiture, ce non-carriériste laisse peu de traces dans les discographies, mais il reste une figure dont se souviennent les assidus de la scène parisienne, du Soultet de Daniel Humair de 1961 au Machi Oul Septet de Patricio Villaroel en passant par Jef Gilson ou Guy Lafitte. FB
3 disques essentiels

Sonny Grey : Skippin’ (Numera, 1971)
Dexter Gordon, Sonny Grey & Georges Arvanitas Trio : Parisian Concert (Futura, 1973)
Sonny Grey : And His Orchestra In Concert 1967 (Fresh Sound, 2016)
3 solos cultes
Theme For Sister Salvation

Daniel Humair Soultet : The Connection (Vega, 1961)
Jamaica

Guy Lafitte : Jambo ! (RCA, 1968)
Brakes Sake
Herb Geller : European Rebirth 1962 (Fresh Sound, 2022)

Conte Candoli © Brian McMillen

Conte Candoli
1927-2001
Frère cadet du trompettiste Pete Candoli, il fut très précoce puisqu’il débuta à 16 ans dans l’orchestre de Woody Herman. On l’assimila souvent au style west coast, sans doute parce qu’après son installation en Californie, il joua avec toute la crème des musiciens du cru (Art Pepper, Shelly Manne, Bud Shank, Frank Rosolino, Gerry Mulligan…). Mais c’était plutôt un héritier du bebop et il a toujours revendiqué sa filiation stylistique avec Dizzy Gillespie. Avant tout homme de pupitre très demandé à Hollywood, ce fut aussi un excellent soliste virtuose dans l’aigu et par son habileté dans le maniement des sourdines. PV
2 disques essentiels

Conte Candoli : Conte Candoli (Bethlehem, 1955)
Red Mitchell : Red Mitchell (Bethlehem, 1956)
2 solos cultes

My Old Flame

Conte Candoli : Conte Candoli (Bethlehem, 1955)
Jam For Your Bread

Red Mitchell : Red Mitchell (Bethlehem, 1956)

Ruby Braff

Ruby Braff
1927-2003
Contrairement à ses contemporains, Ruby Braff est resté fidèle au cornet des débuts du jazz qu’il garde en mémoire même lorsqu’il le trahit pour la trompette, avec pour modèle Louis Armstrong et l’emphase de son ample vibrato, mais aussi Bix Beiderbecke et Bobby Hackett, son jeu élégant et posé privilégiant le moelleux du grave et du medium. Des qualités qui lui valent dès 1949 un engagement auprès du clarinettiste Edmund Hall au Savoy Café où il fait ses débuts new-yorkais, enregistré pour la première fois. Dans sa ville natale, Boston, il est remarqué par Georg Wein qui l’inscrit à l’affiche de son club Storyville auprès des figures du jazz prébop comme Pee Wee Russell, Vic Dickenson ou Jo Jones, puis sur la scène du premier Newport Jazz Festival en 1954. Ce sera un homme du milieu, fidèle à ses premières idoles du jazz hot et du swing tout en prenant volontiers ses distances avec les stéréotypes orchestraux des années 1920-30. FB
3 disques essentiels

Ruby Braff : Ruby Braff Quartet Swings (Bethlehem, 1954)
Ruby Braff : Two By Two, The Music Of Rogers & Hart (Vanguard, 1955)
The Ruby Braff-George Barnes Quartet : Plays Gershwin (Concord Jazz, 1974)
3 solos cultes

How Long Has This Been Going On ?

Ruby Braff : Braff !! (Epic, 1956)
Embraceable You

Ruby Braff : Goes “Girl Crazy” (Warner, 1958)
Lady Be Good

Ruby Braff – Dick Hyman : Fireworks (Philips, 1987)

Franco Ambrosetti © Gérard Aimé

Franco Ambrosetti
1941
Fils du saxophoniste suisse Flavio Ambrosetti, Franco commence à jouer avec lui avant de prendre son envol et de devenir l’un des maîtres de l’instrument en Europe. Tout en dirigeant l’entreprise familiale, il vivra sa passion de la musique en enregistrant de nombreux albums avec les grands musiciens de son époque tels Phil Woods, Michael Brecker, Daniel Humair, George Gruntz, Tommy Flanagan, John Scofield, John Abercrombie ou Jack DeJohnette. Bien qu’il n’ait jamais délaissé la trompette, c’est un spécialiste du bugle qu’il a souvent utilisé tout au long de ses disques. Côté style, c’est dans le hard-bop et le post-bop qu’il s’inscrit le plus souvent, là où il peut exprimer ses talents d’improvisateur et faire montre de son excellente articulation. PV
3 disques essentiels

Franco Ambrosetti : Heartbop (Enja, 1981)
Franco Ambrosetti : Wings (Enja, 1983)
Franco Ambrosetti : Movies (Enja, 1986)
3 solos cultes

Aspartacus

Franco Ambrosetti : Jazz A Confronto n°11 (Horo Records, 1974)
Heartbop

Franco Ambrosetti : Heartbop (Enja, 1981)
Summertime

Franco Ambrosetti : Movies (Enja, 1986)

Michael Mantler


Michael Mantler

1943
Ce trompettiste et tromboniste à pistons autrichien est parti, comme bien d’autres musiciens européens, étudier au Berkelee College of Music de Boston. Il rejoint New York et travaille avec l’énergique pianiste Cécil Taylor. Il adhère à la coopérative avant-gardiste Jazz Composers Guild créée par le trompettiste radical Bill Dixon et y rencontre sa muse Carla Bley avec qui il va fonder la Jazz Composer’s Orchestra Association (JCOA). C’est ainsi qu’il va se retrouver dans tous les vastes projets aventureux de cette arrangeuse géniale. En 1973, ils fondent la compagnie phonographique Watt distribuée par ECM. Mais son cursus artistique ne se limite pas à cette collaboration fructueuse. Friand d’expériences inédites, il écrit et enregistre des compositions orchestrales fort ambitieuses et collabore avec des partenaires issus du rock (Don Preston, Nick Maison), de la musique minimaliste et du jazz (Don Cherry, Pharoah Sanders). PJ
3 disques essentiels

Carla Bley : Tropic Appetites (Watt, 1974)
Michael Mantler : Movies (Watt, 1977)
Michael Mantler : Something There (Watt, 1987)
3 solos cultes

J. S.

Carla Bley, Michael Mantler, Steve Lacy, Kent Kent Carter, Aldo Romano : Jazz Realities (Fontana, 1966)
Alien

Michael Mantler With Don Preston : Alien (Watt, 1985)
Concertos

Michael Mantler : Concertos (ECM, 2008)

Mongezi Feza

Mongezi Feza
1945-1975
Débarqué à Londres de son Afrique du Sud natale en 1964 avec ses compagnons d’armes des Blue Notes, orchestre à la mixité raciale hautement subversive fondé par le pianiste blanc Chris McGregor en compagnie de Dudu Pukwana, Johnny Dyani et Louis Moholo-Moholo, Mongezi Feza s’est très vite imposé comme une personnalité très originale proposant de nouvelles pistes expressives aux jeunes musiciens révolutionnaires attirés par la New Thing venue d’Amérique. Influencé autant par Clifford Brown que Don Cherry, transcendant une grammaire jazz parfaitement maîtrisée par une authentique urgence vitale et des tradition vocales héritées des musiques de son pays, Mongezi Feza allait durant dix années denses marquer durablement la scène musicale britannique, écrivant les plus belles pages du jazz sud-africain au sein des Blues Notes et du Brotherhood of Breath de Chris McGregor tout en engageant un dialogue fécond avec la fine-fleur de l’avant-garde sous toutes ses formes. SO
3 disques essentiels

Chris McGregor : Brotherhood Of Breath (RCA, 1971)
Dyani-Temiz-Feza : Music For Xaba (Universal, 1972)
The Blue Notes : Legacy – Live In South Afrika 1964 (Ogun, 2023)
3 solos cultes
Traditional South African Songs

Dyani-Temiz-Feza : Music For Xaba (Universal, 1972)
Little Red Riding Hood Hit The Road

Robert Wyatt : Rock Bottom (Virgin, 1974)
Now
The Blue Notes : Legacy – Live In South Afrika 1964 (Ogun, 2023)

Jack Walrath

Jack Walrath
1946
Ce brillant trompettiste et bugliste a collaboré avec des groupes de rythme and blues, avec Glenn Ferris et a tourné pendant un an avec Ray Charles ce qui a musclé sa sonorité expressive. Il deviendra l’un des pivots des derniers projets fascinants du farouche contrebassiste Charles Mingus. Walrath l’a très largement secondé à la fin de sa vie alors qu’il était atteint d’une grave maladie dégénérative. Il a notamment mis en forme et réalisé les arrangements des pièces de l’album “Me, Myself An Eye” à partir de musiques chantées par son leader. Cette fidélité à l’univers mingusien s’est poursuivie après la mort du contrebassiste avec une participation active aux formations Mingus Dynasty, Mingus Big Band et Mingus Epitaph. Walrath a aussi rédigé des notes de pochettes de disques et écrit des chroniques pour le magazine Downbeat. En, 1983, il a fait la tournée des festivals d’été avec un puissant quintette au sein duquel on pouvait apprécier le batteur “headhunter” Mike Clark. PJ
2 disques essentiels

Jack Walrath Quintet : Live At Umbria Jazz Festival (Red Records, 1983)
Charles Mingus : Changes, The Complete Atlantic Studio Recordings 1974/79 (Rhino, 2023)
2 solos cultes

Black Bats And Poles

Charles Mingus : Changes 2 (Atlantic, 1974)
Invisible Lady

Mingus Big Band 93 : Nostalgia In Time Square (Dreyfus Jazz, 1993)

Baikida Carroll © Gianpero Gallina-Torino

Baikida Carroll
1947
Influencé dans sa prime jeunesse par des virtuoses de l’instrument comme Clark Terry et Lee Morgan, le trompettiste Baikida Carroll incarne avec éclat et humilité l’ancrage du free jazz militant des années 1970, dont il fut l’un des fer-de-lances, dans le terreau du jazz le plus traditionnel. Membre fondateur et directeur musical du Black Artists Group of St. Louis (BAG), collectif multidisciplinaire fréquenté par Oliver Lake, Julius Hemphill ou John Hicks qui toute sa vie demeureront ses partenaires privilégiés, Carroll passera l’essentiel des années 1970 et 80 à multiplier les collaborations avec tous les plus grands noms du free jazz, d’Anthony Braxton à Steve Lacy en passant par Muhal Richard Abrams, David Murray et Jack DeJohnette, mettant son style chaleureux et flamboyant, ancré dans le blues et magnifiquement charpenté même dans les moments de frénésie, au service d’une vision plurielle du jazz. SO
3 disques essentiels
Julius Hemphill : Dogon A.D. (Arista Freedom, 1972)
Baikida Carroll : Shadows & Reflections (Soul Note, 1982)
Black Artists Group : In Paris, Aries 1973 (Aguirre Records, 1973)
3 solos cultes
Mama And Daddy

Muhal Richard Abrams : Mama And Daddy (Black Saint, 1980)
Starbust

Jack DeJohnette’s Special Edition : Inflation Blues (ECM, 1983)
Beatrice

Sam Rivers : Inspiration (RCA, 1999)

Hannibal Marvin Peterson


Hannibal Marvin Peterson
1948
Quand il quitte son Texas natal pour New York en 1970, Hannibal Marvin Peterson, alias Hannibal Lokumbé, joue immédiatement avec une bonne partie de l’avant-garde : Elvin Jones, Pharoah Sanders, Archie Shepp, Roland Kirk sont séduits par son impétuosité, sa puissance sonore, sa maitrise et son expressivité très diverse. Il est capable d’une force de frappe étonnante et en même temps d’un souffle continu qui parait inépuisable, déjà rare chez les saxophonistes, rarissime chez les trompettistes ! Il devient la vedette de l’orchestre de Gil Evans dans ses merveilleuses années post-Miles, s’associe à George Adams, en même temps qu’il monte son propre Sunrise Orchestra. Un séjour en Afrique a aussi laissé des traces, notamment dans ses African Portraits, enregistrés par le Chicago Symphony Orchestra, dirigé à l’époque par Daniel Barenboim : s’y succèdent des parties de trompette, des chœur s et des voix, des tutti d’orchestre et le plus traditionnel des blues. YA
2 disques essentiels

Pharoah Sanders : Black Unity (Impulse, 1972)
Hannibal Marvin : Soul Brother – In dedication To Malcolm X (Impulse, 1975)
1 solo culte
Zee Zee
Gil Evans : Live At The Public Theater (Black Hawk Rec, 1980)

Shunzo Ohno © Spencer Kohn

Shunzo Ohno
1949
C’est une rencontre avec le légendaire batteur Art Blakey en 1974 qui a scellé le destin de ce jeune trompettiste d’origine japonaise. Débarquant à New-York, il intègre les fameux Jazz Messengers. Le rêve américain se concrétise grâce à l’étonnante maturité de son jeu, influencé aussi bien par Miles Davis que Lee Morgan. Les batteurs Roy Haynes et Norman Connors ne s’y trompent pas et font également appel à ses services, avant que Ohno n’entame une prolifique carrière solo qui sera fortement influencée par la fusion sous toutes ses formes. Si certains de ses disques sonnent comme un habile copier/coller du Miles électrique, son jeu mordant, élégant et virtuose mérite largement que l’on s’y attarde. Jusqu’aux années 2000, Ohno est aussi un sideman particulièrement recherché que l’on retrouvera, excusez du peu, aux côtés de Sting, Gil Evans, Buster Williams et Larry Coryell. JPV
3 disques essentiels

Shunzo Ohno: Something Coming (East Wind, 1975)
Shunzo Ohno : Bubbles (East Wind, 1976)
Shunzo Ohno: Quarter Moon (Electric Bird, 1979)
3 solos cultes

But It’s Not So

Shunzo Ohno : Something Coming (East Wind, 1975)
Bubbles

Shunzo Ohno: Bubbles (East Wind, 1976)
Fortune Dance

Buster Williams : Something More ( In+Out Records, 1989)

Graham Haynes

Graham Haynes
1960
Fils du légendaire batteur Roy Haynes, le jeune Graham, trompettiste et cornettiste se fait rapidement connaître par son étonnante maturité, son jeu fluide, virtuose, mélange parfaitement dosé entre expérimentations et tradition. Il devient l’un des fers de lance d’une nouvelle génération gravitant autour de la chanteuse Cassandra Wilson et du saxophoniste Steve Coleman. A partir de ces collaborations, Graham Haynes a développé une musique aux structures complexes, fusionnant jazz, funk, hip-hop et plus tard, la culture drum and bass venue d’Angleterre. Ce musicien largement ouvert sur de nouveaux paysages sonores explore les musiques africaines et magrébines en collaborant avec le bassiste et producteur Bill Laswell puis s’oriente progressivement vers une fusion cosmique où son jeu, passé aux filtres de l’électronique, le projette vers les abysses de la musique ambiante. Un musicien aussi rare que talentueux à (re)découvrir urgemment. JPV
3 disques essentiels

Graham Haynes: Transition (Antilles, 1994)
Graham Haynes : The Griot Footsteps (Antilles, 1994)
Graham Haynes : Tones For The 21st Century (Antilles, 1997)
3 solos cultes

Apricot On Their Wings

Cassandra Wilson : Day Aweigh (JMT, 1987)
Mars Triangle Jupiter

Graham Haynes: Transition (Antilles, 1994)
Millennia

Graham Haynes : Tones For The 21st Century (Antilles, 1997)

Ralph Alessi © Caterina Di Perri (ECM) DETOUR

Ralph Alessi
1963
Révélé au sein des diverses formations de Steve Coleman durant les années 1990, ce natif de San Francisco collait parfaitement à la musique aux structures complexes du saxophoniste, auprès duquel il a peaufiné un sens très sûr pour les improvisations les plus débridées. S’il se rapproche de Ravi Coltrane qui deviendra l’un de ses partenaires réguliers, sa collaboration la plus marquante est peut-être celle qu’il entame avec le pianiste Fred Hersch. L’osmose de leurs univers respectifs fait des merveilles et entraîne le trompettiste vers d’autres horizons avant-gardistes. Doté d’une technique hors normes laissant s’exprimer l’harmonie, son lyrisme innovant à l’esthétique proche d’un Enrico Rava lui ouvre naturellement les portes du mythique label allemand ECM, dont il devient rapidement l’un des musiciens les plus influents. JPV
3 disques essentiels

Ralph Alessi & Fred Hersch : My Magic Fingers (Cam Jazz, 2013)
Ralph Alessi : Imaginary Friends (ECM, 2013)
Ralph Alessi Quartet : It’s Always Now (ECM, 2023)
3 solos cultes

Mixed Media

Ravi Coltrane : Moving Pictures (BGM, 1998)
Blue Midnight

Ralph Alessi & Fred Hersch : My Magic Fingers (Cam Jazz, 2013)
Imaginary Friends
Ralph Alessi : Imaginary Friends (ECM, 2019)

Matthieu Michel © Marius Affolter

Matthieu Michel
1963
Grandi dans une fratrie de cuivres auprès d’un père multi-instrumentiste et chef de fanfare, il est devenu au fil des années une référence très au-delà des frontières suisses. Erik Truffaz dit tout lui devoir sur le plan technique, mais au-delà de l’instrument, c’est un artiste complet comme la trompette en connaît en Europe depuis Enrico Rava, Kenny Wheeler et Tomasz Stanko. Recherché tant pour ses qualités de soliste que pour ses compétences en pupitre, il s’est fait une réputation sous la direction de George Gruntz, Mathias Rüegg (Vienna Art Orchestra) ou Franck Tortiller (ONJ). Leader discret, peu carriériste, il est abondamment sollicité de Susanne Abbuehl à Michel Benita, en passant par Heiri Känzig ou Christian Muthspiel. FB
3 disques essentiels

Matthieu Michel : Estate (TCB 1995)
Matthieu Michel, Uli Scherer : The Sadness Of Yuki (Emarcy-Austrian Jazzart, 1996)
Jean-Christophe Cholet, Matthieu Michel : Benji (Pee Wee, 1997)
3 solos cultes

Fleur de Lotus

Serge Lazarevitch : A Few Years Later (Igloo, 1997)
Lisboa Reverie

Vienna Art Orchestra : Swing Affairs (Emarcy Austri, 2005)
Dervish Diva

Michel Benita : Looking at Sounds (ECM, 2019)

Axel Dörner

Axel Dörner 
1964
Formé au piano classique qu’il étudiera jusqu’à l’âge adulte à l’Académie de musique de Cologne, il se consacre pour de bon à la trompette, qu’il pratiquait adolescent dans la fanfare de son village, en 1991. Privilégiant l’improvisation, il passe du jazz à des formes plus libres au contact d’Alexander von Schlippenbach et de l’élite de la free music européenne notamment au sein du Berlin Jazz Contemporary Orchestra et du groupe Die Enttäuschung avec Rudi Mahal. Sans rompre avec les racines du jazz auxquelles le relient le quartette Peeping Tom de Pierre-Antoine Badaroux ou Alexander von Schlippenbach, il s’affranchit des conventions orchestrales souvent en duo ou solo, et se tourne vers une esthétique de plus en plus bruitiste, avec un usage époustouflant des sourdines, de la coulisse, des effets de souffle, du growl et des traitements électroniques, sa trompette pouvant même être équipée d’un générateur de son. FB
3 disques essentiels

John Butcher, Xavier Charles, Axel Dörner : The Contest Of Pleasures (Potlatch, 2000)
Axel Dörner, Pierre-Antoine Badaroux, Pat Thomas… : Boperation (Umlaut, 2011)
Axel Dörner : Sicherlich (bandcamp, 2020)
3 solos cultes

A,B,C

Matts Gustafsson : Hidros One (Caprice Records, 1999)
Coming On The Hudson

Alexander von Schlippenbach : Monk’s Casino (Intakt, 2005)
Sedna

Axel Dörner, Lina Allemano : Aphelia (Relative Pitch, 2019)

Laurent Blondiau © Christophe Alary / Wikimedia

Laurent Blondiau
1968
Formé au Conservatoire royal de Bruxelles auprès de Bert Joris et Richard Rousselet, Laurent Blondiau est devenu l’un des principaux activistes de la scène belge à la tête du collectif Mâäk’s Spirit, après s’être fait connaître dès les années 1990 avec le Brussels Jazz Orchestra, l’ensemble Rêve d’éléphant et l’orchestre franco-belge Octurn. Multipliant les collaborations sur le territoire français (Stéphane Payen, Alban Darche, Andy Emler, David Chevallier) ou avec le guitariste hongrois Gabor Gado, il s’est vu décerner le prix Bobby Jaspar du jazz européen par l’Académie du jazz en 2009. Virtuose, jouant aisément et sans affect de deux trompettes à la fois comme le faisait Clark Terry, c’est plutôt un Rex Stewart des temps modernes qu’incarnerait l’expressivité de sa technique, et notamment son recours très inventif aux sourdines. Auprès des musiciens cités ci-dessus, il s’est montré un improvisateur inventif sur tous les terrains esthétiques, admirablement soucieux de la qualité narrative de ses solos. FM
3 disques essentiels

Mâäk : Bunenaventura (De Werf, 2011)
Gabor Gado, Laurent Blondiau : Veil and Quintessence (BMC, 2017)
David Chevallier : Curiosity (Yolk, 2022)
3 solos cultes

Work 1.1

Thôt Agrandi : Work On Akis (Quoi de neuf Docteur, 2002)
Jilali

Mâäk’s Spirit, Gnawa Express de Tanger : Al Majmaâ (Igloo, 2004)
Pulsations nocturnes

Andy Emler : Pause (Naïve, 2011)

Cuong Vu © Michele Giotto

Cuong Vu
1969
Après une formation au New England Conservatory et des débuts au sein de la bouillonnante scène downtown new-yorkaise, cet Américain d’origine vietnamienne se fait connaître plus largement au début des années 2000 en intégrant le Pat Metheny Group. Dès cette époque, il se lie avec le bassiste Stomu Takeishi et le batteur Ted Poor, avec lesquels il forme un trio au long cours dont le son singulier – mélange de jazz, de rock et d’explorations bruitistes – ne cessera de s’affirmer avec le temps, souvent avec le concours d’invités de marque (Bill Frisell, Chris Speed, Pat Metheny). Très tôt, cet expérimentateur né développe une approche profondément originale de l’instrument, l’intégration d’effets électroniques lui permettant d’explorer un large éventail de textures, allant de sonorités lunaires jusqu’à d’intenses effets de saturation. Fort occupé par le professorat qu’il exerce depuis 2007 à l’Université de Washington à Seattle, Cuong Vu s’est fait rare en tournée : ne le manquez pas si l’occasion se présente ! PR
3 disques essentiels

Mark O’Leary, Cuong Vu, Tom Rainey : Waiting (Leo, 2004)
Cuong Vu : It’s Mostly Residual (Auand, 2005)
Cuong Vu Trio : Meets Pat Metheny (Nonesuch, 2015)
3 solos cultes

Reconnoiter

Chris Speed : Deviantics (Songlines, 1999)
Not Crazy (Just Giddy Upping)

Cuong Vu Trio : Meets Pat Metheny (Nonesuch, 2015)
Adamastor

Mario Costa : Chromosome (Clean Feed, 2023)

Yoann Loustalot © Jean-Baptiste Millot

Yoann Loustalot
1974
L’un des trompettistes contemporains les plus intéressants, pour le rapport à l’instrument et la composition, chez qui l’un découle de l’autre. La trompette est un héritage (son père a été trompettiste amateur) qui le mène à l’école de musique locale, puis au conservatoire (Versailles et Bordeaux) où il suit des études classiques. Il en garde une belle maitrise de l’air et du timbre : sonorité ciselée, précise, sans effet, attaque sobre, vibrato rare et une longueur de souffle qui lui permet de prolonger sans effort apparent de longues phrases qui vous tiennent en haleine. Les mélodies sont de la même eau : simples, presque évidentes, qui flottent dans l’espace et dans la mémoire. Il oscille entre la trompette et le bugle, surtout s’il a décidé de s’appuyer sur le coussin suave d’un trio à cordes (Oiseau rare). Tout cela avec la liberté que donne un label qu’il a fondé : Bruit chic. YA
3 disques essentiels

Yoann Loustalot : Slow (Bruit Chic, 2019)
Yoann Loustalot : Yéti (Pure Capture, 2022)
Yoann Loustalot : Oiseau Rare (Bruit chic, 2023)
2 solos cultes
Echoes
Yoann Loustalot : Yeti (Pure Capture, 2022)
Nom de plume
Yoann Loustalot : Oiseau Rare (Bruit chic, 2023)

Nate Wooley © Frank Shemmann



Nate Wooley

1974
Considéré comme l’un des trompettistes les plus originaux et audacieux apparu sur la jeune scène alternative de Brooklyn ces vingt dernières années, Nate Wooley s’est non seulement imposé comme un interlocuteur privilégié des plus grands hérétiques de la modernité post-jazz (John Zorn, Anthony Braxton, Fred Frith, Evan Parker…), mais comme un compositeur et improvisateur de premier plan, s’aventurant aux confins du free jazz, de la noise et des musiques nouvelles. Virtuose possédant une connaissance approfondie des grands stylistes qui l’ont précédé (de Bill Dixon et Wadada Leo Smith à… Wynton Marsalis), il développe en solo un répertoire parfaitement original fondé sur l’alphabet phonétique international. Un univers très personnel d’une grande force poétique et conceptuelle. SO
3 disques essentiels

Evan Parker, Joe Morris & Nate Wooley : Ninth Square (Clean Feed, 2015)
Nate Wooley : (Dance to) The Early Music (Clean Feed, 2015)
Nate Wooley : Argonautica (Firehouse 12 Records, 2016)
3 solos cultes

Hesitation

Nate Wooley : (Dance to) The Early Music (Clean Feed, 2015)
Templ Elm

Evan Parker, Joe Morris & Nate Wooley : Ninth Square (Clean Feed, 2015)
Lionel Trilling

Nate Wooley : Columbia Icefield (Nothern Spy Records, 2019)

Verneri Pohjola

Verneri Pohjola
1977
Si le public français ne l’a découvert que tout récemment à travers sa participation à l’album “Aux Anges” de Sylvain Rifflet, Verneri Pohjola jouit depuis longtemps d’une réputation enviable dans sa Finlande natale, et on comprend pourquoi. Fils du bassiste et multi-instrumentiste de prog rock Pekka Pohjola (1952-2008), il possède en effet une palette d’une rare variété, aussi à l’aise dans les pyrotechnies post Freddie Hubbard que lorsqu’il s’agit de jouer sur ce sens de l’espace typiquement scandinave. Autant de facettes de son jeu qui, loin de se contredire, s’intègrent harmonieusement en un univers riche et cohérent, où s’entremêlent sonorités acoustiques et électroniques, jazz, ambient, groove et plus encore. Soufflant le chaud et le froid, mais toujours intensément lyrique, voici un trompettiste à découvrir absolument ! PR
3 disques essentiels

Verneri Pohjola : Pekka (Edition Records, 2017)
Verneri Pohjola : The Dead Don’t Dream (Edition Records, 2020)
Verneri Pohjola : Monkey Mind (Edition Records, 2023)
3 solos cultes

Monograph

Wilder Brother
Verneri Pohjola : The Dead Don’t Dream (Edition Records, 2020)
Love Song

Aki Rissanen : Hyperreal (Edition Records, 2023)

Fabien Mary © Askienazy

Fabien Mary
1978
Depuis son premier album publié en 2002 à 24 ans, Fabien Mary a fait preuve d’une remarquable constance et s’est imposé peu à peu comme l’un des plus importants gardiens de la tradition du swing parmi les gens de sa génération. Dès l’origine il brille par les qualités qui continuent de faire sa force : celles d’un improvisateur surdoué aux phrases toujours limpides et parfaitement architecturées, chacun de ses solos frappé du sceau de l’évidence, comme s’il lui était aussi facile de s’exprimer sur les tempos les plus rapides que sur les ballades, en grande comme en petite formation. A 46 ans, bien qu’il ait déjà une discographie considérable, Fabien Mary connaît depuis ces trois dernières années une période particulièrement riche qui l’a vu publier coup sur coup deux albums en big band et un en trio qui témoignent d’une expression toujours plus fine et personnelle. YK
3 disques essentiels
Fabien Mary : Twilight (Elabeth, 2002)
Fabien Mary And The Vintage Orchestra : Too Short (Jazz & People, 2021)
Fabien Mary : Never Let Me Go (For Musicians Only, 2023)
3 solos cultes
I’m Getting Sentimental Over You
Fabien Mary : Twilight (Elabeth 2002)
I’m Always Lucky
Fabien Mary : Chess (Elabeth), 2005)
Sakura
Fabien Mary And The Vintage Orchestra : Too Short (Jazz & People, 2021)

Kirk Knuffke

Kirk Knuffke
1980
Encore assez peu connu en France, Kirk Knuffke est pourtant l’un des trompettistes (même s’il joue essentiellement du cornet) les plus originaux de sa génération. Après une vingtaine de disques à son nom et des collaborations avec des musiciens comme Butch Morris, Uri Caine, Bob Stewart ou Jay Anderson, il s’est imposé de l’autre côté de l’Atlantique comme une étoile montante du jazz actuel. Aussi bien intéressé par Ornette Coleman et Don Cherry que par Louis Armstrong et le swing d’avant-guerre, il réussit à mêler l’innovation à la tradition de façon exemplaire et passionnante. Sa formation d’autodidacte ne l’a pas empêché d’acquérir une technique redoutable et sa musique est toujours d’une fraîcheur et d’une invention remarquables. PV
2 disques essentiels

Kirk Knuffke, Per Mollehoj, Thommy Andersson : ‘s Wonderful (Stunt, 2021)
Karl Berger, Kirk Knuffke : Heart Is A Melody (Stunt, 2022)
2 solos cultes

‘s Wonderful

Kirk Knuffke, Per Mollehoj, Thommy Andersson : ‘s Wonderful (Stunt, 2021)
Ganesh
Karl Berger-Kirk Knuffke : Heart Is A Melody (Stunt, 2022)

Peter Evans

Peter Evans
1981
Combien sont-ils aujourd’hui, les trompettistes dont on peut dire qu’ils repoussent les limites de l’instrument ? Assurément, Peter Evans est de ceux-là. Souffle continu, techniques étendues, élargissement de la tessiture vers le grave comme vers l’aigu (il est l’un des rares à maîtriser la trompette piccolo), performances en solo intégral : rien ne lui fait peur, surtout pas l’impossible ! Loin d’être là pour épater la galerie, cette virtuosité hors du commun fonctionne comme une arme redoutable destinée à dynamiter la musique de l’intérieur, à balayer les conventions, à “pulvériser le son”, pour paraphraser le nom d’un de ses groupes. Impossible de résumer sa foisonnante discographie (environ 200 disques !) : citons au moins le quartette Mostly Other People Do the Killing, ses collaborations au long cours avec Evan Parker ou John Zorn, sans parler d’une pléthore d’albums en (co)leader dans les formats les plus variés. Son ultime provocation ? Un disque de standards ! PR
3 disques essentiels
Peter Evans Quintet : Ghosts (More Is More, 2011)
Peter Evans : Lifeblood (More Is More, 2016)
Pulverize The Sound : Black (Relative Pitch, 2022)
3 solos cultes

Handsome Eddy

Mostly Other People Do the Killing : Shamokin!!! (Hot Cup, 2007)
3625

Peter Evans : Zebulon (More Is More, 2013)
The Cell

Peter Evans Being & Becoming : Ars Memoria (More Is More, 2023)

…et pour quelques
solos de plus…

Comme une sorte de “spécial bonus”, voici quelques trompettistes passés sous les radars de nos pigistes. Pour chacun d’entre eux, une brève présentation et un solo culte.

Par Jacques Aboucaya,Franck Bergerot, Peter Cato, Yazid Kouloughli, Pascal Rozat, Alfred Sordoillet, Jean-Pierre Vidal et Philippe Vincent.

Freddie Keppard
1890-1933
Raffinant l’héritage de Buddy Bolden, Freddie Keppard tourna au sein de l’Original Creole Orchestra d’une côte à l’autre des États-Unis de 1914 à 1918 mais refusant une proposition d’enregistrer en 1916, il laissa aux musiciens blancs de l’Original Dixieland Jazz Band la primeur du jazz enregistré, et ne se fit entendre sur disque qu’après 1923. FB
Stock Yards Strug
Extrait de Freddie Keppard : The Complete Set 1923-1926 (Challenge, 1999)

Joe Smith
1902-1937
C’est Ethel Waters qui convainquit Joe Smith d’abandonner la batterie pour le cornet sur lequel elle le trouvait plus convaincant, ce qu’il prouva tout au long des années 1920 avec Bessie Smith, le Fletcher Henderson Orchestra ou les McKinney Cotton Pickers, et sur ce lumineux solo. FB
I’ve Found A New Baby
Extrait de Ethel Waters : Diva (Saga Jazz, 2003)

Red Nichols
1905-1965
Influencé par Bix Beiderbecke et l’un des trompettistes blancs les plus enregistrés dans les années 1920, souvent dédaigné par jazz critics et historiens pour sa réputation de requin de studio, Ernest Loring “Red” Nichols, élégant technicien de l’instrument, est d’un charme irrésistible pour qui veut bien lui prêter oreille. FB
Get With
Extrait de The Red Heads : The Complete Recordings Of The Red Heads Directed By Red Nichols (Jazz Oracle, 2004)

Frankie Newton
1906-1954
En plus d’être le trompettiste qui préface Strange Fruit de Billie Holiday, et l’un des rares sinon le premier jazzman noir inscrit au Parti communiste, Frankie Newton fut l’un des passeurs vers la trompette moderne, aussi tendre dans le blues et la ballade qu’il pouvait être fougueux sur les tempos rapides. FB
After Hour Blues
Extrait de Frankie Newton : In Chronology 1937-1939 (Complete Jazz Series, 2009)

Ray Willis Nance
1913-1976
Violoniste (son premier instrument), trompettiste et chanteur, Ray Nance remplaça Cootie Williams chez Duke Ellington de 1940 à 1962 et eut l’honneur d’être le créateur de Take the “A” Train avec l’un des solos les plus copiés, y compris par Cootie lorsque ce dernier retrouva son pupitre en 1963. FB
Take the “A” Train
Extrait de Duke Ellington: Never No Lament / The Blanton-Webster Band (Bluebird RCA, 1941)

Shorty Baker
1914-1966
À propos de ce trompettiste originaire de St. Louis passé par les orchestres de Don Redman, Teddy Wilson et Andy Kirk avant de devenir l’un des piliers de l’orchestre de Duke Ellington, Mary Lou Williams qui fut sa compagne rapporte avoir entendu Miles Davis soupirer : « Oh, si seulement je pouvais jouer aussi sweet que Shorty. » AS
Pretty Woman
Extrait de Duke Ellington : Time’s A-Wastin’ (Naxos, 1946)

Bobby Hackett
1915-1976
Familier du dixieland comme du swing de Benny Goodman et Glenn Miller, ce descendant de Bix Beiderbecke qui revendiquait d’ailleurs plutôt l’influence de Louis Armstrong, compta parmi les premières influences de Miles Davis. AS
What A Difference A Day Made
Extrait de Bobby Hackett : In Chronology 1948-1954 (Complete Jazz Series, 2005)

Emmett Berry
1915-1993
Il  offre l’exemple d’un musicien qui a épousé l’évolution du jazz sans prétendre en infléchir le cours. JA
That’s A Plenty
Sammy Price : A Fontainebleau (Guilde du Jazz, 1957.)

Freddie Webster
1916-1947
Qui se souviendrait de ce trompettiste qui brilla dans les années swing chez Cab Calloway, Earl Hines et Jimmie Lunceford, si Miles ne l’avait cité dans son autobiographie comme son premier copain new-yorkais et l’une des principales influences sur ses débuts en bebop ? FB
September In The Rain
Extrait de Frank Socolow : New York Journeyman 1945 & 1956 (Fresh Sound Records, 2005)

Charlie Shavers
1917-1971
Complice de Dizzy Gillespie dans leur passion première pour Roy Eldridge, Charles James “Charlie” Shavers accède à la renommée à travers ses arrangements et solos ruisselants de virtuosité et d’humour pour le sextette de John Kirby. FB
Front And Center
Extrait de John Kirby : In Chronology 1938-1939 (Complete Jazz Series, 2009)

Benny Bailey
1925-2005
Un superbe disciple de Dizzy Gillespie et de Fats Navarro dont l’installation en Europe l’empêcha sans doute d’atteindre les sommets de la gloire de l’autre côté de l’Atlantique. PV
Lil’ Sherry
Extrait de Benny Bailey : “The Upper Manhattan Jazz Society” (Enja, 1981)
Dusko Goykovich
1931-2023
Originaire de l’ancienne Yougoslavie, ce brillant technicien ajouta à un répertoire d’origine bebop une inspiration qu’il puisa dans les cultures musicales populaires balkaniques.PV
Last Minute Blues
Extrait de Dusko Goykovtich : “After Hours” (Enja, 1971)

Bobby Shew
1941
Sideman très demandé dans les années 1960-70, leader de superbes combos avec le pianiste Bill Mays, cet orfèvre de l’instrument est à (re)découvrir absolument. YK
La Rue
Extrait de The Bobby Shew Sextet : “Play Song” (Jazz Hounds Records, 1981)

Jon Faddis
1953
Si la génération “post hip-hop” des jazzfans connaît ce trompettiste natif d’Oakland parce qu’il est l’oncle du producteur Madlib, celles d’avant l’ont d’abord apprécié pour sa technique flamboyante, son phrasé élastique, ses prouesses et ses pirouettes post-Dizzy Gillespie.PC
Spur Of The Moment
Extrait de MyCoy Tyner & Jackie McLean : “It’s About Time” (Blue Note, 1986)

Bert Joris
1957
Un grand trompettiste belge d’aujourd’hui à la sonorité chaleureuse et au lyrisme éclatant devenu l’une des figures de proue du jazz européen. PV
Coffee Groove
Extrait de Philip Catherine : “Blue Prince” (Dreyfus Jazz, 2000)

Franck Nicolas
1966
D’une vocalité bouleversante, le souffle du Guadeloupéen possède une couleur unique qui contribue beaucoup à la saveur de son jazz-ka, mélange tout personnel de jazz et musiques caribéennes. YK
Au Revoir Michael
Extrait de “Pop Ka” (Autoproduction, 2023)

Guillaume Poncelet
1978
Aujourd’hui principalement pianiste, ce virtuose des pistons alliant puissance et lyrisme a notamment contribué à écrire les plus belles pages de l’electro-jazz de France. YK
Le Troisième homme
Extrait de Wise : “Electrology” (Such Production, 2004)

Takuya Kudora
1980
Remarqué comme sideman au côté du chanteur José James, Kudora offre en leader une fusion électrique novatrice, qu’il pimente d’éclatants chorus particulièrement délectables, comme dans cette irrésistible relecture du grand classique de Roy Ayers. JPV
Everybody Loves The Sunshine
Extrait de “Rising Sun” (Blue Note, 2014)

Jonathan Finlayson
1982
Disciple inséparable de Steve Coleman, mais aussi partenaire de choix de Steve Lehman ou Henry Threadgill : une tête pensante de la trompette d’aujourd’hui ! PR
Jeux d’anches
Extrait de Steve Lehman / Orchestre national de jazz : “Ex Machina” (ONJ, 2023)

Olivier Laisney
1982
Aussi à l’aise dans les métriques complexes que dans les modes d’Olivier Messiaen ou le hip-hop, ce styliste à la découpe rythmique incomparable n’a pas fini de nous étonner. PR
Nine To Hate
Extrait de Stéphane Payen – The Workshop : “Conversations With The Drums” (Onze Heures Onze, 2015)